Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 7 septembre 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada Tribunal) a rejeté l’appel formé par la demanderesse contre une décision rejetant sa demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). La division générale a rejeté l’appel au motif que les questions soulevées avaient acquis force de chose jugée et que, par conséquent, l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[2] La demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal le 17 octobre 2016.

Droit applicable

[3] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission », et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». Une chance raisonnable de succès a été assimilée à une « cause défendable » (Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63).

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) Loi sur les MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Avant de pouvoir accorder la permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel invoqués se rattachent aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Contexte

[7] La demanderesse a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 28 novembre 2007. Le défendeur a rejeté sa demande au départ et après révision. La demanderesse a donc interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR), qui a depuis été remplacé par la division générale du Tribunal. Sa demande a été rejetée après avoir été entendue le 22 avril 2009, comme le BCTR a conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité grave à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2008.

[8] Après avoir reçu la décision rendue par le BCTR, la demanderesse avait la possibilité, avant 2013, de demander à la Commission d’appel des pensions (CAP) la permission d’interjeter appel de la décision du BCTR, en vertu de l’article 83 du RPC, mais elle ne l’a pas fait.

[9] Le 15 avril 2015, la demanderesse a présenté une seconde demande de pension d’invalidité du RPC. Le défendeur a rejeté sa demande au départ et après révision. Sa seconde demande avait été rejetée au motif que les questions étaient considérées comme ayant force de chose jugée, comme l’échéance de sa PMA était toujours le 31 décembre 2008. Le défendeur a examiné l’ensemble des questions et a déterminé que ses droits d’appel avaient été épuisés en 2009 lorsque le BCTR avait tranché la question et que la demanderesse n’avait pas porté sa cause en appel devant la CAP.

[10] La demanderesse a porté la décision du défendeur en appel et a sollicité l’aide d’un représentant pour poursuivre son appel devant la division générale. La demanderesse et son représentant ont été informés que la division générale avait l’intention de rendre une décision sur la foi du dossier, et ils ont été invités à soumettre des documents supplémentaires ou à présenter des observations supplémentaires au Tribunal avant qu’une décision ne soit rendue. Aucune documentation supplémentaire n’a été reçue.

[11] La division générale a conclu qu’elle n’était pas habilitée à examiner le dossier de la demanderesse, étant donné que la PMA demeurait inchangée, que le BCTR avait déjà statué sur la question de savoir si la demanderesse était invalide le 31 décembre 2008 ou avant cette date, et que la question avait acquis l'autorité de la chose jugée.

Observations

[12] La demanderesse soutient qu’elle avait été incapable de plaider sa cause de manière équitable et complète lorsqu’elle avait d’abord comparu devant le BCTR, mais qu’elle avait fait appel à l’aide d’un représentant et qu’elle serait en meilleure posture pour présenter sa preuve de manière plus détaillée. Elle affirme que, conformément au principe de justice naturelle, la division générale aurait dû prendre cela en considération avant de conclure que la question avait force de chose jugée.

[13] La demanderesse affirme aussi que le BCTR a fondé sa décision sur des erreurs de fait. Le BCTR a considéré que le fait que la demanderesse avait reçu une rémunération du RPC en 2005 révélait une capacité à travailler. Son employeur lui avait versé cette rémunération pour des congés payés et de congés de maladie accumulés après l’avoir congédiée. En raison de son état de santé qui se détériorait, elle n’avait pas interjeté appel de la décision du BCTR auprès de la CAP.

Analyse

[14] La demanderesse n’a présenté aucune observation sur la question de la chose jugée. Cependant, l’analyse dans la décision de la division générale était courte, et l’application du principe de l’autorité de la chose jugée était le seul motif pour lequel la division générale avait rejeté l’appel de la demanderesse. J’ai examiné les observations soumises par la demanderesse, présentées ci-dessus, en plus d’avoir examiné le dossier qui les sous-tend. Cela dit, j’accorde la permission d’en appeler au motif que la division générale aurait, en appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée, mal appliqué la directive fournie par la Cour suprême dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 RCS 460, 2001 CSC 44, en ce qui a trait à l’approche adéquate pour l’application de la doctrine de l’autorité de la chose jugée. On peut donc se demander si la division générale a commis une erreur de droit.

La division générale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’affaire avait acquis l’autorité de la chose jugée?

