Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), datée du 24 octobre 2016. La division générale a rejeté de façon sommaire l’appel de l’appelante qui voulait se voir accorder des prestations d’invalidité conformément au Régime de pensions du Canada (RPC), parce qu’il a été jugé que sa cause n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[3] Aucune permission d’en appeler n’est requise dans le cas des appels interjetés au titre du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), car un rejet sommaire de la part de la division générale peut faire l’objet d’un appel de plein droit.

[4] Comme j’ai établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, une décision doit être rendue, conformément à l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS).

Aperçu

[5] L’appelante a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC le 16 juin 2015. L’intimé a rejeté sa demande, initialement et après révision, parce que la preuve médicale était insuffisante pour démontrer que son invalidité était grave et prolongée pendant sa période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle prenait fin le 31 décembre 1997.

[6] L’appelante a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès de la division générale le 7 juin 2016. Dans ses observations, l’appelante a déclaré qu’elle ne pouvait pas travailler en raison d’un accident de la route survenu en 2012 qui lui a causé des douleurs articulaires généralisées.

[7] Conformément à l’article 22 du Règlement sur le TSS, la division générale a informé l’appelante par écrit de son intention de rejeter l’appel de façon sommaire. La lettre faisait état de ce qui suit [traduction] :

La période minimale d’admissibilité de l’appelante à la présente affaire est du 31 décembre 1997. L’appelante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en date du 31 décembre 1997 et de façon continue par la suite. Il était mentionné dans le questionnaire à l’appui de la demande que l’appelante a travaillé comme nettoyeuse 4,5 heures par jour, six jours par semaine, de 2006 à 2012. Le relevé montre aussi que l’appelante avait touché des gains ouvrant droit à pension en 2000 et en 2003.

[8] Dans sa réponse datée du 14 octobre 2015 adressée à la division générale, l’appelante a reconnu qu’elle n’avait pas « versé de cotisations au RPC », mais soutenait avoir suffisamment de motifs pour interjeter appel. Elle a affirmé avoir rencontré un médecin à plusieurs reprises au cours du mois précédent en raison de douleurs au genou et au dos.

[9] Le 24 octobre 2016, la division générale a rendu sa décision. On y mentionnait que le relevé d’emploi (RE) de l’appelante indiquait des cotisations valides au RPC en 1990, 1992, 1993, 1994, 1995, 2000 et 2003. On y a déterminé que la PMA de l’appelante prenait fin le 31 décembre 1997. Il y avait aussi une possibilité que la PMA prenait fin le 31 décembre 1999, en application de la disposition relative à l’éducation des enfants (article 49 du RPC), s’il était confirmé que l’appelante avait la garde et la surveillance d’un enfant de moins de sept ans (il était indiqué au dossier que son enfant le plus jeune est né en 1990). Cependant, dans un cas ou l’autre, la division générale n’a pas constaté de chance raisonnable de succès en appel, car l’appelante avait touché des gains ouvrant droit à pension en 2000 et en 2003, et elle avait mentionné lors d’une correspondance antérieure qu’elle a travaillé entre 2006 et 2012.

[10] Le 28 novembre 2016, l’appelante a interjeté appel à l’encontre de la décision de rejet sommaire auprès de la division d’appel du Tribunal et alléguait que la division générale a commis une erreur. J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel serait instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. Le dossier ne présente aucune lacune et ne nécessite pas de clarification.
  2. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le TSS voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[11] Le paragraphe 53(1) de la LMEDS prévoit que la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. En vertu du paragraphe 56(2), aucune permission d’en appeler n’est requise pour interjeter appel d’un rejet sommaire devant la division d’appel.

[12] L’article 22 du Règlement sur le TSS prévoit que, avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser l’appelant par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations.

[13] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] Régime de pensions du Canada

[15] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une telle pension, un requérant doit :

  1. a) ne pas avoir atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne pas toucher une pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[16] Conformément à l’alinéa 44(2)a) du RPC, la PMA est établie quand un demandeur a versé des cotisations valides au RPC pour au moins quatre des six dernières années civiles. La disposition est applicable aux cotisants qui sont déclarés, ou qui sont réputés, avoir été invalides après le 31 décembre 1997.

