Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] En l’espèce, je dois déterminer si la division générale a appliqué le bon critère juridique relatif au caractère « grave » lors de l’évaluation de l’invalidité de l’appelant dans le cadre de sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’appelant interjette appel de la décision rendue par la division générale le 2 octobre 2015 selon laquelle son invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date, soit le 31 décembre 2011. La division générale a déterminé qu’il n’était donc pas admissible à une pension d’invalidité.

[2] Les parties acceptent que l’appel peut être instruit en fonction des observations écrites. Par conséquent, l’appel est entendu conformément à l’alinéa 43a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelant a fait valoir que la division générale a commis plusieurs erreurs, et qu’elle a entre autres omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été présentée. J’ai accordé la permission d’en appeler selon le motif que la division d’appel pourrait avoir erré en droit, et plus particulièrement, je dois déterminer si elle a réalisé une analyse « réaliste ». L’unique question que je dois trancher est celle visant à déterminer si la division générale a appliqué le bon critère juridique relatif au caractère « grave » conformément au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada.

Critère relatif à la gravité

[4] L’appelant a déclaré ce qui suit dans la demande de permission d’en appeler :

[traduction]

Dans un contexte réaliste, faisant référence à Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 RCF 130, 2001 CAF 248, le membre du Tribunal de la sécurité sociale doit tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les compétences en langues, les antécédents professionnels et l’expérience de la vie. L’appelant avait 55 ans lorsqu’il a présenté sa demande. Il a un obtenu un diplôme d’études secondaires en Inde en pendjabi et il a suivi des cours d’anglais langue seconde à son arrivée au Canada. Il a de la difficulté à parler l’anglais couramment. La majorité de son expérience professionnelle touche le travail à prédominance de main-d’œuvre. Dans un contexte réaliste et selon la prépondérance des probabilités, nous estimons que les chances de l’appelant de reprendre tout travail convenable, pas nécessairement son dernier emploi, sont très faibles.

[5] Vu ce qui précède, j’ai conclu que l’appelant faisait essentiellement valoir que la division générale avait ignoré Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 RCF 130, 2001 CAF 248 en évaluant la gravité de son invalidité. J’ai accordé la permission d’en appeler selon le motif que la division générale pourrait avoir erré en droit en rendant sa décision, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier.

[6] L’appelant s’est aussi tourné vers G. B. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 1418, où la division d’appel avait fait référence à Garrett c. Canada (Ministre du développement des ressources humaines), 2005 CAF 84, une affaire dans le cadre de laquelle la Cour d’appel fédérale avait déterminé que l’absence d’une analyse conforme aux principes établis dans Villani représentait une erreur de droit.

[7] Dans l’arrêt Villani, il est indiqué qu’un décideur doit adopter une approche « réaliste », c’est-à-dire qu’il doit tenir compte de la situation particulière de l’appelant, par exemple son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie au moment d’évaluer si l’appelant est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que l’examen des circonstances entourant la situation de l’appelant est une question de jugement sur laquelle on se doit d’être hésitant à intervenir. Par conséquent, si la division générale a appliqué le critère Villani et que l’appelant conteste simplement la manière dont l’évaluation a été réalisée, je devrais éviter d’intervenir.

[8] L’intimé a déclaré que la division générale avait réalisé une analyse conforme aux critères établis dans Villani, il a souligné que ces critères avaient été établis au paragraphe 68, et il a dit avoir expressément fait référence aux caractéristiques personnelles de l’appelant comme son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents professionnels et ses compétences en anglais au paragraphe 12 de sa décision.

[9] Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a établi des principes directeurs qui permettent de déterminer la façon dont une invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada doit être définie ainsi que la façon d’effectuer une évaluation d’invalidité. Aux paragraphes 38 et 39, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

Je suis d’accord avec la conclusion énoncée dans la décision Barlow, précitée, et les motifs donnés à l’appui de cette conclusion. L’analyse effectuée par la Commission dans cette affaire était brève et cohérente. Elle démontre que, d’après le sens ordinaire des mots utilisés au sous-alinéa 42(2)a)(i), le législateur doit avoir eu l’intention de faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité soit appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde réel ». Il est difficile de comprendre quel objectif la Loi pourrait poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible avec le langage clair de la Loi.

[mis en évidence par la soussignée]

[10] Vu ce qui précède, il est évident qu’il ne suffit pas de souligner les éléments de preuve à l’appui des caractéristiques personnelles de l’appelant ou de tout simplement citer l’arrêt Villani sans déterminer de fait comment ces caractéristiques personnelles ont des répercussions sur la capacité de l’appelant de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Bien que le paragraphe 12 de la décision de la division générale mentionne les caractéristiques personnelles de l’appelant, la division générale n’a pas autrement tenu compte de la manière dont ces caractéristiques ont influencé la capacité de l’appelant à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. C’est le piège à éviter lorsqu’une décision est fondée sur des gabarits, comme la Cour fédérale l’a récemment souligné dans Canada (Procureur général) c. Thériault, 2017 CF 405. L’utilisation de gabarits par la division générale n’assure pas une application correcte des critères pertinents.