[15] Le principe de l’autorité de la chose jugée a été créé dans le but d’éviter les recours abusifs. Les parties ont été empêchées par préclusion d’essayer d’intenter de nouveau un recours, d’après le principe qu’ « [u]ne fois le différend tranché définitivement, il ne peut être soumis à nouveau aux tribunaux […] » (Danyluk, par. 20). La Cour a confirmé dans Danyluk que, dans le contexte des tribunaux administratifs, « […] l’objectif spécifique poursuivi consiste à assurer l’équilibre entre le respect de l’équité envers les parties et la protection du processus décisionnel administratif, dont l’intégrité serait compromise si on autorisait trop facilement les contestations indirectes ou l’engagement d’une nouvelle instance à l’égard de questions déjà tranchées » (Danyluk, par. 21). Les conditions permettant de déterminer si la doctrine de l’autorité de la chose jugée s’applique comprennent les facteurs suivants :

  1. La même question a été tranchée dans une décision antérieure;
  2. La décision antérieure est définitive;
  3. Les parties sont les mêmes dans chacune des instances.

[16] En appliquant les facteurs ci-dessus à l’espèce, je remarque ce qui suit :

  1. Les faits et les questions soulevées dans la première et seconde demandes présentées par la demanderesse sont les mêmes : était-elle invalide au sens du RPC à l’échéance de sa PMA, le 31 décembre 2008, ou avant cette date? Si elle a obtenu l’aide d’un représentant, aucun élément matériel n’a changé depuis que le BCTR a rejeté sa première demande, en 2009.
  2. Les parties, que sont la demanderesse et le défendeur, sont les mêmes.
  3. La décision du BCTR était définitive et avait force exécutoire, comme il avait été conclu que la demanderesse n’était pas invalide à l’échéance de sa PMA, et que cette date n’avait pas changé. Elle avait eu l’occasion de faire appel auprès de la CAP mais ne l’avait jamais fait.

[17] D’après ce qui précède, je juge que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique à l’espèce.

[18] Cependant, après avoir examiné le dossier, je note qu’une question de justice naturelle découle de ma conclusion voulant que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique. Plus précisément, la Cour suprême a établi les trois facteurs susmentionnés pour déterminer si ce principe s’applique. Cela dit, dans Danyluk, la Cour a reconnu qu’une application stricte de la doctrine pourrait éventuellement donner lieu à une injustice. Le décideur devrait exercer son pouvoir discrétionnaire, comme l’a affirmé la Cour suprême au paragraphe 33, tout en se souvenant que « [l]’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. » Les décideurs détiennent un pouvoir discrétionnaire résiduel pour déterminer s’il convient d’appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée compte tenu des faits d’une affaire en particulier. La Cour suprême a néanmoins dressé une liste non exhaustive de sept facteurs pertinents qui peuvent être pris en considération dans le cas d'une décision semblable. Ces facteurs sont les suivants :

  1. Le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative;
  2. L’objet de la loi;
  3. L’existence d’un droit d’appel;
  4. Les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  5. L’expertise du décideur administratif;
  6. Les circonstances ayant donné naissance à l’instance administrative initiale.

[19] Même si la demanderesse n’a pas présenté d’observations sur la question de l’autorité de la chose jugée, j’estime, d’après mon examen du dossier concerné, que la division générale n’a pas tenu compte de la deuxième des deux étapes : déterminer si le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait en l’espèce. Rien ne permet de croire que la division générale ait considéré l’un ou l’autre des sept facteurs susmentionnés. Je conclus qu’il pourrait s’agir là d’une erreur de droit, laquelle confère à l’appel une chance raisonnable de succès. En vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, une erreur de droit, qu’elle ressorte ou non à la lecture du dossier, constitue un moyen d’appel justifiant l’octroi de la permission d’en appeler. Par conséquent, j’accorde la permission d’en appeler.

[20] La Cour d’appel fédérale a statué, dans Mette v. Canada (Procureur général), 2016 FCA 276, que la division d’appel n’a pas besoin de traiter de tous les motifs d’appel invoqués par un demandeur. Dans Mette, le juge Dawson a affirmé que l’article 58 de la Loi sur le MEDS [traduction] « […] ne repose pas sur le rejet de chacun des moyens d’appel invoqués. [L]es différents moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient impossible de les analyser distinctement, et un motif défendable suffit donc à motiver l’octroi d’une permission d’en appeler. » (par. 15) Les autres motifs d’appel invoqués par la demanderesse sont intrinsèques à l’analyse servant à déterminer si son problème de santé est grave et prolongé. En conséquence, je ne suis pas tenue de traiter des autres motifs d’appel contenus dans la demande de permission d’en appeler présentée par la demanderesse.

Conclusion

[21] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[22] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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