Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] L’appel porte sur une décision rendue le 11 août 2016 par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), qui a statué que l’appelant n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) puisqu’il n’était pas atteint d’une invalidité « grave » durant sa période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle a pris fin le 31 décembre 2015.

[2] La permission d’en appeler a été accordée le 26 avril 2017 au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[3] L’appelant a fait une demande de prestations d’invalidité du RPC le 24 mars 2014..Dans sa demande, il a déclaré être âgé de 43 ans et détenir un diplôme d’études secondaires. Il a reçu une formation culinaire et il a plus récemment été employé comme sous-chef dans une boulangerie et restaurant. Cet emploi a pris fin en novembre 2013 après avoir chuté d’une échelle et s’être fracturé le pied droit.

[4] L’intimé a refusé la demande initialement et après révision au motif que l’appelant n’était pas atteint d’une prétendue invalidité grave ou prolongée à la date de fin de la PMA. Le 29 décembre 2014, l’appelant a interjeté appel de ces refus devant la division générale.

[5] À l’audience devant la division générale tenue le 9 août 2016, l’appelant a déclaré être incapable de se tenir debout sur ses pieds depuis deux ans et demi et avoir subi deux chirurgies infructueuses. Il en subira probablement une troisième. Il a affirmé avoir une douleur permanente pour laquelle son médecin de famille a prescrit de l’Oxyneo et du Percocet, qui entraînent des effets secondaires, comme la fatigue et des selles irrégulières. Il a déclaré ne pas avoir subi des séances de physiothérapie ou d’autres traitements parce qu’il ne pouvait pas se le permettre. Il ne consultait aucun autre spécialiste, à l’exception de son chirurgien orthopédiste. Il a affirmé qu’il ne pouvait pas retourner travailler comme sous-chef parce que cela lui demanderait de se tenir debout pendant de longues périodes; le recyclage professionnel, car il n’avait pas assez d’argent pour étudier. Il a déclaré avoir remis son curriculum vitae à des restaurants et avoir approché des amis en vue de retourner travailler dans le secteur de la restauration à temps partiel, mais ils n’ont pas pu l’aider.

[6] Dans sa décision du 11 août 2016, la division générale a rejeté l’appel de l’appelant en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, il était capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur à la date de fin de la PMA. La division générale a souligné au paragraphe 40 de sa décision que l’appelant avait fait peu de tentatives pour trouver un emploi adapté à ses limitations :

Même s’il a déclaré avoir approché des amis au sujet d’un emploi dans le domaine de la restauration / des services d’alimentation, il était irréaliste de sa part de croire qu’il serait capable d’effectuer ce travail, particulièrement en raison de son incapacité à se tenir en position debout pendant plus de 10 minutes à la fois. Fait encore plus important : l’appelant n’a pas tenté de retourner aux études ou de se recycler en vue d’obtenir une occupation qui sera plus convenable à ses limitations.

[7] Le 3 novembre 2016, le représentant de l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal dans laquelle il prétend que la division générale avait commis plusieurs erreurs. Dans ma décision du 26 avril 2017, j’ai accordé la permission d’en appeler au motif que la division générale pourrait avoir fait ce qui suit : (i) elle a manqué au principe de justice naturelle en concluant que l’appelant n’avait pas subi de traitements sans tenir compte de la preuve selon laquelle il ne pouvait pas se les permettre; (ii) elle a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère établi dans l’arrêt Villani c. CanadaNote de bas de page 1et en faisant abstraction des caractéristiques personnelles de l’appelant.

[8] Le 19 mai 2017, l’intimé a soumis une lettre dans laquelle il consentait à ce que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue par un autre membre.

[9] J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. l’intimé a accepté que la demande de pension d’invalidité de l’appelante soit instruite de nouveau sur le fond;
  2. le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification;
  3. ce mode d’audience respecte les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division d’appel.

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne reçoit pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[14] Au titre de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[15] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en constatant que l’appelant n’a pas subi de traitements sans tenir compte de la preuve selon laquelle il ne pouvait pas se les permettre?
  2. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère établi dans l’arrêt Villani et en faisant abstraction des caractéristiques personnelles de l’appelant?

Observations et analyse

[16] L’intimé a maintenant recommandé que la division d’appel renvoie l’affaire devant la division générale afin qu’une nouvelle audience soit tenue, en vertu du paragraphe 59(1) de la LMEDS. Je suis d’accord avec les parties pour dire que l’audience devant la division générale a été entachée, et que la meilleure réparation est de statuer de nouveau sur le fond quant à la demande de pension d’invalidité du RPC présentée par l’appelant.

