Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée.

Introduction

[1] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision datée du 24 novembre 2016, rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal). La division générale avait précédemment tenu une audience par vidéoconférence et avait conclu que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), car son invalidité n’était pas « grave » avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui a pris fin le 31 décembre 2011.

[2] Le 23 janvier 2017, dans les délais prescrits, le représentant autorisé du demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel.

Droit applicable

[3] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission, et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[4] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[5] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[6] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, il faut qu’un motif d’appel susceptible de donner gain de cause à l’appel soit présenté : Kerth c. CanadaNote de bas de page 1. La Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si une affaire est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

[7] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l’affaire. Il s’agit du premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais il est inférieur à celui auquel il devra faire face lors de l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, le demandeur n’a pas à prouver sa thèse.

Question en litige

[8] La division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Observations et analyse

Allégation de conclusions de fait erronées

[9] Le demandeur soutient que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le demandeur conteste précisément le paragraphe 58 de la décision de la division générale [traduction] :

L’appelant a longuement parlé de ses crises de panique et de son état psychologique. Cependant, il a seulement assisté à six ou sept séances de counselling avec un conseiller du RAE [régime d’aide aux employés] en 2012. Il a affirmé avoir rencontré un psychiatre lors d’une séance, mais ce dernier a refusé de le traiter. Aucun rapport médical n’a été présenté par un psychologue ou par un psychiatre. Le Dr Naghlu souligne en 2015 que l’appelant est en attente d’un suivi psychiatrique, mais qu’il est d’humeur dépressive depuis des années. L’absence de traitement démontre que la condition est maîtrisable. L’appelant et le témoin ont témoigné que les techniques de repos enseignées par le conseiller du RAE sont utiles et permettent de maîtriser la condition. De même, il prend du lorazépam comme unique médicament, d’abord pour ses spasmes aux jambes et de plus en plus pour gérer son anxiété. La médication n’a pas été changée depuis des années, et aucun traitement n’a été recherché depuis les quelques séances suivies en 2012. Le Tribunal juge qu’il n’y a pas de preuve médicale pour démontrer que l’anxiété de l’appelant l’empêche de travailler.

[10] Le demandeur cite plusieurs extraits des rapports et des notes cliniques du Dr Naghlu qui contredisent, selon lui, les conclusions tirées dans le passage précédent. D’abord, il soutient qu’il est [traduction] « évident » que son médecin de famille le traitait pour son anxiété et sa dépression. Ce médecin a également évalué ses résultats concernant l’anxiété généralisée et ses résultats du PHQ-9 relatif à la dépression, lesquels se situaient dans le palier d’intensité modérée à modérée grave. Deuxièmement, contrairement à la conclusion de la division générale, le demandeur fait valoir que le Dr Naghlu a fait plusieurs tentatives de différents médicaments pour l’aider à gérer ses symptômes d’anxiété et de dépression avec des prescriptions de Cipralex (avec augmentation des doses), de Wellbutrin et de Seroquel, en plus du lorazépam. Finalement, le demandeur soutient que la division générale n’était pas fondée à affirmer que [traduction] l’« absence de traitement démontre que la condition est maîtrisable ». En fait, la preuve démontre qu’il suivait un traitement avec son conseiller, avec son médecin de famille, et qu’il a été dirigé chez un psychiatre à deux reprises.

[11] J’estime que pour ce motif, l’appel a une chance raisonnable de succès. Dans le paragraphe cité, la division générale tire plusieurs conclusions de fait par rapport au traitement psychologique du demandeur :

  • il a assisté à six ou sept séances avec un conseiller du régime d’aide aux employés en 2012;
  • il n’a pas recherché de traitement depuis 2012;
  • il a affirmé avoir pris part à une consultation psychiatrique;
  • aucun rapport médical présenté par un psychologue ou par un psychiatre ne se trouve au dossier;
  • il prenait du lorazépam comme unique médicament pour gérer son anxiété;
  • sa médication n’a pas été changée depuis des années.

