Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 28 janvier 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu que la décision du défendeur de refuser la demande tardive de révision du demandeur était une décision discrétionnaire qui avait été rendue de façon judiciaire et judicieuse. Le 15 avril 2016, le demandeur a déposé auprès de la division d’appel du Tribunal une demande de permission d’en appeler portant sur la décision de la division générale.

Droit applicable

[2] Conformément au paragraphe 81(1) du Régime de pensions du Canada (RPC), une personne qui n’est pas satisfaite d’une décision rendue à l’issue d’une révision peut faire appel de cette décision dans les 90 jours suivant le jour où elle la reçoit, « ou dans tel délai plus long qu’autorise le ministre avant ou après l’expiration de ces [90] jours. »

[3] Le paragraphe 74.1(3) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (RRPC) prévoit que le ministre peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision s’il est convaincu :

  1. i. d’une part, qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai;
  2. ii. d’autre part, que l’intéressé a manifesté l’intention constante de demander la révision.

Dans les cas où la demande de révision est présentée après 365 jours suivant celui où le requérant est avisé par écrit de la décision, le ministre doit également, en application du paragraphe 74.1(4) du RRPC, être convaincu que :

  1. iii. la demande de révision a des chances raisonnables de succès;
  2. iv. que l’autorisation du délai supplémentaire ne lui porte pas préjudice ni d’ailleurs à aucune autre partie.

Observations

[4] Le demandeur soutient ce qui suit :

  1. La division générale a commis une erreur de droit en concluant que les quatre facteurs prévus aux paragraphes 74.1(3) et (4) devaient absolument être résolus en faveur du demandeur.
  2. La division générale a tiré une conclusion de fait erronée en se fiant au journal d’appels incomplet du défendeur.
  3. La division générale a manqué à un principe de justice naturelle comme elle a évalué la crédibilité du demandeur sans lui donner l’occasion de livrer un témoignage durant l’audience.
  4. La division générale a commis une erreur de droit comme elle n’a pas tenu compte du fait que le défendeur avait fait des déclarations inexactes au demandeur concernant le processus d’appel, et qu’il avait ensuite pénalisé le demandeur pour s’être fié à ces déclarations de bonne foi.

Analyse

[5] Le demandeur a présenté sa demande de révision relativement à la décision rendue par le défendeur après les 365 jours suivant le jour où la décision lui avait été communiquée. Le défendeur a refusé de prolonger le délai de présentation de sa demande. Dans sa décision, la division générale a conclu que la décision de prolonger on non le délai de présentation d’une demande de révision tardive était une décision discrétionnaire. La division générale a noté que le défendeur avait le devoir d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon « judiciaire et judicieuse » (Canada (Procureur général) c. Uppal, 2008 CAF 388). Elle a conclu que le défendeur avait agi de la sorte dans le cas du demandeur.

[6] Le demandeur fait valoir que la division générale n’avait pas appliqué le bon critère juridique pour déterminer si le défendeur avait agi de façon judiciaire et judicieuse. Dans sa décision, la division générale a cité la cause Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 RCF 644, 1995 CanLII 3558 (CAF), au paragraphe 25, à titre d’autorité pour déterminer si le pouvoir discrétionnaire avait été exercé de façon judiciaire. D’après Purcell, il faut chercher à savoir si le décideur :

  • a agi de mauvaise foi;
  • a agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • a pris en compte un facteur non pertinent;
  • a ignoré un facteur pertinent;
  • a agi de manière discriminatoire.

[7] La division générale a précisé que la question à trancher n’était pas de savoir si le défendeur avait correctement statué sur la question de la prolongation du délai, mais bien de savoir si la façon dont il avait exercé son pouvoir discrétionnaire démontrait sa bonne foi.

[8] Dans Purcell, en citant Canada (Procureur général) c. Smith (1994), 167 N.R. 105 (C.A.F.), la Cour fédérale a affirmé clairement qu’un décideur doit agir de bonne foi lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, et qu’une décision discrétionnaire est uniquement susceptible de révision si le décideur a agi de mauvaise foi, a commis une erreur de droit ou s’est fondé sur une mauvaise compréhension des faits :

J’entends par cela que si l’on parvient à établir que le décideur a agi de mauvaise foi, ou dans un but ou pour un motif irrégulier, qu’il a pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent ou qu’il a agi de manière discriminatoire, toute décision découlant de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sera annulée[.]

[9] La division générale a appliqué les critères de Purcell au cas du demandeur. Après avoir examiné le dossier en entier, la division générale n’a trouvé aucune raison de conclure que le défendeur avait agi de mauvaise foi, dans un but ou pour un motif irrégulier, ou de manière discriminatoire envers le demandeur. Cela dit, la division générale a consacré la majeure partie de son analyse à déterminer si le défendeur avait pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent.