[17] Le sous-alinéa 44(1)b)(ii) du RPC prévoit que les requérants qui ne satisfont pas aux exigences en matière de cotisations au moment de la présentation de leur demande peuvent être admissibles à une pension d’invalidité s’ils peuvent établir qu’ils étaient invalides antérieurement, à la date la plus récente où ils satisfaisaient à ces exigences, et qu’ils sont invalides depuis.

[18] Selon le paragraphe 97(1) du RPC, il existe une présomption irréfragable que toute inscription au registre des gains du cotisant est exacte et ne peut faire l’objet d’une contestation lorsque quatre ans se sont écoulés depuis la fin de l’année au cours de laquelle l’inscription a été faite.

Questions en litige

[19] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle erré en rejetant de façon sommaire l’allégation de l’appelante que son invalidité est grave et prolongée?

Observations

[20] Dans son avis d’appel daté du 28 novembre 2016, l’appelante a réitéré son allégation d’avoir été incapable de travailler en raison de douleurs physiques. Elle a aussi affirmé qu’elle a rencontré plusieurs médecins et a joint un rapport d’échographie daté du 8 novembre 2016.

[21] L’intimé n’a présenté aucune observation.

Analyse

Degré de déférence attribuable à la division générale

[22] Jusqu’à tout récemment, les appels à la division d’appel étaient régis par la norme de contrôle définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New BrunswickNote de bas de page 1. Pour les affaires qui traitent d’allégations d’erreurs de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, qui commande un seuil inférieur de déférence envers un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires où l’on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, qui correspond à une décision où on hésite à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable d’évaluer un témoignage factuel.

[23] Dans l’arrêt Canada c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se rapporter en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[24] Bien que l’affaire Huruglica traite d’une décision qui provenait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle comporte des incidences pour d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était inapproprié d’importer les principes de contrôle judiciaire aux tribunes administratives, comme on l’a établi dans l’affaire Dunsmuir, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit : « on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel ».

[25] Cette prémisse sert à la Cour dans sa détermination du critère approprié qui découle entièrement de la loi constitutive d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global […] L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[26] En conséquence, la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte sera inapplicable en l’espèce, à moins que ces mots, ou leurs variantes, soient énoncés de façon précise dans la loi constitutive. À l’application de cette approche à la LMEDS, on peut voir que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à un principe de justice naturelle, ce qui signifie que la division d’appel ne devrait faire preuve d’aucune déférence à l’égard des interprétations de la division générale.

[27] Le mot « déraisonnable » n’apparaît pas à l’alinéa 58(1)c), lequel traite des conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on le suggère dans l’arrêt Huruglica, on doit donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec le contenu du dossier.

Rejet sommaire

[28] Même si l’appelante n’a pas remis en question explicitement la décision de la division générale d’effectuer un rejet sommaire, j’ai décidé d’aborder la question en détail.

[29] Le paragraphe 53(1) de la LMEDS exige que la division générale rejette un appel de façon sommaire si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. Si la division générale n’avait pas déterminé le critère approprié ou encore si elle avait mal énoncé le critère, elle aurait commis une erreur de droit, une erreur qui répond à une norme stricte.

[30] En l’espèce, la division générale a correctement énoncé le critère en citant le paragraphe 53(1) de la LMEDS aux paragraphes 4 et 24 de sa décision. Cependant, il ne suffit pas de simplement citer le critère relatif au rejet sommaire; il faut aussi l’appliquer adéquatement. Après avoir déterminé correctement le critère, la division générale devait ensuite appliquer la loi aux faits. La décision de rejet sommaire comprenait donc une question mixte de fait et de droit et faisait l’objet d’un degré de déférence dans les limites des paramètres prévus au paragraphe 58(1).

