Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

Appellante   B. M.
    D. M. (observateur)
Représentante de l’appelante   Helen J. Scott (avocate)
Représentante de l’intimé   Anna Mascieri-Boudria (parajuriste)
    Jennifer Hockey (avocate/observatrice)

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) rendue le 25 novembre 2015. La division générale a conclu que l’appelante n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, après avoir établi que son invalidité n’était pas « grave » à la fin de sa période minimale d’admissibilité le 31 décembre 2011. J’ai accordé la permission d’en appeler au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit.

[2] L’audience relative à l’appel a été tenue par téléconférence en raison des complexités de l’affaire et afin d’offrir des mesures d’adaptation à l’appelante.

Questions en litige

[3] Je dois trancher les questions en litige suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’adopter une approche « réaliste » lors de son évaluation de la gravité de l’invalidité de l’appelante?
  2. La division générale a-t-elle mal interprété la preuve de Dr McAllister ou Dr Hirvi?
  3. Puis-je tenir compte de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel?
  4. Quelle décision convient-il de rendre dans cette affaire?

Moyens d’appel

a) Erreur de droit prétendue – arrêt Villani

[4] L’appelante soutient que la division générale n’a pas adopté une approche « réaliste » dans son analyse de la preuve et qu’elle a donc mal interprété la preuve des Drs McAllister et Hirvi. L’appelante a grandement cité l’approche « réaliste » établie dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.

[5] Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu, cette approche demande de déterminer si « un requérant, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, était régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il doit y avoir un « semblant de vérité » dans l’évaluation de la question de savoir si un demandeur est atteint d’une invalidité grave au titre du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada et que le sous-alinéa doit être interprété de façon large et libérale.

[6] L’appelante fait valoir que cette approche « réaliste » nécessite une interprétation large et libérale de l’ensemble de la preuve et que, s’il y a une ambigüité dans la preuve médicale, elle doit être interprétée en faveur de l’appelante. L’appelante s’est fondée sur plusieurs décisions de la Commission d’appel des pensions, qui, même si elles n’ont aucune force exécutoire à mon égard, pourraient avoir un caractère convaincant. L’appelante prétend que ces décisions illustrent des instances où la Commission d’appel des pensions était prête à conclure qu’un appelant était atteint d’une invalidité grave selon un point de vue « réaliste », et ce malgré le fait que la preuve médicale en soi était insuffisante :

[traduction]

  1. Dans la décision Best c. Ministre du Développement social (13 septembre 2006), CP21589 (CAP), l’appelante a prétendu que ses crises d’épilepsie ont recommencé en 1993, mais elle n’a pas consulté son médecin de famille à ce sujet avant 2000. Les dossiers cliniques du médecin de famille ne font état d’aucune plainte ou indice d’une crise d’épilepsie avant 2000, à l’exception d’un incident en août 1997. Le médecin, « préoccupé par le fait qu’elle pourrait avoir des absences épileptiques » l’a dirigée vers un neurologue, qui a confirmé qu’elle était atteinte d’épilepsie sans foyer. Mme Best a maintenu que ses crises d’épilepsie étaient revenues au milieu des années 1990, et ce malgré l’absence de rapports médicaux confirmant ce fait. La seule question devant la Commission d’appel des pensions était celle de savoir si Mme Best était atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 1996, c’est-à-dire si les crises d’épilepsie étaient réellement présentes à la moitié des années 1990, étant donné le dossier documentaire. Dans cette affaire, la Commission a conclu qu’il existait une preuve convaincante selon laquelle Mme Best était atteinte de crises d’épilepsie bien avant décembre 1997.
  2. Dans la décision T.S. c. Ministre du Développement social (21 août 2007), CP24556, l’appelante T.S. a prétendu qu’elle souffrait de douleurs depuis une blessure professionnelle subie en 1997. Elle a été impliquée dans deux accidents de véhicule ultérieurs en août 2000 et en décembre 2001. La Commission a conclu que la preuve médicale à l’appui des allégations douleurs de T.S. était plutôt limitée. La Commission a souligné que T.S. a subi des blessures aux tissus mous à la suite de l’accident de décembre 2001 et d’autres blessures à la suite des accidents de 1997 et d’août 2000. La Commission a conclu que les autorités médicales, sauf une, ont reconnu que, depuis l’accident de décembre 2001, T.S. était incapable de retourner à son ancien emploi et que, « compte tenu de son âge, de sa formation et de son expérience limitées ainsi que ses limitations physiques, il semble [...] que les emplois qu’elle pourrait assumer seraient très limités et ne correspondraient pas un emploi véritablement rémunérateur ».
  3. Dans la décision Baldo c. Ministre du Développement social (25 avril 2007), CP24320, la Commission a convenu que Mme Baldo souffrait de douleurs qu’elle devrait se recycler et mettre ses compétences à niveau afin d’effectuer des tâches légères et sédentaires. La Commission a conclu qu’il était irréaliste de croire que Mme Baldo pouvait trouver un type d’emploi convenable étant donné son âge et son état de santé, comme elle les a décrits.