[11] Un examen de la section « Analyse » de la décision révèle que la division générale a analysé la preuve médicale, mais cela n’est accompagné d’aucune analyse, ni dans la section « Preuve » ni dans la section « Analyse », sur la façon dont les caractéristiques personnelles de l’appelant ont une influence sur sa capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste ». À cet égard, la division générale a commis une erreur en ne menant pas d’analyse « réaliste ».

[12] Cependant, l’intimé a déclaré que l’analyse « réaliste » nécessitait également que le décideur détermine si le refus de l’appelant de suivre les traitements recommandés était déraisonnable, et le cas échéant, qu’une évaluation de l’incidence de ce refus sur l’invalidité de l’appelant était aussi nécessaire : Villani, paragraphes 38, 44 à 46, et 50; Lalonde c. Canada (Ministre du développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, paragraphe 19. Dans Lalonde, la Cour d’appel fédérale a établi que le contexte « réaliste » signifie que le conseil devait déterminer si le refus de madame Lalonde de suivre le traitement de physiothérapie était déraisonnable et, le cas échéant, évaluer l’incidence que ce refus aurait pu avoir sur son invalidité.

[13] L’intimé souligne que la division générale a conclu que l’appelant n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour suivre les conseils médicaux qu’il avait reçus afin d’améliorer son état. Aux paragraphes 72 à 73, la division générale a présenté les conclusions suivantes :

Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas fait d’efforts raisonnables pour suivre les conseils médicaux qu’il avait reçus. L’appelant a déclaré avoir commencé à utiliser son appareil de ventilation spontanée en pression positive continue en 2014. Il a affirmé ne pas avoir utilisé l’appareil avant parce qu’il avait de la difficulté à utiliser le masque. L’appelant a aussi déclaré qu’il prenait toujours ses médicaments lorsqu’il avait les moyens de se les procurer. Le 3 août 2011, docteur De Villa a souligné que l’appelant n’utilisait pas l’appareil de ventilation spontanée en pression positive continue, et que c’est pour cette raison que son apnée du sommeil ne s’était pas améliorée.

Le 19 septembre 2011, docteur Berlyne a souligné que les problèmes d’asthme de l’appelant étaient mal traités, et il s’est demandé si l’appelant prenait bien ses médicaments. Le 23 mars 2012, docteur Berlyne a affirmé que l’appelant ne respectait pas les instructions qu’il avait reçues pour l’utilisation de l’appareil de ventilation spontanée en pression positive continue.

Le Tribunal souligne aussi qu’un sommaire de congé du St. Joseph’s Health Care précisait que l’appelant avait quitté l’hôpital contre les instructions, sans échantillon d’inhalateur à emporter à la maison et sans prescription de congé. L’appelant n’a également pas suivi les instructions qu’il avait reçues par rapport à l’utilisation de l’appareil de ventilation spontanée en pression positive continue, qui aurait amélioré ses troubles d’apnée du sommeil.

[14] Vu ces conclusions, le fait que la division générale ait omis de tenir compte des caractéristiques personnelles de l’appelant est sans intérêt pratique. L’appelant devait tout de même suivre tous les traitements raisonnables qui lui avaient été recommandés, ou fournir une explication raisonnable de son refus de suivre ces traitements. La division générale a conclu que des traitements étaient offerts à l’appelant, mais qu’il ne les avait pas suivis pour une raison quelconque. La division générale a souligné que l’appelant avait des problèmes financiers qui faisaient en sorte qu’il ne pouvait pas se procurer des médicaments de manière continue et régulière. La division générale était cependant plus préoccupée par le refus de l’appelant d’utiliser l’appareil de ventilation spontanée en pression positive continue, qui aurait amélioré ses troubles d’apnée du sommeil. La division générale ne considérait pas une « difficulté à utiliser le masque » comme une justification raisonnable du refus de l’appelant à utiliser l’appareil.

[15] Il n’est pas suffisant conformément à Lalonde de simplement conclure que l’appelant pourrait avoir omis de suivre les traitements qui lui avaient été recommandés. Il faut également tenir compte de l’incidence de ce refus sur l’invalidité de l’appelant. Selon la division générale, il était évident que l’utilisation de l’appareil de ventilation spontanée en pression positive continue aurait amélioré les troubles d’apnée du sommeil de l’appelant.

[16] La division d’appel ne devrait pas réaliser sa propre évaluation afin de déterminer si la non-conformité de l’appelant aux instructions était raisonnable, étant donné que la division générale est chargée de déterminer s’il est raisonnable pour un appelant de ne pas suivre les traitements recommandés et d’évaluer l’incidence de ce refus sur leur invalidité. En l’espèce, je suis convaincue que la division générale a évalué s’il était raisonnable pour l’appelant de refuser de suivre les traitements recommandés, de même que l’incidence de son refus sur son invalidité.

Conclusion

[17] Compte tenu de ces considérations, l’appel est rejeté.

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