Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse sollicite la permission d’en appeler de décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) datée du 24 février 2016 dans laquelle la pension d’invalidité de la demanderesse lui a été refusée en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). La date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA) de la demanderesse, ou la date à laquelle elle devait être considérée comme étant invalide, était le 31 décembre 2010. La division générale avait conclu que la demanderesse ne répondait pas aux critères relatifs à une invalidité « grave et prolongée » établis à l’alinéa 42(2)a) du RPC d’ici la fin de sa PMA. La demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler (demande) auprès de la division d’appel du Tribunal le 17 mai 2016.

Question en litige

[2] Le membre doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission », et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». Il a été établi qu’une chance raisonnable de succès équivaut à une « cause défendable » (Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63).

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[6] La demanderesse soutient que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier et dont elle était saisie, ce qui constitue un manquement aux principes de justice naturelle.

[7] La demanderesse soutient également que la division générale, en négligeant d’évaluer la capacité de la demanderesse de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte réaliste, n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier dont elle était saisie, ce qui constitue une erreur de droit.

[8] La demanderesse soutient que la division générale, en dénaturant les déclarations que la demanderesse a faites sous serment dans un interrogatoire préalable, lequel a eu lieu dans le cadre d’un processus de litige concernant un accident de la route, a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle s’est fiée uniquement à une partie du rapport d’évaluation professionnelle que Debbie Soligo avait préparée. La demanderesse soutient que Debbie Soligo avait indiqué que la demanderesse n’était pas capable d’occuper un emploi rémunérateur, et que son opinion est conforme au point de vue du Dr Karp — lequel avait également préparé une évaluation professionnelle au sujet de la demanderesse — et du Dr Mah, puisqu’ils avaient conclu que la demanderesse était [traduction] « incapable d’exercer un emploi compétitif » et il était [traduction] « peu probable qu’elle puisse détenir une occupation rémunératrice dans le futur », respectivement.

[10] La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a confondu la date du diagnostic avec la date à laquelle la déficience a commencé. Cette conclusion a entraîné une erreur de droit, puisque la demanderesse n’a pas été jugée invalide d’ici la date de fin de sa PMA.

[11] La division générale, en déterminant que la demanderesse n’était pas invalide, a commis une erreur de droit en se fondant sur le diagnostic du Dr Cisa, selon lequel la demanderesse ne souffrait pas de [traduction] « déficience invalidante ». La demanderesse soutient qu’une invalidité aux termes du RPC n’est pas définie de cette façon (comme étant une [traduction] « déficience invalidante »).

Analyse

[12] Le critère permettant d’accorder la permission d’en appeler a été bien élaboré. Il consiste à déterminer s’il existe une cause défendable pouvant donner gain de cause en appel (Canada (Procureur général) c. St-Louis, 2011 CF 492). La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une partie établit une cause défendable en droit revient à se demander si cette partie a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique (voir l’affaire Canada (Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41). À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse (Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 1999 CanLII 8630 (CF)), mais je dois être convaincue qu’il existe une cause défendable pouvant donner gain de cause en appel (Osaj c. Canada (Procureur général), 2016 CF 115).

[13] En accordant la permission d’en appeler, il me faut être convaincue que la demanderesse a identifié la façon dont la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence pour rendre sa décision, a commis une erreur de droit, ou que la demanderesse a identifié une conclusion de fait erronée, qu’elle aurait peut-être tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance pour en arriver à sa décision. Même si la Loi sur le MEDS me permet d’examiner la question à savoir si la division générale a commis une erreur de droit, et ce, peu importe si elle ressort ou non à la lecture du dossier, je ne suis pas autorisée à accorder la permission d’en appeler selon des motifs théoriques (Canada (Procureur général) c. Hines, 2016 CF 112).

[14] En ce qui concerne les observations de la demanderesse, j’examinerai d’abord l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la prétendue omission de la division générale de tenir compte de l’ensemble de la preuve au dossier et dont elle était saie constitue un manquement aux principes de justice naturelle. Précisément, les observations de la demanderesse sont rédigées de la façon suivante : [traduction] « La division générale a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve, ce qui n’est pas conforme à la justice naturelle. »

[15] Selon les principes de justice naturelle, les parties à un litige doivent pouvoir présenter leur position pleinement et de manière appropriée, elles doivent connaitre les éléments de preuve retenus contre elles, et les parties doivent recevoir une décision rendue par un décideur impartial, fondée sur l’ensemble de la preuve et comportant des motifs clairement énoncés. La notion d’équité procédurale fait partie de la justice naturelle et porte principalement sur les procédures suivies lors d’une audience. En l’espèce, la demanderesse a soutenu que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier et dont elle était saisie. En ce qui concerne la question relative à un manquement à la justice naturelle, la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, a affirmé que les normes de contrôle applicables à un contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé, comme ce Tribunal. Plutôt, de tels tribunaux d’appel doivent appliquer les moyens d’appel établis dans leur loi constitutive (Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242). En ce qui a trait à l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS, le libellé n’est pas du tout ambigu. Lors d’appels auprès de la division d’appel du Tribunal, la division générale ne doit aucune déférence en ce qui a trait aux questions de justice naturelle.

[16] La demanderesse a fait valoir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsqu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. Cependant, la demanderesse n’a fourni aucun détail particulier dans son observation initiale (comme elle a été citée au paragraphe 14 ci-dessus). À la lecture des observations de la demanderesse dans un contexte global, je note qu’il y a plusieurs observations portant sur le fait que la division générale n’a pas présenté certains éléments de preuve au dossier à la demanderesse au cours de son audience, comme cela a été énoncé au paragraphe 8 ci-dessus. La demanderesse soutient que la division générale a commis une erreur en tirant par la suite des déductions erronées à partir de la preuve. Dans l’ensemble, la preuve provient d’un interrogatoire préalable qui a eu lieu le 8 octobre 2010, dans le cadre d’un litige en cours concernant un accident de la route auquel la demanderesse était impliquée. Le représentant de la demanderesse a présenté cette erreur comme étant une conclusion de fait erronée.

