Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Cet appel du ministre est fait à l’encontre de la décision de la division générale du 13 avril 2016, laquelle jugeait que le défendeur était admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC).Dans sa décision, la division générale a conclu que le défendeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler (demande) auprès de la division d’appel du Tribunal qui l’a reçue le 12 juillet 2016.

Question en litige

[2] Le membre doit décider si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Comme il est prévu aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission. »

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[5] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Le processus d’évaluation de la question de savoir s’il faut accorder la permission d’en appeler est un processus préliminaire. L’examen exige une analyse des renseignements afin de déterminer s’il existe un argument qui conférerait à l’appel une chance raisonnable de succès. Il s’agit du seuil inférieur à celui qui devra être franchi à l’audience relative à l’appel sur le fond. Le demandeur n’a pas à prouver sa thèse à l’étape de la demande de permission d’en appeler : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 1999 CanLII 8630 (CF). Dans l’arrêt Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

Observations

[7] Le demandeur a identifié les motifs d’appel suivants :

  1. La division générale a erré en droit en rendant sa décision des manières suivantes :
    1. Le demandeur soutient que le critère approprié pour le caractère « prolongé » n’a pas été considéré.
    2. Le demandeur soutient que la division générale n’a pas tenu compte du travail à temps partiel dans son analyse de la capacité de travailler aux fins de détermination du caractère grave de l’invalidité.
    3. Le demandeur a jugé que la division générale avait erré quand elle a accepté comme une preuve d’invalidité grave le témoignage du défendeur de ne pas avoir tenté de chercher un autre emploi.

a. La division générale a erré en droit en rendant sa décision

i. Le critère approprié pour le caractère « prolongé » n’a pas été considéré

[8] Le demandeur soutient que, même si la division générale a correctement cité le critère pour déterminer qu’une invalidité est « prolongée » au paragraphe 6 de la décision, l’analyse réelle de l’historique médical du défendeur ne faisait pas une application adéquate de ce critère, laquelle se trouve au paragraphe 37 de la décision. Les deux exigences pour établir qu’une personne est invalide se trouvent à l’alinéa 42(2)a) du RPC. Le texte est ainsi libellé :

42(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

[9] Le demandeur fait valoir que la division générale n’a pas tenu compte du segment « devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès », et a donc omis d’analyser le dossier de façon correcte. De plus, le demandeur soutient que la division générale n’a même pas évalué qu’un élément de preuve témoignait d’une condition indéfinie chez le défendeur.

ii. Omission de tenir compte du travail à temps partiel dans l’analyse de la capacité de travailler

[10] Le demandeur fait valoir qu’il existait au dossier la preuve faisant montre que le défendeur était apte à travailler à temps partiel. Notamment, le demandeur a cité le paragraphe 18 de la décision de la division générale, où l’épouse du défendeur a mentionné que celui-ci avait continué de persévérer au travail jusqu’en septembre 2015. Elle a aussi mentionné qu’il avait travaillé au moins pendant quelques mois avant ce moment, et qu’il s’absentait au moins une journée par semaine en raison de sa condition (décision de la division générale, paragraphe 18).

[11] De plus, le demandeur soutient que la capacité du défendeur de travailler à temps partiel indiquait une capacité de travail, et le fait que la division générale n’en ait pas tenu compte dans sa décision signifie qu’elle a utilisé le mauvais critère pour évaluer l’invalidité. Le demandeur soutient que le critère de gravité prescrit par le RPC n’est pas de savoir si le requérant est apte à travailler à temps plein; il s’agit plutôt qu’il démontre être incapable de détenir une « occupation véritablement rémunératrice », ce qui comprendrait les activités modifiées, le travail à temps partiel, etc. (Miceli-Riggins c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 158). Le demandeur soutient qu’en n’ayant pas analysé la possibilité qu’avait le défendeur de travailler dans ce contexte, la division générale a erré en droit.

iii. L’erreur commise quand elle a accepté le témoignage du défendeur de ne pas avoir cherché un autre emploi

[12] Le demandeur soutient que la conclusion de la division générale au paragraphe 35 démontre que l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, n’a pas été utilisé à bon escient dans le jugement de cette affaire. L’arrêt Inclima explique que lorsqu’il y a preuve de capacité de travail, un individu doit démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. La division générale a plutôt expliqué ce qui suit au paragraphe 35 de sa décision [traduction] :