Traitement continu

[17] L’appelant prétend que la division générale a rejeté à tort sa demande de prestations d’invalidité parce qu’il n’a pas établi qu’il suivait un traitement au moment de l’audience. En agissant ainsi, la division générale a fait abstraction du témoignage de l’appelant, dans lequel il a expliqué qu’il ne pouvait pas se permettre de suivre un traitement parce qu’il ne touchait aucun revenu.

[18] La jurisprudence impose aux personnes demandant des prestations d’invalidité du RPC de prendre toutes les mesures raisonnables afin de suivre un traitement. Je conviens que le manque de ressources peut constituer une raison pour laquelle un requérant n’a pas suivi les ordres de médecins, particulièrement si le service recommandé n’est pas couvert par le régime public d’assurance-maladie. Je souligne que la division générale a mentionné (aux paragraphes 12 et 13 de sa décision) le témoignage de l’appelant selon lequel il ne pouvait pas s’offrir des traitements de physiothérapie ou de counseling en santé mentale, mais elle a néanmoins tiré une conclusion défavorable en raison de l’absence de traitement sans aborder la justification qu’il a donnée à cet égard. Au paragraphe 49 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Le Tribunal garde également à l’esprit la décision suivante de l’ancienne Commission d’appel des pensions (CAP) : Un appelant doit prouver qu’il a déployé des efforts raisonnables et sincères pour trouver et conserver un emploi que ses limitations. Un appelant qui n’en ferait pas la preuve peut soulever des doutes et laisser croire qu’il pourrait simplement avoir choisi de vivre comme personne invalide parce qu’il se croit inapte au travail : F.E. c. MDRH (17 juin 2011) CP 26480 (CAP).

[19] Il s’agit d’une affaire dans laquelle l’appelant a subi des blessures dans sa propriété privée, et non au travail ou à la suite d’un accident de voiture. Dans son cas, il n’y a généralement aucun recours d’indemnisation autre que celui de poursuivre le propriétaire; il s’agit d’un long processus d’opposition dont la garantie de succès est faible. Par conséquent, il semblait n’y avoir aucune source de financement facilement accessible (comme les prestations d’indemnisation des accidentés du travail ou les assurances individuelles prévues par la loi) à laquelle l’appelant aurait pu avoir recours pour payer la thérapie qui n’était pas couverte par l’Assurance-santé de l’Ontario. En invoquant l’expression [traduction] « style de vie d’une personne invalide », la division générale avait l’obligation imposée par l’équité de tenir compte de la question de savoir si l’appelant avait des motifs valables pour ne pas suivre une forme de thérapie. À mon avis, il n’y est pas parvenu.

Application des facteurs réalistes prévus dans l’arrêt Villani

[20] L’appelant prétend que la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas les faits concernant sa situation au critère établi dans l’arrêt Villani.L’appelant convient que la division générale a correctement cité l’arrêt Villani, qui souligne que le critère relatif à la gravité doit être évalué dans un « contexte réaliste », à savoir qu’il faut tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. En l’espèce, l’appelant a souligné que ses seules études postsecondaires sont sa formation à titre de sous-chef, son antécédent de travail comprend seulement un travail physique et il ne possède aucune compétence informatique. Malgré ce contexte, la division générale a déclaré qu’ [traduction] « aucun des facteurs ci-dessus » n’était pertinent. L’appelant soutient que la division générale n’a pas accordé un poids approprié, voire n’a accordé aucun poids, au fait que, en raison de son âge, il serait très difficile pour lui de se recycler et de trouver un nouvel emploi dans un domaine dans lequel il n’a aucune expérience, particulièrement dans un domaine qui ne comprend pas un aspect physique.

[21] Je serais également disposé à accueillir l’appel sur ce motif. Bien que la division générale ait résumé les principes prévus dans l’arrêt Villani au paragraphe 39 de sa décision, je constate peu d’indications selon lesquelles elle a sincèrement tenté de les appliquer aux circonstances particulières de l’appelant. La division générale a conclu que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie de l’appelant n’étaient pas pertinents, mais l’arrêt Villani prévoit que ces facteurs sont toujours pertinents, et ce même si la question est de savoir la mesure dans laquelle ils le sont. En l’espèce, l’appelant possède des caractéristiques personnelles qui pourraient agir de manière concevable comme des obstacles à son emploi continu : il est maintenant une personne d’âge moyen ayant des études postsecondaires limitées et des antécédents de travail composés principalement d’habiletés manuelles. Il me semble que ces facteurs valaient plus qu’un rejet en une seule phrase.

Conclusion

[22] Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est accueilli.

[23] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la division d’appel peut accorder pour un appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la division générale. J’avise également le Tribunal de supprimer du dossier la décision de la division générale datée du 11 août 2016.

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