[17] En l’espèce, la demanderesse soutient que la division générale a conclu que, puisque la demanderesse avait dit qu’elle ne faisait pas appel du rejet de sa demande initiale de pension d’invalidité en révision à l’époque où l’interrogatoire préalable a eu lieu, cette déclaration [traduction] « ne reflétait pas le sort d’une personne atteinte d’une invalidité grave et prolongée » (paragraphe 12 de la décision de la division générale).

[18] Citant précisément du document de l’interrogatoire préalable, la section pertinente sur laquelle la division générale s’est fondée commence à la question numéro 732 et se lit ainsi :

[traduction]

Q. Alors, vous avez donc subi des tests afin de déterminer si vous avez besoin d’un diagnostic de déficience invalidante?

R. Oui, c’est ce qu’ils évaluaient chez moi.

Q. Okay. Est-ce que quelqu’un vous a dit ce qu’est...

R. Oh, non.

Q. …le résultat?

R. J’imagine que c’est - je dois attendre six semaines, j’imagine, pour qu’ils fassent leurs rapports. C’est ce que les gars - eh bien, les médecins disent.

Q. Okay. Avez-vous présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada?

R. Ouais, ouais, et ils ont refusé.

Q. Portez-vous cette décision en appel?

R. Pas pour le moment.

[Représentant du défendeur] : Représentant, pouvons-nous avoir les dossiers en lien avec la demande de prestations d’invalidité du RPC?

[Représentant de la demanderesse] : Oui.

[Représentant du défendeur] : Et je suppose la lettre de rejet.

[Représentant de la demanderesse] : Oui.

[19] La demanderesse soutient que la conclusion de division générale, selon laquelle la demanderesse ne représentait pas une personne dont l’état est celui d’une personne atteinte d’une invalidité grave et prolongée simplement parce que la demanderesse avait confirmé qu’elle ne portait pas en appel le rejet de sa demande du RPC à l’époque de l’interrogatoire préalable en 2010, était sans fondement. La demanderesse soutient que cette déclaration n’était pas du tout liée à une conclusion d’invalidité et n’aurait pas dû être une raison pour tirer une conclusion relative à une invalidité devant la division générale en 2016.

[20] À la lecture de l’extrait de la transcription ci-dessus, l’on pourrait conclure que la demanderesse ne portait pas en appel le rejet de sa demande « à cette époque », puisqu’elle attendait le diagnostic de déficience invalidante dont il est question à la question no 732 de la transcription de l’interrogatoire. Plutôt que d’indiquer qu’elle ne poursuivait pas sa demande de pension d’invalidité à l’avenir, elle a interjeté appel du rejet de sa demande initiale en présentant une seconde demande en 2012.

[21] De plus, la division générale a reproduit un extrait de la transcription portant sur le traitement de la demanderesse par le biais de Blue Sky Physiotherapy [physiothérapie Blue Sky]. Au paragraphe 18 de la décision, la division générale conclut que la preuve de la demanderesse au cours de l’audience allait à l’encontre de sa preuve dans la transcription de l’interrogatoire. La division générale a conclu que l’état de santé de la demanderesse était [traduction] « plutôt constant » tout au long du plan de traitement que Blue Sky Physiotherapy avait fourni. Cependant, à la lecture de la transcription de l’interrogatoire, je constate que le niveau de douleur était réduit de peu grâce au traitement avec Blue Sky, mais pas [traduction] « plutôt constant ». La preuve de la demanderesse au cours de l’interrogatoire était que, bien que ses côtes ne ressortent plus aussi souvent qu’avant, elles continuent à se déplacer. De plus, elle a encore des maux de tête, des rots et des haut-le-cœur. Puisque le traitement avec Blue Sky n’a pas été efficace, la demanderesse a alors suivi un traitement d’acupuncture d’un physiothérapeute de là-bas. Ce traitement ne s’est pas avéré efficace, et le physiothérapeute a donc recommandé à la demanderesse de consulter un massothérapeute. La demanderesse a continué ce traitement jusqu’à ce que sa couverture d’assurance prenne fin.

[22] J’estime que les conclusions de la division générale concernant l’amélioration de l’état de santé de la demanderesse peuvent aller à l’encontre de la preuve au dossier. Il s’agit d’un moyen d’appel pour lequel j’accorde la permission d’en appeler.

[23] La Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276, qu’il n’est pas nécessaire pour la division d’appel d’examiner tous les moyens d’appel soulevés par un demandeur. Dans l’arrêt Mette, le juge J.A. a affirmé que le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS [traduction] « ne requiert pas de rejeter des moyens d’appel individuellement […] les moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient pratiquement impossible de les décortiquer, et un motif d’appel défendable peut donc suffire à l’obtention de la permission d’en appeler ». Les autres moyens d’appel présentés par la demanderesse sont interdépendants de l’analyse servant à déterminer si son état de santé était grave et prolongé. Par conséquent, je n’ai pas l’obligation d’examiner les autres moyens d’appel présentés par la demanderesse dans sa demande de permission d’en appeler.

Conclusion

[24] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[25] Cette décision accordant la permission d’interjeter appel ne présume pas le résultat de l’appel sur le fond de l’affaire.

[26] J’invite les parties à présenter des observations écrites supplémentaires dans le délai imparti de 45 jours, y compris des observations sur la question de savoir si la tenue d’une audience est nécessaire.

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