Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

Représentante de l’appelante : Alexandra Victoros (avocate), B. Kordasiewicz (avocate – observatrice)

Représentante de l’intimée : Amanda De Bruyne (parajuriste), Dale Randell (avocat – observateur), Natalie Pruneau (parajuriste – observatrice), Sarah Potechin (parajuriste - observatrice)

Introduction

[1] Il s’agit de l’appel de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canda (Tribunal) datée du 20 janvier 2016, dans laquelle il est conclu que la demanderesse était inadmissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, puisque le membre a jugé qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité «  grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, le 31 décembre 2013. J’ai accordé la permission d’en appeler, au motif que, en concluant au paragraphe 32 de sa décision que l’appelante «  dormait raisonnablement et se réveillait revigorée », la division générale aurait pu fonder sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[2] Étant donné la complexité des questions de droit concernées et la disponibilité d’installations de vidéoconférence, et à la demande de l’appelante, l’appel sera instruit par vidéoconférence, conformément à l’alinéa 21b) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement).

Questions en litige

[3] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a fait valoir que la division générale, en n’appliquant pas les principes établis dans la jurisprudence suivante, a commis plusieurs erreurs de droit :

  • a) Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 RCF, 2001 CAF 248, et Garrett c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 84;
  • b) Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47;
  • c) Kambo c. Ministre du Développement des ressources humaines, 2005 CAF 353.
[4] À l’étape de la permission d’en appeler, je n’étais pas convaincue que l’appelante avait présenté une cause selon laquelle l’appel avait une chance raisonnable de succès au motif que la division générale avait commis une erreur de droit. L’appelante soutient qu’elle devrait néanmoins être autorisée à examiner et à aborder ces questions de nouveau. Quoi qu’il en soit, elle prétend que la conclusion de fait erronée de la division générale a mené à une erreur de droit, ce qui lui permet ainsi d’aborder d’autres erreurs de droit que la division générale aurait commises.

[5] Par conséquent, les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  • a) Quelle est la portée de cet appel?
  • b) La division générale a-t-elle fondé ses conclusions sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  • c) Si je devais conclure qu’il existe une vaste portée en l’espèce ou si la division générale a rendu une conclusion de fait qui a mené à une erreur de droit, la division générale a-t-elle omis d’appliquer l’arrêt Kambo?
  • d) Quelle décision convient-il de rendre dans cette affaire?

Portée de l’appel

[6] L’appelante reconnaît que la division d’appel a l’expertise et qu’elle a le droit d’interpréter sa loi constitutive pour déterminer la portée de l’appel dont elle est saisie au titre de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). Les paragraphes 58(2) et 58(3) du LMEDS prévoient ce qui suit :

  1. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.
  2. (3) Elle accorde ou refuse cette permission.

[7] L’appelante soutient que la division d’appel aurait dû résoudre toute ambigüité dans la LMEDS en faveur d’un prestataire et qu’elle aurait dû, conformément aux principes d’interprétation des lois et à la jurisprudence applicable, abandonner une «  approche chirurgicale » pour évaluer les demandes de permission d’en appeler. L’appelante soutient également que, étant donné qu’on a désigné un moyen d’appel, la division d’appel devrait apprécier tous les moyens d’appel. Ces motifs comprennent ceux dont la demande de permission d’en appeler n’avait pas soulevé une cause défendable ainsi que de nouveaux moyens d’appel qui pourraient être soulevés pour la première fois à la suite de l’accord de la permission d’en appeler. L’appelante fait valoir que la division d’appel devrait adopter une interprétation large, libérale et généreuse de l’article 58 de la LMEDS, car cela serait conforme à l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.c., 1985, ch. I-21, et aux principes fondamentaux énoncés dans les arrêts Villani et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.c.S. 27.

[8] L’article 12 de la Loi d’interprétation prévoit ce qui suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[9] L’appelante souligne que, dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les tribunaux canadiens se sont montrés soucieux de donner une interprétation libérale aux soi-disant «  lois à caractère social » qui comprennent le Régime de pensions du Canada et la LMEDS. Au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a examiné la jurisprudence à cet égard en déclarant ce qui suit :

[traduction]

[27] Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.c.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême a insisté sur le fait que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de l’ambigüité des textes doit se résoudre en faveur du demandeur. Cette approche interprétative des dispositions législatives a été conçue pour veiller à ce qu’un avantage à caractère social soit adopté dans un certain nombre d’arrêts de la Cour suprême portant sur la Loi sur l’assurance emploi, 1971 (voir Abrahams c. P.G. Canada, 1983 CanLII 17 (CSC), [1983] 1 R.c.S. 2; Hills c. Canada (P.G.), 1988 CanLII 67 (CSC), [1988] 1 R.c.S. 513; Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada) c. Gagnon, 1988 CanLII 48 (CSC), [1988] 2 R.c.S. 29; Caron c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), 1991 CanLII 108 (CSC), [1991] 1 R.c.S. 48).

[10] Dans l’affaire Canada (Procureur général) v. Tsagbey, 2017 CF 356, la Cour fédérale a souligné que le paragraphe 58(3) de la LMEDS prévoit que la division d’appel accorde ou refuse la permission d’en appeler et qu’elle ne permet pas [traduction] «  en soir » de limiter la portée de l’appel si la permission d’en appeler est accordée. La Cour a conclu que la LMEDS prévoit seulement un résultat sans admissibilité. Au même moment, la Cour a déclaré que rien dans la LMEDS ne laissait entendre qu’il était interdit à la division d’appel de limiter la portée de l’appel. En fin de compte, la Cour a conclu qu’on devrait laisser l’occasion au processus administratif d’avoir lieu avant de présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a été renvoyé à la décision L.G.C. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 89, selon laquelle, si l’appelante dans cette affaire devait demander un contrôle judiciaire relativement à la décision de la division d’appel, la Cour d’appel fédérale serait en mesure d’examiner le raisonnement de la division d’appel et l’interprétation de la LMEDS pour déterminer le caractère raisonnable de la décisionNote de bas de page 1.

