Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs de la décision interlocutoire

Aperçu et historique de l’instance

[1] Le 20 janvier 1994, l’appelante a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Sa demande a été accueillie le 56 février 1995, et la date de début de l’invalidité a été établie au mois de juillet 1993.

[2] Le 18 janvier 2013, l’appelante a présenté une demande de prestations d’enfant de cotisant invalide (PECI) au nom de ses trois enfants qui sont nés en août 1997, en juin 1999 et en octobre 2002. La demande a été accueillie et devait prendre effet en février 2012 (la rétroactivité maximale de 11 mois permise). La demande de révision de l’appelante relative à la date de début a été rejetée.

Procédure initiale

[3] Le 7 août 2013, l’appelante a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal). Elle demande une rétroactivité à partir de la date de naissance de ses enfants, et elle est d’avis qu’en raison de ses incapacités physiques et mentales, elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant que ne l’ait fait en janvier 2013.

[4] Le 19 juin 2015, le Tribunal a émis un avis d’intention de rejet sommaire. L’avis mentionnait que le membre du Tribunal envisageait de rejeter sommairement l’appel, car la loi ne permet pas de versement rétroactif pour les prestations demandées.

[5] Le 25 juin 2015, le député de l’appelante a envoyé une lettre au Tribunal qui appuyait la demande de l’appelante. Par la suite, le 17 juillet 2015, le Tribunal a reçu des observations supplémentaires de l’appelante. Bien que le Tribunal ait accusé réception des observations supplémentaires, en raison d’une erreur administrative, ce document n’a pas été présenté au membre de la division générale avant son rejet sommaire de l’appel.

[6] Le 23 juillet 2015, le Tribunal a rejeté sommairement l’appel. Dans la décision, le Tribunal a mentionné qu’aucun document supplémentaire n’avait été soumis au nom de l’appelante en réponse à l’avis d’intention. Le Tribunal a conclu qu’elle était liée par la décision Statton c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 370 de la Cour d’appel fédérale dans laquelle le juge a conclu que la disposition relative à l’incapacité ne s’applique pas à des PECI, car elle s’applique uniquement aux demandes faites par un prestataire pour des prestations pour ce prestataire : pas pour un prestataire qui présente une demande au nom de ses enfants.

[7] Le 5 mai 2016, la division d’appel a accueilli l’appel de l’appelante et a renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’elle soit examinée par un membre différent de la division générale. La division d’appel a déterminé qu’il y avait eu un manquement à la justice naturelle, car la correspondance et les observations au nom de l’appelante et en réponse à l’avis d’intention n’avaient pas été prises en considération lorsque son appel avait été rejeté sommairement.

Procédure de renvoi à la division générale

[8] Le 28 juin mars 2016, le Tribunal a avisé l’appelante que si elle souhait invoquer une contestation fondée sur la Charte devant le Tribunal, elle devait déposer un avis, conformément à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le Tribunal), et ce, au plus tard le 29 juillet 2016.

[9] Le 9 septembre 2016, l’appelante a présenté son avis de contestation constitutionnelle.

[10] Lors de la conférence préparatoire survenue le 27 octobre 2016, le Tribunal a déterminé que l’avis constitutionnel de l’appelante répondait aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal. Le Tribunal a également établi des directives pour le déroulement de l’appel, y compris la présentation de dossiers par les parties.

[11] Ces directives énonçaient, entre autres, que l’appelante avait jusqu’au 19 janvier 2017 pour soumettre un dossier comprenant la preuve et les observations à l’appui, pour identifier les dispositions qu’elle contestait, pour identifier les droits ou les libertés qui ont prétendument été enfreints, pour énoncer les faits pertinents, pour expliquer les violations constitutionnelles, pour préciser la réparation qu’elle demande, pour fournir des éléments de preuve à l’appui de sa contestation constitutionnelle (par exemple, un affidavit et une preuve d’expert) et pour inclure la jurisprudence ainsi que d’autres renseignements à l’appui.

[12] L’appelante a soumis son dossier le 18 janvier 2017.

Demande de rejet

[13] Le 23 mars 2017, l’intimé a présenté une demande de rejet de la partie portant sur la contestation constitutionnelle de l’appel de l’appelante en vertu de l’article 4 du Règlement sur le Tribunal.

[14] À la conférence téléphonique préparatoire à l’audience qui a eu lieu le 20 mai 2017, le Tribunal a entendu les observations orales relatives à la demande de rejet de l’intimé.

