Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

(par vidéoconférence)

Appelante  B. R.
Représentantes de l’appelante  Sarah E. Colquhoun (avocate)
Claire Littleton (avocate-observatrice)
Représentantes de l’intimé  Natalie Strelkova (avocate)
 Sylvie Doire (avocate)
 Annie Richards (parajuriste)

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision de la division générale datée du 25 septembre 2015. La division générale a conclu que l’appelante n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, après avoir établi que son invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité qui était le 31 décembre 2006.

[2] L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale en faisant valoir plusieurs moyens d’appel. La division d’appel a accordé la permission d’en appeler le 15 janvier 2016, après avoir déterminé que la division générale n’a peut-être pas appliqué la norme de la décision correcte lorsqu’elle a écrit que la preuve médicale au dossier [traduction] « laisse subsister quelques doutes quant à la gravité de ses symptômes ». L’appelante a soulevé d’autres questions, mais la division d’appel a estimé qu’elles ne conféraient pas à l’appel une chance raisonnable de succès.

[3] L’appelante soutient que puisque la division d’appel n’a pas particulièrement limité l’appel aux moyens qui avaient été jugés comme conférant à l’appel une chance raisonnable de succès, elle devrait être en mesure de se fonder sur chacun des moyens et de défendre ceux-ci à nouveau, même si la permission d’en appeler n’avait pas été accordée en se fondant sur ces moyens.

[4] Compte tenu de la complexité des questions en litige, le nécessité d’obtenir des renseignements supplémentaires, la disponibilité de la technologie de vidéoconférence dans la zone de résidence de l’appelante et les dispositions du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) qui prévoient que l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, cette audience a eu lieu par vidéoconférence, conformément au paragraphe 21(2) du Règlement.

[5] À l’audience, l’intimé n’était pas préparé à aborder pleinement chacun des moyens d’appel sur lesquels reposait la permission d’en appeler de l’appelante. Dans l’intérêt de la justice et pour s’assurer qu’il n’y ait pas de retard dans cette affaire, j’ai permis à l’intimé de soumettre toutes observations écrites portant seulement sur les moyens d’appel sur lesquels la permission d’en appeler n’avait pas été accordée, et j’ai accordé un droit de réponse à l’appelante. Les deux parties ont présenté des observations (documents AD6 et AD7).

Questions en litige

[6] Je suis saisie de plusieurs questions :

  1. Quelle est la portée de l’appel? Est-ce qu’un appelant peut revenir sur des moyens d’appel qu’il avait soulevés dans sa demande de permission d’en appeler, même si la division d’appel avait conclu que l’appel n’avait pas une chance raisonnable de succès selon ses moyens d’appel?
  2. Est-ce que la division générale a commis une erreur de droit en exigeant que l’appelante prouve le caractère grave de son invalidité selon une norme de preuve plus stricte que nécessaire?
  3. Si l’appelante pouvait revenir sur les moyens d’appel :
    1. Est-ce que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle lorsqu’elle a décidé d’instruire l’appel par téléconférence plutôt que de tenir l’audience par vidéoconférence ou en personne?
    2. Est-ce que la division générale a commis des erreurs de droit?
    3. Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  1. Si la division générale a commis une erreur, quelle est la décision appropriée relativement à l’affaire?

Question préliminaire : Portée de l’appel

[7] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) énonce les moyens d’appel. Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] La division d’appel a accordé la permission d’en appeler après avoir déterminé que la division générale n’avait peut-être pas appliqué la norme de preuve appropriée, mais l’appelante soutient que je devrais réviser tous les moyens d’appel soulevés dans la demande de permission d’en appeler. J’ai invité l’appelante à citer la jurisprudence ou tout fondement qui permettrait à la division d’appel de revenir sur tous moyens d’appel, si la permission d’en appeler n’avait pas été accordée sur ces moyens d’appel en particulier. Je me suis demandé si cela revenait à une attaque de la décision relative à la permission d’en appeler et s’il aurait été approprié qu’elle fasse l’objet d’une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour d’appel fédérale du Canada.

