Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée.

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler relativement à une décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) le 29 novembre 2016. La division générale avait précédemment tenu une audience par téléconférence et avait conclu que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle avait conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité « grave » au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui a pris fin le 31 décembre 2012.

[2] Le 9 février 2017, dans les délais fixés, la demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel.

Droit applicable

Régime de pensions du Canada

[3] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une telle pension, un requérant doit :

  1. a) avoir moins de soixante-cinq ans;
  2. b) ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[4] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission, et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[5] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[6] Aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Pour obtenir la permission d’en appeler, la demanderesse doit présenter un motif défendable qui pourrait éventuellement donner gain de cause à l’appel : Kerth c. CanadaNote de bas de page 1. La Cour d’appel fédérale a déterminé qu’une cause défendable en droit revient à une cause ayant une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

[8] Une demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition au fond de l’affaire. C’est un premier obstacle que la demanderesse doit franchir, mais cet obstacle est inférieur à celui auquel elle devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

Question en litige

[9] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès?

Observations

Conclusions de fait erronées

[10] La représentante de la demanderesse soutient que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

  1. Au paragraphe 66 de sa décision, la division générale a décrit la demanderesse comme étant [traduction] « une historienne vague qui avait beaucoup de difficulté à se souvenir des faits concernant des événements importants et à en fournir. » La demanderesse soutient qu’elle n’éprouve pas de difficultés avec les événements importants, mais qu’elle a seulement éprouvé de la difficulté à se souvenir de certains détails.
  2. Au paragraphe 67, la division générale n’a relevé aucun élément de preuve à l’appui d’une dépression jusqu’au rapport du Dr Miller datant de mai 2015. En fait, la demanderesse a affirmé qu’elle participait à une consultation de groupe en 2010.
  3. Au paragraphe 69, la division générale a conclu que la demanderesse ne pouvait pas expliquer pourquoi elle n’avait pas subi de chirurgie au dos. En fait, la demanderesse a affirmé avoir consulté des spécialistes en orthopédie qui lui ont dit qu’elle n’était pas une candidate au traitement chirurgical. Ils n’ont pas expliqué (ou la demanderesse ne se rappelait plus) comment ils en sont venus à ces conclusions; d’une façon ou d’une autre, la demanderesse ne devrait pas être pénalisée pour son incapacité à répondre à la question de la division générale.

Erreurs de droit

[11] La représentante de la demanderesse soutient que, en rendant sa décision, la division générale a commis une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier :

  1. Elle n’a pas appliqué l’affaire Garrett c. CanadaNote de bas de page 3, puisqu’elle n’a pas pris en considération les facteurs énoncés dans l’affaire Villani c. CanadaNote de bas de page 4.
  2. Elle n’a pas appliqué l’affaire Canada c. St. LouisNote de bas de page 5 parce qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve qui démontraient la gravité de l’invalidité de la demanderesse en fonction de sa situation personnelle.
  3. Elle n’a pas appliqué l’affaire Atkinson c. CanadaNote de bas de page 6 puisqu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve selon lesquels la demanderesse avait été accommodée par un « employeur bienveillant », ce qui lui avait permis de demeurer sur le marché du travail malgré son invalidité.
  4. Elle n’a pas appliqué le critère d’invalidité du RPC, conformément au sous-alinéa 42(2)a)(i), parce qu’elle a fait abstraction de la jurisprudenceNote de bas de page 7 qui oblige la prise en compte de la « régularité », qui signifie la capacité de se présenter au travail de manière prévisible ou à une fréquence durable.
  5. Elle n’a pas appliqué l’affaire Inclima c. CanadaNote de bas de page 8en concluant que la demanderesse était capable de retourner travailler à la fin de sa PMA.
  6. Elle n’a pas appliqué l’affaire Bungay c. CanadaNote de bas de page 9puisqu’elle n’a pas tenu compte de toutes les conditions de la demanderesse ainsi que leur impact collectif sur son fonctionnement dans un contexte réaliste.