[7] L’appelante s’est également fondée sur la décision G.B. c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences) (27 mai 2010), 2010 LNCPFN 76 (appel no CP26475) (CAP), cause portant sur un requérant souffrant de douleurs chroniques, dans laquelle la Commission a déclaré ce qui suit :

[28] La douleur chronique ne peut être démontrée par la preuve matérielle. Aucun test médical ne peut mesurer ni photographier la douleur. La preuve principale sur laquelle doit se fonder la Commission d’appel des pensions est la preuve subjective ou la description verbale que fait l’appelant de sa douleur [...]

[29] La Cour d’appel fédérale a établi que le critère légal applicable à la gravité exige « un air de réalisme pour évaluer si un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice ». Arrêt Villani précité.

[30] Le critère légal n’exige pas de démonstration de la preuve médicale matérielle.

[8] L’appelante soutient que l’approche « réaliste » aurait dû être appliquée pour examiner les avis médicaux des Drs McAllister et Hirvi afin que les ambigüités dans leurs avis respectifs soient résolues en sa faveur.

[9] Dans le cas du Dr McAllister, l’appelante souligne qu’il a mentionné sa douleur à trois occasions séparées au moins : lors de la consultation initiale à la suite de son accident de véhicule pendant laquelle il a déclaré qu’ [traduction] « [e]lle souffre d’une certaine douleur » (GT1-62); lors de la consultation du 29 septembre 2010 pendant laquelle il a déclaré que [traduction] « la douleur qu’elle ressent est assez commune après ce type de blessure » (GT1-48); finalement, le 6 octobre 2011, lorsqu’il a déclaré qu’ [traduction] « [e]lle continue de souffrir de douleurs au genou de façon intermittente » (GT1-46). L’appelante fait valoir que, même si le chirurgien orthopédiste ne s’est pas concentré sur la douleur, il est raisonnable qu’il n’ait pas agi ainsi étant donné les circonstances, à savoir que l’objectif principal d’un chirurgien orthopédiste est de restaurer la stabilité et le fonctionnement du genou.

[10] L’intimé soutient que, même si j’acceptais l’allégation selon laquelle le chirurgien orthopédiste a mis l’accent sur un autre aspect que celui de la douleur de l’appelante et même si celle-ci a demandé à suivre un traitement contre la douleur auprès de son médecin de famille, son questionnaire daté du 18 janvier 2012 fait état qu’elle a peu cherché à suivre un traitement contre la douleur auprès de son médecin de famille. En effet, elle a déclaré l’avoir consulté pour la dernière fois en novembre 2010, soit plus d’un an avant la fin de la période minimale d’admissibilité. L’intimé fait valoir qu’il était acceptable, étant donné cette preuve, que la division générale a conclu ce qui suit : [traduction] « si la douleur chronique de l’appelante était devenue invalide le 31 décembre 2011 et si Dr McAllister ne démontrait aucun intérêt à cet égard, il en résulte que l’appelante aurait dû avoir consulté Dr Hirvi ou un autre médecin à cette date ». Autrement dit, si l’appelante souffrait de graves douleurs chroniques, elle aurait dû chercher à prendre des mesures pour soulager sa douleur.