[9] L’appelante soutient que la division d’appel n’a aucune autorité législative pour limiter sa compétence en appel. L’appelante soutient qu’à l’étape de la permission d’en appeler, la fonction de la division d’appel est de mener un examen sommaire plutôt qu’un examen approfondi du contenu de l’appel ou une analyse complète des erreurs potentielles se trouvant dans la décision de la division générale. La décision relative à la demande de permission d’en appeler accorde simplement la permission d’en appeler et ne restreint pas les moyens d’appel pouvant être soulevés. L’appelante fait référence au paragraphe 58(3) de la LMEDS, lequel prévoit que la division d’appel accorde ou refuse cette permission. Elle soutient que le paragraphe ne suggère pas que la division d’appel doit accueillir un appel partiel ou qu’elle doit, d’une quelconque façon, limiter les questions en litige dans l’appel en tant que tel. L’appelante a également fait référence au paragraphe 58(5) de la LMEDS qui prévoit que la demande de permission est assimilée à un avis d’appel; elle soutient que la demande de permission d’en appeler ne serait pas assimilée à un avis d’appel si l’un des moyens d’appel ou questions en litige était restreint par la décision relative à la permission d’en appeler.

[10] L’appelante soutient que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Mette c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276, a déterminé que les moyens d’appel sont souvent interdépendants et que par conséquent, il ne servirait pas à grand-chose de limiter les moyens d’appel lors de l’audience de l’appel. Elle soutient que la Cour d’appel fédérale a convenu que la division d’appel a compétence pour tenir compte de l’ensemble des moyens d’appel énoncés dans l’avis d’appel — pas seulement les moyens d’appel qui ont été jugés comme conférant à l’appel une chance raisonnable de succès.

[11] L’appelante soutient également que, bien que dans certains cas, il peut être pertinent de limiter les moyens d’appel, ces cas ne sont pas présents en l’espèce, car ses moyens d’appel sont interdépendants. Par exemple, bien qu’à elles seules, les erreurs factuelles n’étaient pas assez graves pour constituer un moyen d’appel indépendant, elle soutient que, combinées avec la déclaration selon laquelle quelques [traduction] « doutes » subsistaient quant à la gravité de son invalidité, il se pourrait que les erreurs factuelles citées par la division générale fassent partie de la raison pour laquelle elle a tiré une conclusion qui n’était pas étayée par la prépondérance de la preuve.

[12] L’appelante soutient que, quoi qu’il en soit, si la division générale avait l’intention de limiter les moyens d’appel, elle se devait d’employer un libellé précis pour justifier cette intention. En l’espèce, le membre de la division d’appel avait écrit que la demande de permission d’en appeler était accueillie, puisque l’appelante avait [traduction] « présenté un moyen d’appel prévu à l’article 58 de la [LMEDS] qui pourrait conférer à l’appel une chance raisonnable de succès ». L’appelante affirme que le libellé de la division générale est loin de refléter une intention de limiter les moyens d’appel.

[13] L’intimé, pour sa part, soutient que la division d’appel a clairement limité les moyens d’appel, compte tenu du fait qu’elle a mené une analyse exhaustive sur chacune des questions en litige, y compris le moyen d’appel selon lequel la division générale avait enfreint des principes de justice naturelle et qu’elle avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. L’intimé rejette toute notion selon laquelle la division d’appel a mené un examen rapide en l’espèce. Par exemple, l’intimé note que le membre de la division d’appel, avant de conclure qu’elle n’était [traduction] « pas convaincue que la division générale avait omis d’observer des principes de justice naturelle lorsqu’elle a tenu une audience par téléconférence sur cette affaire », a soigneusement examiné (sur trois pages) la question à savoir s’il y avait eu un manquement à la justice naturelle.

[14] L’intimé soutient que cela irait à l’encontre de l’alinéa 3(1)a) du Règlement qui prévoit que l’instance doit se dérouler de manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, si un appelant pouvait examiner à nouveau chacun des moyens d’appel ou des questions en litige, après que la division d’appel ait déjà évalué chacun d’eux et qu’elle ait évalué de manière exhaustive les moyens d’appel à l’étape de la permission d’en appeler. L’intimé soutint que le processus de la permission d’en appeler devait servir de fonction de contrôle de l’accès, en délimitant les questions en litige et les moyens d’appel.

[15] L’intimé soutient que si l’appelante estime fortement qu’elle a le droit de soulever à nouveau chacune des questions ou chacun des moyens d’appel, le recours approprié aurait été la demande d’un contrôle judiciaire. L’intimé soutient que, essentiellement, l’appelante conteste la décision relative à la permission d’en appeler, et l’intimé affirme que le recours approprié dans de telles circonstances est de faire une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la permission d’en appeler. Après tout, la Cour fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 26 de l’affaire Canada (Procureur général) c. O’keefe, 2016 CF 503 :

[26] La Loi ne confère pas à la [division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale] le pouvoir légal de porter en appel ou de réviser ses propres décisions finales et exécutoires concernant une demande de permission d’en appeler ni par l’entremise d’un autre mécanisme d’appel existant. En décidant d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler, la [division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale] se trouve dessaisie à l’égard de cette décision en vertu de l’article 58 de la LMEDS.

