Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 18 avril 2016 qui a établi que la défenderesse était admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.Dans cette décision, la division générale a conclu que la défenderesse était invalide d’ici la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), c’est-à-dire d’ici le 31 décembre 2013. Le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler (demande) auprès de la division d’appel du Tribunal, laquelle a été reçue le 13 juillet 2016.

Question en litige

[2] Le membre doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission », et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Le processus d’évaluation de la question de savoir s’il faut accorder la permission d’en appeler est un processus préliminaire. Il exige une analyse des renseignements afin de déterminer s’il existe un argument qui conférerait à l’appel une chance raisonnable de succès en appel. Il s’agit du seuil inférieur à celui qui devra être franchi à l’audience relative à l’appel sur le fond. Le demandeur n’a pas à prouver sa thèse à l’étape de la demande de permission d’en appeler : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 1999 CanLII 8630 (CF). Dans l’arrêt Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63, la Cour d’appel fédérale a conclu la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

Observations

[7] Le demandeur a énoncé les moyens d’appel suivants :

  1. la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit;
  2. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Erreur de droit

[8] Le demandeur soutient que le membre de la division générale n’a pas procédé à une analyse pertinente de l’ensemble de la preuve médicale. Cela comprend le fait qu’il n’a pas traité de la déclaration de la défenderesse selon laquelle, alors qu’elle était en vacances pendant six semaines, elle était capable d’exercer plusieurs activités qui semblent incompatibles avec la conclusion selon laquelle elle a été considérée comme atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Le demandeur reconnait la jurisprudence selon laquelle un décideur est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve lorsqu’il rend sa décision et qu’il n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve (Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, au paragraphe 10). Cependant, le demandeur soutient que cette présomption doit se faire tout en respectant l’exigence selon laquelle le décideur doit formuler clairement ses motifs pour avoir préféré certains renseignements médicaux, dans le cas où il y a des renseignements médicaux contradictoires (Canada (Procureur général) c. Fink, 2006 CAF 354, au paragraphe 7 et Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100).

Conclusion de fait erronée

[9] Le demandeur soutient qu’il s’est fondé sur les paragraphes 15 à 17 de l’affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 pour étayer l’argument suivant :

  1. Lorsque le décideur se réfère de façon assez détaillée aux éléments de preuve à l’appui de cette conclusion, mais ne se prononce pas sur les éléments de preuve révélant le contre, il est possible d’en déduire que l’agence a fait abstraction de la preuve contradictoire au moment de tirer sa conclusion de fait. (paragraphe 16 de AD1)

[10] De plus, le demandeur s’est fondé sur l’affaire Canada (Procureur général) c. MacLeod, 2010 CAF 301, au paragraphe 5, et sur l’affaire Vincent c. Canada (Procureur général), 2007 CF 724, au paragraphe 38, pour étayer l’argument suivant :

  1. Une décision qui [traduction] « contredit la preuve documentaire » ou qui est fondée sur des éléments de preuve dont on n’a [traduction] « pas tenu compte de manière appropriée » est une décision qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire. (paragraphe 20 de AD1)

[11] Plus particulièrement, le demandeur soutient que la division générale a traité incorrectement des cinq éléments suivants dans sa décision :

