Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

[1] Dans une lettre d’autorisation envoyée aux parties et datée du 7 mars 2016, un membre de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a déterminé que le défendeur avait interjeté appel auprès de la division générale dans le délai prescrit. Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler de cette décision.

[2] Puisque la demande de permission d’en appeler a été présentée après la fin du délai de 90 jours prévu à l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), le demandeur a présenté une demande de prorogation de délai pour présenter la demande en l’espèce.

[3] Pour les raisons qui suivent, j’accorde la prorogation de délai pour présenter cette demande et j’accorde également la permission d’en appeler.

Contexte

[4] Le défendeur a présenté une demande initiale de prestations d’invalidité le 6 mai 2010. Sa demande a été rejetée initialement et lors de la révision. La décision découlant de la révision (GD1-4 à GD1-5) était datée du 27 juillet 2011. Dans la décision, le défendeur a été avisé que sa demande de prestations d’invalidité avait été rejetée et que cette décision avait été fondée sur la conclusion selon laquelle même s’il n’est peut-être plus capable d’exercer son emploi habituel, il aurait quand même été en mesure d’exercer un autre type d’emploi. La décision découlant de la révision avisait également le défendeur de ce qui suit :

[traduction]

Si vous êtes en désaccord avec notre décision

Vous avez le droit d’interjeter appel de cette décision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Si vous décidez d’interjeter appel, vous devez lui écrire dans les 90 jours suivant la réception de cette lettre. [Mise en évidence présente dans le texte d’origine]

[5] Le défendeur a écrit à Service Canada un peu moins de deux ans plus tard, le 22 juillet 2013 (GD1-2), et a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Vous trouvez ci-joint ma demande de prestations d’invalidité du RPC dûment remplie. Cette demande est pratiquement identique à ma demande antérieure qui a été soumise en mai 2010. La demande initiale a été rejetée au départ et après révision. Le délai d’appel pour cette révision a pris fin. Ma compagnie d’assurance (Compagnie d’assurance vie RBC) demande maintenant que je poursuive ma demande à l’aide du processus d’appel.

Veuillez nous aviser si Service Canada accorde la permission d’en appeler de la décision initiale découlant d’une révision ou s’il accueille cette demande de révision une seconde fois. [Mis en évidence par la soussignée]

[6] La deuxième demande de prestations d’invalidité (timbre dateur daté du 28 juillet 2013, GD5-15 à GD5-18) a vraisemblablement été considérée par Service Canada comme étant une demande distincte de prestations d’invalidité. Service Canada a fait parvenir par télécopieur la lettre datée du 22 juillet 2013 au Tribunal le 7 octobre 2013, et elle a été estampillée le 8 octobre 2013 (GD1-1).

[7] Le 28 avril 2014, le défendeur a écrit au Tribunal (GD2-2) pour l’informer de ce qui suit :

[traduction]

J’ai récemment été informé par votre bureau que ma demande de pension d’invalidité du RPC (numéro de client [omis] de Service Canada) a été transmise par Service Canada à la division générale du Tribunal et que vous avez l’intention de rejeter ma demande au motif qu’elle a été présentée hors délai. Votre bureau m’a également conseillé de retirer ma demande et de débuter le processus pour la troisième fois auprès de Service Canada.

Plutôt que de demander immédiatement que mon dossier soit retiré, je demande une prorogation du délai pour interjeter appel, conformément à l’article 25 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (SOR/2013-60). Il s’agit d’une demande qui permettrait au gouvernement d’économiser des ressources : si je devais soumettre encore une fois les mêmes éléments de preuve auprès de Service Canada, leur décision initiale et leur appel devraient être identiques à ceux qui ont déjà été rendus. Il s’agirait d’une répétition inutile.