[11] L’appelante fait valoir que la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une approche large et libérale est raisonnable. Dans l’arrêt Mette c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était raisonnable que la division d’appel dans cette affaire ait interprété le paragraphe 58(2) de la LMEDS de façon à permettre l’examen de l’ensemble des motifs soulevés parce que l’ordonnance accordant la permission d’en appeler n’était pas particulièrement limitée aux motifs pour lesquels on avait conclu qu’ils conféraient à l’appel une chance raisonnable de succès. Selon la décision de la division d’appel, «  la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada est accordée ». La Cour d’appel fédérale a souligné que le libellé du paragraphe 58(2) de la LMEDS ne prévoit pas que les motifs d’appel individuels doivent être rejetés. La Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit : «  En effet, les différents moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient impossible de les analyser distinctement, et un motif défendable suffit donc à motiver l’octroi d’une permission d’en appeler. »

[12] L’appelante soutient également qu’il est évident selon la jurisprudence applicable que la division d’appel doit adopter une approche libérale lorsqu’elle interprète sa loi constitutive. Par exemple, elle cite les arrêts Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242 et Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274, dans lesquels la Cour d’appel fédérale a rejeté toute notion selon laquelle la division d’appel devrait effectuer une analyse de la norme de contrôle ou qu’elle devrait appliquer une norme de décision raisonnable aux questions de fait ou aux questions mixtes de droit et de fait.

[13] L’appelante cite également l’affaire Karadeolian c. Canada (Procureur général), 2016 CF 615 et Griffin c. Canada (Procureur général), 2016 CF 874. La Cour fédérale a avisé la division d’appel de faire attention à l’application mécaniste ou routinière du libellé de l’article 58 de la LMEDS au moment d’exercer une fonction de contrôle et que, au contraire, elle devrait examiner le dossier sous-jacent et déterminer si la décision ne tenait pas adéquatement compte de la preuve. Dans l’affaire Karadeolian, la Cour a déclaré que la division d’appel devrait examiner la preuve médicale et la comparer avec la décision faisant l’objet d’un examen. La Cour a conclu que, si des éléments de preuve importants sont probablement ignorés ou possiblement mal interprétés, la permission d’en appeler devrait être accordée malgré la présence de failles techniques dans la demande de permission. Je souligne que la Cour a également adopté cette approche dans l’affaire Eby v. Canada (Procureur général), 2017 CF 468, au paragraphe 35, Hideq v. Canada (Procureur général), 2017 CF 439, au paragraphe 14, et Joseph v. Canada (Procureur général), 2017 CF 391, aux paragraphes 43 et 44.

[14] En revanche, l’intimé est d’avis que la division d’appel ne peut pas apprécier l’ensemble des questions figurant dans la permission d’en appeler, car celle-ci a été accordée en fonction d’un moyen ou d’une question seulement. L’intimé soutient que la division d’appel a effectivement agi ainsi en invitant les parties à présenter des observations qui portaient seulement sur une question et parce qu’elle a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès en ce qui concernant les autres questions soulevées par l’appelante. Il s’agit d’une formulation semblable à celle utilisée dans la décision L.G.C.

[15] L’intimé prétend que la limitation de la portée de l’appel à l’étape de la permission d’en appeler est dans l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires et de la justice naturelle. L’intimé souligne que la norme à respecter est beaucoup plus inférieure à l’étape de la permission d’en appeler et que si, à cette étape, un motif particulier ne parvient pas à satisfaire à un seuil de succès inférieur, le réexamen du même motif à l’étape de l’appel constituerait un [traduction] «  gaspillage des ressources judiciaires », car ce motif ne conférerait pas à l’appel une meilleure chance de succès lorsqu’une partie présent habituellement sa meilleure cause. À cet égard, l’intimé se fonde sur l’affaire Tsagbey, dans la mesure où la Cour fédérale a déclaré que rien dans la LMEDS ne donne à penser qu’il est interdit à la division d’appel de limiter les motifs.

[16] L’intimé laisse entendre que, à moins que la LMEDS ou le Règlement autorise précisément la division d’appel à revenir sur un moyen d’appel qui n’a pas été accueilli à l’étape de la permission d’en appel, il est interdit d’autoriser la division d’appel à le faire, au motif que, une fois la permission d’appel accordé, le motif est dessaisi. L’intimé souligne que, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. O’Keefe, 2016 CF 503, au paragraphe 26, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :

[26] La Loi ne confère pas à la DA-TSS le pouvoir légal de porter en appel ou de réviser ses propres décisions finales et exécutoires concernant une demande de permission d’en appeler ni par l’entremise d’un autre mécanisme d’appel existant. En décidant d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler, la DA-TSS se trouve dessaisie à l’égard de cette décision en vertu de l’article 58 de la LMEDS.

[17] L’intimé souligne que la division d’appel a interprété l’affaire O’Keefe de façon limitée, ce qui a fait en sorte qu’elle n’a pas revisité les questions ou les motifs d’appel s’il avait déjà été conclu à l’étape de la permission d’en appeler que les motifs d’appels particuliers ne soulevaient pas une cause défendable : H.M. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 988, au paragraphe 3; Ministre de l’Emploi et du Développement social c. S.D., 2016 CanLII 59173 (TSS), aux paragraphes 18 à 21, et plus récemment L.G.C.En citant la décision L.G.c., l’intimé soutient que le fait d’invoquer à nouveau des motifs d’appel à cette étape serait semblable à la réouverture de la décision relative à une demande de permission d’en appeler alors que le seul processus d’appel convenable est une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[18] L’appelante soutient que l’affaire O’Keefe ne s’applique pas, car la Cour fédérale a établi une distinction par rapport à cette décision dans l’affaire Tsagbey. J’estime que ce n’est pas le cas étant donné que, comme je l’ai mentionné précédemment, la Cour fédérale a conclu que la Cour d’appel fédérale serait mieux placée pour être saisie de l’affaire après avoir eu l’avantage d’examiner le raisonnement complet de la division d’appel sur la question de la portée de l’appel. Si la Cour fédérale avait conclu dans l’affaire Tsagbey que l’affaire O’Keefe était définitive relativement à cette question, il aurait été complètement incohérent et contradictoire que la Cour conclue qu’il faudrait laisser la chance au processus administratif d’avoir lieu avant de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[19] Même si je suis d’avis que la Cour fédérale n’a pas fait une distinction par rapport à l’affaire O’Keefe, je ne suis pas convaincue néanmoins que l’affaire O’Keefe empêche la division d’appel de tenir compte des questions ou des moyens d’appel, et ce même si la permission d’en appeler n’avait pas été accordée sur le fondement de ces questions ou motifs. Tout comme c’était le cas dans l’affaire Tsagbey (où il était question de l’appelante), en ce qui concerne le fondement sur l’affaire O’Keefe, l’intimé cherche essentiellement à attaquer les motifs de la division d’appel, et non la décision finale. Mme Tsagbey a contesté la demande de contrôle judiciaire en faisant valoir qu’il n’y avait aucun fondement pour effectuer le contrôle judiciaire des motifs d’un tribunal à moins qu’une partie cherchait à obtenir une décision différente de la part du Tribunal. Mme Tsagbey s’est fondée sur les arrêts GKO Engineering – A Partnership c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 73, 268 NR 383, [2001] ACF no 3688, aux paragraphes 2 et 3, et Rogerville c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 142, [2001] ACF no 692, au paragraphe 28.

