Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est refusée.

Introduction

[1] Le demandeur a des antécédents de maladie mentale et de toxicomanie. En août 2010, il a été accusé de meurtre et, alors qu’il était en détention, a été soumis à différentes évaluations psychiatriques. En mars 2013, le demandeur a été jugé non criminellement responsable du meurtre au motif qu’il était atteint d’un trouble mental le rendant incapable d’appréhender la moralité de ses actes. Il a reçu l'ordre de suivre un traitement dans un hôpital psychiatrique sécurisé.

[2] Le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) le 24 avril 2014Note de bas de page 1. Le 28 janvier 2015, l’intimé a accueilli sa demande, concluant que, même si le demandeur était devenu invalide dans les faits en décembre 2009, il ne pouvait, en application des dispositions du RPC en matière de paiement rétroactif, être réputé invalide qu’en date de janvier 2013, soit 15 mois avant la date de présentation de sa demande. Après le délai de carence de quatre mois prévu par la loi, le demandeur a commencé à recevoir sa pension d’invalidité du RPC en mai 2013. L’intimé a plus tard rejeté une demande de révision présentée par le demandeur relativement à la date du premier versement.

[3] Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), prétendant qu’il avait été incapable de présenter sa demande de pension d’invalidité du RPC plus tôt qu’il ne l’a fait. La division générale a décidé d’instruire l’affaire sur la foi du dossier documentaire et a conclu, comme en témoignent les motifs de sa décision rendue le 26 septembre 2016, que le demandeur n’avait pas été, conformément aux normes établies aux paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC, incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant avril 2014. Par conséquent, le mois de mai 2013 a été maintenu comme date du premier versement de la pension.

[4] Le 3 janvier 2017, dans les délais fixés, le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler incomplète à la division d’appel. Le 10 février 2017, à la suite d’une demande de renseignements complémentaires, l’avocat dont le demandeur venait de retenir les services a complété sa demande.

Droit applicable

Régime de pensions du Canada

[5] Les paragraphes 60(8) à 60(10) du RPC énoncent les critères pour conclure à l’incapacité d’une personne :

  1. (8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.
  2. (9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :
    1. a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
    2. b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
    3. c) que la demande a été faite, selon le cas :
      1. (i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
      2. (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.
  3. (10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

[6] Conformément à l’alinéa 42(2)b) du RPC, une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date à laquelle le défendeur a reçu sa demande de pension d’invalidité. Par application de l’article 69 du RPC, la pension est payable à compter du quatrième mois suivant la date de l’invalidité réputée.

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[7] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission, et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[8] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[9] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, il faut qu’il existe un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. CanadaNote de bas de page 2. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une cause défendable en droit revient à une cause ayant une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 3.

[11] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. S’il s’agit d’un premier obstacle à surmonter pour un demandeur, cet obstacle est moins imposant que celui auquel il devra faire face lors de l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

Question en litige

[12] La division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Observations

[13] Dans sa demande de permission d’en appeler, le demandeur a présenté les observations suivantes :

  1. Il est atteint d’un trouble psychiatrique grave, lequel a été reconnu par le défendeur comme étant invalidant en date de décembre 209. La division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve voulant que le demandeur était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande durant la période allant de janvier 2010 à février 2014. La division générale a, plus précisément, ignoré l’évaluation psychiatrique du docteur Beach, datée du 16 janvier 2012, selon laquelle le demandeur présentait des symptômes psychotiques résiduels et [traduction] « n’était pas capable de comprendre qu’il avait mal agi » en août 2010.
  2. Le 28 juin 2016, le défendeur a soumis au Tribunal un addenda portant sur les observations qu’il avait précédemment déposées. La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle (précisément, le droit d’être entendu) en admettant ce document sans donner au demandeur l’occasion d’y répondre.

Analyse

Allégation de non-considération de la preuve portant sur l’incapacité

[14] L’espèce met en évidence les distinctions entre différents critères qui coexistent sous le régime des lois en matière de capacité. Le demandeur a reçu le diagnostic d’un grave trouble psychiatrique, lequel sous-tend les conclusions voulant qu’il était non criminellement responsable conformément au Code criminel et qu’il était invalide au sens du RPC. Il se demande maintenant si le même trouble psychiatrique pourrait servir à justifier des versements rétroactifs en vertu des dispositions du RPC relatives à l’incapacité. Il est important de comprendre que le critère relatif à l’incapacité prévue aux paragraphes 60(8) à 60(9) du RPC diffère du critère de l’invalidité au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC. Dans le premier cas, le requérant doit montrer qu’il est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, alors que dans le second cas, il faut faire la preuve d’une invalidité grave et prolongée l’empêchant de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Si le demandeur souffrait peut-être de sérieux problèmes de santé mentale, il ne remplissait pas nécessairement le critère permettant de prolonger la période de rétroactivité.

[15] Le demandeur laisse entendre que la division générale a rejeté son appel en dépit de la preuve médicale révélant qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant avril 2014. Selon le demandeur, la division générale aurait ignoré un rapport en particulier, mais il est de jurisprudence constante qu’un tribunal administratif responsable d’apprécier les faits est présumé avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve portés à sa connaissance et n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments compris dans les observations présentées par une partie.Note de bas de page 4 De plus, un juge des faits est aussi libre d’accorder aux éléments de preuve la valeur qu’il juge adéquate, dans la mesure où ses conclusions sont fondées sur la raison. Par ailleurs, j’ai examiné la décision de la division générale et rien ne me porte à croire qu’elle ait ignoré une composante importante de la preuve produite par le demandeur ou qu’elle n’en ait pas bien tenu compte. 