[15] Les personnes suivantes ont pris part à la conférence préparatoire à l’audience :

S. S. : appelante

Sylvie Doire : avocate de l’intimé

Nancy Wong : présente au nom du ministre

Chantal Marak : présente au nom du ministre

[16] Le Tribunal a déterminé que la contestation constitutionnelle ne devrait pas être rejetée pour les motifs prévus ci-dessous.

Critère relatif à un rejet

[17] L’intimé présente cette demande de rejet conformément à l’article 4 du Règlement sur le Tribunal, lequel prévoit qu’à la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance, notamment la prorogation des délais impartis par le présent règlement.

[18] Lorsque le Tribunal a demandé pourquoi l’intimé ne demandait pas de rejet sommaire conformément au paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), Mme Doire a fait référence à la décision G. c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, GE-16-1958 du vice-président, Dominique Bellemare, datée du 20 février 2017 et qui n’a pas été publiée (décision G.) dans laquelle il est prévu qu’un rejet sommaire n’était pas une option pour les parties, car selon l’article 22 du Règlement sur le Tribunal, cette procédure est seulement entamée par le Tribunal, et non par l’une des parties. Monsieur Bellemare a déterminé qu’une partie pouvait demander que le Tribunal rejette un appel, conformément à l’article 4 du règlement sur le Tribunal, ce qui est la procédure qu’a suivie l’intimé en l’espèce.

[19] En l’espèce, il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion relativement à cette question intéressante de procédure, car Mme Doire a reconnu qu’une demande de rejet en vertu de l’article 4 invoque le même critère qui s’applique aux cas de rejets sommaires, soit celui de « aucune chance raisonnable de succès ».

[20] Cette approche est conforme à la décision G. dans laquelle monsieur Bellemare, à la suite de la décision Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147 de la Cour d’appel fédérale, a appliqué une norme semblable au rejet sommaire et a noté que la [traduction] « norme pour rejeter de façon préliminaire un appel est rigoureuse » et qu’un appel est uniquement rejeté sommairement « lorsqu’il est évident que le fondement de celui-ci n’a aucune chance raisonnable de succès et est manifestement voué à l’échec ».

[21] Monsieur Bellemare a affirmé que [traduction] « la jurisprudence nous avise donc du fait que ces types de demande de rejet, que ce soit des rejets sommaires ou des rejets réguliers [...] doivent être employés avec précaution » et qu’il y a des concepts applicables, notamment celui selon lequel un appel n’a « aucune chance de succès » est « voué à l’échec », « n’est pas une demande ou une défense valable », et est « sans espoir ou a un fondement faible ».

[22] Le Tribunal adopte cette approche et est d’accord que peu importe si cette demande est considérée comme étant une demande de rejet en vertu de l’article 4 du Règlement sur le Tribunal ou une demande de rejet sommaire, le critère et les concepts relatifs au rejet sommaire s’appliquent. Le Tribunal a également été guidé par la décision L.C. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 4 novembre 2015, AD-15-994 de la division d’appel, laquelle énonce que « le seul fait d’évaluer la preuve et de tirer des conclusions de fait – rend un rejet sommaire inapproprié ».

Dispositions législatives pertinentes

[23] Les dispositions législatives et réglementaires sont pertinentes dans le cadre de l’appel en l’espèce.

Régime de pensions du Canada (RPC)

[24] Le paragraphe 60(1) du RPC prévoit ce qu’aucune prestation n’est payable à une personne sous le régime de la présente loi, sauf si demande en a été faite par elle ou en son nom et que le paiement en ait été approuvé selon la présente loi.

[25] Le paragraphe 74(1) du RPC prévoit qu’une demande de PECI peut être faite, pour le compte d’un enfant de cotisant invalide, par cet enfant ou par toute autre personne à qui la prestation serait, si la demande était approuvée, payable.