[11] L’intimé soutient que l’approche « réaliste » ne s’applique pas aux rapports médicaux, mais plutôt aux circonstances particulières d’un appelant, comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents professionnels et l’expérience de vie. De plus, l’intimé fait valoir que la présence de douleurs chroniques en soit n’établit pas la gravité.

[12] L’appelante donne à penser que les avis médicaux de Drs McAllister et Hirvi sont [traduction] « ambigus » concernant la gravité de l’invalidité. Par conséquent, je devrai les interpréter de façon large.

[13] À l’exception du fait que je ne suis pas entièrement convaincue qu’il y a des [traduction] « ambigüités » dans les rapports médicaux des Drs McAllister et Hirivi qui me demanderait d’être prête à interpréter ces rapports de façon large et de conclure que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave à la fin de sa période minimale d’admissibilité, j’estime que la responsabilité d’aborder toute ambigüité appartient exclusivement à l’appelante. S’il y avait des ambigüités dans les avis médicaux, l’appelante aurait dû être incitée à obtenir des avis médicaux supplémentaires et à demander des précisions. Je ne suis au courant d’aucune autorité qui exigerait que j’interprète de façon large des avis médicaux. Quand la Cour d’appel fédérale a envisagé une approche large et généreuse dans l’arrêt Villani, elle a conclu que cette approche s’appliquerait à l’interprétation de dispositions législatives conférant des prestations, comme le Régime de pensions du Canada, et non à la preuve documentaire, comme des avis médicaux. Au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

Au Canada, les tribunaux ont été particulièrement soucieux de donner une interprétation libérale à ces prétendues « lois sociales ». Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême a insisté sur le fait que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur. Cette méthode d’interprétation de la loi conçue pour accorder un avantage social a été adoptée dans bon nombre des décisions de la Cour suprême traitant de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage [...] .

[14] Il s’agit de l’approche qui a été utilisée par la Commission d’appel des pensions. Dans la décision T.S., par exemple, il était évident que la Commission avait interprété le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada d’une façon large et libérale et que l’approche « réaliste » établie dans l’arrêt Villani nécessitait l’examen des caractéristiques personnelles de l’appelante T.S. Même si la Commission a reconnu que la preuve médicale à l’appui des allégations de douleur de T.S. était plutôt limitée. À aucun moment la Commission n’a déclaré qu’une interprétation large et libérale s’étendait jusqu’aux avis médicaux dont elle était saisie. Bien qu’il y ait peu d’éléments de preuve objectifs pour corroborer les blessures aux tissus mous de T.S., la Commission était prête à accepter le fait que T.S. avait subi des blessures. La Commission a expressément tenu compte de l’âge, de la formation et de l’expérience limitées ainsi que les limitations physiques de T.S. pour conclure qu’elle était atteinte d’une invalidité grave au titre du Régime de pensions du Canada.

[15] Dans le même ordre d’idées, la Commission a également tenu compte des caractéristiques personnelles de Mme Baldo et, plus particulièrement, du fait qu’elle était au début de la soixantaine pour conclure qu’elle était atteinte d’une invalidité grave aux fins du Régime de pensions du Canada.

[16] Dans la décision Best, il n’y avait aucune question concernant la gravité de l’état de santé de Mme Best, car la question était plutôt celle de savoir si elle avait déjà eu crises d’épilepsie avant décembre 1997. Les faits concernant les circonstances dans la décision Best sont différents des faits dont je suis saisie. Par conséquent, ils ne sont d’aucune aide.

[17] Je conviens avec l’intimé qu’il ne suffit pas qu’un appelant se fonde sur un diagnostic comme celui de douleurs chroniques pour établir la gravité d’une invalidité. À cet égard, je n’estime pas que la Commission d’appel des pensions a fait équivaloir la douleur chronique à la gravité dans la décision G.B. Il est évident que la Commission a évalué l’affaire G.B. en se fondant sur l’ensemble de la preuve, et non sur un diagnostic de douleur chronique.