[16] L’intimé rejette toute notion selon laquelle les moyens d’appel seraient interdépendants. L’intimé soutient également que la Cour fédérale, dans l’affaire Mette, n’a pas condamné une [traduction] « approche chirurgicale » et qu’il revient à la division d’appel de déterminer méthodiquement si elle doit accorder ou refuser la permission d’en appeler selon les moyens d’appel individuels.

[17] Dans l’affaire Mette, le juge Dawson a écrit ce qui suit :

[13] Un dernier commentaire porte sur l’observation du procureur général au sujet de la décision de la division d’appel de ne pas accorder la permission d’en appeler sur la question de savoir si la division générale a erré en concluant que la preuve qui lui avait été présentée ne répondait pas au critère relatif aux nouveaux éléments de preuve. Le procureur général soutient que la division d’appel a ensuite commis une erreur en examinant ce moyen d’appel lorsqu’elle statuait sur le fond de l’affaire et que, de toute façon, cette conclusion rendait caduc l’appel dont la division d’appel était saisie.

[14] D’après l’interprétation qu’en a faite la division d’appel, le paragraphe 58(2) de la LMEDS lui permettait d’examiner tous les moyens d’appel invoqués puisque l’ordonnance accordant la permission d’en appeler ne précisait pas qu’elle était limitée aux moyens que l’on avait jugé avoir une chance raisonnable de succès. La décision indiquait simplement que « la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [est] accordée ».

[15] Dans son plaidoyer, le procureur général s’est fondé sur le paragraphe 58(2) de la LMEDS pour soutenir que la division d’appel devait rejeter la demande de permission d’en appeler dès lors qu’il jugeait que l’un des moyens invoqués n’était pas fondé. Cependant, le paragraphe 58(2) prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Cette disposition ne repose pas sur le rejet de chacun des moyens d’appel invoqués. En effet, les différents moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient impossible de les analyser distinctement, et un motif défendable suffit donc à motiver l’octroi d’une permission d’en appeler.

[16] Le procureur général n’a pas démontré que la division d’appel ait interprété sa loi constitutive d’une manière déraisonnable. À mon avis, cette interprétation appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Mis en évidence par la soussignée)

[18] L’appelante soutient que l’affaire O’Keefe est différente et n’examine pas de façon fondamentale la question portant sur la portée de l’appel.

[19] J’ai examiné assez longuement la question portant sur la portée d’un appel auprès de la division d’appel dans l’affaire J.V. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 331. À cet égard, j’ai conclu que l’affaire O’Keefe n’empêche pas la division d’appel de tenir compte de questions en litige ou de moyens d’appel, même si la division d’appel n’avait pas accordé la permission d’en appeler selon ces questions ou ses moyens. En effet, je me suis référé à l’affaire Canada (Procureur général) v. Tsagbey, 2017 CF 356, dans laquelle la Cour fédérale a indiqué qu’il était inapproprié de contester les motifs de la division d’appel au lieu de sa décision. La Cour fédérale a déterminé que le libellé de la LMEDS prévoit « seulement un résultat sans admissibilité ». Au même moment, la Cour a déclaré que rien dans la LMEDS ne laissait entendre qu’il était interdit à la division d’appel de limiter la portée de l’appel. Finalement, la Cour fédérale a conclu qu’on devrait laisser l’occasion au processus administratif d’avoir lieu avant de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale, sur le fond de l’affaire, y compris toute décision sur la portée de l’appel.

[20] Dans certains cas, il pourrait être très souhaitable et pratique de limiter les questions en litige ou les moyens d’appel. Par le passé, la Cour d’appel fédérale a laissé entendre que la Commission d’appel des pensions avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la portée de l’appel dont elle était saisie. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ash, 2002 CAF 462, la Cour d’appel fédérale a accepté que la Commission d’appel des pensions pouvait établir des conditions dans lesquelles elle avait accordé la permission d’en appeler. Les audiences devant la Commission d’appel des pensions étaient instruites de novo, mais les appelants devaient toujours demander la permission d’en appeler. Le libellé régissant la permission d’en appeler devant la Commission d’appel des pensions, selon le Régime de pensions du Canada, était semblable au libellé régissant la permission d’en appeler devant la division d’appel selon la LMEDS, à savoir que les deux seules options étaient d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler. Même si la question dont était saisie la Cour d’appel fédérale était celle de déterminer l’objet de l’appel dont elle était saisie, la Cour a néanmoins accepté que la Commission avait la compétence de limiter la portée de l’appel dont elle était saisie.

