Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La prorogation du délai est accordée, la permission d’en appeler est accordée et l’appel est accueilli.

Introduction

[1] L’appelante souhaite obtenir une prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) le 4 juillet 2014.

Contexte

[2] L’appelante a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) le 20 juin 2011. Elle a déclaré qu’elle avait 36 ans, qu’elle détenait des diplômes d’études supérieures et que son dernier emploi avait été un poste d’enseignante dans une école publique. Elle dit avoir quitté cet emploi en juin 2006 en raison de la douleur chronique et de la fatigue qu’elle ressentait et qui étaient associées à la fibromyalgie.

[3] L’intimé a refusé la demande initialement et après révision selon les motifs que l’invalidité de l’appelante n’était pas grave et prolongée avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2013. En mai 2012, l’appelante a interjeté appel de ces refus devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale le 1er avril 2013, conformément à la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[4] La division générale a tenu une audience par téléconférence le 4 mars 2014. Dans une décision écrite communiquée le 4 juillet, elle a déterminé que l’appelante était inadmissible à des prestations d’invalidité du RPC parce que son invalidité n’était pas grave au cours de sa PMA.

[5] Selon les dossiers, le Tribunal a envoyé aux parties une copie de la décision rendue par la division générale accompagnée d’une lettre datée du 9 juillet 2014. Dans une lettre datée du 3 octobre 2014, le conseiller juridique de l’appelante a avisé le Tribunal qu’il n’avait pas encore reçu la décision, même si l’audience avait eu lieu sept mois plus tôt. Il a demandé quand il pouvait s’attendre à recevoir une copie de la décision. Le Tribunal a téléphoné au conseiller juridique de l’appelante le 16 octobre 2014 et lui a confirmé qu’une copie de la décision rendue par la division générale lui serait envoyée par la poste. Selon les dossiers du Tribunal, une autre copie de la décision a été envoyée au conseiller juridique de l’appelante le 17 novembre 2014.

[6] Le 9 février 2015, un employé du bureau du député de l’appelante a communiqué avec le Tribunal par téléphone pour se renseigner sur la façon d’en appeler de la décision de la division générale. Le 16 février 2015, après le délai prévu de 90 jours, l’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler. Elle a déclaré qu’elle avait reçu la décision rendue par la division générale le 27 octobre 2014 et expliqué qu’elle avait rempli en retard la demande de permission d’en appeler en raison de problèmes médicaux et juridiques. Elle a également fourni des observations portant sur le bien-fondé de son appel.

[7] Le 20 février 2015, l’appelante a présenté des documents à l’appui provenant de son médecin de famille, dans lesquels le médecin explique que sa priorité était de stabiliser la santé de l’appelante. L’appelante a déménagé de Halifax à la région d’Ottawa en août 2014, et le stress a aggravé sa fibromyalgie.

[8] Dans une décision datée du 27 mars 2015, la division d’appel a refusé d’accorder à l’appelante une prorogation du délai permis pour présenter une demande de permission d’en appeler, ayant conclu que l’appelante n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier son retard.

[9] L’appelante a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans une décision datée du 6 novembre 2015, l’honorable Justice Robin Camp a conclu que la décision rendue par la division d’appel était irraisonnable et incorrecte. Il a accueilli la demande et a renvoyé l’affaire à la division d’appel.

[10] Un autre membre de la division générale a ensuite examiné la demande. Dans une décision datée du 19 septembre 2016, la division d’appel a accordé une prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler, mais a conclu qu’aucun des moyens invoqués ne conférait à l’appel une chance raisonnable de succès.

[11] L’appelante a ensuite présenté une nouvelle demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Le 9 mars 2016, madame Prothonotary Mandy Aylen a accueilli la demande sur consentement et renvoyé l’affaire à un autre membre de la division d’appel pour réexamen.

[12] Dans l’intérêt de la justice et de l’efficience, je procéderai en même temps à l’examen de la demande de prorogation du délai pour la présentation de la demande de permission d’en appeler et à l’évaluation de cette affaire sur le fond. J’ai décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir audience de vive voix et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. L’information au dossier est complète et ne nécessite aucune clarification;
  2. Le mode d’audience respectait les exigences du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le Tribunal) à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

Questions en litige

[13] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Une prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler devrait-elle être accordée à l’appelante?
  2. L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?
  3. Dans l’affirmative, l’appel devrait-il être accueilli?