[26] En vertu du paragraphe 74(2) du RPC, lorsque le paiement d’une prestation d’enfant de cotisant invalide ou d’une prestation d’orphelin est approuvé, relativement à un cotisant, la prestation est payable pour chaque mois à compter :

  1. a) dans le cas d’une prestation d’enfant de cotisant invalide, du dernier en date des mois suivants :
    1. (i) le mois à compter duquel une pension d’invalidité est payable au cotisant en vertu de la présente loi ou selon un régime provincial de pensions,
    2. (ii) le mois qui suit celui où l’enfant est né ou est devenu de quelque autre manière l’enfant du cotisant […]

[27] L’alinéa 74(2)a) du RPC prévoit qu’une prestation d’enfant de cotisant invalide est payable à compter du dernier en date des mois suivants : le mois à compter duquel une pension d’invalidité est payable au cotisant, ou le mois qui suit celui où l’enfant est né ou est devenu de quelque autre manière l’enfant du cotisant. Toutefois, ce mois ne peut en aucun cas être antérieur au douzième précédant le mois suivant celui où la demande a été reçue.(mis en évidence par le soussigné)

[28] La seule exception à la règle de la rétroactivité maximale se trouve aux paragraphes 60(8) à 60(11) du RPC : il faut ne pas avoir eu la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en son nom avant la date à laquelle la demande a réellement été faite.

[29] Le paragraphe 60(8) du RPC prévoit que si un prestataire était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations du RPC, cette demande peut être réputée avoir été faite à une date antérieure.

Charte canadienne des droits et libertés (Charte)

[30] L’article 1 de La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[31] Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[32] Le paragraphe 15(2) de la Charte prévoit que le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Loi constitutionnelle

[33] L’article 52 de la Loi constitutionnelle prévoit que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Question en litige

[34] L’appel fondé sur la Charte devrait-il faire l’objet d’un rejet sommaire?

Position de l’intimé

[35] L’intimé a soutenu que la contestation fondée sur la Charte n’a aucune chance raisonnable de succès et devrait être rejeté, car 1) il ne contient aucune preuve ou observation portant sur chacune des deux parties du critère relatif à un manquement en vertu de l’article 15 de la Charte, 2) il ne respecte pas l’ordre du Tribunal relativement au dossier de l’appelante, et 3) il est impossible pour le Tribunal d’évaluer adéquatement la contestation fondée sur la Charte et pour l’intimé de connaître les éléments de preuve à réfuter.

Aucun fondement probatoire

[36] L’intimé a soutenu que l’appelante n’avait pas présenté d’éléments de preuve à l’appui d’une contestation constitutionnelle, car elle n’a fourni aucun élément de preuve relativement à la façon dont le paragraphe 74(2) du RPC a) crée une distinction entre ses enfants et les autres selon les motifs énumérés ou analogues et b) est discriminatoire en perpétuant des préjugés et des stéréotypes.

[37] L’intimé a également soutenu que l’appelante n’avait pas fourni de preuve à l’appui de la façon dont les enfants sont désavantagés en raison de leur âge, la façon dont le refus de lui accorder des avantages économiques tels que des versements rétroactifs supplémentaires de la PECI dépassant le montant rétroactif maximum permis par le RPC perpétue leur stéréotype, ou encore la façon dont cela leur impose un fardeau qui n’est pas imposé aux autres. L’intimé a noté que d’autres prestations du RPC (y compris les prestations de retraite, d’invalidité et du survivant) ont des montants rétroactifs maximums permis et qu’en l’espèce, le montant maximal de la PECI a été versé en vertu du RPC.

Incapacité de l’intimé de connaître les éléments de preuve à réfuter

[38] L’intimé a fait valoir que l’absence d’information, comme cela a été susmentionné, l’empêche de connaître les éléments de preuve à réfuter, d’anticiper et de répondre à la contestation constitutionnelle de l’appelante et de fournir la justification en vertu de l’article 1 (critère énoncé dans l’arrêt Oakes). Selon un principe de justice naturelle, l’intimé a le droit d’avoir suffisamment d’information pour connaître les éléments de preuve qui pèsent contre lui, et il a droit d’avoir l’occasion de présenter ses propres éléments de preuve. L’intimé ne peut pas fournir de dossier de réponses, car le fondement probatoire et les arguments de l’appelante relativement au critère prévu au paragraphe 15(1) ne sont pas clairement établis. De plus, le Tribunal est privé des faits nécessaires pour correctement trancher l’appel.

Aucune chance raisonnable de succès

[39] L’appelante n’a pas fourni de dossier constitutionnel entièrement conforme à la lettre d’instructions du Tribunal datée du 17 octobre 2016 ni les faits nécessaires pour que cela soit considéré comme un appel fondé sur la Charte. Il n’y a pas non plus de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte ou d’arguments portant sur la façon dont la loi est discriminatoire relativement au critère qui comporte deux aspects. Par conséquent, il est impossible que le Tribunal effectue une évaluation équilibrée et approfondie. Les lacunes qui se trouvent dans le dossier de l’appelante démontrent que la contestation constitutionnelle n’a aucune chance raisonnable de succès.