[10]  En plaidant que le défendeur n’avait pas agi de façon judiciaire ou judicieuse, le demandeur se fonde sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, où était cité, au paragraphe 33,l’arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 :

[32] Il n’y a aucun débat quant au critère juridique qui s’applique à une requête visant une prorogation de délai pour la présentation d’une demande d’autorisation d’appel […]. Ce qu’il faut, c’est :

  1. a) qu’il y ait eu et qu’il y ait une intention constante de la part de la partie qui présente la requête de poursuivre l’appel;
  2. b) que les moyens d’appel révèlent une cause défendable
  3. c) qu’il y ait une explication raisonnable pour le retard de la partie défaillante;
  4. d) que la prorogation de délai ne cause aucun préjudice à l’autre partie.

[33] Ce critère ne va pas à l’encontre de la déclaration formulée par la Cour il y a plus de vingt (20) ans dans la l’arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, selon laquelle l’aspect fondamental à prendre en considération dans une demande de prorogation de délai consiste à s’assurer que justice est faite entre les parties. Le critère à quatre volets susmentionné sert d’appui à l’application de cet aspect fondamental. Il s’ensuit qu’une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des volets du critère n’est pas respecté […].

[11] Le demandeur prétend que le défendeur et la division générale ont tous deux ignoré le fait qu'il n'était pas nécessaire de résoudre chacun des quatre facteurs prévus aux paragraphes 74.1(3) et 74.1(4) en sa faveur. Selon le demandeur, le bon critère juridique, conformément à la jurisprudence, consiste à ce que les quatre facteurs soient [traduction] « équilibrés » dans le but d’assurer que l’intérêt de la justice soit bien servi. Le demandeur se fonde sur le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Larkman c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 299, pour faire valoir que la considération primordiale, lorsqu’il est question de déterminer si la prorogation du délai devrait être accordée, est que l’intérêt de la justice soit servi. Je souligne que Larkman s’applique aux appels tardifs dans les cas où les critères servant à déterminer s’il faut accorder la prorogation de délai ne sont pas prévus par la Loi. En l’espèce, les critères que le défendeur devait considérer sont prévus au RRPC.

[12] Selon moi, d’après le libellé des paragraphes 74.1(3) et 74.1(4), il faut que les quatre facteurs prévus par ces dispositions soient respectés pour que le défendeur puisse prolonger la période de présentation de la demande de révision de la décision. Voici ce qu’on peut lire, en partie, au paragraphe 74.1(3) :

[…] [L]e ministre peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision d’une décision ou d’un arrêt s’il est convaincu, d’une part, qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et, d’autre part, que l’intéressé a manifesté l’intention constante de demander la révision. [mis en évidence par la soussignée]

Voici le libellé plutôt semblable du paragraphe 74.1 (4) :

[…] [L]e ministre doit aussi être convaincu que la demande de révision a des chances raisonnables de succès et que l’autorisation du délai supplémentaire ne lui porte pas préjudice […]. [mis en évidence par la soussignée]

[13] Chacune de ces deux dispositions exige que le ministre soit convaincu que les critères des deux dispositions soient remplis, et je souligne que les deux critères du paragraphe 74.1(3) du même que les deux critères du paragraphe 74.1(4) ont été unis par le terme « et ». Ceci signale au défendeur que chacun de ces critères doit absolument être pris en considération et que le ministre doit être convaincu que chacun de ces critères est suffisamment bien rempli. Rien ne donne à penser que le ministre devrait « équilibrer » les quatre critères pour déterminer si la prolongation du délai doit être autorisée.

[14] La division générale a cherché à savoir si le défendeur avait ignoré des facteurs pertinents en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Le défendeur était tenu de se pencher sur chacun des quatre critères prévus aux paragraphes 74.1(3) et (4). La division générale a conclu que le défendeur avait correctement considéré chacun des quatre facteurs. Au paragraphe 30 de sa décision, la division générale a noté que le demandeur avait expliqué la présentation tardive de son appel en disant qu’il attendait que son appel auprès de la Commission des accidents du travail (CAT) soit résolu. Le demandeur était d’avis qu’il était prématuré de soumettre un appel au défendeur avant la résolution de son appel devant la CAT. Le demandeur a prétendu qu’il avait dit ceci au téléphone à un représentant du défendeur, et qu’on lui avait dit de soumettre son appel une fois que son appel devant la CAT aurait été résolu. Cette explication est contraire du document de décision du défendeur, dans lequel il est simplement inscrit que le demandeur avait été informé du processus d’appel et du délai de 90 jours pour faire appel. Le défendeur a tenu compte de l’explication du demandeur mais il ne l’a jugée ni raisonnable ni convaincante.