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[14] Aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décision. Au titre du paragraphe 57(2), la division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[15] Le membre doit examiner et soupeser les critères énoncés dans la jurisprudence. Dans l’affaire Canada c. GattellaroNote de bas de page 1, la Cour fédérale a établi les critères suivants :

  1. a) l’intention persistante de poursuivre l’appel;
  2. b) le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. c) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie;
  4. d) la cause est défendable.

[16] Le poids qu’il faut accorder à chacun des facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro variera selon les circonstances et, dans certains cas, d’autres facteurs aussi seront pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice : Canada c. LarkmanNote de bas de page 2.

[17] Selon le paragraphe 56(1) de la LMEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission. La division d’appel accorde ou refuse cette permission. Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[18] Selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[19] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. S’il s’agit d’un premier obstacle à surmonter pour un demandeur, cet obstacle est moins imposant que celui auquel il devra faire face lors de l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, le demandeur n’a pas à prouver sa thèse.

[20] La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada c. HogervorstNote de bas de page 3; Fancy c. CanadaNote de bas de page 4.

Régime de pensions du Canada

[21] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) doit avoir moins de 65 ans;
  2. b) ne doit pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) doit être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valables au RPC pendant au moins la PMA.

[22] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[23] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Analyse

Demande de permission d’en appeler présentée en retard

[24] Selon les éléments de preuves déposés, l’appelante n’a présenté sa demande de permission d’en appeler que sept mois après que la décision de la division générale ait été rendue. Elle a attribué le retard à un déménagement de Halifax à Ottawa en août 2014, après quoi elle a été occupée à chercher un nouveau médecin de famille, psychologue et conseiller juridique.

[25] Je suis prêt à accorder à l’appelante le bénéfice du doute sur cette question. Étant donné son changement d’adresse, il est certainement possible que les lettres qui lui ont été envoyées se soient perdues ou égarées. L’appelante admet avoir éventuellement reçu la décision de la division générale le 27 octobre 2014, dans quel cas sa demande de permission d’en appeler aurait toujours été déposée après le délai prévu de 90 jours, avec un retard de 22 jours selon mes calculs. Malgré tout, le retard n’était pas très important, et il est possible que le déménagement de l’appelante combiné à ses troubles de santé ait ralenti la présentation de sa demande.

[26] Dans le même ordre d’idées, je suis prêt à accepter que l’appelante avait une intention persistante de poursuivre l’appel. Selon les documents au dossier, l’ancien conseiller juridique de l’appelante a demandé des renseignements sur l’état de la décision de la division générale le 16 octobre 2014, soit un peu plus de trois mois après que le Tribunal l’ait censément posté. Je constate également que, de décembre 2014 à février 2015, l’appelante et son époux ont consulté diverses parties, incluant son député, son ancien avocat et des conseillers juridiques potentiels dans le but de déterminer la meilleure manière de préparer un appel.

[27] Finalement, j’estime qu’il est peu probable que la prorogation du délai pour interjeter appel cause préjudice aux intérêts de l’intimé étant donné la période relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai prévu par la loi. Je ne crois pas que la capacité de l’intimé à se défendre, vu ses ressources, serait indûment amoindrie si la prorogation de délai était accordée.

[28] Puisque les trois premiers facteurs établis dans Gattellero encouragent une prorogation du délai permis pour présenter une demande de permission d’en appeler, je suis prêt, dans l’intérêt de la justice, à déterminer si l’appelante présente une cause défendable.

Cause défendable

Allégations de manquements au principe de justice naturelle

[29] L’appelante soutient que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsqu’elle a :

  • empêché le médecin de famille de l’appelante de témoigner en son nom;
  • offert peu de directives concernant le processus d’appel;
  • accordé trop peu de temps de préparation à la procédure;
  • tenu une audience par téléconférence plutôt qu’en personne;
  • empêché son époux de fournir des éléments de preuve.