  1. La décision de la division générale n’avait pas abordé les conclusions se trouvant dans le rapport de janvier 2014 du Dr Joshi, lesquelles suggéraient que la condition de la défenderesse n’était pas grave. Le demandeur soutient que ces éléments étaient non seulement absents de la décision de la division générale, mais qu’aucun motif n’a été donné pour expliquer le fait qu’ils étaient absence de l’analyse. (GD2)
  2. La décision de la division générale n’a pas traité de l’opinion du Dr Atkinson dans un rapport daté du 7 avril 2014, dans lequel il était écrit : [traduction] « à l’heure actuelle, il n’y a pas de raison qu’elle ne se sente pas mieux. Ses tests sanguins se sont révélés normaux. Elle a amplement eu le temps de se rétablir. » (GD2) De plus, aucune explication n’a été donnée pour justifier le fait que cette information ne se trouvait pas dans la décision.
  3. La décision de la division générale n’a pas traité de la correspondance de la défenderesse avec le demandeur le 25 mars 2016, dans laquelle la défenderesse a volontairement dit au demandeur que pendant six semaines, elle se levait tous les jours, faisait de l’exercice, jouait au base-ball et faisait du gardiennage. Elle a également indiqué qu’elle était capable de faire [traduction] « 10 000 pas presque tous les jours, même lorsqu’elle avait peu d’énergie, qu’elle mangeait à peine et qu’elle était enflée à cause de la chaleur ». Ces commentaires ne se trouvaient pas dans la décision de la division générale, et aucune explication n’a été fournie pour justifier leur absence.
  4. La division générale s’est fortement appuyée sur le rapport du 12 juillet 2015 qui a été préparé après la date de fin de la PMA, et elle a décidé de ne pas s’appuyer sur les rapports des deux spécialistes qui ont traité la défenderesse à l’époque de la PMA. De plus, le demandeur signale que la décision de la division générale semble énumérer des renseignements contradictoires au sujet des traitements médicaux de la défenderesse au cours de l’audience. Le paragraphe 14 de la décision de la division générale énumère les médicaments que la défenderesse prenait à l’époque de l’audience, mais ensuite, au paragraphe 25 de la décision, il est écrit qu’elle a continué à prendre trois de ces médicaments en 2013.
  5. La décision de la décision générale fait mention du rapport du Dr Elzen datant du 18 mars 2013, dans lequel il est écrit que la défenderesse n’a pas été en mesure de travailler depuis janvier 2013 en raison de migraines. Cependant, la décision de la division générale ne faisait pas mention du rapport du Dr Elzen datant du 20 mars 2013 — juste deux jours plus tard. Le demandeur soutient que le rapport du 20 mars 2013 contenait des commentaires directement liés à sa condition et que par conséquent, il aurait dû être considéré. Encore une fois, aucune information n’a été fournie dans la décision afin d’expliquer pourquoi ce rapport n’a pas été mentionné.

Analyse

[12] Dans des décisions précédentes, les tribunaux ont abordé la question d’une allégation selon laquelle un tribunal administratif n’aurait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été présenté. Dans l’affaire Simpson, il a été affirmé que la Commission d’appel des pensions avait ignoré, mal compris ou mal interprétés certains rapports médicaux. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[13] Cependant, il a également été établi que cette présomption doit se faire tout en respectant l’exigence selon laquelle des motifs doivent être fournis afin que la décision puisse être comprise. Dans l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26, la Cour suprême du Canada a clairement énoncé les buts de fournir les motifs d’une décision. Les buts en question sont les suivants : cela permet aux parties de prendre connaissance de la décision qui a été rendue, de savoir pourquoi cette décision a été rendue et pourquoi certains éléments de preuve ont été préférés plutôt que d’autres lorsque des éléments de preuve contradictoires ont été présentés et sur lesquels dépendait l’issue de l’affaire.

[14] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92 est également instructive. La Cour d’appel fédérale a conclu que, en n’expliquant pas pourquoi elle a rejeté lamasse fort considérable d’éléments de preuve apparemment dignes de foi indiquant que l’invalidité de la défenderesse n’était pas « grave », la Commission d’appel des pensions a omis de s’acquitter de l’obligation qui lui incombait de fournir des motifs suffisants à l’appui de sa décision.

[15] De plus, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a encore une fois affirmé que les motifs d’une décision devraient permettre au lecteur de comprendre pourquoi la décision a été rendue et permettre une révision en appel. Si une certaine analyse des éléments de preuve médicale n’est pas effectuée, le but pour lequel des motifs écrits sont donnés n’est pas atteint (Atri c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 178, au paragraphe 10, et Canada (Procureur général) c. Ryall, 2008 CAF 164).

[16] Le demandeur soutient que cinq éléments de preuve ont été traités incorrectement au stade de la division générale. En ce qui a trait au rapport du Dr Joshi datant de janvier 2014, bien qu’il est mentionné au paragraphe 24 de la décision de la division générale, le demandeur soutient que des renseignements pertinents ont été omis sans que des motifs suffisants ne soient fournis pour expliquer cette omission. Au paragraphe 24, le membre de la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Un rapport de consultation psychiatrique du Dr Joshi datant du 5 janvier 2014 a fourni une évaluation de l’appelante. Le Dr Joshi a décrit que l’appelante souffrait depuis longtemps de migraines et que celles-ci étaient assez graves et très invalidantes. En ce qui a trait aux symptômes psychiatriques actuels, le Dr Joshi a indiqué que l’appelante ne souffrait pas de dépression à l’heure actuelle, que son sommeil était généralement adéquat et qu’elle n’avait pas d’idées suicidaires en ce moment.