[20] Dans cette affaire, la demanderesse, GKO Engineering, a cherché à retirer certains paragraphes du dossier de l’intimée qui portaient sur des questions que la demanderesse n’avait pas soulevées dans son avis de demande de contrôle judiciaire ou dans son dossier de demande. La demanderesse a fait valoir que, pour soulever ces questions, l’intimée aurait dû présenter sa propre demande de contrôle judiciaire, ce qu’elle n’avait pas fait. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande en concluant que, à moins que l’intimée cherchait à obtenir une différente décision dans son ensemble, rien ne motivait une demande de contrôle judiciaire.

[21] Dans l’affaire Tsagbey, la Cour fédérale a déclaré qu’il était injustifié d’attaquer les motifs de la décision d’appel au lieu de la décision. Au paragraphe 55, il est déclaré ce qui suit :

[traduction]

[55] Le libellé de la loi est clair à l’effet qu’il existe seulement trois moyens d’appel et que l’appel est soit accueilli soit rejeté. Par conséquent, étant donné que le procureur général ne cherche pas à obtenir une décision différente de la Cour, la demande n’a aucun fondement pour présenter une demande de contrôle judiciaire avant la fin de la procédure d’appel : GKO Engineering, précité, au paragraphe 3.

[22] Par conséquent, je n’adhère pas à l’interprétation faite par l’intimée de l’affaire O’Keefe selon laquelle le recours de l’appelante est de chercher à obtenir le contrôle judiciaire de la décision relative à une demande de permission d’en appeler si elle n’est pas d’accorder avec les motifs. Selon l’affaire Tsagbey, le cours approprié pour un appelant est la présentation devant la Cour d’appel fédérale d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision sur le fond de l’affaire, y compris toute décision sur la portée de l’appel.

[23] Les tribunaux ont reconnu que la division d’appel est un tribunal spécialisé ayant l’expertise pour trancher les questions dans la portée de sa compétence d’appel et de sa loi dominante. L’intimé fait valoir que la division d’appel a déjà conclu que la portée d’appel est restreinte : H.M., S.D. et L.G.C.Dans la décision L.G.c., mon collège a déclaré ce qui suit :

[36] [J]e ne constate rien dans les dispositions législatives ou la nouvelle jurisprudence qui empêche la division d’appel de limiter la portée d’un appel lorsqu’il passe de l’étape de l’examen de la permission d’en appeler à celle de l’examen sur le fond. J’accepte les observations de l’intimé et je conviens que le mécanisme de la permission d’en appeler a été conçu pour assurer une mesure de l’efficacité au sein de la division d’appel en lui offrant un outil visant à écarter les motifs futiles et à ainsi tenir des audiences complètes portant seulement sur les questions importantes.

[24] Mon collègue a fait remarquer que, contrairement à l’arrêt Mette, il avait explicitement et délibérément limité les motifs d’appel à l’étape de la permission d’en appeler. Étant donné qu’il avait limité explicitement les motifs d’appel à l’étape de la permission d’en appeler, il n’a pas abordé précisément les observations de l’intimé concernant l’affaire O’Keefe. Dans sa décision relative à la demande de permission d’en appel, il avait accordé la permission d’en appeler de la façon suivante : [traduction] «  J’accorde permission d’en appeler selon les cinq motifs présentés par la demanderesse selon lesquels la division générale a commis une erreur de droit. » En faisant remarquer que, dans l’arrêt Mette, la Cour fédérale avait conclu que le paragraphe 58(2) [traduction] «  ne prévoit pas le rejet de chacun des moyens d’appel », il a conclu que l’article [traduction] «  n’empêche pas cette action non plus » et que l’intention du paragraphe 17 était de reconnaître que la LMEDS accorde un pouvoir discrétionnaire à la division d’appel afin qu’elle puisse gérer chaque motif comme bon lui semble. Il s’agit de deux points avec lesquels la Cour fédérale était d’accord dans l’affaire Tsagbey. Mon collègue a conclu qu’une lecture contextuelle de la formulation utilisée par la Cour dans l’arrêt Mette laissait entendre qu’elle cautionnait en fait la décision finale concernant les motifs individuels à l’étape de la permission d’en appeler, point que la Cour fédérale a refusé d’aborder dans l’affaire Tsagbey étant donné que la demande dont elle était saisie était prématurée.

[25] L’appelante fait valoir que le membre de la division d’appel dans la décision L.G.C.a outrepassé sa compétence en utilisant une formulation restrictive et en limitant les motifs d’appel. Elle soutient que, après avoir accordé la permission d’en appeler, la division d’appel a outrepassé sa compétence en limitant la portée de l’appel. À cet égard, elle convient qu’il n’est pas pertinent de savoir si, en l’espèce, je pourrais avoir l’intention de limiter la portée de l’appel, car j’aurais outrepassé également ma compétence au titre du paragraphe 58(3) de la LMEDS.

[26] Je ne suis pas convaincue par ces observations particulières, car elles donnent à penser qu’il est toujours interdit à la division d’appel de limiter la portée d’un appel, alors qu’il pourrait y avoir des circonstances dans lesquelles cela est très souhaitable. La LMEDS aurait sûrement été rédigée de cette manière si cela avait été l’intention. Mes conclusions à cet égard correspondent à celle de mon collègue dans la décision L.G.c., mais celui-ci n’a pas abordé la question plus vaste de savoir si la division d’appel est dessaisie quant à ces motifs, à savoir les questions constitutives, après l’accord de la permission d’en appeler s’il n’est pas apparent que la portée de l’appel a été limitée.