[21] Dans l’affaire J.V., j’ai conclu ce qui suit :

[33] [...] Par conséquent, dans les situations où le membre de la division d’appel n’a pas l’intention de limiter et qu’il ne se limite pas expressément aux questions en litige, s’il n’y aucun autre motif convaincant, à l’étape de l’appel, la division d’appel doit permettre à un appelant de retourner aux questions mentionnées dans la demande initiale de permission d’en appeler, et ce même si celles-ci ne soulevaient pas nécessairement une cause défendable à l’étape de la permission d’en appeler.

[22] Après avoir examiné les observations des parties ainsi que la jurisprudence applicable et ma décision dans l’affaire J.V., je conclus qu’il est pertinent de tenir compte des autres questions en litiges ou moyens d’appel, même si la permission d’en appeler n’a pas été accordée sur ceux-ci.

Moyens d’appel

a. Prétendue erreur de droit : norme de la preuve

[23] Au paragraphe 31 de sa décision, la division générale a énoncé la norme de la preuve. Elle a écrit que l’Appelante devait prouver [traduction] « selon la prépondérance des probabilités qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2006 ou avant cette date ». Les parties conviennent que cette déclaration énonce correctement la norme de la preuve applicable. La division générale a énoncé à nouveau la norme de la preuve applicable au paragraphe 37, où elle a écrit qu’elle n’était pas convaincue [traduction] « selon la prépondérance des probabilités » que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave.

[24] Toutefois, au paragraphe 35 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit : [traduction] « Bien que le Tribunal ait noté les importantes préoccupations en matière de santé que l’appelante a actuellement, il a aussi noté que la preuve médicale au dossier laisse subsister quelques doutes quant à la gravité de ses symptômes au cours de la [période minimale d’admissibilité]. » [Mis en évidence par la soussignée]

[25] L’appelante soutient que, en effet, le membre de la division générale a appliqué [traduction] « une norme de la preuve trop élevée » et que, malgré le fait qu’elle ait correctement énoncé la norme de la preuve aux paragraphes 31 et 37, la division générale a, au bout du compte, exigé qu’elle prouve le bien-fondé de sa cause au-delà de tout doute raisonnable plutôt que selon la prépondérance des probabilités. Elle soutient que si la division générale avait appliqué correctement la norme de la preuve appropriée, elle aurait conclu que la prépondérance de la preuve étayait la conclusion selon laquelle elle satisfaisait à la définition d’une personne invalide d’ici la fin de sa période minimale d’admissibilité.

[26] L’intimé, pour sa part, soutient que le membre de la division générale a correctement énoncé la norme de la preuve applicable, et ce, aux paragraphes 8, 31 et 37 de sa décision. Au paragraphe 8, le membre de la division générale a écrit qu’elle avait déterminé si [traduction] « il était plus probable qu’improbable que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa [période minimale d’admissibilité] ou avant cette date ». L’intimé soutient que le membre [traduction] « notait à peine la difficulté de déterminer la gravité des symptômes de l’appelante [...] et n’a pas formulé de critère différent relatif à la norme de la preuve ». Essentiellement, l’intimé soutient que, après avoir tenu compte du contexte général et de l’ensemble de la preuve, il est clair que le membre a bel et bien appliqué la norme de la preuve appropriée.

[27] Comme l’a écrit le juge MacKay dans l’affaire Hidri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 949, au paragraphe 28, « On ne peut présumer que l’utilisation du mot “convaincre” dénote automatiquement qu’on impose un fardeau de preuve plus élevé, sans procéder à un examen approfondi du contexte de la décision en cause. »