[40] De plus, permettre à l’appel d’aller de l’avant en tant qu’appel fondé sur la Charte retarderait davantage le règlement de cette affaire, représenterait une mauvaise utilisation des ressources de la part des parties et du Tribunal, et irait à l’encontre de l’article 2 et de l’alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal qui exigent, respectivement, que le Tribunal interprète le Règlement afin d’apporter une solution à l’appel qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, et pour que l’audience se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Position de l’appelante

[41] La position de l’appelante est énoncée dans sa réponse à l’avis d’intention de rejet sommaire (GD9), dans son avis constitutionnel (GDR4) et dans ses observations (GDR8) présentées en réponse à la lettre d’instructions du Tribunal.

Réponse à l’avis d’intention de rejet

[42] Dans sa réponse à l’avis d’intention de rejet sommaire, elle a affirmé ce qui suit : la restriction relative à la période rétroactive de 11 mois ne devrait pas s’appliquer aux enfants jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de 18 ans et qu’ils soient en mesure de présenter, par eux-mêmes, leur demande. Cette restriction est un manquement à leurs droits à l’égalité en vertu de la Charte, car cela ne prend pas en considération le fait qu’ils sont les enfants mineurs d’un parent invalide.

Avis constitutionnel

[43] Dans son avis constitutionnel, l’appelante énonce la question constitutionnelle de la manière suivante :

[traduction]

Le paragraphe 74(2) du Régime de pensions du Canada, en limitant la période de rétroactivité des prestations payables à 11 mois, impose-t-il un effet négatif sur les enfants en raison de leur âge, perpétuant une situation de désavantage et de vulnérabilité des enfants au sein de la société canadienne, et par conséquent, enfreint-il l’article 15 de la Charte?

[44] Elle a affirmé que la disposition impose un effet négatif sur les enfants de bénéficiaires en raison de leur âge et que la loi ne tient pas en compte de manière appropriée de leurs besoins, de leur situation et de leurs capacités : la loi présume que les enfants ont la même capacité à exercer leur droit en vertu du RPC en tant qu’adulte - cela est défavorable aux enfants qui sont intrinsèquement désavantagés et hautement vulnérables. On leur refuse la pleine rétroactivité d’une prestation à laquelle ils auraient eu droit s’ils avaient été en mesure de présenter une demande par eux-mêmes.

[45] Elle a également affirmé que cela porte atteinte à la dignité et à la liberté d’enfants en les marginalisant ou en les traitant comme s’ils étaient moins importants sans tenir compte de leur situation; que les enfants se voient refuser l’égalité devant et selon la loi ainsi que la même protection et le même bénéfice de la loi, et ce, en raison de leur âge; que le gouvernement a établi une distinction et perpétue des préjugés envers les enfants qui dépendent d’un parent pour agir en leur nom; et que la limite des prestations rétroactives, en ne tenant pas compte des capacités et de la situation des enfants, envoie le message que les enfants ont moins le droit d’exercer les droits qu’ils ont en commun avec les adultes, et ce, en raison de leur état de dépendance.

Observations de l’appelante

[46] L’appelante a expliqué la violation constitutionnelle et a affirmé que la disposition du RPC qui limite la rétroactivité de la PECI à 11 mois [traduction] « porte atteinte à la dignité et à la liberté d’enfants en les marginalisant ou en les traitant comme s’ils étaient moins importants sans tenir compte de leur situation [...] le gouvernement a établi une distinction et perpétue des préjugés envers les enfants qui dépendent d’un parent pour agir en leur nom [...] la limite des prestations rétroactives, en ne tenant pas compte des capacités et de la situation des enfants, envoie le message que les enfants ont moins le droit d’exercer leurs droits qu’ils ont en commun avec les adultes, et ce, en raison de leur état de dépendant ».

[47] Elle a également affirmé qu’ils sont [traduction] « dépendants et en tant qu’enfants d’un parent invalide, ils sont particulièrement désavantagés »; et que même si le [traduction] « Parlement a le droit de mettre en place un régime législatif permettant de verser ces prestations et doit fixer une limite, il n’a pas le droit de le faire de façon à perpétuer une situation de désavantage pour les enfants qui n’ont pas la capacité d’accéder aux prestations sauf en étant dépendants d’un adulte ».