Si le Tribunal décide de ne pas accorder la prorogation de délai pour présenter l’appel, cette lettre peut alors être considérée comme étant une demande de retrait de l’appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[8] Environ 11 mois plus tard, soit le 26 mars 2015, le personnel du Tribunal a avisé le défendeur que son avis d’appel auprès de la division générale était incomplet et [traduction] « [p]uisque le Tribunal n’a pas reçu les renseignements requis pour régler l’appel, le Tribunal a fermé son dossier [...]. » (GD4-3)

[9] Le 9 avril 2015, le défendeur a envoyé une lettre au Tribunal par télécopieur, dans laquelle il était indiqué qu’il n’était au courant d’aucune demande de renseignements en suspens concernant son appel. Il a fourni son numéro de téléphone et a demandé à recevoir un appel téléphonique [traduction] « aussitôt que cela vous conviendra ». (GD4-2)

[10] Le 20 avril 2015, le personnel du Tribunal a écrit au défendeur pour l’aviser que, bien que certains renseignements avaient été reçus, l’avis d’appel auprès de la division générale demeurait incomplet et le dossier demeurait fermé.

[11] Le 10 juillet 2015, le défendeur a écrit ce qui suit : [traduction] « Pour faire suite à la conversation téléphone que j’ai eu avec votre bureau le 9 juillet 2015, je confirme ce que vous m’avez conseillé, soit que mon appel n’aurait pas dû être rejeté, mais que des renseignements étaient manquants. Vous m’avez maintenant avisé que vous avez besoin que je vous fasse parvenir deux éléments : 1) mon numéro de téléphone; et 2) une déclaration selon laquelle les renseignements fournis sont [...] véridiques. » Le défendeur a fourni les deux éléments dans cette lettre. (GD1A-1)

[12] Le 22 décembre 2015, le personnel du Tribunal a écrit au défendeur pour lui indiquer que le Tribunal avait reçu son avis d’appel complet, confirmant ainsi que l’appel avait été perfectionné lorsque le défendeur avait fourni les renseignements manquants le 10 juillet 2015. Le Tribunal a également signalé que puisque l’appel avait été interjeté plus de 90 jours suivant la date à laquelle la décision de révision lui avait été communiquée, il devrait fournir une explication écrite pour justifier son retard.

[13] Le 21 janvier 2016, le défendeur a écrit au Tribunal pour fournir ses observations à l’appui de sa demande de prorogation du délai pour déposer son appel. Le défendeur a affirmé ce qui suit : [traduction] « Cet appel n’a pas été déposé après le délai de 90 jours suivant la date à laquelle la décision de révision m’a été communiquée. J’ai su que la décision de révision avait été rendue qu’en avril 2014. » (GD6-2) Je note que cette dernière phrase est contraire aux déclarations faites dans sa lettre à l’intention de Service Canada, datée du 22 juillet 2013, dans laquelle il ressort clairement qu’il était au courant de la décision de révision avant avril 2014.

[14] La décision de la division générale relative à la demande de prorogation du délai a été envoyée aux parties en tant qu’approbation contenue dans une lettre provenant du personnel du Tribunal et datée du 7 mars 2016. Dans cette lettre, il était écrit ce qui suit :

[traduction]

À la suite d’une lettre que vous nous avez envoyée le 22 décembre 2015, un membre du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a révisé votre avis d’appel et déterminé que celui-ci avait été soumis dans le délai prescrit pour les motifs suivants :

Le Tribunal a été en mesure de déterminer que l’appelant [c.-à-d. le défendeur dans cette demande] a présenté une lettre à Service Canada, datée du 22 juillet 2013, dans laquelle il interjetait appel. Cette lettre a été envoyée au Tribunal de la sécurité sociale le 7 octobre 2013. Le numéro de téléphone de l’appelant était manquant au dossier, et cette information n’a été ajoutée au dossier que le 22 avril 2014. En raison du fait que son appel datait de deux ans, le Tribunal a avisé l’appelant qu’il fermait le dossier. L’appelant a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer l’appel, conformément à l’article 25 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. L’appelant n’avait reçu aucune communication de la part de Service Canada, et lorsqu’il a téléphoné à Service Canada en avril 2014, on lui a dit que le dossier avait été transféré au Tribunal. Lorsqu’il a communiqué avec le Tribunal, on lui a dit que le Tribunal n’avait aucun de ses documents. C’est à ce moment-là que Service Canada a envoyé le dossier au Tribunal. L’appelant croyait avoir envoyé sa demande d’appel dans le délai prescrit de 90 jours.

Le Tribunal estime qu’il est évident qu’il y a un problème de communication entre l’appelant, Service Canada et le Tribunal. J’estime également que l’appelant avait clairement l’intention d’interjeter appel de la décision et que rejeter son appel constituerait un manquement au droit à la justice naturelle de l’appelant. [Mise en évidence présente dans le texte d’origine]

[15] Le demandeur a présenté cette demande de permission d’en appeler le 12 mai 2016.