[18] There is support in the jurisprudence for this finding. La Cour d’appel fédérale a constamment conclu que le critère relatif à la gravité est seulement rempli après qu’un appelant a établi qu’il est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Dans Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 :

Premièrement, le critère permettant d’évaluer si une invalidité est « grave » ne consiste pas à déterminer si le demandeur souffre de graves affections, mais plutôt à déterminer si son invalidité « l’empêche de gagner sa vie » (voir : Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2001] 1 R.C.S. 703, paragraphes 28 et 29). En d’autres termes, c’est la capacité du demandeur à travailler et non le diagnostic de sa maladie qui détermine la gravité de l’invalidité en vertu du RPC.

(mis en évidence par la soussignée)

[19] Même si je ne suis pas convaincue par les observations de l’appelante que je devrais interpréter de façon large et libérale les avis médicaux, la question demeure celle de savoir si la division générale a effectué adéquatement l’évaluation établie dans l’arrêt Villani. Comme le soutient l’intimé, l’approche « réaliste » prévoit l’examen des circonstances particulières d’un appelant, comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents professionnels et l’expérience de vie.

[20] L’appelante fait valoir que ses caractéristiques personnelles sont pertinentes, parce qu’elle n’est plus dans la vingtaine et que ses antécédents professionnels limités lui demandent d’être organisée et concentrée, ce qui compliquerait son rendement en raison de ses déficiences cognitives.

[21] L’intimé fait valoir qu’il est possible de présumer que la division générale a effectué une évaluation « réaliste » étant donné qu’elle avait explicitement renvoyé à l’arrêt Villani et qu’elle connaissait les caractéristiques personnelles de l’appelante en les ayant mentionné aux paragraphes 9, 10 et 33 de sa décision. Quoi qu’il en soit, l’intimé soutient que, peu importe la question de savoir si la division générale a omis d’effectuer l’analyse établie dans l’arrêt Villani, il semble que les caractéristiques personnelles de l’appelante n’influencent pas sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’intimé souligne que l’appelante était âgée de 53 ans au moment de l’audience, qu’elle a terminé sa douzième année, qu’elle a suivi un programme collégial d’une durée de deux ans en administration de bureau exécutif et qu’elle a suivi une formation supplémentaire en ligne. Il a fait remarquer que la division générale a résumé les antécédents professionnels de l’appelante au paragraphe 33 de sa décision.

[22] En l’espèce, la division générale n’a pas renvoyé à l’arrêt Villani.Cela ne constitue pas une erreur en soi, mais, si un décideur ne cite par l’arrêt Villani, il laisse entendre qu’il a omis d’effectuer l’analyse établie dans l’arrêt Villani, à savoir une évaluation « réaliste ». Un décideur s’acquitte de facto du critère énoncé dans Villani lorsqu’il examine les circonstances personnelles d’un appelant dans un « contexte réaliste ». C’est le cas lorsqu’il examine l’incidence de ces facteurs sur la capacité régulière d’un appelant à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il ne lui suffit pas de mentionner une preuve de ces caractéristiques personnelles ni de citer l’arrêt Villani si elle ne se penche pas sur la question de savoir si ces caractéristiques exercent une influence, et ce de quelle manière, sur la capacité de l’appelant à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[23] Nonobstant les observations de l’intimé, j’estime aisément que la division générale n’a pas mené l’évaluation établie dans l’arrêt Villani, puisqu’elle n’a pas tenu compte du « contexte réaliste » dans lequel se trouve l’appelante. La division générale a effectué une analyse de la preuve médicale en l’espèce, mais il ne semble pas qu’elle ait tenu compte de la façon dont les caractéristiques personnelles de l’appelante auraient pu influencer l’aspect du critère relatif à la gravité de son invalidité touchant à son employabilité, articulée par la Cour d’appel fédérale. Si la division générale a bel et bien omis d’effectuer l’évaluation établie dans l’arrêt Villani, cela constituerait une erreur de droit.