[35] [...] Bien que l’appelant n’ait pas tenté de chercher un autre emploi, le Tribunal accepte son témoignage quant au fait que ses symptômes n’ont pas diminué pour lui permettre d’être régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[13] Le demandeur soutient que des conclusions faisaient montre d’une capacité de travailler. Par ailleurs, les observations démontrent que la décision de la division générale acceptait le manque d’efforts déployés par le défendeur pour se trouver un emploi comme une preuve d’invalidité grave. En contrepartie, le demandeur cite l’arrêt Inclima comme l’autorité nécessitant que, si une capacité de travailler est décelée, des tentatives sont requises pour démontrer que l’incapacité de se trouver un emploi et de le conserver découle de l’état de santé. L’on avance que la division générale a erré dans son examen au paragraphe 35, car elle a accepté que le manque de tentatives suffit comme preuve que le défendeur n’aurait pas pu détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Analyse

a) La division générale a-t-elle erré en rendant sa décision, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier?

i. Est-ce le critère approprié pour le caractère « prolongé » qui a été utilisé?

[14] La division générale semble avoir ignoré l’analyse requise pour déterminer si l’invalidité répond au critère du caractère prolongé. Bien que le critère ait correctement été cité au paragraphe 6 de la décision, le paragraphe 37 représente le seul dans la décision qui comporte une observation sur le critère « prolongé ». La partie pertinente du paragraphe 6 se lit ainsi : « [...] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès. »

[15] En contrepartie, l’analyse faite au paragraphe 37 de la décision de la division générale se lit ainsi [traduction] :

[37] Le Tribunal conclut que l’invalidité de l’appelant est prolongée. Il a reçu le diagnostic de fibromyalgie à un âge relativement jeune en 2004 et a pu composer avec ses symptômes jusqu’à ce qu’il subisse un accident de travail en janvier 2012. Depuis ce temps, l’appelant a essayé de prendre plusieurs narcotiques et antidépresseurs qui engendrent d’importants effets secondaires. Il a suivi un traitement conservateur et il reçoit toujours des injections dans une clinique antidouleur, de même qu’il suit un traitement psychiatrique dont les résultats sont limités. Compte tenu des faibles progrès observés chez l’appelant jusqu’à maintenant, malgré son respect des traitements recommandés, le Tribunal juge que la possibilité d’observer une amélioration chez l’appelant lui permettant d’être apte régulièrement à retrouver une occupation véritablement rémunératrice est faible.

[16] L’on ne mentionne pas au paragraphe 37 la question de savoir si l’invalidité doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès. Il semble que cette exigence de la loi ne se trouve point dans l’analyse. Une cause défendable pour ce motif pourrait avoir une chance raisonnable de succès en appel. La permission d’en appeler est accordée pour ce motif.

ii. La division générale a-t-elle omis de tenir compte du travail à temps partiel dans l’analyse de la capacité de travailler?

[17] L’on se réfère à l’arrêt Inclima au paragraphe 35 de la décision, ce qui semble indiquer qu’une capacité résiduelle de travailler a été observée. Il n’est pas clair dans la décision si l’analyse porte sur le travail à temps partiel ou sur le travail à temps plein, car l’unique analyse a été réalisée par rapport à la capacité du défendeur de travailler pour son ancien employeur. Le paragraphe 35 de la décision de la division générale se lit ainsi [traduction] :

[35] Lorsqu’il y a des preuves de capacité de travailler, une personne doit montrer que les efforts déployés pour obtenir et conserver un emploi ont été vains en raison de son état de santé (Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117). Depuis son accident de travail en janvier 2012, l’appelant a témoigné avoir tenté plusieurs fois de retourner travailler selon un horaire progressif chez Primus Telecom. Il a déclaré qu’à chaque fois, il pouvait continuer pendant plusieurs mois avant que les symptômes de douleur corporelle n’augmentent au point qu’il devait cesser de travailler. L’appelant avait un poste sédentaire chez Primus et sa station de travail avait été adaptée de façon ergonomique. Malgré ses efforts pour continuer à travailler, sa douleur est devenue si grande qu’il a dû cesser de travailler de manière permanente le 30 septembre 2015. Certes, l’appelant n’a pas tenté de trouver un autre emploi, mais le Tribunal accepte son témoignage sur le fait que ses symptômes n’ont pas diminué pour lui permettre d’être régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Sur le fondement des tentatives précédentes de l’appelant pour retourner à un poste sédentaire selon un horaire progressif et de l’échec thérapeutique pour réduire les symptômes, et ce malgré les traitements, le Tribunal juge que l’état de santé de l’appelant ne lui permettait pas de travailler depuis son arrêt en septembre 2015.