Demande de prorogation de délai

[16] Parce que la demande de permission d’en appeler a été présentée plus de 90 jours après la date à laquelle la décision de la division générale a été communiquée au demandeur, je dois déterminer s’il convient d’accorder une prorogation du délai pour présenter sa demande.

[17] Le demandeur soutient, dans ses éléments de preuve, qu’il a reçu la décision de la division générale le 7 mars 2016. (AD1-6, para. 1) Conformément à l’alinéa 57(1)b) de la LMEDS, une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décision rendue par la division générale. L’expiration du délai de 90 jours tombait le 5 juin 2016, et puisqu’il s’agissait d’un dimanche, la date limite était donc la journée suivante, soit le 6 juin 2016 : Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 26. Puisque la demande a été présentée le 12 août 2016, elle a été déposée 67 jours après l’expiration du délai de 90 jours.

[18] Le paragraphe 57(2) de la LMEDS m’habilite à proroger le délai d’un an au maximum à compter du jour où la décision est communiquée au demandeur pour déposer la demande de permission d’en appeler.

[19] Dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, la Cour fédérale a établi quatre facteurs qui devraient être pris en considération pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée :

  1. a) Est-ce que la personne qui demande la prorogation démontre une intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel?
  2. b) La cause est-elle défendable?
  3. c) Le retard a-t-il été raisonnablement expliqué?
  4. d) La prorogation du délai cause-t-elle un préjudice à l’autre partie?

[20] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, la Cour d’appel fédérale convient que ces quatre questions sont pertinentes à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai. La Cour a fait valoir ce qui suit au para. 62 :

Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice [citations omises]. L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » [citations omises]. Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice [...].

[21] Le demandeur affirme que le fait qu’il n’a pas présenté de demande de permission d’en appeler était dû à une erreur administrative et [traduction] « au fait que cela n’a tout simplement pas été effectué, et ce, par inadvertance ». Le demandeur admet qu’il ne s’agit pas d’une explication raisonnable pour justifier le retard, et je suis d’accord. En ce qui a trait à l’intention constante d’interjeter appel, le demandeur note qu’il [traduction] « n’y a eu aucun contact avec la division générale du Tribunal ou la division d’appel du Tribunal permettant de démontrer que le demandeur avait l’intention d’interjeter appel de la décision. » Le demandeur n’a pas indiqué dans ses éléments de preuve qu’il avait une intention constante d’interjeter appel de la décision. Compte tenu de cela, je ne suis pas en mesure de déterminer qu’il y avait une intention constante d’interjeter appel de la décision. En ce qui a trait au préjudice causé au défendeur par une prorogation du délai, la prorogation demandée est de 67 jours. Le demandeur admet que le défendeur pourrait peut-être avoir subi un préjudice. En l’absence de tout élément de preuve à ce sujet, je ne suis pas en mesure de déterminer si le défendeur pourrait subir un préjudice si une prorogation de 67 jours était accordée.

[22] Comme cela est expliqué dans la section suivante, le demandeur a soulevé un certain nombre d’arguments qui se rattachent aux moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la LMEDS, lesquels confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès. Dans le but de déterminer si je devrais accorder une prorogation du délai, j’accorde un poids important à l’ensemble des arguments qui confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès et qui ont été soulevés par le demandeur dans l’appel proposé.

[23] En appliquant les facteurs prévus dans l’affaire Gattellero et en gardant à l’esprit ce que la Cour d’appel fédérale a établi dans l’affaire Larkman, supra, soit qu’il n’est pas nécessaire de répondre à tous les facteurs en facteur du requérant, et qu’une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante, je suis d’avis qu’une prorogation du délai doit être accordée afin de s’assurer que l’intérêt de la justice soit servi.

Compétence de la division d’appel

[24] La décision de la division générale accordant une prorogation du délai pour déposer son appel est une décision interlocutoire puisqu’il reste à déterminer le bien-fondé de l’appel de la décision de révision. Veuillez consulter l’affaire Buck Bros. Ltd. v. Frontenac Builders Ltd., 19 OR (3e) 97, 1994 CanLII 2403 (ON CA).