[28] La division d’appel a adopté cette approche, bien que les examens aient mené à des résultats différents. J’ai traité de la même question dans l’affaire S.A. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 TSSDASR 21, où le même membre de la division générale a écrit que la preuve médicale au dossier [traduction] « laisse subsister quelques doutes » quant à la gravité des symptômes de S.A. J’ai examiné le contexte dans lequel cette expression a été employée. J’ai convenu que la décision de la division générale devait être prise dans son ensemble et qu’elle ne pouvait pas être subdivisée en toutes ses parties constitutives. J’ai déterminé que les paragraphes 25 et 26 devaient être lus conjointement, mais après avoir fait cela, j’ai conclu que la division générale avait examiné la cohérence des plaintes de S.A. plutôt que la gravité de sa douleur ou de ses symptômes. À un certain moment, la division générale a fait allusion aux [traduction] « importantes préoccupations en matière de santé » de S.A., mais il n’était pas clair comment la division générale avait conclu que S.A. avait d’importantes préoccupations en matière de santé, compte tenu du fait que le membre n’avait pas traité du caractère grave de S.A. ni analysé le caractère grave. L’expression « quelques doutes » était suivie par ce qui semble être une référence à la preuve qui a généré ce doute. La division générale a également décrit certains éléments de preuve médicale qu’elle se serait attendu que S.A. obtienne. La division générale a donné l’impression que S.A. aurait pu établir qu’elle avait une invalidité grave si elle avait fourni certaines opinions médicales ou certains dossiers médicaux. Compte tenu de l’analyse menée par la division générale, il ne ressortait pas clairement qu’elle avait apprécié la preuve selon la prépondérance des probabilités, ce qui donne lieu à une erreur de droit.

[29] Dans l’affaire K.J. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 TSSDASR 217, mon collègue Neil Nawaz a été confronté à la même expression, employée par le même membre de la division générale. Il a écrit ce qui suit : [traduction] « Le fait d’exiger de [K.J.] qu’elle prouve sa cause en atténuant “quelques” doutes efficacement élève la norme de preuve au critère “au-delà de tout doute raisonnable” exigé dans les instances au criminel. » Il a conclu que le fait que la division générale avait originalement énoncé correctement la norme de la preuve n’a pas remédié aux défauts de sa décision. Finalement, la division d’appel a conclu que, bien que l’expression « quelques doutes » était fâcheuse, le reste de la décision de la division générale n’indiquait pas qu’elle avait appliqué une norme de preuve indûment onéreuse. La division d’appel a noté que la division générale avait analysé la preuve qui appuyait et n’appuyait pas une conclusion selon laquelle l’invalidité de K.J. avait été grave au cours de sa période minimale d’invalidité. La division d’appel a également noté que la division générale avait cité la jurisprudence pertinente et qu’elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve ainsi que de l’effet cumulatif des conditions médicales de K.J. En rejetant l’appel K.J. la division d’appel a conclu que l’expression [traduction] « quelques doutes » ne correspondait à rien de plus qu’à un regrettable lapsus, particulièrement dans le contexte de toute la décision. La division générale avait soigneusement analysé la preuve, évalué les observations de K.J. en fonctions de celles de l’intimé et considéré les forces et les faiblesses des causes respectives des parties. La division d’appel n’a rien constaté pouvant démontrer que la division générale avait rejeté la demande de K.J. au motif qu’il subsistait [traduction] « quelques doutes ».

[30] De toute évidence, je dois examiner le contexte plus large dans lequel l’expression [traduction] « laisse subsister quelques doutes » a été employée dans l’instance devant moi. Il faut tenir compte de la décision de la division générale dans son ensemble, et il ne faut pas la subdiviser en toutes ses parties constitutives. Si je conclus que l’expression constitue un regrettable lapsus, alors il semblerait que la décision pourrait être conservée. Cependant, si l’emploi de l’expression témoigne de la norme de preuve appliquée par la division générale, alors cela constituerait une erreur de droit.

[31] Le paragraphe 35 de la décision de la division générale se lit comme suit :

[traduction]

[35] Bien que le Tribunal ait noté les importantes préoccupations en matière de santé que l’appelante a actuellement, il a aussi noté que la preuve médicale au dossier laisse subsister quelques doutes quant à la gravité de ses symptômes au cours de sa PMA. Par exemple, le rapport du Dr Wilson, daté du 29 mars 2005, révèle qu’elle est capable d’exercer un emploi adapté qui n’implique pas de tâches répétitives, de soulever des objets ou de lever les bras plus haut que la tête, et son rapport, daté du 12 octobre 2006, révèle qu’elle pourrait se recycler si ses symptômes persistent malgré de la physiothérapie. De même, Mme Latimer estimait que, même si elle ne pouvait pas exercer un emploi en administration de bureau, elle pourrait se recycler dans un autre domaine qui nécessite moins de mouvements répétitifs afin de lui permettre de retourner travailler. Le résumé de sortie du programme de réhabilitation fonctionnelle indiquait qu’elle était capable d’accomplir des activités à un niveau considéré comme étant limité sur le plan physique, et ce, avec un certain nombre de mesures médicales préventives permanentes pour son épaule et sa main gauches. Le 11 décembre 2007, le Dr Payandeh a signalé que la douleur dans ses bras s’était atténuée à la suite d’une décompression de la coiffe des rotateurs et que le 23 février 2009, elle a eu du succès avec la libération du nerf médian au niveau du canal carpien de ses deux mains. Même si elle était traitée pour sa dépression par le Dr Johnston, il a indiqué, le 20 janvier 2007, les séances de counseling et les médicaments avaient un effet positif sur son humeur. Le 19 février 2008, il a indiqué que les séances de counseling étaient bénéfiques, et le 6 octobre 2008, il a indiqué qu’elle ne répondait plus aux critères diagnostiques de TDM. Même si elle a reçu un diagnostic de cancer du pancréas, elle a subi une chirurgie. Le Tribunal a également noté qu’un certain nombre de ses conditions médicales sont apparues de façon significative après sa PMA, y compris ses problèmes cardiaques (2009), son apnée du sommeil (2010) et sa chirurgie de pontage gastrique (mars 2015).

