Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 16 mai 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu qu’une pension d’invalidité n’était pas payable à la demanderesse au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). La demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler (demande) à la division d’appel du Tribunal, qui l’a reçue le 19 juillet 2016.

Question en litige

[2] Le membre doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission », et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission. »

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Déterminer s’il faut accorder la permission d’en appeler est un processus préliminaire. L’examen suppose une analyse des renseignements visant à déterminer s’il existe un argument qui conférerait à l’appel une chance raisonnable de succès. Il s’agit d’un seuil à atteindre inférieur à celui qui doit être atteint lors de l’audience de l’appel sur le fond. Le ministre n’a pas à prouver sa thèse à l’étape de la demande de permission d’en appeler : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 1999 CanLII 8630 (CF). Dans l’arrêt Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

Observations

[7] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit puisque le membre n’a pas appliqué les bons principes juridiques pour déterminer s’il y avait invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale n’a pas statué sur l’invalidité au sens du RPC en se fondant sur [traduction] « le rendement, la productivité et la rentabilité » pour juger de l’aptitude d’une personne à travailler (AD1-3). De plus, il est avancé que la division générale a erré du fait qu’elle n’aurait pas bien examiné la capacité de la demanderesse à détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste », comme l’exige Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.

[8] Le représentant de la demanderesse soutient que la décision de la division générale est basée sur une conclusion de fait erronée. Plus précisément, d’après ses observations, l’effet cumulatif des nombreux problèmes de santé n’aurait pas été considéré. Il est également soutenu, dans les observations, qu’une valeur inadéquate avait été accordée à certaines opinions médicales et, en particulier, qu’aucun poids n’avait été accordé à la preuve médicale confirmant la [traduction] « hernie discale à CS-6 qui nécessitait une opération, à savoir une discectomie cervicale antérieure et une fusion au moyen d’une greffe Cornerstone et de plaques Atlantis antérieures en plus d’un syndrome de conflit sous-acromial à l’épaule gauche ». (AD1-3) Dans les observations, il est également soutenu que la division générale n’a pas tenu compte de la douleur dont se plaignait généralement la demanderesse, et qu’elle n’avait pas suffisamment tenu compte de l’habileté fonctionnelle et de la capacité de la demanderesse dans leur ensemble. Enfin, pour ce qui est de sa capacité à travailler, le représentant de la demanderesse soutient que la division générale n’a pas bien évalué sa capacité à [traduction] « avoir un bon rendement, à être productive et à atteindre un seul de rentabilité dans le cadre d’un emploi » (AD1-3) comme elle n’a pas tenu compte des restrictions permanentes recommandées pour le handicap affectant son épaule et son cou, ainsi que des limitations qui en découlent.

Analyse

[9] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale n’a pas appliqué l’arrêt Villani comme elle n’a pas tenu compte des caractéristiques personnelles de la demanderesse, comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. La Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit au paragraphe 38 de Villani :

[38] Cette analyse du sous-alinéa 42(2))(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[10] Il est manifeste que la division générale n’a pas cité expressément Villani dans sa décision; néanmoins, de nombreuses caractéristiques personnelles de la demanderesse sont répertoriées au paragraphe 8 de sa décision, dans la section de la Preuve. S’il n’est pas nécessaire de mentionner Villani, une analyse qui tient compte des facteurs consacrés par Villani est quant à elle essentielle. Cela dit, il ne suffit pas d’énoncer simplement les caractéristiques personnelles dans la section de la Preuve d’une décision. Une analyse signifiante doit être menée. Dans la partie de l’Analyse de sa décision, la division générale a effectué un examen approfondi de la preuve, puis a conclu ce qui suit, au paragraphe 51 :

[traduction]

[51] Le Tribunal a jugé que les éléments suivants menaient à la conclusion que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave avant l’échéance de sa PMA, le 31 décembre 2014 :

  • le traitement ayant suivi son opération en septembre 2012 était conservateur;
  • aucun spécialiste n’avait été consulté après décembre 2012;
  • il y’avait aucun rapport de ses médecins de famille qui traitait de sa capacité à travailler au moment de sa PMA, ou qui en traite tout court;
  • aucun rapport d’enquête n’avait été produit après l’IRM effectuée en août 2012;
  • la preuve médicale que le problème à l’épaule et au cou de l’appelante s’était considérablement amélioré après des interventions chirurgicales, respectivement en 2010 et en 2012;
  • il n’y avait aucune preuve médicale que l’appelante souffrait d’importants maux de tête ou qu’elle avait été traitée pour ceux-ci;
  • la preuve que l’appelante avait recommencé à travailler après les opérations;
  • aucune preuve médicale ne révélait que l’état de la demanderesse s’était considérablement aggravé, ni un tant soit peu aggravé, après son arrêt de travail en octobre 2014 et avant sa PMA;
  • il n’y avait aucune preuve d’efforts pour trouver et conserver un emploi qui auraient été infructueux pour des raisons de santé.