Analyse

[12] À ce stade, je vais seulement traiter des arguments qui, à mon avis, confèrent les plus grandes chances de succès à la demanderesse en appel.

[traduction] « Historienne vague »

[13] La demanderesse soutient que, contrairement à la conclusion de la division générale, elle n’a pas de difficulté à se souvenir des événements importants — seulement des détails concernant ceux-ci. Voici des exemples de détails dont elle n’était pas en mesure de se souvenir :

  • Le nom de tous les centres antidouleur qu’elle a consultés (à la 19e minute de la partie 3 de l’enregistrement audio de l’audience);
  • La date exacte à laquelle elle a présenté sa demande de prestations d’invalidité du RPC (à la 12e minute de la partie 1 de l’enregistrement);
  • Son revenu provenant de son emploi comme chauffeuse de taxi (à la 5e minute de la partie 2 de l’enregistrement);
  • Le nom des médicaments qui lui ont été prescrits en décembre 2012;
  • Le nombre de poussées actives de douleur qu’elle a ressenties en décembre 2012 (à la 2e minute de la partie 3 de l’enregistrement).

[14] La demanderesse soutient que la division générale ne devrait pas avoir le droit de [traduction] « se fier davantage sur la preuve médicale » que sur son témoignage simplement parce que ses problèmes cognitifs entravaient sa mémoire concernant des détails. En effet, la division générale devrait apprécier le témoignage et la preuve médicale objective de manière égale.

[15] Je constate l’existence d’une cause défendable reposant sur ce moyen d’appel. Il n’existe aucune formule prescrivant la façon dont un juge des faits doit apprécier la preuve, mais la jurisprudence a maintenu avec constance qu’il faut tenir compte de l’ensemble de la preuve, et qu’aucun type d’élément de preuve précis n’est porteur d’une valeur moindre ou d’une valeur supérieureNote de bas de page 10. Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis d’accord avec la demanderesse que l’on doit accorder la même importante à la preuve orale et écrite, mais il est évident que l’on doit tenir compte des deux, et si l’on doit accorder moins de poids, de manière significative, à l’un d’eux, alors le juge des faits doit fournir un motif valable. En l’espèce, la demanderesse soutient que la division générale a en fait rejeté l’ensemble de son témoignage pour des motifs qui étaient (i) non fondés sur des faits ou (ii) frivoles.

[16] Le paragraphe 66 de la décision de la division générale se lit comme suit :

[traduction]

L’appelante était une historienne vague qui avait beaucoup de difficulté à se souvenir des faits concernant des événements importants et à en fournir. Le Tribunal reconnaît que cela est, dans une large mesure, imputable à son état de santé actuel et que l’appelante n’essayait pas de répondre de manière évasive ou d’éviter ce qu’elle aurait pu considérer comme des questions troublantes. Toutefois, cette situation rend la tâche du Tribunal plus difficile, et dans de telles circonstances, le Tribunal doit se fier davantage à la preuve médicale. Le Tribunal doit également tenir compte du fait que l’audience a eu lieu près de quatre ans après la date de la fin de la PMA, et que l’état de l’appelante à la date de l’audience ne correspond pas nécessairement à son état à la date de la fin de la PMA.

[17] La division générale a fait attention de ne pas attribuer de la malhonnêteté à la demanderesse, mais elle a laissé entendre que son témoignage, dans son ensemble, n’était pas fiable, car elle a eu de la [traduction] « difficulté » à se souvenir de certaines choses, et ce dont elle se souvenait était [traduction] « vague ». Après avoir traité de la preuve orale de la demanderesse, la division générale n’a fait aucune référence à celle-ci dans le reste de son analyse, et s’est attardée uniquement sur la preuve médicale documentaire. Même si la division générale dispose d’une grande discrétion pour apprécier la preuve comme elle l’entend, elle ne peut pas tout simplement ignorer le témoignage de la demanderesse sans bonne raison et, selon moi, il se peut que cela se soit produit en l’espèce.