[18] Le questionnaire relatif à l’invalidité (GD3-60 à GD3-66) démontre que le défendeur a travaillé jusqu’au 14 juillet 2013, après avoir subi un accident de travail en janvier 2012. Il est aussi retourné au travail pendant quelques mois après avoir fait une demande de pension d’invalidité du RPC. De plus, l’épouse du défendeur a présenté un témoignage oral pour expliquer qu’au cours des quelques mois, du moins, qui ont précédé septembre 2015, moment de l’arrêt de travail, son époux s’absentait au moins une journée par semaine en raison de son état. À la lumière de cette information, le paragraphe 35 de la décision de la division générale semble comporter plusieurs lacunes dans son analyse. Ou une capacité résiduelle de travailler a été établie, ce qui mènerait à une analyse conformément à l’arrêt Inclima, ou il a été conclu qu’aucune capacité résiduelle de travailler n’a été établie. D’après la décision de la division générale, il semble avoir eu examen de la capacité résiduelle de travailler, mais seulement dans le contexte de l’ancien emploi du défendeur. Ce n’est pas suffisant pour complètement analyser si le défendeur pouvait détenir une « occupation véritablement rémunératrice ».

[19] Être incapable de travailler est un critère difficile à satisfaire, et dans la décision Miceli-Riggins, la Cour d’appel fédérale a expliqué ce qui suit :

[15] Or, le critère de « l’incapacité de travailler » est des plus difficiles à satisfaire. Pour ce faire, le demandeur doit démontrer davantage qu’une simple incapacité d’exécuter les fonctions de son ancien emploi. Il doit plutôt démontrer qu’il est « incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice », ce qui comprend les activités modifiées au lieu de travail habituel du demandeur, le travail à temps partiel, que ce soit au lieu de travail habituel du demandeur ou ailleurs, ou le travail sédentaire.

[20] L’analyse présentée dans Inclima n’est utilisée que si une capacité résiduelle de travailler a été établie :

[3]

[…]

[…]

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[21] Si une capacité résiduelle de travailler a été établie, comme le demandeur soutient que le potentiel de travail à temps partiel le démontre, alors l’analyse n’a pas été réalisée correctement. Si la conclusion était qu’aucune capacité résiduelle de travailler n’existait, alors l’arrêt Inclima n’aurait pas eu à faire partie de l’analyse. Quoi qu’il en soit, le paragraphe 35 n’est pas clair et soulève des questions en ce qui concerne la capacité de travailler du défendeur. La permission d’en appeler à l’égard de ce motif est accordée, car il renferme une chance raisonnable de succès en appel.

iii. La division générale a-t-elle commis une erreur quand elle a accepté comme preuve d’invalidité le témoignage du défendeur de ne pas avoir cherché un autre emploi?

[22] Le défendeur avait admis qu’il n’avait pas cherché un emploi, et la division générale a accepté cette preuve. Cette question découle directement de la question précédente sur la capacité de travailler. À l’accord de la permission d’en appeler sur la question de déterminer si une capacité résiduelle de travailler existait, alors il est seulement logique pour l’exercice analytique de déterminer également si les efforts pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux en raison d’un trouble de santé. Si l’on devait conclure qu’une capacité résiduelle de travailler existait en appel, la seule autre étape logique serait d’examiner les renseignements dans le contexte de l’arrêt Inclima, qui requiert que des tentatives pour trouver un travail doivent être démontrées. La permission d’en appeler est accordée pour ce motif, car il semble comporter une chance raisonnable de succès en appel, la question étant directement liée à l’évaluation du travail à temps partiel comme indicateur de capacité résiduelle de travailler.

Conclusion

[23] La permission d’en appeler est accordée pour les motifs suivants :

  1. Il se peut que la division générale ait erré en droit des manières suivantes :
    1. le critère approprié pour décider du caractère « prolongé » d’une invalidité;
    2. déterminer si une capacité résiduelle de travailler existait, et si tel est le cas, l’arrêt Inclima a-t-il été appliqué correctement;
    3. accepter comme une preuve d’invalidité la preuve du défendeur de ne pas avoir tenté de chercher un emploi.

[24] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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