[27] Par le passé, la Cour d’appel fédérale a laissé entendre que la Commission d’appel des pensions avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la portée de l’appel dont elle était saisie. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ash, 2002 CAF 462, la Cour d’appel fédérale a accepté que la Commission d’appel des pensions pouvait établir des conditions dans lesquelles elle avait accordé la permission d’en appeler.

[28] Les audiences devant la Commission d’appel des pensions étaient instruites de novo, mais les appelants devaient toujours demander la permission d’en appeler. Le libellé régissant la permission d’en appeler devant la Commission d’appel des pensions, selon le Régime de pensions du Canada, était semblable au libellé régissant la permission d’en appeler devant la division d’appel selon la LMEDS, à savoir que les deux seules options étaient d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler.

[29] Précédemment, l’article 83 du Régime de pensions du Canada prévoyait ce qui suit :

83. Appel à la Commission d’appel des pensions – (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

(2) Décision du président ou du vice-président - Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

[…]

(3) Permission refusée – La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

(4) Permission accordée – Dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

[30] De prime à bord, l’article 83 du Régime de pensions du Canada (dans sa version antérieure au 1er avril 2013) ne permettait pas à la Commission d’appel des pensions de restreindre la portée de l’appel, mais la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Ash, que la Commission avait l’autorisation de le faire. Dans cette affaire, la Commission avait accordé la permission d’en appeler en utilisant la formulation suivante : [traduction] «  L’autorisation d’en appeler à la Commission d’appel des pensions est, en ce jour, accordée à l’égard seulement des questions suivantes : [...] » (mis en évidence dans l’original) et dans sa décision où elle a déclaré ce qui suit après avoir cité la raison accordant la permission d’en appeler : [traduction] «  L’appel est par conséquent limité à la question de savoir si [...] » Même si la question dont était saisie la Cour d’appel fédérale était celle de déterminer si l’objet de l’appel dont elle était saisie, la Cour a néanmoins acceptait que la Commission avait la compétence de déterminer la portée de l’appel dont elle était saisie.

[31] Si un membre de la division d’appel a recours à un langage inapproprié pour refléter ses intentions, je ne vois aucune raison pour laquelle il ne peut pas, comme moyen de gestion de chaque question, limiter la portée de l’appel dans des situations appropriées pour une raison quelconque qu’il estime justifiable ou pour une raison quelconque qui est dans l’intérêt de la justice. Cela étant dit, je suis d’avis que la division d’appel devrait être prudente quant à la limitation mécanique ou routinière de la portée de l’appel dont elle est saisie. Après tout, comme l’appelante le souligne bien, il est évident selon la jurisprudence établie que la division d’appel devrait adopter une approche adéquate, large et libérale pour interpréter la LMEDS. Le Tribunal devrait être guidé par ce principe et il devrait éviter de limiter superficiellement la portée d’un appel.al.

[32] Même si l’intimé laisse entendre qu’il n’y a aucun fondement pour revenir sur les moyens d’appel à moins que ce soit prévu précisément dans la loi, je souligne que cette position est peu appuyée par l’interprétation de la LMEDS par la Cour. Dans l’arrêt Maunder, la Cour d’appel fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire dans le cadre d’une affaire dans laquelle la division d’appel avait rejeté la demande du représentant de Mme Maunder de répondre aux observations présentées par le ministre de l’Emploi et du Développement social du Canada. La division d’appel avait conclu que le Règlement ne prévoyait pas un droit de réponse aux observations de l’autre partie. Dans cette affaire, le membre de la division d’appel a rendu sa décision sur la foi du dossier écrit sans préavis et avant que la représentante de Mme Maunder ait reçu les observations du ministre. Les parties ont convenu que la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie et que l’affaire devait être renvoyée à la division d’appel aux fins de réexamen. La Cour a renvoyé l’affaire à la division d’appel aux fins de réexamen [traduction] «  après la réception de toutes les observations nécessaires ». Il était évident que, même si ni la LMEDS ni le Règlement ne prévoyaient expressément un droit de réponse, cela n’empêchait pas une partie de formuler une réponse.

[33] J’estime qu’il n’est pas nécessaire pour la LMEDS de prévoir expressément une portée d’appel [traduction] «  ouverte » afin que la division d’appel adopte une portée d’appel élargie qui va au-delà des questions pour lesquelles il a été conclu qu’il existe une cause défendable à l’étape de la permission d’en appeler. Par conséquent, dans les situations où le membre de la division d’appel n’a pas l’intention de limiter et qu’il ne se limite pas expressément aux questions en litige, s’il n’y aucun autre motif convaincant, à l’étape de l’appel, la division d’appel doit permettre à un appelant de retourner aux questions mentionnées dans la demande initiale de permission d’en appeler, et ce même si celles-ci ne soulevaient pas nécessairement une cause défendable à l’étape de la permission d’en appeler. Cela ne devrait pas être considéré comme une occasion pour l’appelant de simplement revenir sur les mêmes arguments. Il doit compléter ses observations formulées à l’étape de la permission d’en appeler. Après tout, s’il se fonde seulement sur les mêmes observations formulées à l’étape de la permission d’en appeler, celles-ci seront probablement jugées comme étant sans fond à l’étape de l’appel et seront probablement rejetées.

[34] Dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, je n’ai utilisé aucune formulation restrictive. J’ai cerné deux questions où je n’étais pas [traduction] «  convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès » et une autre question où je ne voyais aucune raison d’intervenir dans l’appréciation de l’affaire par la division générale selon les faits portés à ma connaissance. J’ai accordé la permission d’en appeler en fonction d’une question pour ainsi conclure que [traduction] «  la demande de permission d’en appeler est accueillie » sans mentionner quoi que ce soit à propos de la portée de l’appel.