[32] Le membre semble avoir mis l’accent sur la preuve qui suscitait [traduction] « quelques doutes » quant à la gravité des symptômes de l’appelante. En mettant l’accent sur la preuve qui suscitait [traduction] « quelques doutes », le membre a involontairement donné l’impression qu’elle n’a peut-être pas mené une analyse exhaustive et apprécié l’ensemble de la preuve médicale afin de déterminer le caractère grave. Cependant, au paragraphe 34, le membre a noté les éléments de preuve médicale sur lesquels s’était appuyée l’appelante, puis le membre les a examinés au paragraphe 35.

[33] Par exemple, au paragraphe 34, le membre a noté plusieurs diagnostics que l’infirmier a énumérés dans son rapport médical du RPC daté du 3 février 2012. Au paragraphe 35, le membre a noté la même opinion que l’infirmier, c’est-à-dire que même si l’appelante n’était pas en mesure d’exercer un emploi en administration de bureau, elle pourrait se recycler dans un autre domaine qui nécessite [traduction] « moins de mouvements répétitifs » afin de lui permettre de retourner travailler.

[34] Le membre a également noté au paragraphe 34 que le Dr Wilson a confirmé l’opinion datée du 29 mars 2005 selon laquelle l’appelante avait reçu un diagnostic de syndrome de la douleur chronique et qu’elle ne pouvait pas retourner travailler, sauf si l’emploi était adapté et n’impliquaient pas des tâches répétitives, de soulever des objets lourds ou de lever les bras au-dessus de la tête. Dans le même paragraphe, le membre a noté que le Dr Wilson avait également confirmé le 12 octobre 2006 que l’épaule gauche de l’appelante était en pire état après la chirurgie. Au paragraphe 35, le membre a confirmé l’opinion du Dr Wilson concernant la capacité de l’appelante. Le membre a également noté son opinion datée du 12 octobre 2006 selon laquelle l’appelante pourrait se recycler dans un autre domaine qui nécessite [traduction] « moins de mouvements répétitifs » afin de lui permettre de retourner travailler.

[35] De même, le membre a noté aux paragraphes 34 et 35 que le résumé de sortie du programme de réhabilitation fonctionnelle daté du 23 juin 2006 faisait mention des préoccupations permanentes en matière de santé de l’appelante. Malgré ces préoccupations, le membre a noté que les auteurs du rapport, en tenant compte des préoccupations relatives à son épaule et à sa main gauches (GT2 43 à GT250), étaient d’avis que l’appelante était capable d’exercer des activités à un niveau considéré comme étant limité sur le plan physique.

[36] Finalement, le membre a noté au paragraphe 34 que le Dr Johnston, un psychologue clinicien, avait signalé que l’appelante participait à des séances de counseling et prenait des médicaments afin de traiter sa dépression. Comme l’a noté le membre au paragraphe 35, le Dr Johnston a signalé dans ce même rapport et dans un rapport subséquent que les séances de counseling et les médicaments avaient un effet positif sur son humeur.

