Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée.

Introduction

[1] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision datée du 1er décembre 2016, rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal). La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et statué que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), car elle avait conclu que son invalidité n’était pas « grave » avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA).

[2] Le 28 février 2016, le demandeur a présenté à la division d’appel, dans les délais prescrits, une demande de permission d’en appeler comportant le détail des moyens d’appel prétendus.

Aperçu

[3] Le demandeur a présenté une première demande de prestations d’invalidité du RPC le 12 janvier 2007. À ce moment, le défendeur a conclu que la PMA du demandeur prenait fin le 31 décembre 2007 et que celui-ci n’était pas atteint d’une invalidité au sens du RPC à la date de l’audience ou avant cette date. L’appel du demandeur devant l’ancien tribunal de révision du RPC, prédécesseur de la division générale, a été rejeté dans une décision datée du 12 février 2009.

[4] La seconde demande de prestations d’invalidité du RPC a été présentée par le demandeur le 22 juillet 2014. Étant donné que le demandeur avait fait des cotisations supplémentaires au RPC à ce moment-là, le défendeur a conclu que la date de fin de la PMA avait été reportée au 31 décembre 2008. Néanmoins, le défendeur a encore une fois rejeté la demande du demandeur. Pour ce faire, le défendeur a appliqué le principe de la chose jugée pour exiger du demandeur qu’il démontre qu’il est devenu invalide durant la période d’un an du 31 décembre 2007, date à laquelle le tribunal de révision a conclu que le demandeur n’était pas invalide, au 31 décembre 2008, date de fin révisée de la PMA.

[5] À l’audience devant la division générale tenue le 25 octobre 2016, le demandeur a déclaré être né au Portugal, pays où il a fréquenté l’école jusqu’à la huitième année. Après avoir immigré au Canada en 1984, à l’âge de 18 ans, il a occupé des emplois dans le domaine de la construction et dans des usines et il est par la suite devenu briqueteur. En décembre 2004, il est tombé d’un échafaudage et il a subi une blessure au dos, ce qui a causé une douleur permanente qui s’est aggravée l’année suivante lorsqu’il a été impliqué dans un accident de véhicule. En 2008, il a tenté de se recycler comme chef, mais sa douleur dorsale l’a empêché de trouver un emploi.

[6] Dans sa décision datée du 1er décembre 2016, la division générale a rejeté l’appel du demandeur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que l’invalidité grave et prolongée avait commencé du 31 décembre 2007 au 31 décembre 2008 (période visée).

Droit applicable

Régime de pensions du Canada

[7] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne reçoit pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[8] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[9] Au titre de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

[10] Le paragraphe 84(1) du RPC, aujourd’hui abrogé, prévoyait que « la décision du tribunal de révision [...] est définitive et obligatoire pour l’application de la présente Loi ». L’article 68 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), qui est entré en vigueur le 1er avril 2013, contient un libellé semblable et régit les décisions du Tribunal de la sécurité sociale. Cette réaffirmation de la doctrine de la chose jugée limite à la fois le tribunal de révision ou son successeur, la division générale, dans le réexamen des conclusions de fait qu’ils ont tirées antérieurement.

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[11] Au titre des paragraphes 56(1) et 58(3) du RPC, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[12] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[13] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] La demande doit soulever un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. CanadaNote de bas de page 1. Selon la Cour d’appel fédérale, la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si l’appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

[15] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. C’est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui- ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

Question en litige

[16] La division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Observations

[17] Dans un mémoire joint à la demande de permission d’en appeler, le représentant légal du demandeur a présenté les observations suivantes :