[35] En ce qui concerne la question pour laquelle j’ai accordé la permission d’en appeler, j’ai déclaré que les parties doivent fournir des observations à l’égard de la question de savoir si la division générale avait mal interprété la preuve. L’intimé laisse entendre que, lorsque j’ai déclaré aux parties qu’elles devaient formuler des observations sur cette brève question, cela a limité la portée de l’appel. Cependant, mon intention était d’attirer l’attention des parties vers cette question particulière. Je n’étais pas prête à accorder la permission d’en appeler en fonction des autres questions, car je n’étais pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès au motif que la division générale avait commis une erreur de droit. Néanmoins, j’ai abordé chaque question en fonction de ce motif pour signaler qu’elles étaient intrinsèquement faibles et qu’elles n’avaient pas un fondement crédible pour que l’appel soit accueilli selon les éléments portés à ma connaissance. Par exemple, j’ai conclu que l’appelante n’avait pas cerné entièrement et suffisamment une preuve qui expliquerait la raison pour laquelle elle ne suivait pas plusieurs recommandations de traitement. Je souligne que, pour faire valoir que la portée de l’appel n’est pas limitée, l’appelante a fourni plus de détails sur la question relative au fait qu’elle n’a pas suivi les recommandations de traitement. En harmonie avec mes conclusions ci-dessus, il convient que je revienne sur cette question particulière et que je la réexamine, et ce malgré le fait que j’ai conclu qu’elle n’a pas soulevé une cause défendable à l’étape de la permission d’en appeler.

Moyens d’appel

(i) Conclusions de fait erronées – conduite du sommeil de l’appelante

[36] La division générale a conclu que la preuve médicale était insuffisante pour établir que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 32 de son analyse :

[32] La preuve médicale devrait être suffisante pour permettre de conclure que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPc. La preuve médicale doit avoir un lien avec la date de fin de la période minimale d’admissibilité. Selon la preuve médicale présentée, depuis qu’elle prend des médicaments, l’appelante n’a subi aucune crise d’épilepsie. Puis, en mai 2014, son état de santé était stable, à tel point que le neurologue a appuyé sa demande pour obtenir de nouveau son permis de conduire. Le résultat du tomodensitogramme crânien qu’a subi l’appelante s’est avéré tout à fait normal. D’après une note médicale du 1er mai 2014, l’appelante dormait raisonnablement et se réveillait revigorée. La note indiquait également que l’appelante «  pense » qu’elle a subi une poignée de crises nocturnes au cours des derniers mois. Aucun rapport médical ne figure au dossier pour étoffer la preuve de l’appelante selon laquelle l’appelante souffrait quotidiennement de fréquentes crises d’absence. Aucun rapport médical ne permet d’étayer le fait que l’appelante souffre d’une dépression sévère qui l’empêche de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Les seules limitations inscrites dans les rapports médicaux émanent du médecin de famille qui indique que l’appelante ne peut continuer à travailler en tant que chauffeuse d’autobus scolaire en raison des préoccupations au sujet de son permis de conduire. Le Tribunal conclut que la preuve médicale objective est insuffisante pour démontrer que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC à la fin de la période minimale d’admissibilité et de manière continue par la suite.

[37] L’appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu que l’appelante «  dormait raisonnablement et se réveillait revigorée ». La division générale s’est fondée sur une saisie datée du 1er mai 2014 dans les dossiers cliniques du médecin de famille (GD3-43). Bien que la citation soit exacte, l’appelante fait valoir que l’expression est prise hors de son contexte et qu’elle interprète mal la preuve concernant la conduite du sommeil de l’appelante dans son ensemble. L’appelante soutient que la division générale a donné l’impression que le sommeil de l’appelante était suffisant et qu’il lui permettait de se sentir revigorée en ignorant le fait qu’elle devait prendre un somme chaque jour en après midi. L’appelante fait valoir que, par conséquent, la division générale a conclu de ce fait ainsi que d’autres facteurs qu’elle était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[38] Voici la saisie clinique dans son ensemble :

[traduction]

La patiente dort suffisamment la nuit (de 21 h 30 à 6 h environ) et se sent assez reposée au réveil, mais elle a besoin d’une sieste d’environ une heure en après-midi pour pouvoir se rendre à la fin de la journée. Cette habitude de faire des siestes est complètement nouvelle pour elle (GD3 43).

[39] Dans une entrée ultérieure datée du 23 mai 2014, le médecin de famille a déclaré ce qui suit :

Elle souligne qu’elle fait des siestes quotidiennement et que ce répit est devenu essentiel à son fonctionnement (GD3-44).

[40] L’appelante souligne que la conjonction [traduction] «  mais » dans la saisie du 1er mai 2014 est important, car elle joint deux points opposés. Elle laisse entendre qu’elle aurait été incapable de continuer à fonctionner pendant le reste de la journée sans prendre une sieste quotidienne. L’appelante fait valoir que le fait que la division générale n’a pas tenu compte de ses siestes est semblable à la déclaration erronée concernant la preuve dans l’affaire Murphy c. Canada, 2016 CF 1208.

[41] Au paragraphe 32 de l’affaire Murphy, la Cour fédérale a déclaré qu’une [traduction] «  malentendu important » s’est produit lorsque la division générale a conclu que [traduction] «  la preuve démontre également que [Mme Murphy] a été capable de travailler pendant de nombreuses années et de fréquenter l’école après la date de fin de la PMA » [mis en évidence par la soussignée]. La Cour fédérale a également conclu que la conclusion était d’une importance essentielle parce qu’il s’agissait d’une déclaration erronée sur la nature de la capacité de Mme Murphy à travailler et qu’il était impossible de fonder cette déclaration sur la foi du dossier étant donné qu’on disait le contraire dans celui-ci. La Cour fédérale a conclu qu’ [traduction] «  il n’y avait en fait aucune preuve selon laquelle [Mme Murphy] a été capable de travailler pendant une seule année, à l’exception de la conclusion relative aux [traduction] «  nombreuses années » du TSS DG. Les faits en l’espèce n’appuient pas la conclusion selon laquelle elle a été capable de travailler pendant de nombreuses années ».