[30] Je constate que seulement une de ces observations est fondée, mais cette observation est suffisamment importante pour me convaincre d’accueillir l’appel. Il est clair qu’un des facteurs importants qui motivait l’appelante était sa conviction qu’elle n’avait pas eu la chance de présenter sa cause en entier. Après avoir examiné le dossier, je remarque que le Tribunal a posté l’avis d’audience le 6 février 2014, dans lequel il avisait les parties qu’une audience orale aurait lieu le 4 mars 2014. L’appelante voulait que son médecin de famille présente un témoignage, probablement concernant la gravité de sa fibromyalgie, mais selon moi, une période d’un peu plus de trois semaines était insuffisante pour permettre à la professionnelle de la santé de préparer son témoignage, et sa participation à l’audience aurait probablement nécessité qu’elle modifie son horaire et qu’elle y consacre un avant-midi en échange d’une faible rémunération ou d’aucune rémunération.

[31] Malgré les efforts déployés par l’appelante et son conseiller juridique, il n’est pas surprenant que docteur Natarajan n’ait pas été en mesure d’assister à l’audience. Je reconnais que l’appelante avait la possibilité de demander un ajournement pour accommoder les témoins éventuels, mais les courriels présentés démontrent que docteur Natarajan a annulé sa participation à la dernière minute. Selon moi, il est possible qu’après avoir attendu trois ans pour qu’une date d’audience soit fixée, l’appelante et son conseiller étaient réticents à repousser la date d’audience à nouveau.

[32] J’estime que les autres manquements allégués au principe de justice naturelle sont moins fondés, et je présente les commentaires suivants :

(i) Manque de directives et de temps de préparation

[33] Après que l’intimé ait rejeté la demande de révision présentée en mai 2012, l’appelante et son conseiller ont eu amplement de temps pour se renseigner sur le processus associé aux demandes et aux appels. Les lois régissant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada sont entrées en vigueur en juin 2012, et le Tribunal a été établi en avril 2013; plus d’un an avant que l’appelante ait été avisée de la date de l’audience. Le conseiller de l’appelante a déposé un avis de procéder le 20 novembre 2013 pour annoncer qu’il était prêt à une audience. Puisque la LMEDS et le Règlement sur le Tribunal fournissent peu de directives sur la manière dont les audiences doivent se dérouler, les membres ont beaucoup de liberté en ce qui a trait à leurs propres procédures, dans la mesure où ils respectent les principes de justice naturelle. Dans les observations préliminaires qu’il a fournies à l’audience, le membre de la division générale a décrit en détail le format qui serait adopté, et selon l’enregistrement audio de l’audience, ni l’appelante ni son conseiller n’ont exprimé de préoccupations sur le mode d’audience proposé par le membre. J’estime que l’observation de l’appelante selon laquelle la division générale n’a pas fourni de directives concernant le processus d’appel est infondée.

(ii) Mode d’audience

[34] L’appelante soutient que la division générale n’a pas respecté un principe de justice naturelle en décidant de tenir l’audience par téléconférence. Selon l’article 21 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, la division générale peut tenir une audience selon plusieurs modes, y compris au moyen de questions et réponses écrites, par téléconférence, par vidéoconférence ou par comparution en personne des parties. L’utilisation du mot « peut », en l’absence d’autre qualificatif ou condition, signifie que la division générale a le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision. La Cour suprême du Canada a abordé la question de l’équité procédurale dans l’affaire Baker c. CanadaNote de bas de page 5 et a établi qu’une décision qui touche les droits, les privilèges ou les intérêts d’un individu est suffisante pour justifier l’application du principe d’équité procédurale. Le concept d’équité procédurale est cependant variable et tributaire du contexte particulier de chaque cas. L’affaire Baker énumère ensuite un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte pour décider de la nature de l’obligation d’équité qui s’applique dans un cas particulier, y compris l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures. Je reconnais que les points en litige sont importants pour l’appelante, mais j’accorde aussi une grande importance à la nature du régime législatif qui régit la division générale. Le Tribunal de la sécurité sociale a été instauré pour régler les différends dont il est saisi de la manière la plus expéditive et économique possible. Pour ce faire, le Parlement a adopté une loi qui accorde à la division générale un pouvoir discrétionnaire quant au choix du mode d’audience. Ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être indûment restreint. En l’espèce, l’appelante a eu la chance de présenter sa cause et de répondre à l’intimé.