[37] Ces exemples laissent entendre que le membre a mené une analyse et apprécié la preuve médicale dont il était saisi afin de déterminer où la prépondérance des probabilités se trouve. La division générale a énoncé la preuve médicale qui, selon elle, étayait le fait qu’elle était atteinte d’une invalidité grave, puis elle l’a appréciée en fonction de la preuve médicale qui, selon elle, n’étayait pas le fait qu’elle était atteinte d’une invalidité grave. Lorsque je le lis dans son ensemble, je suis convaincue que le membre de la division générale comprenait le fardeau de la preuve imposé à l’appelante et qu’il a appliqué le fardeau de la preuve, indépendamment du fait qu’il a employé l’expression [traduction] « laisse subsister quelques doutes », ce qui pourrait être interprété comme étant une indication qu’il a appliqué une norme de la preuve plus élevée. L’expression, à elle seule, n’établit pas une norme de la preuve et n’indique pas non plus que la division générale a appliqué une norme plus rigoureuse que celle selon la prépondérance des probabilités. Je ne relève aucune erreur sur cette question.

b. Prétendu manquement à la justice naturelle : mode d’audience

[38] L’appelante soutient que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle lorsqu’elle a décidé d’instruire l’appel par téléconférence plutôt que de tenir l’audience par vidéoconférence ou en personne.

[39] Lorsqu’elle a examiné si elle devait accorder la permission d’en appeler, la division d’appel a conclu que cette question ne soulevait pas de cause défendable pour plusieurs raisons, mais principalement, elle a déterminé qu’ [traduction] « [elle] n’était saisie d’aucun document qui laisserait entendre que la division générale n’était pas capable de recevoir la preuve de l’appelante et d’apprécié celle-ci convenablement à cause que l’audience a eu lieu par téléconférence. » Le membre a également noté qu’il n’y a aucune obligation de tenir une audience en personne selon le Règlement, et que, puisqu’il s’agissait de la décision discrétionnaire de la division générale de déterminer le mode d’audience approprié, l’on devrait faire preuve de déférence envers sa décision relative au mode d’audience. Le membre a également examiné si la décision de la division générale avait affecté les droits, les privilèges ou les intérêts de l’appelante, de telle sorte que cela a entravé les concepts d’équité et de justice naturelle. À cet effet, elle a examiné certain des facteurs que la Cour suprême du Canada a énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC) afin de déterminer la nature de l’obligation d’équité dans un cas précis. Après avoir tenu compte de tous ces éléments, la division d’appel n’était pas convaincue que la division générale avait omis d’observer des principes de justice naturelle lorsqu’elle a tenu une audience par téléconférence.

[40] L’appelante a répété plusieurs observations qu’elle avait présentées dans sa demande de permission d’en appeler. Bien que la norme à respecter est inférieure à l’étape de la permission d’en appeler, je les ai quand même examinées dans le cadre de l’appel en l’espèce, ainsi que ses arguments supplémentaires à ce sujet. Maintenant, l’appelante affirme également ce qui suit à ce sujet :

[traduction]

23.De plus, il s’agit d’un cas de douleur chronique. La nature de l’invalidité de l’appelante fait en sorte qu’il est difficile de l’évaluer de manière objective. Par conséquent, le témoignage de l’appelante était l’élément de preuve le plus pertinent présenté lors de l’audience devant la division générale. Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 RCS 504.

24. Pour déterminer la fiabilité de cet élément de preuve essentiel, le juge des faits devait déterminer la crédibilité de l’appelante. Le Tribunal devait clairement observer l’appelante afin de prendre des décisions fondamentales à l’appel. En ce qui concerne les faits en l’espèce, le refus de tenir une audience en personne ou par vidéoconférence a empêché l’appelante de présenter sa cause et a mené à un manquement à la justice naturelle.

25. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit bel et bien que les audiences peuvent être tenues au moyen de questions et réponses écrites ou par téléconférence, et il se pourrait fort bien que certains appels ne nécessitent pas de conclusions relatives à la crédibilité et que dans ces cas-là, il serait approprié de tenir une audience selon ce mode. Il est indiqué que les appels portant sur des évaluations de l’invalidité, notamment dans des cas de douleur chronique, nécessitent un mode d’audience qui permet au membre du jury d’observer l’appelant.

[41] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante avait suggéré que puisqu’il y avait une audience par téléconférence, la division générale n’était pas en mesure d’évaluer la crédibilité. En évaluant la demande de permission d’en appeler, la division d’appel n’a pas abordé directement la question à savoir si une audience par téléconférence permettait à la division générale d’évaluer la crédibilité et le comportement de l’appelante, mis à part qu’elle a conclu que les deux décisions de la Commission d’appel des pensions, sur lesquelles l’appelante s’était fondée, ne contraignaient pas le Tribunal de la sécurité sociale et que, par conséquent, elles étaient distinguent ne serait-ce que pour cette raison. Cependant, elle a bel et bien conclu que rien ne lui avait été présenté qui suggèrerait que, puisque l’audience a eu lieu par téléconférence, la division générale n’a pas été en mesure de recevoir et d’apprécier la preuve de l’appelante. D’après mon examen de la décision de la division générale, il est clair que la question du comportement et de la crédibilité de l’appelante n’était pas en cause. En effet, la division générale a accepté le témoignage de l’appelante selon lequel elle a plusieurs préoccupations médicales et d’importantes préoccupations en matière de santé, et selon lequel elle recevait un traitement continu.