[42] L’appelante soutient que l’erreur de la division générale dans cette procédure porte sur la question de son employabilité, à savoir que sa sieste quotidienne affecte sa capacité à détenir «  régulièrement » une occupation véritablement rémunératrice. Elle fait valoir que l’entrée du 23 mai 2014 dans laquelle il est déclaré «  Elle souligne qu’elle fait des siestes quotidiennement » confirme qu’elle fait des siestes tout au long de la journée (et non seulement une sieste par jour). Elle soutient que ses siestes tout au long de la journée signifient qu’elle est incapable de travailler autant qu’il le faudrait et qu’elle est incapable de se présenter au travail de façon prévisible. Par conséquent, elle est atteinte d’une invalidité grave : Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187; Chandler c. Ministre du Développement des ressources humaines (25 novembre 1996), CP4040, au paragraphe 6; Gallant c. Ministre du Développement des ressources humaines (25 juin 1998) CP00612, aux paragraphes 2 et 3.

[43] L’intimé fait valoir que la division générale n’était pas tenu de renvoyer à l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, car il est présumé qu’elle a examiné l’ensemble de la preuve. Cependant, en l’espèce, l’intimé souligne que la division générale avait en fait renvoyé au témoignage de vive voix de l’appelante selon lequel elle devrait [traduction] «  trouver un patron qui l’autoriserait à faire une sieste en après-midi, et sa présence ne serait pas régulière ». L’intimé souligne également que la division générale a déclaré au paragraphe 14 que l’appelante [traduction] «  fait maintenant une sieste chaque jour ». L’intimé fait valoir que, même si la division générale pourrait ne pas avoir décrit de manière approfondie les habitudes de l’appelante concernant ses siestes, les motifs fournis par la division générale sont suffisants. L’intimé soutient qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 18.

[44] L’intimé soutient également que la Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’est pas tenu de fournir une appréciation détaillée de l’ensemble de la preuve et qu’une décision est adéquate à moins que les motifs montrent une omission de débattre la preuve à un degré tel qu’aucune personne ne peut comprendre comment le décideur en est arrivé à cette décision ou rempli son mandat : Yantzi c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 193.

[45] L’intimé convient qu’il est évident que la division générale était consciente du fait que l’appelait faisait une sieste l’après-midi et que, par conséquent, la décision est suffisante. Mis à part cette décision, l’intimé soutient qu’il est plus important de souligner que le comportement de l’appelante concernant les siestes n’était pas le seul renseignement sur lequel la division générale s’est fondée pour en venir à sa décision. Je souligne qu’il s’agit d’un facteur important dans l’arrêt Yantzi, dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[5] Lorsqu’il a relevé les éléments de preuve médicale démontrant que l’état de M. Yantzi ne satisfaisait pas aux critères juridiques de la gravité, le Tribunal a tenu compte d’éléments de preuve contradictoire, quoique brièvement : voir les motifs du Tribunal, aux paragraphes 69 et 77. Dans certains cas, cette manière de traiter la preuve peut s’avérer insuffisante. Toutefois, en l’espèce, le Tribunal avait d’autres raisons de conclure sur le fondement des éléments de preuve que le critère relatif aux prestations n’avait pas été rempli, notamment le défaut de faire des démarches suffisantes pour tenter de trouver un emploi convenable dans les circonstances de l’espèce où des éléments de preuve démontraient que M. Yantzi avait une certaine capacité de travailler : voir les motifs du Tribunal, aux paragraphes 80 et 81.

[46] Dans l’instance dont je suis saisie, la division générale avait, par exemple, également tenu compte du suivi des recommandations de traitement par l’appelante et de la question de savoir si elle avait déployé des efforts pour se recycler ou trouver un autre emploi. Autrement dit, la division générale n’a pas fondé sa décision seulement sur le fait que l’appelante se réveillait en se sentant assez reposée.

[47] La division générale était consciente des habitudes de la demanderesse à l’égard des siestes. Elle y a fait référence aux paragraphes 14 et 17 de la section relative à la preuve, mais le membre n’a pas abordé cette preuve. Il est évident que la division générale a fondé sa décision en partie sur les deux entrées dans les dossiers cliniques, et ce malgré le fait qu’elles ont été produites plusieurs mois après la fin de la période minimale d’admissibilité. La division générale a conclu que la demanderesse n’était pas atteinte d’une invalidité grave, en partie parce qu’elle «  dormait raisonnablement et se réveillait revigorée ».

[48] Bien que je sois d’accord avec l’intimé qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve dont il est saisi afin de fournir des motifs exhaustifs, un décideur doit également énoncer la preuve d’une manière qui décrit exactement la vraie nature et signification. Il aurait été préférable que la division générale ait souligné que l’appelante devait faire une sieste quotidienne en après-midi, car cela aurait fourni une meilleure compréhension de l’état et des limitations de l’appelante.

[49] Toutefois, même si la division générale n’a pas mentionné les siestes de l’appelante dans son analyse, j’estime que cela n’a pas causé ainsi un [traduction] «  malentendu important » concernant la preuve dans la même nature que ce qui a été établi dans l’affaire Murphy, car rien ne démontre que les siestes quotidiennes en après-midi, même si la division générale les avait mentionnées, étaient nécessairement essentielles au fonctionnement de l’appelante (pour utiliser les mots qui lui ont été attribués dans les entrées cliniques) ou à sa capacité régulière de détenir une occupation véritablement rémunératrice dans les heures avant qu’elle doive faire une sieste au début de l’après-midi ou qu’elle ne pouvait pas se réveiller en se sentant revigorée après [traduction] «  avoir dormi raisonnablement pendant la nuit […] ».

[50] À cet égard, je n’accepte pas les allégations de l’appelante selon lesquelles l’entrée du 23 mai 2014 dans les dossiers cliniques, à savoir «  Elle souligne qu’elle fait des siestes quotidiennement », appuie ses allégations selon lesquelles elle avait besoin de siestes tout au long de la journée. Bien que cela puisse s’être produit, la preuve documentaire laisse entendre au plus que l’appelante faisait des siestes quotidiennes. Cela est conforme à l’entrée du 1er mai 2014 selon laquelle elle avait besoin d’une sieste d’environ une heure au début de l’après-midi.

