Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Cet appel porte sur une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), où l’on rejetait de façon sommaire l’appel de l’appelante pour une prestation d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), parce qu’il a été jugé qu’elle ne peut pas remplacer sa pension de retraite par une pension d’invalidité si elle n’est pas devenue invalide avant le début du versement de sa pension de retraite. La division générale a rejeté l’appel parce qu’elle n’était pas convaincue que celui-ci avait une chance raisonnable de succès.

[3] Aucune permission d’en appeler n’est requise dans le cas des appels interjetés au titre du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), car un rejet sommaire par la division générale peut faire l’objet d’un appel de plein droit.

[4] Comme j’ai établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, cet appel est instruit conformément à l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS).

Aperçu

[5] L’appelante a présenté une demande de pension de retraite du RPC et elle y a touché à compter de juin 2012. Il est inscrit au dossier que l’intimé a daté sa demande de prestations d’invalidité le 4 septembre 2013. Dans sa demande, elle dénombrait plusieurs troubles de santé, dont ses blessures subies au dos et au pouce droit lors d’une chute, qui l’ont menée à quitter son emploi de décoratrice de plateau en juin 2011.

[6] L’intimé a rejeté la demande initialement et après révision parce qu’elle a été présentée plus de 15 mois après que l’appelante ait commencé à toucher une pension de retraite du RPC. Le 6 mai 2014, l’appelante a interjeté appel de ces rejets devant la division générale. Dans une décision datée du 12 juin 2015, la division générale a rejeté de façon sommaire l’appel de l’appelante sur la base que le droit ne permet pas de remplacer une pension de retraite par une pension d’invalidité plus de six mois après le début du versement d’une pension de retraite.

[7] Le 2 juillet 2015, l’appelante a interjeté appel à l’encontre de la décision de rejet sommaire auprès de la division d’appel du Tribunal et alléguait que la division générale a commis des erreurs. Dans une décision datée du 22 octobre 2015, la division d’appel a rejeté l’appel et concluait que la division générale avait correctement appliqué le droit aux faits présentés.

[8] L’appelante a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans une décision datée du 11 avril 2017, l’honorable juge Michael Phelan a jugé que la décision de la division d’appel est déraisonnable. Dans ses motifs, le juge Phelan a écrit ce qui suit [traduction] :

[C]'est dans le plaidoyer qu’une question importante s’est dessinée, elle n’a pas été examinée par les instances précédentes ou même dans le cadre de ce contrôle judiciaire. Cette question concerne la date à laquelle Mason a présenté sa demande de prestations d’invalidité. Il était tenu que la date était du 4 septembre 2013, mais il existe maintenant un sérieux doute à cet égard.

[9] Le juge Phelan a accepté la preuve de l’appelante sur le fait qu’elle a posté sa demande de pension d’invalidité du RPC à la mi-août 2013, depuis son bureau de poste local, et il a souligné qu’[traduction] « il n’y avait pas de preuve concernant le moment de réception ou de preuve démontrant que la demande ne pouvait pas se trouver dans le système de traitement du courrier d’EDSC [Emploi et Développement social Canada] avant la fin de semaine de la fête du Travail ». Le juge Phelan a d’ailleurs reproché à la division d’appel d’avoir considéré comme équivalentes la « réception » et la « production » de la demande de l’appelante. De plus, il a reproché à la division d’appel d’avoir omis d’examiner la question que [traduction] « la poste était le moyen de communication choisi par le gouvernement et, ayant fait ce choix, de savoir si la livraison à Postes Canada en tant qu’agent du Canada peut représenter une livraison à EDSC ».

[10] Le juge Phelan a accueilli la demande de contrôle judiciaire et ordonné que la décision de la division d’appel soit annulée. Il a aussi commandé que la demande de l’appelante pour des prestations d’invalidité [traduction] « soit examinée de novo par un membre ou des membres différents ».

[11] J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel serait instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. Le dossier ne présente aucune lacune et ne nécessite pas de clarification.
  2. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le TSS voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[12] Le paragraphe 53(1) de la LMEDS prévoit que la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. En vertu du paragraphe 56(2), aucune permission d’en appeler n’est requise pour interjeter appel d’un rejet sommaire devant la division d’appel.