[11] Même si la division générale a, dans son examen, fait référence à une bonne partie des éléments de preuve, elle a négligé de tenir compte de l’incidence des caractéristiques personnelles de la demanderesse sur sa capacité à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste ». Cela ne veut pas dire que la demanderesse serait nécessairement jugée invalide au sens du RPC si cela était fait, mais simplement qu’il est difficile de savoir, en l’absence d’une analyse adéquate, si la division générale a convenablement rempli sa fonction. Cette erreur de droit potentielle confère à l’appel une chance raisonnable de succès. La permission d’en appeler est accordée pour ce moyen.

[12] En ce qui concerne l’évaluation de la capacité à travailler, une personne est considérée comme invalide, au sens du RPC, si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès (par. 42(2) du RPC). De plus, en évaluant la capacité à travailler, la division générale s’est reportée à la décision rendue dans Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, où l’on peut lire ce qui suit :

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[13] La division générale a cité Inclima, puis a essayé de trouver des preuves que la demanderesse avait essayé de travailler, mais qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pour des raisons de santé. Les paragraphes 38-45 brossent un tableau de la preuve liée à la capacité de la demanderesse à travailler. Au paragraphe 45, le membre s’est exprimé comme suit : [traduction] « Il n’y a aucun rapport médical datant de la PMA de l’appelante et, conséquemment, aucun rapport médical qui ne traite de la capacité de la demanderesse à travailler à l’époque de sa PMA. » Après examen des informations, le membre de la division générale a conclu ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 de la décision :

[traduction]

[47] Le Tribunal a déterminé que le caractère conservateur du traitement reçu par l’appelante durant la période suivant ses opérations de 2010 et 2012, avant sa PMA, et par la suite, essentiellement des médicaments, l’absence de tout rapport médical remontant à la PMA qui donnerait lieu de croire à une incapacité à travailler, et la preuve que l’appelante avait recommencé à travailler en janvier 2013 après son opération au cou, et qu’elle avait continué à travailler longtemps par la suite, démontraient une capacité à travailler.

[48]  L’appelante n’a pas cherché d’emploi qui convienne aux limitations fonctionnelles affectant son épaule depuis qu’elle a cessé de travailler en octobre 2014, et elle n’a participé à aucun programme de perfectionnement ou de recyclage professionnels depuis 2006, ce qui lui aurait permis d’acquérir des compétences nécessaires pour décrocher un emploi qui lui soit accessible compte tenu de ses limitations fonctionnelles.

[14] Ultimement, le membre de la division générale a évalué la preuve au dossier et, à l’audience, n’a pas pu conclue que la demanderesse avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était admissible à une pension d’invalidité du RPC. Cependant, comme l’analyse conforme à Villani n’a pas bien été menée, il se peut que l’analyse portant sur la capacité à travailler s’en soit trouvée influencée. Le principe consacré par Inclima veut qu’en présence de preuves d’une capacité à travailler, il faut déterminer si le demandeur a essayé de trouver un emploi qui lui convienne compte tenu de son état de santé. De plus, la cause Klabouch c. Canada (Développement social), 2008 CAF 33, a établi que ce n’est pas l’incapacité du demandeur d’occuper son emploi habituel qui importe, mais plutôt son incapacité de trouver et de conserver « une occupation véritablement rémunératrice ». La division générale a examiné minutieusement la preuve au dossier avant de conclure que la demanderesse avait toujours une certaine capacité à travailler mais qu’elle n’avait pas tenté de trouver un emploi. Ceci pourrait être influencé par une analyse conforme à Villani, et la permission d’en appel a été accordée pour ce motif.

[15] Le représentant de la demanderesse a aussi invoqué d’autres moyens d’appel mais, comme l’a établi la Cour d’appel fédérale dans Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276, la division d’appel n’a pas besoin de traiter de tous les moyens d’appel invoqués par un demandeur. La Cour d’appel fédérale a statué que le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS [traduction] « […] n’est pas fondé sur le rejet de moyens d’appel pris séparément. En effet, les différents moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient impossible de les analyser distinctement, et un motif défendable suffit donc à motiver l’octroi de la permission d’en appeler. »

[16] Compte tenu de la force relative des moyens d’appel d’après lesquels j’ai accordé la permission d’en appeler, j’estime ne pas avoir besoin d’aborder ces autres moyens d’appel.

Conclusion

[17] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[18] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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