[51] Même si j’avais conclu qu’il y a eu un [traduction] «  malentendu important » concernant la preuve, j’aurais conclu qu’il était non pertinent dans l’ensemble étant donné que toute preuve relative au comportement de l’appelante concernant les siestes a été soulevée bien après la fin de la période minimale d’admissibilité. Après tout, rien ne démontre selon les parties que la division générale disposait d’une preuve selon laquelle l’appelante avait commencé à faire des siestes quotidiennes avant la fin de la période minimale d’admissibilité ou que, si c’était le cas, ces siestes étaient limitées à une heure par jour ou étaient faites tout au long de la journée. En effet, je souligne que, selon l’entrée du 1er mai 2014, [traduction] «  l’habitude de faire des siestes était nouvelle pour elle ». Même si la division générale a renvoyé à la preuve documentaire de 2014, elle a reconnu que la preuve devait correspondre à la date de fin de la période minimale d’admissibilité, à savoir le 31 décembre 2013.

(ii) Erreurs de droit

Kambo

[52] L’appelante soutient que la division générale a mal appliqué l’arrêt Kambo, à savoir qu’elle n’a pas déterminé si le fait qu’elle n’a pas suivi les recommandations de traitement était raisonnable.

[53] Dans la demande de permission d’en appeler, l’appelante a mis l’accent sur sa consommation de Tegretol. En fin de compte, j’ai conclu que la division générale avait tenu compte du caractère raisonnable du fait qu’elle ne prenait pas son Tegretol et que la question ne soulevait pas une cause défendable. L’appelante soutient maintenant qu’il y a d’autres moments où la division générale a omis de tenir compte du caractère raisonnable de sa non-conformité. Pour les motifs énoncés ci-dessus, j’examinerai cette question.

[54] Au paragraphe 31 de sa décision, la division générale a déclaré ce qui suit :

Il incombe personnellement aux demandeurs de prestations d’invalidité de collaborer à leurs soins de santé (Kambo c. MDRH, 2005 CAF). Le Dr Singh a écrit dans ses notes de suivi médical, à plusieurs reprises, qu’il était préoccupé par le fait que l’appelante ne se conformait pas au traitement. En juin 2014, il a noté que l’appelante n’avait pas fait faire de prise de sang. Il souhaitait qu’elle en fasse faire à l’avenir, et lui avait conseillé de se conformer. L’appelante se plaignait au sujet d’une dépression, mais elle voulait attendre avant de prendre des médicaments (23 mai 2014).L’appelante a affirmé qu’elle pouvait recevoir des soins psychologiques à 20 minutes de chez elle, mais qu’elle avait mis fin à ses visites parce qu’elle trouvait l’endroit trop loin. Elle a affirmé qu’elle détestait son médecin de famille et le consultait seulement au besoin, et qu’elle ne voyait désormais plus le neurologue. Le Tribunal estime que l’appelante n’a pas assumé sa responsabilité de collaborer à ses soins de santé.

[55] L’appelante fait valoir qu’une preuve abondante a été présentée devant la division générale dans laquelle elle avait expliqué la raison pour laquelle elle n’avait pas suivi les recommandations de traitement. Par exemple, comme il a été énoncé au paragraphe 31, l’appelante souhaitait attendre avant de prendre des antidépresseurs, elle n’a pas donné suite au counseling parce qu’elle jugeait que c’était trop loin de chez elle, elle n’aimait pas son médecin de famille et elle consultait son médecin de famille seulement lorsque c’était nécessaire. Elle souligne que cela est reflété dans les dossiers cliniques de son médecin de famille du 3 juillet 2013 (GD3-27 du dossier d’audience), qui fait état que l’appelante [traduction] «  a de la difficulté à se rendre ici [...] parce qu’ils ne possèdent qu’une voiture ». Elle fait également valoir que la division générale a commis une erreur en laissant entendre qu’elle ne se conformait pas en ne consultant plus un neurologue. Elle explique que cela est tout à fait différent du fait de n’avoir aucune raison de continuer de consulter un neurologue. L’appelante souligne également que, dans l’entrée du 23 mai 2014 des dossiers cliniques de son médecin de famille (GD3-44 du dossier d’audience), elle aurait essayé de suivre sa médication, mais qu’elle oubliait. Dans l’entrée du 11 juin 2014 des dossiers cliniques (GD3-45), elle a déclaré qu’elle ne se conformait pas aux exigences parce qu’elle était pauvre. Elle fait valoir que la division générale a omis d’aborder la question de savoir si ses explications étaient raisonnables.

[56] L’appelante se fonde également sur son témoignage de vive voix à 1:07:33 et à 1:09:34 de l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale.

[traduction]

Q : Il y a quelques mentions de non-conformité. En fait, il y a deux renvois, et on dit : «  La justification n’est pas Claire. Ehhh, la patiente a été avertie à propos de sa non-conformité. » Savez-vous, rien n’explique ce dont parle le médecin lorsqu’il parle d’une question relative à la conformité? Savez-vous de quoi il s’agit?

R : Si je sais ce que signifie la conformité ou fait… [incompréhensible]?

Q : Non, savez-vous ce qui causait préoccupation à propos de votre non-conformité?

R : D’accord. En fait, oui et j’ai attendu pour expliquer cela à quelqu’un et j’aimerais bien... Je souhaiterais qu’il soit au téléphone également. Je lis cela, et ça me bouleverse grandement. Lorsqu’il a posé un diagnostic pour la première fois, je lui ai demandé ce qui se passerait si je ne prends pas mes comprimés et j’ai même demandé ce qui suit : «  ce que je veux dire par là, c’est si je vais mourir ou avoir un autre problème quelconque? » Il a répondu par l’affirmative, que je devais prendre les comprimés et que je ne pouvais pas me permettre de ne pas me conformer, puis il m’a fait un discours sur la signification de la non-conformité. Il s’agit du moment où une personne décide de ne pas [incompréhensible] ses comprimés pour une raison quelconque et [incompréhensible]. Par la suite, il décide que ehhh mon niveau de Tegretol est trop faible. Okay. Mes examens hématologiques les premiers mois ehh pendant lesquels je prenais du Tegrtol, il a décidé que mon Tegretol et mes examens hématologiques étaient trop faibles, et ce même si je lui ai assuré que je prenais ces maudits comprimés. Je lui ai écrit chaque fois sur un bout de papier que je les prenais réellement. C’est ça qui m’énerve. J’étais honnête envers le gars. J’étais honnête envers lui et je lui ai demandé ce qui se produirait si je ne me conformais pas. Que se passe-t-il? Puis-je mourir? Que se passe-t-il si j’oublie? Puis-je mourir? J’ai été honnête avec lui et, maintenant, j’ai l’air d’une putain de menteuse.