[24] Cependant, l’intimé laisse entendre que, en l’espèce, l’évaluation établie dans l’arrêt Villani n’était pas nécessaire ou n’aurait pas changé l’issue de façon considérable. L’intimé fait valoir que, lorsque la Cour d’appel fédérale a énoncé le critère « réaliste », elle l’a fait dans l’intention sous-jacente d’aider les personnes qui sont déjà particulièrement vulnérables et désavantagées dans un contexte d’emploi, comme Monsieur Villani, qui est né en Italie en 1939, qui a terminé sa cinquième année avant d’immigrer au Canada en 1955 et qui a occupé en grande partie des emplois manuels. L’intimé me rappelle que l’appelante ne se heurte pas à la même portée de déficiences que dans le cas de Monsieur Villani et que, même si ses caractéristiques personnelles avaient été prises en considération, celles-ci n’auraient pas affecté sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Cela est possible, mais je ne suis généralement pas chargé d’apprécier et de soupeser la preuve; cela relève du juge des faits.

b) Prétendues conclusions de fait erronées – preuve mal interprétée

[25] L’appelante fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance pour conclure que sa douleur chronique n’était pas grave en date du 31 décembre 2011 simplement parce que Dr McAllister n’a pas constamment consigné ses plaintes relatives à la douleur à chaque consultation. L’appelante soutient que, étant donné qu’elle luttait contre d’autres problèmes médicaux à l’époque, comme une faiblesse du péroné, Dr McAllister ne se concentrait pas nécessairement sur ses plaintes relatives à la douleur. L’appelante soutient que la division générale a commis une erreur en concluant que Dr McAllister a contredit le témoignage de l’appelante concernant l’existence et la gravité de douleurs. L’appelante fait valoir que le simple fait que Dr McAllister n’a pas abordé pleinement les plaintes relatives à la douleur ne signifie pas que ses douleurs s’étaient résolues ou qu’elles n’étaient pas graves. L’appelante maintient que cela constitue une conclusion de fait erronée.

[26] Dr McAllister a rédigé plusieurs notes sur les consultations ou les progrès ainsi qu’un rapport de chirurgie à la suite d’une chirurgie au genou droit de l’appelante. Il a rédigé 16 rapports ou notes s’étalant entre juin 2009 et janvier 2012 (GT1-42 à GT1-62). L’appelante reconnaît que Dr McAllister a mentionné sa douleur dans trois de ses rapports seulement :

  • Dans le rapport du 14 juillet 2009, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Elle est demeurée plusieurs jours [à l’hôpital] plusieurs jours de plus que prévu en partie en raison de la douleur et de l’hésitation à quitter l’hôpital. »
  • Dans le rapport du 29 septembre 2010, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « La douleur dont elle souffre est assez commun après ce type de blessure. »
  • Dans le rapport du 6 octobre 2011, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Elle continue de souffrir de douleurs au genou de façon intermittente. »

[27] La division générale a fait remarque que le chirurgien orthopédiste n’a pas mentionné de douleurs ou de médicaments dans les rapports produits entre le 15 juillet 2009 et le 17 février 2010. Elle a souligné que le rapport d’août 2009 laisse entendre que l’appelante se portait bien et qu’elle avait une amplitude des mouvements actifs complète et fonctionnelle malgré un manque de force périarticulaire. La division générale a fait remarquer que, en 2010 (probablement au début de cette année), Dr McAllister a souligné une faiblesse périarticulaire continue, mais il n’a aucunement fait état de douleurs, mais il a souligné dans un rapport daté du 3 mai 2010 que l’appelante semblait [traduction] « quelque peu découragée ». La division générale a ensuite fait remarquer la mention de douleurs dans le rapport de septembre 2010, selon lequel il s’agissait de la première mention de douleurs depuis son accident et l’opération ultérieure. La division a ensuite souligné qu’il n’y avait aucune mention de douleurs dans la note de Dr McAllister du 13 avril 2011. Quand il a reçu l’appelante en consultation en octobre 2011, il a fait remarquer que l’appelante continuait de souffrir de douleurs au genou de façon intermittente. Lorsqu’il a produit son rapport médical du 23 janvier 2012, Dr McAllister n’a mentionné aucune douleur chronique. La division générale a conclu qu’il n’y avait aucune raison, étant donné l’objet de la production du rapport, que Dr McAllister omet des troubles médicaux si ceux-ci ont contribué [traduction] « de façon importante à l’invalidité ».