(iii) Témoignage de l’époux de l’appelante

[35] Selon l’enregistrement audio, la division générale a offert à l’époux de l’appelante la chance de témoigner au début de l’audience, mais il a refusé, avec l’approbation implicite du conseiller de l’appelante, qui a déclaré que l’époux assistait surtout à l’audience pour offrir un soutien moral à moins que le membre de la division générale ne souhaite lui poser des questions. Toutefois, au code temporel 1:08 de l’enregistrement, le conseiller juridique a demandé à l’époux de l’appelante de fournir une observation concernant son propre emploi. La division générale a suggéré que l’appelante pourrait plutôt présenter des observations sur les activités quotidiennes de son époux. Le conseiller a répondu qu’il était d’accord, et l’appelante a ensuite décrit les autres tâches ménagères que son époux avait accomplies et les autres responsabilités qu’il avait assumées depuis qu’elle avait commencé à avoir des troubles de santé. L’appelante et son conseiller n’ont pas demandé à l’époux de l’appelante de fournir d’autres éléments de preuve. Aucun passage de l’enregistrement audio ne suggère que la division générale a empêché l’époux de l’appelante de témoigner au nom de son épouse. Je tiens à souligner que le fardeau de la preuve incombait à l’appelante, qui devait démontrer qu’elle était invalide, et que la division générale n’avait pas la responsabilité de chercher activement à obtenir une preuve de son époux. Dans tous les cas, il semble peu probable que toute preuve qu’il aurait pu fournir aurait changé la décision rendue.

Allégation d’erreurs de droit
(i) Villani

[36] L’appelante soutient que la division générale n’a pas appliqué les principes établis dans l’affaire Villani c. CanadaNote de bas de page 6, car elle n’aurait pas tenu compte de ses circonstances particulières comme son âge, sa formation, son expérience professionnelle et son employabilité dans un « contexte réaliste ».

[37] Dans sa décision, la division générale a résumé le témoignage de l’appelante relativement à son niveau d’instruction et à ses antécédents professionnels au paragraphe 10, et elle a renvoyé au bon critère au paragraphe 24. Comme la Cour d’appel fédérale l’a établi dans Villani :

[T]ant et aussi longtemps que le décideur applique le critère juridique adéquat pour la gravité de l’invalidité - c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i), il sera en mesure de juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à intervenir.

[38] La décision démontre que la division générale a tenu compte du profil de l’appelante, précisant que [traduction], « en l’espèce, l’appelante est jeune, elle est érudite, et elle possède plusieurs compétences transférables à un autre poste. » Je ne pourrais pas renverser une évaluation effectuée par la division générale, car elle a appliqué le critère juridique adéquat et pris en compte les perspectives d’emploi réalistes de l’appelante non seulement dans le contexte de ses invalidités, mais également dans le contexte de ses caractéristiques personnelles. Comme l’appelante n’a pas démontré la façon dont la division générale a mal appliqué cet aspect de l’arrêt Villani, j’estime qu’il n’existe pas de cause défendable fondée sur ce moyen.

(ii) E.J.B.

[39] L’appelante a également déclaré que la division générale n’avait pas appliqué les principes établis dans E.J.B. c. CanadaNote de bas de page 7, et qu’elle s’était concentrée sur son état physique sans dûment tenir compte de son état psychologique. Elle a fait valoir que ses déficiences physiques et psychologiques étaient cumulatives et qu’elles devaient être prises en compte dans leur ensemble.