Q : D’accord, alors que croyez-vous que signifie la non-conformité? Je vous demande cela parce que vous avez posé des questions sur les autres solutions de rechange si vous ne preniez pas les médicaments.

A : Absolument.

Q : Alors, selon vous, son analyse est que…

R : Depuis…

Q : Son analyse est qu’il s’agit d’un problème de conformité parce que vous l’avez questionné?

R : [incompréhensible] abruti au lieu d’être véritablement intéressé par mon pronostic… [incompréhensible]

Q : D’accord. Merci.

[57] L’intimé fait valoir qu’il y a eu d’autres occasions où l’appelante n’a pas suivi les recommandations de traitement et où elle n’a pas fourni une explication raisonnable pour justifier sa non-conformité. Par exemple, dans la même entrée clinique du 11 juin 2014, il a été souligné que l’appelante avait changé les heures où elle prenait le Tegretol. Le neurologue n’était pas clair à propos de la justification ayant poussé l’appelante à agir ainsi. L’intimé fait valoir que, même si l’appelante prétend que la non-conformité est causée par la pauvreté, cela ne parvient pas à expliquer raisonnablement le motif pour lequel l’appelante n’a pas subi d’examens hématologiques ou pour lequel elle a modifié le moment où elle prenait ses médicaments.

[58] Cependant, dans l’arrêt Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il ne suffit pas qu’un décideur examine si le refus d’un appelant de subir un traitement est déraisonnable; il faut également examiner l’incidence de ce refus sur l’invalidité de l’appelant si le refus était considéré déraisonnable. Autrement dit, il ne suffit pas qu’un décideur examine seulement la question de savoir si un appelant a refusé raisonnablement un traitement. Ce refus doit non seulement être déraisonnable et injustifié, mais il doit également avoir eu une incidence sur l’invalidité de l’appelant.

[59] Au paragraphe 31, la division générale a conclu que l’appelante avait omis de suivre certaines des recommandations de traitement. Même si la division générale a renvoyé à une partie des explications de l’appelante concernant sa non-conformité, il est impossible de savoir si la division générale a tenu compte de ces explications. Sur ce fondement, j’aurais peut-être accueilli l’appel, mais l’intimé souligne qu’il existe d’autres cas où l’appelante n’a pas fourni d’explications, comme en ce qui concerne le fait qu’elle ne prendrait pas son Tegretol aux moments prescrits. L’appelante a nié toute suggestion selon laquelle elle ne prenait pas son Tegretol, mais le rapport du neurologue fait état qu’elle le prenait, mais à des moments différents que ceux ayant été recommandés. Même si l’appelante a invoqué la pauvreté pour justifier le fait qu’elle ne suivait pas les directives concernant sa consommation de Tegreol (GD3-45), l’appelante a déclaré devant la division générale qu’elle prenait du Tegretol et qu’elle consignait sa consommation du médicament.

[60] La division générale a préféré le rapport du neurologue au témoignage de l’appelante pour ainsi conclure qu’elle n’avait pas suivi les recommandations selon lesquelles elle devrait prendre du Tegretol régulièrement. Même si l’appelante prétend que la non-conformité est causée par la pauvreté, elle insiste en même temps sur le fait qu’elle se conformait aux directives et qu’elle le prenait régulièrement. Cependant, après avoir appris qu’elle avait subi [traduction] «  quelques autres "crises d’épilepsie nocturnes" », le neurologue n’était pas surpris et il a désigné la non-conformité comme étant un problème encore une fois. D’après cela, j’estime que l’appelante prenait probablement du Tegretol, mais qu’elle le consommait de façon irrégulière à différents moments que ceux lui ayant été recommandés.

[61] Je ne constate aucune explication pouvant justifier la raison pour laquelle l’appelante consommait ses médicaments de façon irrégulière ou qu’elle avait changé le moment de la consommation de Tegretol étant donné que le neurologue a déclaré que la conformité était essentielle. Après tout, il avait averti l’appelante à propos de la conformité et il espérait qu’elle observerait les indications. Il a également déclaré avoir été contre l’idée de changer son dosage ou de prescrire un autre médicament. Il est évident que le neurologue était d’avoir que la non-conformité avait une incidence sur l’invalidité de l’appelante. Autrement, il est improbable qu’il aurait formulé ces avis.

[62] De plus, comme je l’ai mentionné dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, il existe d’autres cas où l’appelante n’avait pas fait preuve de conformité. Elle a déclaré qu’elle souhaitait reporter la consommation d’antidépresseurs en mai 2014 parce qu’elle étudiait l’option de suivre des séances de counseling (GD3 44), mais rien de démontre dans le dossier d’audience que l’appelante a recommencé à prendre des antidépresseurs après avoir cessé de suivre des séances de counseling (au motif que la distance à parcourir était trop grande) ou qui explique la raison pour laquelle elle avait refusé de le faire. Les fournisseurs de soins de santé de l’appelante avaient sûrement prescrit des antidépresseurs en s’attendant à ce qu’ils puissent atténuer une partie de ses symptômes de dépression; la consommation d’antidépresseur aurait donc pu avoir une incidence favorable sur son invalidité.

Arrêts Garrett et Villani – analyse «  réaliste »

[63] L’appelante n’est pas revenue sur les questions de savoir si la division générale aurait pu commettre une erreur de droit relativement aux arrêts Villani, Garrett et Bungay. Comme je l’ai déclaré dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une personne devrait hésiter à intervenir dans l’évaluation des circonstances du demandeur, car cela comprend une question de jugement. Étant donné les faits et les observations dont je dispose, je ne vois aucune raison d’intervenir dans l’évaluation de la division générale à cet égard. La division générale a discuté des prétendues déficiences de l’appelante, y compris la fatigue, la peur, l’anxiété et les [traduction] «  périodes d’absence », puis elle a évalué la gravité de l’invalidité de l’appelante dans un «  contexte réaliste » en tenant compte de ses caractéristiques personnelles.

Conclusion

[64] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

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