  1. La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsqu’elle a conclu que la décision rendue par le tribunal de révision le 12 février 2009 était définitive et exécutoire, ce qui empêchait ainsi le demandeur de faire valoir que ses diagnostics précédant le 31 décembre 2007 l’ont rendu invalide après cette date. Cependant, en reportant la date de fin de la PMA du 31 décembre 2007 au 31 décembre 2008, la division générale a rendu nuls et non avenus les motifs pour lesquels le tribunal de révision a rejeté la première demande du demandeur. Au lieu de se fonder sur la conclusion du tribunal de révision selon laquelle le demandeur n’était pas invalide en date du 31 décembre 2007, la division générale aurait dû plutôt évaluer l’ensemble de la preuve dont elle disposait.
  2. La division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées ci-après qu’elle a tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Contrairement à la conclusion de la division générale, la preuve médicale démontrait en fait une détérioration notable de l’état du demandeur ainsi que l’existence de nouveaux problèmes de santé pendant la période visée :
    • En 2007, Dr P.G. Turner a prévu que, au moyen de thérapies psychiatriques appropriées, le demandeur devrait être rétabli dans une période de trois à six mois. Cependant, le 16 septembre 2008, le demandeur a été évalué par un autre psychiatre, Dr John Cole, qui a déclaré que son pronostic était de réservé à défavorable.
    • Le 10 juillet 2008, le demandeur a été évalué par Willy Galarraga, psychiatre, qui a posé un diagnostic de trouble du sommeil.
    • Le 9 février 2009, le demandeur a subi un examen par IRM de sa colonne cervicale, ce qui a permis de révéler une protrusion d’un ostéophyte à la vertèbre C5-6 et de multiples hernies discales intraspongieuses dans la vertèbre au milieu du dos; il s’agit de changements pour lesquels une personne peut raisonnablement conclure qu’ils se sont produits durant la période visée.
  3. La division générale a également omis de tenir compte du fait que, en 2013, le juge Hambly de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que le demandeur était complètement invalide selon les modalités de sa police d’assurance-invalidité de longue durée, dont les critères sont très semblables à la définition de l’invalidité prévue dans le RPC. La division générale a également omis de tenir compte du fait que la compagnie d’assurance-invalidité à long terme du demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de l’Ontarion, qui a finalement refusé de modifier les conclusions de fait du juge Hambly.
  4. La division générale n’a pas appliqué comme il se doit le critère du « contexte réaliste » énoncé dans l’arrêt Villani c. CanadaNote de bas de page 3, exigeant qu’un juge des faits tienne compte des antécédents du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie au moment d’évaluer s’il est atteint d’une invalidité. Le demandeur prétend également que la division générale aurait dû tenir compte du rapport orthopédique de Dr Robert Reid, daté du 27 août 2012, qui mentionne une évaluation professionnelle effectuée en 2010 selon laquelle il était effectivement inemployable.

Analyse

[18] À ce stade, je vais seulement traiter de l’argument qui, à mon avis, donne au demandeur la meilleure chance de succès en appel. Je suis d’accord avec le représentant que la division générale aurait pu omettre d’observer un principe de justice naturelle, mais pas parce qu’elle s’est fondée sur le principe de la chose jugée pour en arriver à cette décision, mais parce qu’il n’a pas examiné la question pendant la partie de vive voix de l’audience.

[19] Selon le dossier, la doctrine de la chose jugée était une question de fond. Le défendeur l’a soulevé comme fondement au refus de la seconde demande du demandeur dans le cadre de la révision et dans ses observations écrites à la division généraleNote de bas de page 4. S’il y a lieu, cela signifiait que le demandeur aurait dû démontrer que ses déficiences, qui ne respectaient pas le critère prévu par le RPC en matière d’invalidité, franchissaient le seuil de « grave prolongé » à un certain moment durant la période visée et relativement brève du 31 décembre 2007 au 31 décembre 2008.

[20] Pour rejeter l’appel du demandeur, la division générale a conclu qu’il y avait seulement le court délai dans lequel il pouvait démontrer que l’invalidité avait commencé. Au paragraphe 7 de sa décision, la division générale a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Le litige ne concernait pas la PMA, car les parties conviennent que cette période prend fin le 31 décembre 2008. Aux fins de l’instruction de la présente affaire, étant donné que l’appel interjeté par l’appelant devant le BCTR à la suite de sa première demande a été rejeté sur le fond, il faut prendre en considération que l’appelant n’a pas été jugée invalide le 31 décembre 2007 selon la définition du RPC. Par conséquent, il incombe à l’appelante d’établir que, pendant la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2008 (période visée), il y a eu un changement et une détérioration considérables de son état pour établir que, même s’il n’était pas invalide en date du 31 décembre 2007, il était invalide en date du 31 décembre 2008.

