Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

[1] Le 30 mars 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu qu’une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada n’était pas payable au demandeur. Le demandeur a déposé, devant la division d’appel du Tribunal, une demande de permission d’en appeler.

[2] Les seuls moyens d’appel devant la division d’appel sont ceux prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[3] Selon le paragraphe 56(1) de la LMEDS, « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission ». Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission « si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[4] Je souligne que la procédure de permission d’en appeler est une étape préliminaire à un appel sur le fond. Il s’agit d’un premier obstacle nettement inférieur à surmonter. Le demandeur n’a pas à prouver sa thèse à l’étape de la demande de permission d’en appeler : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 1999 CanLII 8630 (CF). Le demandeur doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès. Cela signifie que, du point de vue du droit, il faut disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause : Osaj c. Canada (Procureur général), 2016 CF 115; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41. La division d’appel ne doit pas apprécier la preuve à l’étape de la demande de permission d’en appeler ou statuer sur le fond de l’affaire. La permission d’en appeler doit être accordée, sauf si la division d’appel conclut « qu’on ne pouvait raisonnablement croire au succès » : Canada (Procureur général) c. Bernier, 2017 CF 120.

[5] En l’espèce, je dois donc déterminer s’il y a au moins un moyen d’appel admissible selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès.

[6] La représentante du demandeur a fait valoir que :

… la division générale n’a pas observé un principe de justice naturel [sic] en refusant de permettre à l’appelant d’avoir droit à une audience pour entrer son témoignage de vive voix ce qui aurait permis à l’appelant de témoigner sur ses douleurs, les limites fonctionnelles qui en découlent et la raison pour laquelle il fut incapable de poursuivre un programme d’étude ou occupe un emploi moins physiquement exigent [sic] que son emploi de débusquer.

[7] Devant la division générale, le demandeur (l’appelant) a déclaré dans un formulaire du Tribunal qu’il était disponible n’importe quand pour participer à une audience, ainsi qu’il ne pouvait pas y participer par voie de vidéoconférence ou de questions et réponses écrites, car il avait de la difficulté à écrire. Dans ses observations, sa représentante a abordé le témoignage envisagé (apparemment sans savoir que le membre avait déjà décidé d’instruire l’affaire sur la foi du dossier), et elle a indiqué que le demandeur se représenterait, lui-même, à l’audience. Comme écrit dans la décision de la division générale, le membre a choisi d’instruire l’affaire sur la foi du dossier au motif (parmi d’autres) que « l’information au dossier est complète et ne nécessite aucune clarification ».

[8] À titre de contexte, le demandeur a fait une demande de pension d’invalidité en juillet 2012, mais sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin le 31 décembre 2005; par conséquent, la division générale devait déterminer si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2005 ou avant cette date. Après un accident de voiture en décembre 2003, le demandeur a commencé à souffrir de douleur chronique ainsi que des symptômes de l’anxiété et la dépression. Âgé de 32 ans au moment de l’accident, le demandeur était unilingue, il avait une formation de 6e année, et son expérience de travail était limitée au travail physiquement demandant. La preuve devant la division générale révèle que le demandeur a essayé un retour au travail en sylviculture en mai 2004, et au moins une tentative de retour à l’école avant la date de sa PMA. Dans son analyse, la division générale a constaté ce qui suit :

  • Pour déterminer si une personne a une déficience grave, l’unique considération comment la condition médicale affecte la capacité à travailler;
  • La preuve médicale ne démontre pas que le demandeur ne pouvait pas fonctionner au moment de sa PMA, et les limitations décrites n’indiquent aucune limitation majeure;
  • Le critère de gravité doit être évalué dans un contexte réaliste, en tenant compte des caractéristiques personnelles et professionnelles, et en l’espèce ces facteurs rendraient difficile la recherche d’emploi;
  • Quand quelqu’un est capable de travailler, il doit démontrer que ses efforts pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux en raison de son état de santé;
  • Les évaluations (après la PMA) révèlent que le demandeur pouvait travailler à un niveau physique moyen et, d’après ses compétences, il aurait besoin de se recycler afin d’obtenir un autre emploi;
  • Le demandeur a tenté de retourner à l’école en vain, et il n’a pas essayé de chercher un autre emploi; et, finalement,
  • « Il est clair que l’appelant a des limites et qui cherchent [sic] un emploi compte tenu de son éducation limitée et une expérience de travail limitée serait probablement difficile, mais la preuve n’étaye pas qu’il serait incapable de trouver et conserver un emploi en raison de cette condition médicale. »

[9] La division générale est autorisée à accorder préséance à certaines preuves sur d’autres. Tout de même, en l’espèce, la représentante soutient que le demandeur n’a pas eu la chance de présenter la preuve complète, en ajoutant son témoignage concernant les faits pertinents. Ses observations donnent à penser que l’information au dossier n’était pas complète et nécessitait des clarifications.

[10] L’article 28 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) ne confère pas de droit d’audience, mais la division générale doit tenir une audience « si elle estime qu’elle doit entendre davantage les parties ». Même si le choix d’instruire l’affaire sur la foi du dossier est un pouvoir discrétionnaire, il peut arriver que l’absence d’une audience soulève une question de manquement à un principe de justice naturelle, c’est-à-dire au droit d’être entendu. La Cour fédérale, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), a écrit ce qui suit :

Au cœur de cette analyse, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, les personnes dont les intérêts étaient en jeu ont eu une occasion valable de présenter leur position pleinement et équitablement.

[…]

Toutefois, on ne peut pas dire non plus qu’une audience est toujours nécessaire pour garantir l’audition et l’examen équitables des questions en jeu. La nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes.

[11] En outre, la Cour fédérale, dans l’arrêt Murphy v. Canada (Procureur général), 2016 CF 1208, a exprimé des doutes quant à la possibilité, dans ce cas-là, qu’une analyse soit suffisante sans tenir d’audience.

[12] Ici, la division générale a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire, d’après la détermination que l’information était déjà complète et claire. Ensuite, la division générale a tiré des conclusions sur les efforts de travail et de recyclage, sans approfondir les causes des échecs et sans entendre le demandeur, qui voulait témoigner. Dans de telles circonstances, je trouve que l’absence d’audience soulève la possibilité que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle. Par conséquent, j’estime que l’appel a une chance raisonnable de succès, pour le moyen d’appel énoncé à l’alinéa 58(1)a).

[13] Comme j’ai conclu qu’il y a une cause défendable selon le moyen d’appel susmentionné, je ne suis pas tenue d’examiner les autres moyens à cette étape. Le paragraphe 58(2) ne prévoit pas que chaque moyen d’appel soit examiné et accepté ou rejeté : Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276. Conformément au paragraphe 58(3), la division d’appel doit simplement accorder ou refuser la permission. La permission est accordée, et le demandeur n’est pas limité dans sa capacité de donner suite aux différents moyens d’appel figurant dans sa demande de permission d’en appeler.

Conclusion

[14] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[15] Cette décision ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.