[31] Pour déterminer le caractère approprié d’une procédure de rejet sommaire et pour déterminer si un appel a une chance raisonnable de succès, un décideur doit établir s’il existe une « question litigieuse » et si la demande est fondée. Bien que je ne sois pas lié par les décisions de mes collègues de la division d’appel, je suis affecté par le raisonnement présenté dans la décision A.P. c. M.E.D.S. et P.P.Note de bas de page 3, où ma collègue a utilisé l’expression « sans aucun espoir » pour distinguer un appel défendable d’un appel qui commande le rejet sommaire. Dès lors qu’il existe un fondement factuel à l’appui de l’appel et que le résultat n’est pas « manifestement clair », l’affaire ne serait pas admissible à un rejet sommaire. Une cause dont le fondement est faible n’appellerait pas de décision sommaire, puisqu’elle comporterait nécessairement l’évaluation du fond du litige et l’examen et l’appréciation des éléments de preuve. L’évaluation de la preuve et du bien-fondé de l’affaire signale qu’il n’y a pas lieu de rejeter la cause de façon sommaire.

[32] En l’espèce, la division générale a clairement examiné la preuve portée à sa connaissance et a évalué l’affaire sur le fond. Dans son analyse, la division générale a déclaré ce qui suit [traduction] :

[21] L’appelante doit démontrer deux points. Si elle ne peut le faire, elle n’est pas admissible à une pension d’invalidité. Elle doit démontrer qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC le 31 décembre 1997, ou avant, à la période minimale d’admissibilité précisée au dossier, ou le 31 décembre 1999, ou avant, dans le cas où l’appelante est admissible à l’application maximale de la disposition relative à l’éducation des enfants. Elle doit aussi établir que son invalidité grave et prolongée ne lui permettait pas d’accomplir tout type de travail de façon continue depuis cette date.

[22] Sur la base de la preuve de l’appelante, elle ne réussit pas à démontrer que son état de santé l’a empêchée d’accomplir tout type de travail depuis 1997 ou 1999, puisqu’elle a reconnu avoir travaillé entre 2006 et 2012.

[23] Le Tribunal n’est pas tenu de conclure quant à la PMA réelle de l’appelante. Qu’importe que la date soit du 31 décembre 1997 ou du 31 décembre 1999, l’appelante a travaillé pendant au moins cinq années par la suite.

[33] Sans évaluer le bien-fondé de l’allégation d’invalidité de l’appelante, il est à peine concevable que, si on lui avait permis de le faire lors d’une audience en bonne et due forme, l’appelante ait pu présenter une explication plausible concernant ses revenus d’emploi indépendant de 9 000 $ en 2000 et de 25 000 $ en 2003. De façon similaire, il semble que la division générale ait fondé en partie sa décision sur la déclaration faite par l’appelante dans une correspondance précédente d’avoir « travaillé » entre 2006 et 2012, mais on n’a pas cherché à enquêter sur les types d’emplois qu’elle aurait occupés pendant cette période, sur le montant des revenus qu’elle en a retirés, ou sur le seuil « véritablement rémunérateur » qui aurait été franchi ou non.

[34] Bien que la division générale ait énoncé correctement le critère pour un rejet sommaire, cela ne signifie pas nécessairement que les dispositions législatives pertinentes ont été appliquées. En l’espèce, c’est de façon imprécise que la division générale a fait la distinction entre une affaire « sans aucun espoir » sans fondement et une affaire dont le fondement est possiblement faible ou très faible, et elle a par conséquent incorrectement qualifié le rejet de l’appel d’un rejet sommaire. Par cette décision, la division générale a non seulement mal appliqué la loi, mais elle a aussi potentiellement empêché l’appelante d’avoir l’occasion d’être entendue. Lorsqu’elle a choisi de rejeter l’appel de façon sommaire, la division générale s’est fermée à l’idée d’examiner le cas de l’appelante qui, aussi faible ait-il pu être, aurait pu bénéficier de la présentation de la preuve de vive voix en ce qui concerne ses déficiences à la PMA et la nature du travail qu’elle accomplissait depuis.

[35] J’estime que la division générale n’a pas correctement suivi le processus du rejet sommaire pour le rejet de cette cause. Il n’est pas pertinent de déterminer si la décision de la division générale était justifiable sur le fond, car la considération primordiale est celle de savoir si la procédure correcte a été suivie conformément à la LMEDS.

Conclusion

[36] Je conclus que la division générale a incorrectement jugé cette affaire comme étant un rejet sommaire. Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale pour la tenue d’une audience de novo.

[37] Afin d’éviter toute crainte éventuelle de partialité, l’affaire devrait être attribuée à un membre différent de la division générale, et la décision de la division générale devrait être retirée du dossier.

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