[28] Dr McAllister n’a pas formulé de commentaires sur les niveaux de douleur de l’appelante, à savoir si ceux-ci étaient légers, modérés ou graves, dans un de ses rapports et, étant donné que j’ai déjà conclu que l’arrêt Villani ne demande pas qu’un décideur interprète les avis médicaux de façon large et généreuse, j’estime qu’il n’y a aucun fondement permettant à la division générale de conclure d’une manière quelconque des rapports de Dr McAllister seulement que l’appelante souffrait fréquemment de douleurs graves.

[29] Rien ne démontre que la division générale a conclu que les rapports de Dr McAllister contredisaient l’appelante. La seule chose qui pourrait aller en ce sens est le fait que la division générale a simplement conclu que les rapports ne corroboraient pas le témoignage de l’appelante concernant la gravité de ses douleurs. Même s’il y a peu de mentions de douleurs dans les rapports de Dr McAllister, la division générale a accepté que l’appelante souffre de douleurs chroniques intermittentes depuis l’accident de véhicule en 2009, mais elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que les douleurs étaient graves depuis ce moment-là. Une partie de cette conclusion a été fondée sur le fait que l’appelante n’a pas cherché à prendre des mesures de soulagement de la douleur et qu’elle avait reçu une prescription de morphine en juillet 2012 seulement, à savoir des mois après la fin de sa période minimale d’admissibilité. Même si elle avait supposément consulté son médecin de famille pour [traduction] « des soins personnels et la prise en charge » en novembre 2010, elle ne l’a pas fait et elle n’a consulté aucune autre personne depuis ce moment-là. Autrement dit, sa douleur n’aurait pas pu être grave depuis au moins novembre 2010 ou dans les environs si elle n’est pas retournée consulter son médecin de famille ou une autre personne aux fins de soulagement de la douleur ou de mesures de prise en charge.

[30] Si la division générale a constaté des contradictions, elles se trouvaient dans le témoignage de vive voix de l’appelante par rapport à la preuve documentaire. La division générale a déclaré que, étant donné le témoignage contradictoire de l’appelante, elle a préféré la preuve documentaire contemporaine au témoignage de vive voix.

[31] L’appelante fait valoir que la division générale a mal interprété l’avis médical de son médecin de famille, Dr Hirvi, qui a produit une lettre médicale datée du 19 août 2013 (GT1-75). Il y a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Bien sûr, comme vous le savez, [l’appelante] a subi une reconstruction latérale au genou gauche. Sa blessure au genou a été aggravée par une blessure complète au péronier proximal. Elle continue de souffrir de douleurs chroniques et elle est atteinte d’invalidité fonctionnelle. Les médicaments contre la douleur ont amélioré son fonctionnement, mais il n’est pas retourné à la normale.

Étant donné la blessure importante subie par [l’appelante] et ses déficiences fonctionnelles continues, j’espère que votre tribunal peut réviser sa décision originale.

[32] L’appelante déclare que la division générale aurait dû interpréter ce rapport de façon large et libérale et elle en a déduit des expressions [traduction] « blessure importante », [traduction] « continue de souffrir de douleurs chroniques » et [traduction] « déficiences fonctionnelles continues » que ses douleurs étaient non seulement chroniques à la fin de sa période minimale d’admissibilité, mais qu’elles étaient également graves.

[33] La division générale a accepté que le rapport de Dr Hirvi établissait que l’appelante souffrait de douleurs chroniques [traduction] « depuis une période non précisée ». À cet égard, la division générale a donné l’impression erronée que le moment où les douleurs chroniques de l’appelante sont apparues n’était pas clair; elles ont clairement été causées par l’accident de véhicule de l’appelante en 2009. Cependant, la division générale n’a pas fondé sa décision sur le moment où les douleurs chroniques de l’appelante sont survenues pour la première fois. Cette déclaration particulière, même si elle semble être une erreur, ne constitue donc pas un moyen conférant à l’appel une chance de succès au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une grande partie de l’analyse, la division générale s’est concentrée sur le moment où les [traduction] « douleurs chroniques invalidantes » sont apparues, et non simplement les [traduction] « douleurs chroniques ». La différence peut paraître mince, mais elle est importante.