Le demandeur soutient que certaines des conclusions du rapport laissent entendre que sa condition n’était pas grave, et que ces conclusions ne figuraient pas dans la décision de la division générale. Plus précisément, le demandeur soutient que les conclusions suivantes ont été exclues :

  1. la conclusion selon laquelle aucune étiologie concrète n’a été révélée au sujet de la douleur abdominale dont s’était plainte la défenderesse, et que de nombreux tests d’imageries n’ont rien révélé;
  2. la conclusion selon laquelle rien n’exigeait qu’un suivi psychiatrique soit effectué à cette époque;
  3. le fait que [traduction] « compte tenu de ses antécédents et d’un manque de modifications pathologiques sévères, il pourrait y avoir une composante de conversion ou de détresse psychologique qui pourrait être aggravée ou contribuer à l’apparition de la douleur et de la maladie. » (GD2 pages. 45-48)

Après un examen de la décision de la division générale, il est évident qu’aucun de ces commentaires n’a été précisément mentionné dans la décision, et il n’y avait pas non plus d’explication justifiant leur exclusion.

[17] En ce qui a trait au rapport du Dr Atkinson datant du 7 avril 2014, le membre de la division générale s’est référé à celui-ci au paragraphe 28 de sa décision, où il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Le 7 avril 2014, le Dr Atkinson a recommandé que l’appelante recommence à prendre son médicament antidépresseur pour aider à surmonter sa dépression et pour les effets positifs qu’il a sur son intestin. Le Dr Atkinson a également précisé que l’appelante manquait encore d’énergie, avait mal lorsqu’elle mangeait et se sentait déprimée.

Nulle part dans l’examen effectué par le membre le 7 avril 2014 n’a-t-il fait référence au commentaire du Dr Atkinson selon lequel [traduction] « à l’heure actuelle, il n’y a pas de raison qu’elle ne se sente pas mieux. Ses tests sanguins se sont révélés normaux. Elle a amplement eu le temps de se rétablir. » De plus, aucune explication n’a été donnée pour justifier la raison pour laquelle cela n’a pas été inclus dans la décision de la division générale.

[18] La division générale a totalement exclus la correspondance de la défenderesse au ministre datée du 25 mars 2016. Cette correspondance était une explication volontaire des capacités physiques de la défenderesse, révélant peut-être qu’elle ne souffrait pas d’une invalidité grave. Il n’y avait aucune explication justifiant pourquoi cet élément de preuve a été exclu de l’analyse de la division générale.

[19] La division générale s’est fondée sur le rapport du Dr Thompson datant du 12 juillet 2015, plus précisément sur les paragraphes 29 et 30. Le demandeur soutient qu’un poids assez important a été donné à ce rapport, préparé après la date de fin de la PMA, alors que deux rapports préparés aux alentours de la PMA ont été omis de l’analyse — encore une fois, sans que des motifs ne soient fournis pour expliquer pourquoi ils ont été omis. Également, comme cela a été souligné dans les observations, les traitements médicamenteux décrits aux paragraphes 14 et 25 de la décision sont différents. Au paragraphe 14 se trouve une liste exhaustive des médicaments que la défenderesse a expliqué consommer. Cependant, au paragraphe 25 se trouvent les commentaires du Dr Joshi indiquant qu’elle avait continué à prendre du Cipralex, de l’amitriptyline et de la gabapentine en août 2013, ce qui a fait en sorte qu’elle se sentait mieux sur le plan cognitif. Cela semble être un élément de preuve contradictoire qui n’a jamais été concilié dans la décision. Cela soulève des inquiétudes quant à la manière dont les renseignements ont été appréciés.

[20] Finalement, en ce qui a trait aux rapports du Dr Elzen, il a été noté que le rapport du 18 mars 2013 a été cité en référence et qu’on s’y était fié. Cependant, le rapport datant du 20 mars 2013 a été omis sans que des motifs expliquant son absence ne soient fournis. Le demandeur soutient que le deuxième rapport est important, car il traite directement de sa condition.

[21] De toute évidence, la division générale a omis certains éléments de preuve. Cela combiné avec un manque de motifs expliquant pourquoi l’on ne faisait pas référence à certains éléments de preuve — plus précisément lorsqu’il y avait des éléments de preuve contradictoire au dossier — soulève la question pouvant conférer à l’appel une chance raisonnable de succès. Il semblerait que le membre a omis de traiter des éléments de preuve contradictoire de façon significative. Des motifs valables sont requis pour illustrer la manière dont cette information est conciliée par le décideur. En omettant de se pencher sur cette information, le membre a peut-être commis une erreur de droit et fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle aurait tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Cela soulève une cause défendable qui pourrait conférer à l’appel une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[22] La demande est accueillie.

[23] Cette décision accordant la permission d’interjeter appel ne présume pas le résultat de l’appel sur le fond de l’affaire.

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