[16] La division générale a résumé de façon détaillée les éléments importants de la preuve documentaire dont elle disposait et, pour déterminer si l’état du demandeur durant la période visée correspondait à une incapacité au sens du paragraphe 60(8), elle a analysé les évaluations des différents professionnels de la santé qui l’ont examiné. Rien ne me permet de croire que la division générale ait mal appliqué la loi. La division générale n’a jamais laissé entendre que le demandeur aurait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande et qu’il se serait rétabli, ce qui aurait fait entrer en jeu les dispositions de « délai de grâce » prévues à l’alinéa 60(9)c). Contrairement à ce que prétend le demandeur, la division générale a tenu compte du rapport produit par le psychiatre sur ordonnance de la cour, dans lequel le docteur Beach a conclu que le demandeur était incapable de comprendre qu’il avait mal agi au moment où il avait commis l’infraction reprochée. Cependant, comme la division générale l’a ensuite précisé de façon claire dans son analyse, un verdict de non-responsabilité criminelle à l'endroit du demandeur n’aurait qu’une influence limitée sur la question de savoir s’il était capable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande.

[17] Le demandeur a invoqué La succession de P. H. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétencesNote de bas de page 5, mais les circonstances de cette affaire sont très différentes de celles de l’espèce, et je ne suis pas certain de sa pertinence, mis à part qu’il s’agit d’un exemple de cas où la division générale a conclu à l’incapacité de l’appelant en vertu du paragraphe 60(8). De toute façon, les décisions de la division générale n’ont qu’une faible valeur de précédent pour la division d’appel.

[18] La décision se conclut par une analyse qui donne à penser que la division générale a valablement apprécié la preuve et que des motifs défendables appuyait sa conclusion voulant que la preuve, insuffisante, ne lui permettait pas de conclure que le demandeur était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant avril 2014. Bien que la division générale n’ait pas tiré la conclusion souhaitée par le demandeur, mon rôle n’est pas de réévaluer les éléments de preuve, mais bien de déterminer si la décision est défendable au regard des faits et du droit. Un appel à la division d’appel n’a pas comme but de permettre au demandeur de plaider sa cause de nouveau et de réclamer un résultat différent. Je n’ai compétence que pour déterminer si l’un des motifs d’appel invoqués par le demandeur se rattache aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) et si l’un d’eux confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[19] J’estime que ce motif ne donne pas lieu à une cause défendable.

Allégation de déni du droit d’être entendu

[20] Dans une lettre datée du 20 mai 2016, la division générale a fait savoir aux parties qu’elle prévoyait de rendre une décision sur la foi du dossier documentaire. La division générale a demandé aux parties de soumettre tout document supplémentaire au plus tard le 20 juin 2016 (délai de dépôt), et de soumettre toute réponse à ces documents au plus tard le 21 juillet 2016 (délai de réponse). Il serait à la discrétion du membre de la division générale présidant l’audience d’admettre ou non tout document qui serait présenté après ces échéances.

[21]  Comme l’a noté le demandeur, le défendeur a soumis un addenda relatif aux observations écrites qu’il avait présentées plus tôt le 28 juin 2016, soit après l’échéance du délai de dépôt. Le dossier révèle que le Tribunal a promptement fait parvenir ce document à la dernière adresse connue du demandeur, et lui a rappelé son droit d’y répondre avant le 21 juillet 2016. Un avis subséquent, daté du 4 juillet 2015, informait le demandeur que la division générale avait décidé de reporter au 4 août 2016 l’échéance pour soumettre sa réponse. Les renseignements de repérage de Postes Canada se trouvant au dossier révèlent que le demandeur a signé cet avis le 8 juillet 2016. Une note de service datée du 4 août 2016 documentait une conversation téléphonique échangée entre le demandeur et un employé du Tribunal. Il avait demandé un rapport d’état et mentionné qu’il avait été admis à l’hôpital. Il a confirmé avoir reçu l’avis du 4 juillet 2016, mais il n’a pas précisé s’il avait l’intention de répondre à l’addenda du défendeur.

[22] Le droit d’être entendu d’une partie est un principe essentiel de la justice naturelle, qui comprend l’examen et l’évaluation des observations écritesNote de bas de page 6. Cependant, il n’y a rien dans la marche de l’affaire devant la division générale qui me convainque que les droits du demandeur aient été bafoués. La division générale a le pouvoir discrétionnaire de choisir le mode d’audience qu’elle juge indiqué et, en l’espèce, le demandeur avait bien été avisé que son appel serait instruit sur la foi du dossier documentaire. Il a eu amplement l’occasion de répondre à l’addenda soumis par le défendeur le 28 juin 2016 et, comme il a choisi de ne pas y répondre, il ne peut pas prétendre avoir été réduit au silence.

[23] J’estime que ce motif ne confère à l’appel aucune chance raisonnable de succès. 

Conclusion

[24] Le demandeur n’a invoqué aucun moyen d’appel prévu au paragraphe 58(1) qui aurait une chance raisonnable de succès en appel. Par conséquent, la demande de permission d’en appeler est rejetée.

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