[40] Rien ne laisse croire que la division générale a mal appliqué cet aspect de la loi. Il est vrai que la division générale s’est fondée sur des preuves documentaires déposées par un spécialiste en traitement de la douleur et un évaluateur de la capacité fonctionnelle, mais elle a également examiné en détail des rapports produits par un psychiatre et un psychologue vers qui l’appelante avait été orientée par rapport à ses troubles d’anxiété, de douleur chronique et de fatigue associés à la fibromyalgie. Dans son analyse, la division générale a examiné les troubles physiques signalés par l’appelante de même que ses troubles de santé mentale, qui étaient liés à sa fibromyalgie : [traduction] « Elle a consulté et consulte toujours différents professionnels de la santé, mais aucun d’entre eux n’a précisé que ses symptômes l’empêcheraient d’accomplir tout travail. » J’estime que la division générale a tenu compte des effets cumulatifs des déficiences déclarées par l’appelante.

Conclusions de fait erronées

[41] L’appelante allègue que la division générale a fondé sa décision sur de nombreuses conclusions de fait erronées.

(i) Tentatives de retour au travail

[42] Au paragraphe 25 de sa décision, la division générale a écrit que l’appelante n’a pas tenté de retourner travailler, que ce soit à son ancien poste ou à un autre poste d’enseignement avec des fonctions modifiées. En fait, l’appelante dit être retournée travailler avec un horaire de travail modifié et des accommodements ergonomiques de mars 2010 à mai 2010, puis d’août 2010 à janvier 2011.

[43] Je ne constate aucune erreur à ce sujet, et encore moins une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. Au paragraphe 10, la division générale a écrit que l’appelante avait [traduction] « arrêté pour de bon à la fin de l’année scolaire 2009-2010 » et qu’elle « n’avait pas tenté de retourner travailler après juin 2010, et n’avait pas postulé à des emplois dans d’autres domaines. » Cette déclaration correspond aux renseignements fournis par l’appelante dans le questionnaire qui accompagnait sa demande de pension le 15 juin 2011 (GT1-539) et dans lequel elle avait déclaré que son dernier jour de travail avait été le 16 juin 2010. Le conseiller juridique de l’appelante a répété ces renseignements dans des déclarations écrites le 21 juin 2013 (GT1-554), dans lesquelles il a précisé que l’appelante avait [traduction] « tenté un retour au travail graduel, mais avait complètement cessé de travailler en juin 2010 et n’avait pas été en mesure de retourner travailler ». La division générale pouvait se fonder sur les déclarations de l’appelante afin de déterminer le moment où elle a définitivement cessé de travailler.

[44] En examinant le dossier et en écoutant l’enregistrement audio de l’audience, je n’ai trouvé aucune preuve parmi celles déposées devant la division générale selon laquelle l’appelante aurait travaillé après juin 2010. Il semblerait que l’appelante l’ait également elle-même confirmé dans des observations dont l’objectif était de démontrer l’inverse :

[traduction]

Contrairement à ce qui est déclaré au paragraphe 25, madame T. M. a fait des efforts pour retourner travailler d’août 2010 à janvier 2011. Madame T. M. a eu recours à un régime de congé de salaire différé durant une période de six mois afin de se concentrer sur sa santé dans l’espoir de retourner travailler en février 2011. Madame T. M. aurait pu utiliser des congés de maladie plutôt qu’un congé de salaire différé, mais elle croyait qu’un long congé lui permettrait de se concentrer sur sa santé et améliorerait ses chances de réintégrer le marché du travail. Malheureusement, cette tentative d’améliorer son état de santé a échoué, et madame T. M. a eu recours à un congé de maladie payé en février 2011 jusqu’à l’épuisement de son solde de congés.

[45] Comme ce passage le démontre clairement, l’appelante a elle-même admis ne pas avoir travaillé comme enseignante dans une école au cours de la période d’août 2010 à février 2011 et avoir été en congé, après quoi elle a perdu l’espoir de reprendre son emploi. J’estime qu’une intention de retourner travailler ne correspond pas au travail véritable.

(ii) Médicaments contre la douleur chronique

[46] L’appelante affirme que la division générale a conclu qu’elle ne prenait pas de médicaments contre la douleur à l’exception de médicaments pour aider le sommeil en date de l’audience. Elle soutient qu’elle avait en fait reçu une prescription d’amitriptyline pour soulager la douleur au milieu de l’année 2010. Ces renseignements étaient documentés dans le dossier présenté à la division générale.