[12] Ma révision du dossier de preuve dévoile qu’aucune des conclusions susmentionnées n’est, en soi, factuellement inexacte et, en fait, elles reflètent toutes le témoignage livré par le demandeur lors de l’audience. Le demandeur mentionne les dossiers de son médecin de famille comme réfutation, mais il me semble qu’aucun des passages soulignés ne contredise quoi que ce soit au paragraphe 58. Par exemple, bien que les notes du Dr Naghlu mentionnent plusieurs prescriptions de médicaments contre la dépression et contre l’anxiété dans le passé, la preuve accessible semble indiquer que le demandeur prenait seulement du lorazépam au moment de sa demande de prestations d’invalidité du RPC, ainsi que par la suite.

[13] Cela dit, je considère qu’il existe une cause défendable sur le fait que la division générale pourrait avoir omis de tenir compte d’une plus grande vérité, car à l’examen de l’historique médical du demandeur, elle a constaté une [traduction] « absence de traitement » pour les troubles mentaux du demandeur. En tirant une conclusion défavorable fondée sur « l’absence de traitement » du demandeur, la division générale n’a-t-elle pas tenu compte des nombreux indices au dossier par rapport au fait que le demandeur était traité depuis longtemps par son médecin de famille pour sa dépression et son anxiété? Je reconnais qu’un juge des faits est libre de tirer des conclusions raisonnables à partir de la preuve accessible, mais je crois également qu’il est possible que la division générale ait diminué, de façon déraisonnable, les soins du Dr Naghlu, tout en tirant une conclusion défavorable injustifiée fondée sur les quelques interventions de spécialistes en santé mentale.

Allégation d’erreurs de droit

[14] Le demandeur fait valoir que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit en rendant sa décision :

  • Elle n’a pas appliqué la décision Canada c. Dwight St-LouisNote de bas de page 3 en donnant seulement une justification superficielle pour ne pas accepter la preuve du demandeur selon laquelle ses différents troubles de santé l’ont rendu invalide et incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur et son épouse ont présenté un témoignage quant aux limitations physiques et émotionnelles du demandeur, mais la division générale n’a pas examiné la preuve d’un point de vue qui sert à évaluer son aptitude au travail dans un contexte réaliste.
  • Elle n’a pas accordé une importance suffisante à la preuve que le demandeur recevait des mesures d’adaptation d’un employeur bienveillant, et a ainsi ignoré les principes établis dans la décision Atkinson c. CanadaNote de bas de page 4. Le demandeur fait valoir que les mesures d’adaptation en milieu de travail qu’il recevait après 2009 étaient tellement particulières qu’il serait insensé de croire qu’un employeur ordinaire, dans un marché compétitif, lui offrirait une telle aide.
  • Elle a omis d’appliquer adéquatement le critère d’invalidité du RPC, qui est établi au sous-alinéa 42(2)a)(i), car elle n’a pas tenu compte de la jurisprudenceNote de bas de page 5 qui commande de tenir compte de la « régularité », laquelle a été définie comme la capacité de se présenter au travail de manière prévisible ou pendant une période durable. Comme le demandeur l’a mentionné dans son témoignage présenté à l’audience, il ne peut pas travailler selon un horaire fixe en raison de ses maux de jambe et de son incapacité à se concentrer. Son emploi précédent ne nécessitait pas un horaire de travail régulier et ne demandait que quelques heures par jour.
  • Elle n’a pas tenu compte de la décision Bungay c. CanadaNote de bas de page 6, car elle a omis de considérer l’ensemble des conditions du demandeur et leur impact groupé sur son fonctionnement dans un contexte « réaliste ». De façon précise, la division générale a ignoré l’impact de la myélite transverse du demandeur et des symptômes qui y sont associés sur sa capacité à conserver un emploi régulier véritablement rémunérateur.

[15] À ce stade, j’aborderai ces allégations conjointement, car elles partagent le même thème : la prétendue omission de la division générale d’appliquer l’aspect de « régularité » de la définition du RPC pour la gravité. Comme le demandeur le souligne avec exactitude, un requérant qui ne peut pas s’engager à travailler selon un horaire fixe parce que l’intensité de douleur varie d’une journée à l’autre sera réputé être invalide.