[48] Elle a également résumé la preuve à l’appui de la contestation constitutionnelle, et a affirmé ce qui suit :

[traduction]

La réduction des prestations en limitant la rétroactivité exacerbe la vulnérabilité du revenu des enfants et de leur famille, ce qui est contraire à l’objectif même des prestations d’invalidité du RPC. L’objectif de la loi est de favoriser l’intérêt des enfants et d’aider ce groupe vulnérable qui a un désavantage clair préexistant en raison de leur âge et du fait qu’ils sont des enfants dépendant d’une personne atteinte d’une invalidité. Le fait qu’ils soient mineurs et le fait qu’ils aient un parent invalide sont deux facteurs qui doivent être pris en considération et sont tous deux des facteurs continuels pertinents. Limiter la rétroactivité de cette façon afin de tenter de fixer une limite relative au versement de leurs prestations fixe une limite injuste et déraisonnable aux droits de ces enfants [...]

La loi contestée perpétue des préjugés et des désavantages envers les enfants mineurs en raison de leur âge et de leur dépendance à un adulte, et limiter la rétroactivité de leurs prestations à cause de leur dépendance exacerbe la situation du groupe [...]

Une iniquité significative reconnait que les politiques et les pratiques mis en place pour convenir à tous peuvent sembler être non discriminatoires, mais il est possible qu’elles ne traitent pas des besoins précis d’un certain groupe de personnes. En réalité, elles sont indirectement discriminatoires. C’est le cas dans la situation présente.

[49] Elle énonce également la réparation qu’elle demande, c’est-à-dire que le paragraphe 74(2) du RPC relativement à la rétroactivité de la PECI jusqu’à 11 mois, enfreint l’article 15 de la Charte, que celui-ci ne devrait avoir aucune force exécutoire et que ses enfants devraient recevoir une PECI rétroactive jusqu’à la date de leur naissance.

Analyse

[50] Pour trancher cette affaire, il est nécessaire de garder en tête qu’il s’agit d’une demande relative à une disposition sommaire d’une contestation constitutionnelle sans la tenue d’une audience complète de vive voix sur le fond. La norme pour un tel rejet sera seulement respectée lorsque la contestation constitutionnelle « n’a aucune chance raisonnable de succès » et « vouée à l’échec ». De plus, le Tribunal ne devrait pas évaluer la preuve et tirer des conclusions de faits.

[51] Pour trancher une telle demande, le Tribunal doit tenter de trouver un équilibre entre trois intérêts (souvent concurrents), soit 1) le paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal qui prévoit que le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, 2) l’accès à la justice, et à ce sujet, le Tribunal doit souvent (comme en l’espèce) traiter avec un appelant non représenté qui n’a pas les moyens financiers nécessaires pour avoir un représentant légal ou pour embaucher des experts, et 3) l’obligation juridique selon laquelle il doit y avoir un fondement probatoire pour justifier la contestation constitutionnelle.

[52] Il peut souvent être difficile de trouver un équilibre. D’une part, le Tribunal ne souhaite pas rendre pratiquement impossible pour une personne non représentée d’invoquer une contestation constitutionnelle. D’autre part, il doit au moins y avoir des éléments de preuve et un fondement juridique cohérents pour appuyer la contestation.

[53] Le Tribunal est convaincu que l’appelante a satisfait aux exigences permettant que cette contestation en vertu de la Charte aille de l’avant avec une audience complète de vive voix et sur le fond. L’on ne peut pas affirmer que l’appel constitutionnel est « voué à l’échec ». Bien que l’on puisse soutenir que les observations de l’appelante manquent de poids et qu’elles pourraient être approfondies davantage, à ce stade, le Tribunal ne doit pas évaluer la preuve et tirer des conclusions de fait.

[54] L’appelante a présenté une cause défendable fondée sur le fait que ses enfants sont les enfants mineurs d’un parent invalide : la limite de 11 mois de la rétroactivité de leur PECI correspond potentiellement aux exigences en matière de discriminateur prévues au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle a satisfait aux exigences d’un dossier, conformément aux directives du Tribunal, et l’intimé possède des connaissances raisonnables sur la nature de la contestation constitutionnelle pour qu’il puisse être en mesure d’y répondre.

[55] L’instruction de l’affaire commanderait la tenue d’une audience complète de vive voix et sur le fond.

Conclusion

[56] Cette demande de rejet de la contestation constitutionnelle est rejetée.

[57] L’intimé doit présenter son dossier d’ici le 15 septembre 2017, et l’appelante a jusqu’au 16 octobre 2017 pour présenter son dossier en réponse à l’intimé, si elle décide de le faire.

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