[47] J’estime que ce moyen d’appel est fondé. Au paragraphe 26, la division générale a formellement déclaré ce qui suit : [traduction] « Elle prend une faible dose de médicaments pour l’aider à dormir, mais n’a pas reçu d’autre prescription pour soulager sa douleur ou ses symptômes. » Le contexte dans lequel cette phrase apparaît semble démontrer que la division générale a en partie fondé sa décision de refuser à l’appelante des prestations d’invalidité du RPC sur la conclusion selon laquelle sa douleur était traitée de manière « conservatrice ». Dans ce sens, il s’agissait d’une conclusion de fait importante qui, selon moi, était erronée et avait été tirée par la division générale sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[48] La question vise à déterminer si l’amitriptyline avait été prescrite par rapport à des indications autres que les troubles de sommeil de l’appelante, et le dossier démontre que c’était le cas. Premièrement, le rapport médical produit par le docteur Natarajan daté du 14 juin 2011 (GT1-524) explique que l’amitriptyline faisait partie des médicaments prescrits pour traiter le principal trouble médical de l’appelante, c’est-à-dire la fibromyalgie. Deuxièmement, la note clinique préparée par docteur Natarajan datée du 7 juin 2011 explique que l’appelante avait rencontré docteur Bakowsky (un spécialiste en rhumatologie qui se concentre sur les maladies auto-immunes souvent caractérisées par des symptômes de douleur), qui n’a pas recommandé de changements aux médicaments que l’appelante prenait et qui croyait que les doses courantes de fluoxétine, d’amitriptyline et de Lyrica étaient adéquates. Troisièment, le rapport du docteur Bond concernant le traitement de la douleur daté du 30 juillet 2012 (GT2-14) précisait que l’appelante prenait à ce moment comme médicaments analgésiques [mis en évidence par le soussigné] 25 milligrammes d’amitriptyline le soir et un comprimé de fluoxétine deux fois par jour. Toutes ces déclarations démontrent que, contrairement à la conclusion tirée par la division générale, l’appelante avait reçu des prescriptions de médicaments pour traiter sa douleur chronique, incluant l’amitriptyline.

(iii) Preuve médicale de l’incapacité de l’appelante à travailler

[49] L’appelante a fait valoir que la division générale avait conclu que, à l’exception de la déclaration de docteur Natarajan, il n’y avait aucune preuve médicale pour appuyer la déclaration de l’appelante selon laquelle elle était incapable de travailler à temps plein. En fait, l’appelante soutient que plusieurs preuves démontraient qu’elle n’avait pas la capacité de travailler à temps plein, plus particulièrement le rapport de docteur Bond et son évaluation des capacités fonctionnelles, tous deux datés de juillet 2012, ainsi que les commentaires formulés par les docteurs Bains, Jefferson et Cutler. Dans tous les cas, seul docteur Natarajan, le principal médecin de famille de l’appelante, était dans une position pour rendre un pronostic sur la capacité de l’appelante à travailler fondé sur l’ensemble de ses troubles. Les autres spécialistes médicaux, par définition, avaient le mandat de se concentrer sur des troubles précis.

[50] J’estime que cet argument est fondé. Au paragraphe 26 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

Seul le docteur Natarajan, qui appuie sa demande de prestations d’invalidité, affirme qu’elle serait incapable d’effectuer les tâches associées à son poste, mais elle qualifie cette déclaration comme une incapacité à travailler à temps plein. Cependant, aucun autre élément de preuve n’appuie cette déclaration.

[51] La lettre datée du 2 décembre 2011 rédigée par docteur Natarajan (GT1-462), que la division générale a beaucoup citée dans sa décision, présente une description des difficultés qu’éprouvait l’appelante à travailler à temps partiel en tant qu’enseignante au cours des derniers mois de l’année scolaire 2009-2010, et on y retrouve cette conclusion :

[traduction]

Depuis mars 2010, madame T. M. a été touchée par d’importants troubles physiques et psychologiques qui l’ont empêchée d’accomplir les fonctions associées à son occupation régulière. Je ne crois pas que T. M. serait en mesure d’accomplir les tâches principales associées à toute autre profession à temps plein qu’elle serait raisonnablement apte à pratiquer grâce à son instruction, sa formation et son expérience. Je crois qu’il est peu probable qu’un autre employeur embauche madame T. M. étant donné son niveau actuel d’invalidité.