[25] Je suis au courant d’une seule autre décision dans laquelle la division d’appel a entendu un appel contre une décision interlocutoire de la décision générale : voir la décision Ministre de l’Emploi et du Développement social c. J. P., 2016 TSSDASR 509, dans laquelle des questions identiques à cette demande ont été soulevées.

[26] Je suis également consciente du fait que d’autres membres de la division d’appel ont déterminé qu’une demande de permission d’en appeler d’une décision interlocutoire de la division générale est prématurée, citant Szczecka v. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 No 9425 (CAF) : à titre d’exemple, veuillez consulter l’affaire A. N. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 885, au paragraphe 21 et l’affaire W.F. v. Commision de l’assurance-emploi du Canada, 2016 TSSDA 523. Respectueusement, je ne suis pas du même avis que mes collègues du Tribunal, et je ne suis pas liée à leurs décisions en lien avec leurs conclusions sur cette question.

[27] Dans l’affaire Szczecka, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire, car les réparations disponibles selon le cadre administratif applicable n’ont pas été épuisées. La Cour d’appel fédérale a expliqué ce principe dans l’affaire Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 de la manière suivante :

[30] En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustrée par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point : [omission de la citation].

[31] La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celuici n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés. [Mis en évidence par la soussignée]

[28] Mon interprétation des affaires Powell, Szczecka et d’autres affaires portant sur la même question, est que les tribunaux ont conclu que l’on peut avoir recours aux tribunaux seulement après avoir épuisé toutes les réparations du processus administratif. Ces affaires n’adhèrent pas à la proposition voulant que les décisions interlocutoires ne peuvent pas faire l’objet d’un appel dans un cadre administratif créé par voie législative.

[29] L’article 55 de la LMEDS indique : « Toute décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision e[...]. » [Mis en évidence par la soussignée]. La Cour suprême du Canada a affirmé que les dispositions législatives devraient être lues en donnant aux mots leur sens courant et évident, ce qui concorde avec le contexte et l’objectif du texte législatif dans lequel ils se trouvent : affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.(Re), [1998] 1 RCS 27, aux paragraphes 21 et 22. Si l’on donne à l’article 55 de la LMEDS une interprétation large et généreuse, en tant que partie intégrante du régime législatif conférant qui confère des prestations en vertu du RPC, cet article accorde à la division d’appel une compétence en matière d’appel de décisions interlocutoires et de décisions finales rendues par la division générale.

[30] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit dans un obiter dictum : « s’il est vrai qu’une formation du tribunal n’est pas liée par les décisions de formations antérieures, il est également vrai que cette formation ne devrait pas s’écarter sans raison des décisions antérieures ». Selon ma lecture de la jurisprudence pertinente et selon mon interprétation de l’article 55, j’ai conclu qu’il y a une bonne raison pour s’écarter des décisions de ces membres précédents de la division d’appel qui avaient déterminé qu’un appel d’une décision interlocutoire de la division générale est prématuré.

[31] Compte tenu du recours prévu par l’article 55 de la LMEDS selon lequel « toute » décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel, je conclus que la division d’appel a la compétence pour traiter cette demande de permission d’en appeler ainsi que l’appel sur le fond.

Critère relatif à la demande de permission d’en appeler

[32] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, il n’y a que trois moyens permettant d’interjeter appel d’une décision de la division générale : premièrement, un manquement à la justice naturelle; deuxièmement, une erreur de droit; et troisièmement, une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. L’utilisation du mot « seuls » au paragraphe 58(1) signifie qu’aucun autre moyen d’appel ne peut être accepté : Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100, paragraphe 72.

[33] Conformément au paragraphe 56(1) de la LMEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission. L’exigence relative à l’obtention de la permission d’en appeler devant la division d’appel vise à rejeter les appels qui n’ont aucune chance raisonnable de succès : Bossé c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1142, paragraphe 34, et la permission d’en appeler ne sera accordée que si le demandeur démontre que l’appel a une chance raisonnable de succès selon un des moyens prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS : Belo-Alves c. Canada (Procureur général), CF, supra, aux paragraphes 70 à 73. Dans ce contexte, une chance raisonnable de succès revient à « soulever des motifs défendables qui pourraient éventuellement donner gain de cause à l’appel » : Osaj c. Canada (Procureur général), 2016 CF 115, paragraphe 12.