[13] Le paragraphe 54(1) de la LMEDS énonce clairement que la division générale peut seulement rendre une décision qui aurait autrement été prise par le ministre. La division générale peut rejeter l’appel ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendre.

[14] L’article 22 du Règlement sur le TSS prévoit que, avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser l’appelant par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations.

[15] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Régime de pensions du Canada et règlement connexe

[16] Conformément au paragraphe 60(1) du RPC, aucune prestation n’est payable à une personne, sauf si demande en a été faite et que le paiement en ait été approuvé. Conformément au paragraphe 60(7), l’intimé examine, dès qu’il la reçoit, toute demande de prestation; il peut en approuver le paiement et en déterminer le montant payable, ou il peut arrêter qu’aucune prestation n’est payable.

[17] Conformément au paragraphe 43(1) du Règlement sur le RPC, une demande de prestations doit être présentée par écrit à tout bureau du ministère de l’Emploi et du Développement social.

[18] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une telle pension, un requérant doit :

  1. a) ne pas avoir atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne pas toucher une pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[19] L’exigence selon laquelle le demandeur ne doit pas recevoir de pension de retraite du RPC figure aussi au paragraphe 70(3) du RPC, où il est énoncé qu’une fois qu’une personne commence à recevoir une pension de retraite du RPC, elle ne peut en aucun cas demander ni redemander une pension d’invalidité. Il y a une exception à cette disposition à l’article 66.1 du RPC.

[20] L’article 66.1 du RPC et l’article 46.2 du Règlement sur le RPC autorisent un bénéficiaire à demander la cessation d’une prestation déjà versée, si la demande de cessation de la prestation est présentée par écrit, dans les six mois suivant le début du paiement de la prestation.

[21] Si une personne ne demande pas la cessation d’une prestation dans les six mois suivant le début du paiement, la seule façon de remplacer une pension de retraite par une prestation d’invalidité est dans le cas où la personne est réputée être devenue invalide avant le mois où elle a commencé à toucher sa pension de retraite (paragraphe 66.1(1.1) du RPC).

[22] Le paragraphe 66.1(1.1) du RPC doit être lu en tenant compte de l’alinéa 42(2)b) du RPC, selon lequel une personne n’est pas réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date de réception de la demande de prestation d’invalidité par l’intimé.

[23] En vertu de ces dispositions, le RPC ne permet pas de remplacer une pension de retraite par une pension d’invalidité lorsque la demande de pension d’invalidité est présentée 15 mois ou plus après le début du paiement de la pension de retraite.

[24] Selon l’article 69 du RPC, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date réputée du début de l’invalidité.

Questions en litige

[25] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle commis une erreur en rejetant de façon sommaire la demande de prestation d’invalidité de l’appelante parce que celle-ci touchait déjà une pension de retraite du RPC?

Observations

[26] Dans son avis d’appel déposé le 2 juillet 2015, l’appelante a mentionné avoir été impliquée dans un accident de travail en juin 2011, au cours duquel elle a subi plusieurs blessures corporelles. Elle a expliqué avoir touché une pension de retraite du RPC à compter de juin 2012 et a ensuite accepté le fait qu’elle ne pourrait pas retourner au travail. Elle a donc présenté une demande de pension d’invalidité du RPC. Elle a souligné que la Commission des accidents du travail (CAT) avait évalué récemment son degré d’invalidité et l’avait établi à une atteinte de [traduction] « 78 % d’une invalidité totale », mais étant donné que le traitement de son dossier n’était pas terminé, cette indemnité d’invalidité pourrait augmenter. Elle a également précisé qu’elle était admissible à une indemnité versée en raison d’une [traduction] « perte de revenus de 100 % ». Elle demandait comment son appel pouvait être rejeté si la CAT avait reconnu son invalidité. En août 2015, l’appelante a présenté des dossiers médicaux supplémentaires par rapport à sa condition.