[18] Bien que la division générale ait noté la difficulté qu’a éprouvée la demanderesse pour se souvenir des analgésiques et de la fréquence à laquelle elle conduisait son taxi, elle a autrement présenté que peu d’exemples de pertes de mémoire. En effet, je tiens à souligner que la décision contient une section qui résume son témoignage et qui est à la fois longue et détaillée, dans laquelle on suggère que la demanderesse a retenu une capacité de mémoire plus que minimale. J’ai également examiné rapidement l’enregistrement audio de l’audience et je n’ai rien entendu, pour le moment, qui laisserait entendre que la mémoire de la demanderesse est extrêmement mauvaise. La demanderesse a souligné les cas où la demanderesse n’était pas capable de se souvenir de certains détails, et j’estime qu’il serait bon de déterminer si, comme elle le soutient, ces détails étaient sans importance et si son incapacité à se souvenir de ceux-ci a suffi pour tirer une conclusion selon laquelle elle n’était pas fiable.

Efforts pour conserver un emploi

[19] La demanderesse critique la façon dont la division générale a traité ses dernières années de travail, soutenant qu’elle ne s’est pas conformée à la jurisprudence qui régit les mesures d’atténuation en matière d’emploi. Plus particulièrement, la demanderesse soutient que la division générale a ignoré les affaires Atkinson et Gallant et coll. en ne tenant pas compte des éléments de preuve selon lesquels son dernier emploi comme chauffeuse de taxi démontrait qu’elle ne pouvait pas offrir un rendement régulier et qu’elle a pu exercer cet emploi uniquement grâce à la bienveillance de son employeur. De cela, la demanderesse soutient que la division générale a mal appliqué l’affaire Inclima en concluant qu’il existait une capacité résiduelle de travail et en tirant une conclusion défavorable à partir de la prétendue incapacité de la demanderesse à exercer un autre type d’emploi au cours de sa PMA.

[20] J’estime qu’au moins un de ces moyens d’appel confère à l’appel une chance raisonnable de succès, et chacun d’eux porte sur la façon dont la division générale a caractérisé l’emploi le plus récent de la demanderesse. Le relevé d’emploi (GD8-4) de la demanderesse n’indique pas que la demanderesse a touché à un revenu dépassant le seuil en travaillant comme chauffeuse de taxi, ce qu’elle a fait sporadiquement à partir du moment où elle a quitté la Société des loteries et des jeux de l’Ontario à la fin de 2010. Néanmoins, la division générale a conclu ce qui suit :

[traduction]
[76] […] Bien que l’optimisme n’est pas synonyme de capacité de travail, la demanderesse a clairement une certaine capacité résiduelle de travail. Son emploi intermittent comme chauffeuse de taxi le démontre, ce qui d’ailleurs ne semble pas respecter ses limitations liées aux périodes prolongées en position assise.

[21] Après avoir révisé la décision en fonction des extraits sélectionnés provenant de l’enregistrement, j’estime qu’il existe une cause défendable selon laquelle il se pourrait que la division générale n’ait pas tenu compte, de manière adéquate, de la possibilité que l’emploi de la demanderesse comme chauffeuse de taxi constituait une véritable tentative, quoique ratée, d’atténuer ses détériorations dans le but de rester sur le marché du travail. Il y avait des éléments de preuve selon lesquels l’emploi était plus favorable à son dos et permettait une flexibilité inhabituelle de ses heures de travail, et pourtant, la division générale a considéré ceux-ci comme étant une preuve de capacité plutôt que l’accomplissement de son obligation, en vertu de l’arrêt Inclima, de chercher un emploi mieux adapté à ses limitations.

Conclusion

[22] J’accorde la permission d’en appeler pour tous les motifs présentés par la demanderesse.

[23] Si les parties décident de présenter des observations supplémentaires, elles sont libres de formuler leur opinion à savoir si une nouvelle audience s’avère nécessaire, et si tel est le cas, quel type d’audience est approprié.

[24] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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