[34] La question dont je suis saisie relativement à cette demande consiste à déterminer si l’appel du demandeur a une chance raisonnable de succès.

Observations

[35] En ce qui a trait à une erreur relevant de l’alinéa 58(1)a) de la LMEDS, le demandeur soutient que la division générale n’a pas observé des principes de justice naturelle en ne lui donnant pas l’occasion de présenter des observations au sujet de sa demande de prorogation de délai et en concluant que le demandeur n’a fait l’objet d’aucun préjudice en accordant la prorogation. Le demandeur soutient également que, conformément au paragraphe 52(2) de la LMEDS, la division générale n’avait pas la compétence pour proroger le délai de présentation de l’appel plus d’un an après que le défendeur ait reçu la décision.

[36] En ce qui a trait à une erreur relevant de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS, le demandeur soutient que la division générale a commis un certain nombre d’erreurs de droit. Premièrement, le demandeur soutient que la décision de révision a été rendue en vertu de l’ancienne structure juridique (c.-à-d. avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012 c 19, (LECPD)), la LMEDS s’applique à l’appel auprès de la division générale, car la LMEDS était entrée en vigueur lorsque le défendeur a déposé son appel. Compte tenu de cela, le paragraphe 52(2) de la LMEDS gouverne et l’appel du défendeur était frappé de prescription. En outre, le demandeur soutient que puisque le défendeur n’a poursuivi son appel que bien après le changement de législation relativement à la LECPD et qu’il n’a présenté une demande de prorogation de délai que plus de deux ans après que la décision de révision soit rendue, il n’a aucun droit acquis d’application continue des dispositions abrogées du RPC après le 1er avril 2013.

[37] Le demandeur soutient également qu’une prorogation n’est pas une question de droit, et que la division générale se devait de considérer et de soupeser les facteurs prévus dans l’affaire Gattellaro, supra, avant de décider si elle devait exercer sa compétence en acceptant de proroger le délai de dépôt de l’appel. Le demandeur affirme qu’en n’agissant pas de la sorte, la division générale a commis une erreur de droit susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS.

[38] Finalement, le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS en ignorant l’élément de preuve selon lequel l’appel du défendeur a été déposé après l’expiration du délai d’un an imposé par le paragraphe 52(2) de la LMEDS.

Analyse

[39] En ce qui a trait à l’affirmation selon laquelle la division générale n’a peut-être pas observé un principe de justice naturelle en ne demandant pas d’observations de la part du demandeur avant de rendre une décision relative à la demande de prorogation du délai pour déposer un appel, le dossier de la division générale contient une lettre envoyée au demandeur le 22 décembre 2015 (timbre dateur indiquant que le demandeur l’a reçue la même journée), l’on y avait joint une copie de l’avis d’appel et l’on demandait au demandeur de fournir au Tribunal toute documentation liée à la décision de révision. (GD-5-1) La lettre indiquait également ce qui suit :

[traduction]

Remarque : Cet appel est considéré comme en retard, puis qu’il semblerait avoir été déposé après l’expiration du délai prévu par la loi. Si vous souhaitez fournir des observations concernant l’appel déposé en retard, veuillez fournir ces observations ainsi que les documents demandés en vertu de l’article 26 (veuillez vous référer à l’article no 21 ci-dessous). [Mis en évidence par la soussignée]

[40] Compte tenu de cette correspondance, il est évident que le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations à la division générale concernant l’appel déposé en retard. Je conclus que l’appel proposé n’a pas de chance raisonnable de succès selon ce moyen d’appel.

[41] Néanmoins, j’estime que le demandeur a soulevé d’autres motifs d’appel susceptibles de donner à l’appel une chance raisonnable de succès.

[42] Premièrement, l’appel du défendeur n’a été finalisé que le 10 juillet 2015, soit après le 1er avril 2013, date à laquelle le paragraphe 52(2) de la LMEDS est entré en vigueur. Il existe une cause défendable au motif que le paragraphe 52(2) s’appliquait peut-être à l’appel du défendeur auprès de la division générale. Le paragraphe 52(2) de la LMEDS prévoit que la division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel, suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. Cela soulève la possibilité que la division générale ait outrepassé sa compétence lorsqu’elle a accordé la prorogation de délai. J’estime qu’il s’agit là d’un motif d’appel susceptible de donner gain de cause à l’appel proposé.