[27] Dans ses observations présentées le 17 août 2015, l’intimé a soutenu que la division générale avait correctement énoncé et appliqué le droit en ce qui concerne le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité au titre du RPC. L’intimé a aussi défendu le recours au processus de rejet sommaire par la division générale, conformément à l’article 53 de la LMEDS. Compte tenu des faits incontestés et du droit applicable, une seule issue était possible. Puisque l’appel était [traduction] « dépourvu d’une quelconque chance de succès », il convenait de le rejeter de façon sommaire.

[28] Dans une lettre datée du 8 juin 2017, l’intimé a recommandé, compte tenu de la récente décision de la Cour fédérale, de renvoyer l’affaire à la division générale.

Analyse

Degré de déférence attribuable à la division générale

[29] Jusqu’à tout récemment, les appels à la division d’appel étaient régis par la norme de contrôle définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New BrunswickNote de bas de page 1. Dans les affaires traitant d’allégations d’erreurs de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, signifiant qu’un faible degré de déférence devait être accordé au premier palier de décision d’un tribunal administratif. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable était celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable d’entendre le témoignage factuel.

[30] Dans l’arrêt Canada c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se rapporter en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[31] Bien que l’affaire Huruglica traite d’une décision qui provenait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle comporte des incidences pour d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était inapproprié d’importer les principes de contrôle judiciaire aux tribunes administratives, comme on l’a établi dans l’affaire Dunsmuir, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit : « on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel ».

[32] Cette prémisse sert à la Cour dans sa détermination du critère approprié qui découle entièrement de la loi constitutive d’un tribunal administratif :

[L]a détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global […] L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[33] En conséquence, la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte sera inapplicable en l’espèce, à moins que ces mots, ou leurs variantes, soient énoncés de façon précise dans la loi constitutive. À l’application de cette approche à la LMEDS, on peut voir que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à un principe de justice naturelle, ce qui signifie que la division d’appel ne devrait faire preuve d’aucune déférence à l’égard des interprétations de la division générale.

[34] Le mot « déraisonnable » n’apparaît pas à l’alinéa 58(1)c), lequel traite des conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme il a été suggéré dans l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur qui est vraiment flagrante ou qui est en contradiction avec le dossier.

Rejet sommaire

[35] La division générale a rejeté l’appel de l’appelante parce que l’intimé avait reçu sa demande de prestations d’invalidité du RPC en septembre 2013. La division générale a jugé, conformément à l’alinéa 42(2)b), que l’appelante pouvait être réputée être devenue invalide au plus tôt en juin 2012, soit 15 mois avant la présentation de la demande. Puisque le versement de la pension de retraite de l’appelante avait également débuté en juin 2012, la division générale a jugé qu’il était impossible que l’appelante soit réputée être devenue invalide avant la réception de sa pension de retraite. Par conséquent, la division générale a conclu que la loi, d’aucune façon, ne permettrait à l’appelante de remplacer sa pension de retraite par une pension d’invalidité.

[36] La décision qui a découlé du récent contrôle judiciaire démontre que la Cour fédérale n’a pas contesté l’interprétation du droit relatif à l’admissibilité entre une pension d’invalidité ou de retraite faite par la division générale; elle a plutôt critiqué la division générale et mon collègue de la division d’appel pour avoir omis d’évaluer la possibilité que, en postant sa demande de prestations d’invalidité du RPC en août 2013, l’appelante aurait [traduction] « produit » sa demande avant le 4 septembre 2013, date inscrite par l’intimé au moment de la réception. La Cour fédérale a déclaré que cette cause devait être repensée et a recommandé de la renvoyer au Tribunal pour une nouvelle détermination qui permettrait à l’appelante de [traduction] « mieux exprimer les circonstances pertinentes ».

[37] La division d’appel n’est pas habilitée à tenir des audiences de novo, conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS. Ainsi, je considère n’avoir d’autre choix que de renvoyer cette affaire à la division générale pour que l’on présente la preuve relative à la question du moment précis auquel l’appelante a présenté sa demande de pension d’invalidité à l’intimé.

Conclusion

[38] L’article 59 de la LMEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. Il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une audience de novo soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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