[21] La division générale a ensuite poursuivi afin d’évaluer seulement la preuve médicale concernant la période après le 31 décembre 2007. Au paragraphe 27, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Une décision rendue par le tribunal de révision est définitive et exécutoire. La doctrine de la chose jugée s’applique à la décision rendue le 12 février 2009 par le tribunal de révision. L’examen de cette décision montre qu’il s’agit d’une décision sur le fond et que le tribunal a conclu que l’appelant n’avait pas établi que son invalidité était grave à cette date. Par conséquent, aux fins de l’instruction de l’affaire, le présent tribunal doit considérer que l’invalidité de l’appelant n’était pas grave à la date en question, et doit essentiellement déterminer si l’état de l’appelant a évolué pendant la période visée, soit du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2008, comme une détérioration notable de son état ou l’apparition d’un nouveau problème médical important établissant qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2008 : MDRH c. Boudreau, (28 février 2003), CP 14752 (CAP), et Leblanc c. MEI, (2 août 1996), CP3694 (CAP).

[22] Il semblerait que la doctrine de la chose jugée a joué un rôle déterminant dans le raisonnement de la division générale, mais, selon mon examen de l’enregistrement audio de l’audience par vidéoconférence, ce point n’a pas été soulevé durant la procédure. Le demandeur et son représentant semblaient ne pas être au courant de ce point, mais, fait encore plus important, le membre de la division générale présidant l’audience n’a jamais mentionné qu’elle avait l’intention de faire abstraction d’une grande partie de la preuve médicale dont elle disposait (cela dit, ces documents dont le tribunal de révision avait déjà tenu compte dans sa décision du 12 février 2009). Bien que les observations préliminaires de la division générale à l’audience confirmaient la date de fin révisée de la PMA du 31 décembre 2008, elles ne mentionnaient pas une date limite rétrospective correspondante établie au 31 décembre 2007, et l’audience a été instruite comme si l’ensemble de la preuve était sur la table et faisait l’objet d’un examen.

[23] On peut faire valoir que le demandeur, et certainement son représentant, aurait dû être au courant que la preuve antérieure à 2008 risquait d’être écartée, mais il me semble également que le membre de la division générale avait le devoir d’examiner attentivement les questions importantes avant d’entendre les arguments et le témoignage de vive voix; si elle était justifiée de soupçonner que le demandeur et son représentant avaient l’intention de se fonder sur l’ensemble de la preuve disponible, elle aurait donc dû prendre l’initiative de leur expliquer que le défendeur avait pris une position contraire. Si le membre de la division générale avait agi ainsi, le demandeur et son représentant auraient eu l’occasion de formuler leurs observations de manière appropriée et d’aborder particulièrement la mesure dans laquelle l’état de Monsieur A. F. avait changé au cours de la période visée d’un an.

[24] À ce stade-ci, je ne constate aucun besoin de tenir compte de l’argument du demandeur selon lequel la division générale n’aurait pas dû invoquer la doctrine de la chose jugée parce que la date de fin de la PMA a changé entre les deux demandes. Cependant, je constate une chance raisonnable de succès en ce qui concerne le motif que la division générale a omis une ligne directrice essentielle durant l’audience et que, par conséquent, elle a privé le demandeur de la possibilité de présenter sa cause de la meilleure façon qui soit.

Conclusion

[25] J’accorde la permission d’en appeler pour tous les motifs présentés par le demandeur. Si les parties décident de présenter des observations supplémentaires, elles sont libres de formuler leur opinion à savoir si une nouvelle audience s’avère nécessaire, et si tel est le cas, quel type d’audience est approprié.

[26] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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