[16] Le demandeur soutient que la division générale a ignoré la preuve qu’on lui permettait, dans le cadre de son précédent travail, de ne pas porter de chaussures et d’utiliser une chaufferette pour sa jambe. Puisque son état s’est détérioré, il a utilisé les congés de maladie auxquels il avait droit, et plus encore, mais il a pu conserver son emploi. En 2012, un contrat de conception de logiciel pour l’employeur de son épouse [traduction] « lui est tombé dessus ». Il n’était pas lié par un horaire fixe et on lui avait seulement donné une date de mise en œuvre, ce qui lui permettait de travailler quand il en était capable. Le demandeur soutient qu’en associant ces termes généreux à des conditions réalistes, la division générale a erré en droit.

[17] J’estime que l’appel a une chance raisonnable de succès pour ce motif. Comme on l’a établi dans la décision Dwight St-Louis, il ne suffit pas pour le juge des faits de simplement résumer la preuve; il doit également tenir compte de façon significative des rapports médicaux et du témoignage dans le contexte des circonstances personnelles propres au demandeur et, si applicable, expliquer le choix de diminuer un élément de preuve en particulier.

[18] Le demandeur laisse entendre que la division générale n’a pas tenu compte d’éléments de preuve orale et documentaire présentés au soutien de son affirmation d’être incapable de faire preuve de « régularité », mais il allègue qu’elle n’a pas justifié sa décision de le faire. Le demandeur soulève des moments précis de l’enregistrement de l’audience où il a associé son incapacité de travailler à l’imprévisibilité de ses symptômes. Pourtant, la division générale n’a pas abordé cet aspect de la prétendue non-fonctionnalité dans son analyse. Aux paragraphes 63 et 64 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit [traduction] :

L’appelant n’a pas recherché d’emploi depuis 2011, dernière période pendant laquelle il présentait des demandes d’embauche et participait à des entrevues. Le Tribunal n’accepte pas son témoignage sur le fait d’être incapable de travailler puisqu’il est physiquement incapable de se trouver un emploi. Il a réussi à travailler de façon indépendante en 2010 depuis la maison, à sa guise. Il n’a pas tenté d’obtenir un autre contrat à accomplir depuis la maison, quoique l’entreprise était en place et qu’il était disponible. Il a même réussi à suivre trois cours de niveau collégial entre 2010 et 2011 pendant ses temps libres... Il a aussi souligné ses limitations et ses mesures d’adaptation, comme la nécessité de travailler sans chaussures et de reposer sa jambe. Ce type de mesures peut être adopté à la maison et ne serait pas coûteux pour un employeur qui y consentirait, comme il en a été fait montre par le précédent employeur. Bien qu’il ait montré pouvoir travailler grâce à ces mesures d’adaptation, il n’a pas réussi à démontrer qu’il ne peut pas travailler en leur absence.

[19] Cet extrait semble démontrer que, même si la division générale a abordé d’une certaine façon la capacité du demandeur à performer régulièrement et constamment, elle a apparemment omis de tenir compte de la portée du bénéfice de ces mesures d’adaptation et de l’aide qu’il recevait pendant les deux ou trois dernières années qu’il a passées sur le marché du travail. La division générale a accepté que le demandeur nécessitait des mesures d’adaptation en milieu de travail qui sortent de l’ordinaire, mais s’est arrêtée au fait qu’il travaillait de la maison quand il était travailleur indépendant en 2010. Au paragraphe 34 de sa décision, la division générale a souligné le témoignage de madame L. quant au fait d’avoir été indispensable pour conclure, au nom de son époux, un contrat de développement avec son employeur, mais cet élément de preuve, lequel me paraît pertinent, n’a apparemment eu aucune incidence dans l’analyse. À mon avis, les circonstances concernant le dernier travail rémunéré du demandeur pourraient être interprétées autant comme une preuve d’incapacité qu’une preuve de capacité, advenant que la doctrine de l’employeur bienveillant soit considérée.

Conclusion

[20] J’accorde la permission d’en appeler conformément à tous les motifs présentés par le demandeur. Si les parties décident de présenter des observations supplémentaires, elles sont libres de formuler leur opinion sur la question de savoir si une nouvelle audience s’avère nécessaire, et si tel est le cas, sur le mode d’audience approprié.

[21] La présente décision qui accorde la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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