[43] Deuxièmement, l’approbation du membre de la division générale dont il est mention dans la lettre du personnel du Tribunal datée du 6 mars 2016, ne faisait aucunement référence au paragraphe 52(2) de la LMEDS ou au régime législatif applicable à la prorogation du délai pour déposer un appel. Il n’y avait pas non plus de discussion ou d’analyse afin de déterminer si la prorogation du délai était frappée de prescription dans des circonstances où la décision de révision a été communiquée au défendeur avant le 1er avril 2013, et où l’appel a été déposé bien après l’expiration du délai d’un an, à une date après que la LMEDS soit entrée en vigueur. Cette omission de prendre en considération l’impact du régime législatif pourrait constituer une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS. De plus, le fait que le membre s’est fié sur les conclusions selon lesquelles il y avait [traduction] « un problème de communication entre l’appelant, Service Canada et le Tribunal » et que [traduction] « l’appelant avait clairement démontré qu’il avait l’intention d’interjeter appel de la décision » pourrait constituer une erreur de droit compte tenu du caractère obligatoire du paragraphe 52(2), si l’on présume qu’il s’applique. Ces questions en litige soulèvent des motifs d’appel susceptibles de donner gain de cause à l’appel proposé.

[44] Troisièmement, si l’on présume que le délai d’un an prévu par le paragraphe 52(2) de la LMEDS ne s’appliquait pas à l’appel du défendeur, il aurait néanmoins incombé au membre d’exercer correctement sa discrétion pour accorder une prorogation du délai au-delà des 90 jours prévus par le RPC puisqu’il existait avant que la LECPD n’entre en vigueur. Un membre exerce son pouvoir discrétionnaire de manière inappropriée si des décisions sont rendues sans que les facteurs pertinents ne soient soupesés. En l’espèce, le membre semble n’avoir absolument pas tenu compte des facteurs prévus par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gattellaro, supra, pour aider un décideur à déterminer s’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’accorder une prorogation du délai. Cette omission de considérer et de soupeser ces facteurs donne lieu à une possible erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS. J’estime que cet argument confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[45] Finalement, le demandeur affirme que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans avoir tenu compte de l’élément de preuve selon lequel l’appel a été déposé après le délai d’un an prévu au paragraphe 52(2) de la LMEDS. Bien que le membre ait affirmé que le défendeur croyait avoir envoyé la demande d’appel dans le délai prévu de 90 jours et que le membre semble s’être fondé sur cela pour rendre sa décision, le membre n’a pas mentionné que cette déclaration, faite par le défendeur dans une lettre datée du 21 janvier 2016, était contradictoire aux déclarations faites dans sa lettre datée du 22 juillet 2013. Ainsi, il se peut que la décision du membre ait été fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’elle ne tienne compte des éléments portés à sa connaissance, enfreignant ainsi l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS. J’estime que cela soulève un motif d’appel conférant à l’appel proposé une chance raisonnable de succès.

[46] D’après ce qui précède, j’estime que le demandeur a soulevé plusieurs motifs d’appel susceptibles de donner gain de cause à l’appel proposé. Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès selon au moins un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

Décision

[47] La prorogation du délai pour présenter la demande de permission d’en appeler est accordée.

[48] La demande de permission d’en appeler est accueillie. La décision accordant la permission d’en appeler ne présume bien sûr aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[49] Conformément au paragraphe 58(5) de la LMEDS, la demande de permission d’en appeler est ainsi assimilée à un avis d’appel. Dans les 45 jours suivant la date à laquelle la permission d’en appeler est accordée, les parties peuvent a) soit déposer des observations auprès de la division d’appel, b) soit déposer un avis auprès de la division d’appel précisant qu’elles n’ont pas d’observations à déposer : article 42 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[50] Le demandeur a présenté des observations dans lesquelles il demande que l’appel soit instruit par téléconférence, dans le cas où la demande de permission d’en appeler soit accueillie. Avec ses observations sur le bien-fondé de l’appel, le défendeur voudra peut-être présenter également des observations concernant le mode d’audience à privilégier pour l’instruction de l’appel (ex. téléconférence, vidéoconférence, par écrit ou en personne).

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