[52] Contrairement à ce qui a été mentionné, cette déclaration démontre que docteur Natarajan n’a pas « exprimé de réserve » par rapport à son avis en laissant croire que l’appelante pourrait être en mesure de retourner travailler à temps partiel. Il est vrai que docteur Natarajan a rejeté toute possibilité d’enseignement à temps plein dans une école ou tout travail équivalent, mais elle a ensuite exclu toute possibilité d’emploi.

[53] Docteur Natarajan a précisé davantage son avis dans une lettre datée du 23 août 2012 (GT1-261) dans laquelle elle déclare expressément que l’appelante est inapte à toute forme de travail :

[traduction]

L’invalidité de madame T. M. est actuellement grave et elle ne serait pas en mesure d’accomplir les tâches associées à toute occupation véritablement rémunératrice. Pour accomplir les fonctions régulières de son travail, elle devrait supporter une douleur excessive et ses symptômes de fibromyalgie s’aggraveraient. Elle ne serait pas en mesure de se présenter au travail de manière régulière ou fiable en raison de l’intensité de sa douleur, d’autres symptômes et de son incapacité à demeurer assise durant de longues périodes. … Il est très probable que ses symptômes soient permanents. Il est peu probable qu’elle soit capable d’accomplir des fonctions importantes dans le cadre de toute occupation à temps partiel ou à temps plein. Je ne crois pas qu’un employeur raisonnable embaucherait madame T. M. étant donné son niveau d’invalidité.

[54] L’appelante a également fait référence à certains rapports médicaux qui, selon elle, auraient dû amener la division générale à conclure que son invalidité était grave et prolongée. Cependant, puisque les docteurs Jefferson et Bains n’avaient fait aucune déclaration précise concernant la capacité de l’appelante à travailler dans leurs rapports du 25 février 2011 et du 2 décembre 2011, respectivement, la division générale avait eu raison, à proprement parler, de souligner qu’aucun docteur à l’exception de docteur Natarajan n’avait considéré l’appelante comme inapte à travailler. De plus, la division générale avait agi selon sa compétence en concluant, en tant que juge des faits, que les avis fournis par ces spécialistes en santé mentale ne menaient pas nécessairement à la conclusion selon laquelle l’appelant était invalide conformément aux critères établis dans le RPC. Le rapport produit par docteur Cutler en décembre 2016 et qui, comme je l’ai reconnu, déclarait l’appelante inapte au travail, a été préparé longtemps après l’audience de mars 2014, et on ne peut reprocher à la division générale de ne pas en avoir tenu compte. En outre, ce rapport ne peut être accepté par la division d’appel puisqu’il s’agit d’une nouvelle preuve.

Conclusion

[55] Après avoir soupesé les quatre facteurs établis dans Gatellero, j’ai déterminé que la présente affaire est un cas où il convient d’accorder une prorogation du délai de 90 jours pour faire appel. Je reconnais que l’appelante avait une intention persistante de poursuivre l’appel et estime approprié de présumer qu’elle avait une explication raisonnable relative au retard dans la présentation de sa demande de permission d’en appeler. J’ai également estimé qu’il était peu probable qu’une prorogation du délai cause préjudice aux intérêts du défendeur.

[56] Avant tout, j’ai ciblé deux moyens qui soulèvent non seulement une cause défendable, mais qui justifient une instruction de l’appel sur le fond. Pour les raisons énoncées plus haut, l’appel est accueilli selon les motifs que la division générale : (i) a manqué à un principe d’équité procédurale en émettant un avis d’audience trop tard pour permettre la participation des témoins de l’appelante; et (ii) qu’elle a fondé sa décision sur la conclusion de fait erronée selon laquelle l’appelante ne prenait pas de médicaments pour traiter sa douleur chronique au cours de sa PMA, et conclu que docteur Natarajan avait exprimé des réserves quant à l’invalidité de l’appelante.

[57] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la division d’appel peut accorder pour un appel. Il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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