[34] La division générale n’a pas conclu que le rapport de Dr Hirvi établissait que l’appelante souffrait de douleurs chroniques invalidantes à la fin de la période minimale d’admissibilité. Pour ces motifs mentionnés ci-dessus, il n’y avait aucun fondement sur lequel la division générale pouvait se baser pour interpréter de façon large le rapport de Dr Hirvi, qui ne parlait pas des niveaux de douleur de l’appelante, et pour conclure que celle-ci était atteinte d’une invalidité grave.

[35] Je ne suis pas convaincu que la division générale a commis une erreur en conclu que ni Dr McAllister ni Dr Hirvi étaient d’avis que l’appelante démontrait des douleurs chroniques graves ou qu’elle s’en plaignait. Même si la division générale était prête à conclu que l’appelante souffrait de douleurs chroniques, elle a conclu que la preuve documentaire ne permettait pas d’établir que les douleurs étaient devenues graves à la fin de la période minimale d’admissibilité et que le fait que l’appelante n’a pas cherché à obtenir des mesures de soulagement de la douleur jusqu’à ce qu’elle obtienne une ordonnance de morphine en juillet 2012 confirmaient que les douleurs n’étaient pas devenues graves juste avant ce moment-là.

Nouveaux éléments de preuve

[36] L’appelante se fonde sur un rapport daté du 13 janvier 2017 et rédigé par son travailleur social pour étayer sa demande de pension d’invalidité. La division générale ne dispose évidemment d’aucune copie de ce rapport.

[37] Il est maintenant bien établi en droit que de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admis en appel au titre de l’article 58 de la LMEDS, à moins qu’il s’agisse d’une des exceptions prévues, comme si les nouveaux éléments de preuve portent sur l’un des moyens d’appel. Par exemple, dans l’affaire Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, le juge Roussel a déclaré ce qui suit : « Toutefois, dans l’actuel cadre législatif, la présentation de nouveaux éléments de preuve ne constitue plus un motif d’appel indépendant (Belo-Alves, au paragraphe 108). »

[38] De plus, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. O’Keefe, 2016 CF 503, au paragraphe 28, le juge Mason a conclu ce qui suit :

Le critère pour obtenir la permission d’en appeler et la nature même de l’appel ont changé en vertu des articles 55 et 58 de la LMEDS. À la différence d’un appel présenté devant l’ancienne [Commission d’appel des pensions], qui était une audience de novo, un appel devant la [division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale] n’autorise pas le dépôt de nouveaux éléments de preuve et se limite aux trois moyens d’appel énumérés à l’article 58.

[39] Dans l’affaire Marcia c. Canada (Procureur général), au paragraphe 34, la juge McVeigh a conclu ce qui suit : « Il n’est pas possible de présenter une nouvelle preuve à la division d’appel, puisque la division doit se limiter aux moyens énumérés au paragraphe 58(1) et que l’appel ne constitue pas une audience de novo. »

[40] Plus récemment, dans l’affaire Glover c. Canada (Procureur général), 2017 CF 363, la Cour fédérale a adopté et approuvé les motifs établis dans l’affaire O’Keefe en concluant finalement que la division d’appel n’avait pas commis une erreur en refusant d’examiner de nouveaux éléments de preuve dans cette affaire, dans le contexte de la demande de permission d’en appeler. La Cour a également souligné que la LMEDS prévoit des dispositions à l’article 66 permettant à la division générale d’annuler ou de modifier une décision si de nouveaux éléments de preuve sont présentés au moyen d’une demande.

[41] Selon les faits dont je dispose, je ne suis pas convaincue qu’il existe des motifs me convainquant d’admettre le rapport, car rien ne démontre que celui-ci constitue une des exceptions prévues. Comme la Cour fédérale l’a conclu, un appel devant la division d’appel ne permet généralement pas la présentation de nouveaux éléments de preuve.

Conclusion

[42] J’accueille l’appel. Il n’est pas clair si la division générale a évalué la gravité de l’invalidité de l’appelante dans un contexte réaliste. Il est par conséquent inapproprié que l’affaire soit renvoyée à la division générale afin qu’une nouvelle décision soit rendue, ce qui comprend une évaluation conformément à l’arrêt Villani, et que la division générale examine la façon dont les troubles médicaux, y compris les limitations fonctionnelles, et les caractéristiques personnelles de l’appelante ont une influence sur sa capacité régulière de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

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