[15] La division générale a souscrit à l’opinion du défendeur qu’il n’y avait eu aucune preuve d’une intention constante de demander une révision. Cette conclusion était fondée sur les antécédents contenus dans le document de décision du défendeur et les observations que le demandeur avait déposées auprès d’un arbitre en 2015. Au paragraphe 32 de sa décision, la division générale a noté qu’il y avait des incohérences dans le document de décision du défendeur, puis a passé en revue chacune des incohérences avant d’en arriver à une conclusion logique. La division générale était convaincue que le défendeur avait examiné l’intention constante du demandeur de faire appel, et qu’il avait fourni les motifs d’après lesquels il avait conclu que le demandeur n’avait pas manifesté l’intention constante de faire appel.

[16] La division générale a reconnu que le défendeur avait essayé de déterminer si la demande de révision du demandeur avait des chances raisonnables de succès, et qu’il avait conclu que des chances raisonnables de succès pourraient exister.

[17] Enfin, la division générale a conclu que le défendeur n’avait pas suffisamment expliqué en quoi un préjudice serait porté au défendeur si la prolongation du délai de présentation de la demande de révision était autorisée.

[18] J’ai déjà souligné précédemment, au paragraphe 11, que le demandeur avait plaidé que le défendeur n’avait pas nécessairement, en évaluant les facteurs prévus au RRPC et en exerçant son pouvoir discrétionnaire, tenu compte de la question de s’assurer que l’intérêt de la justice soit servi, et que la division générale ne l’avait pas fait non plus lorsqu’elle avait cherché à savoir si le défendeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judicieuse.

[19] La division générale n’était pas tenue d’évaluer le bien-fondé de la décision du défendeur. La division générale devait déterminer si le défendeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire et judicieuse, s’il avait considéré chacun des quatre facteurs prévus aux paragraphes 74.1(3) et (4) du RRPC pour rendre sa décision, et s’il avait fourni des motifs expliquant comme il était parvenu à sa décision.

[20] Je ne peux pas conclure que l’intérêt de la justice est un facteur dont le défendeur et la division générale auraient dû tenir compte. La question de savoir si l’intérêt de la justice a été servi ne fait pas partie des critères prévus au RRPC. Le principe selon lequel l’intérêt de la justice est la considération primordiale pour déterminer si une prolongation doit être autorisée se trouve dans la jurisprudence. Ce principe ne figure aucunement dans les dispositions qui s’appliquent à la décision du défendeur visant à déterminer si une prolongation du délai de présentation de la demande de révision devrait être autorisée.

[21] J’estime que la prétention du demandeur, voulant que la division générale ait commis une erreur de droit, n’a aucune chance raisonnable de succès. Je ne peux pas accorder la permission d’en appeler pour ce moyen.

[22] Le demandeur a présenté plusieurs autres observations, dont les suivantes : la division générale a tiré une conclusion de fait erronée en se fondant sur le journal d’appels incomplet du défendeur; la division générale a manqué à un principe de justice naturelle comme elle a évalué la crédibilité du demandeur sans lui donner l’occasion de livrer un témoignage durant l’audience; et la division générale a commis une erreur de droit comme elle n’a pas tenu compte du fait que le défendeur avait fait des déclarations inexactes au demandeur concernant le processus d’appel, et qu’il avait ensuite pénalisé le demandeur pour s’être fié à ces déclarations de bonne foi.

[23] Les observations ci-dessus dépassent la compétence du Tribunal en l’espèce. Le rôle du Tribunal ne consiste pas à déterminer si le défendeur a rendu la bonne décision, mais plutôt à déterminer si le défendeur a exercé de façon judiciaire le pouvoir discrétionnaire que lui confère le RRPC. Cette compétence ne dépasse pas la considération des critères de la cause Purcell, présentés plus haut au paragraphe 6. La seule question sur laquelle devait statuer la division générale consistait à évaluer la façon dont le défendeur avait usé de son pouvoir discrétionnaire à la lumière des critères énoncés dans Purcell.

[24] Si la division générale doit examiner la décision du défendeur en respectant certaines limites, je souligne aussi que les moyens permettant à la division d’appel d’accorder la permission d’en appeler ne comprennent pas un réexamen de la preuve. La division d’appel ne jouit pas d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour rendre une décision relativement à la permission d’en appeler en vertu de la Loi sur le MEDS. La division d’appel exercerait inadéquatement le pouvoir qui lui est conféré si elle accordait la permission d’en appeler d’après des motifs qui ne figurent pas au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS (Canada (Procureur général) v. O’keefe, 2016 CF 503).

[25] La division d’appel ne peut pas accorder la permission d’en appeler d’après une évaluation visant à déterminer si la décision discrétionnaire rendue par le défendeur était la bonne décision.

Conclusion

[26] La permission d’en appeler est refusée.

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