[42] L’appelante affirme que le mode d’audience l’a empêchée d’être en mesure de présenter sa cause équitablement et convenablement, car elle a des problèmes de douleur chronique. Cependant, comme ma collègue l’a souligné dans sa décision relative à une demande de permission d’en appeler, l’appelante n’a pas réussi à démontrer comment on l’avait empêché de défendre sa cause comme il se doit. Par exemple, l’appelante n’affirme pas qu’elle n’était pas en mesure de fournir des éléments de preuve, et elle n’a pas indiqué de quelle façon ses éléments de preuve auraient différé ou airent peut-être été présenté différemment si l’audience avait eu lieu en personne ou par vidéoconférence.

[43] Dans l’affaire Murphy v. Canada (Procureur générale), 2016 CF 1208, l’instance s’est déroulée sans la tenue d’une audience. Dans cette affaire, la division générale a déterminé qu’un examen des documents au dossier était suffisant pour rendre une décision.   La Cour fédérale a noté que la division générale avait avisé Mme Murphy qu’elle avait l’intention d’instruire l’appel par écrit. Madame Murphy n’a répondu à aucune des invitations du Tribunal à transmettre des commentaires et des éléments supplémentaires. La division générale a expliqué les raisons pour lesquelles elle a procédé sur la foi du dossier. Elle avait déterminé que les questions en litige n’étaient pas complexes, que les renseignements au dossier ne présentaient aucune lacune et ne requéraient aucun éclaircissement, que la crédibilité n’était pas un problème et que le mode d’audience respectait les exigences du Règlement voulant que l’audience se déroule de la manière la plus informelle et la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[44] Lorsqu’elle a présenté sa demande de permission d’en appeler, Mme Murphy n’a pas contesté le mode d’audience. Pourtant, la Cour fédérale doutait qu’une analyse comme celle faite dans l’arrêt VillaniNote de bas de page 1aurait pu être menée sans la tenue d’une nouvelle audience devant la division générale, compte tenu des difficultés de Mme Murphy : son niveau d’éducation limité, sa capacité limitée à transmettre des observations écrites, son trouble de la parole documenté par le personnel du Tribunal de la sécurité sociale, et l’expression difficile de ses pensées.

[45] La situation personnelle de Mme Murphy est complètement différente de celle de l’appelante. De plus, Mme Murphy a perdu complètement l’ouï, tandis que la division générale a offert à l’appelante d’instruire l’audience par téléconférence. Rien n’indique que l’appelante, dans l’instance dont je suis saisie, avait de la difficulté à exprimer ses pensées dans le cadre d’une téléconférence.

[46] Dans l’arrêt Robbins v. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24, la Cour d’appel fédérale a également examiné s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale lorsque la division d’appel a tranché l’affaire uniquement sur la foi des documents écrits. Après avoir examiné la nature des questions, la preuve et les circonstances en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a rejeté toutes les observations selon lesquelles la division d’appel avait manqué aux principes d’équité procédurale. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction]

[21] [...] le Tribunal d’appel est habileté à trancher toute affaire sans la tenue d’une audience (c.-à-d. trancher uniquement sur la foi des observations et des documents écrits) : article 43 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60. Il a droit à une certaine marge de manœuvre pour faire ce genre de choix procédural, en partie parce que son choix est souvent fondé sur son appréciation des questions en litige, de la preuve qui lui a été présentée et des circonstances de l’affaire : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 D.L.R. (4th) au paragr. 27; Établissement de Mission c. Khela, [2014] 1 RCS 502, au paragr. 89. Finalement, nous remarquons que, comme la loi l’exige, le tribunal d’appel « veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que le respect de l’équité et de la justice naturelle permettent » : alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[22] Même si nous n’accordions au Tribunal d’appel aucune latitude et que nous évaluions sa décision de procéder sur la foi des documents écrits avec exactitude, nous sommes convaincus que monsieur Robbins a eu pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve et de soumettre des observations, et qu’une audience orale n’aurait pas changé l’issue de l’affaire : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office CanadaÄTerre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, 1994 CanLII 114 (CSC). À l’audience, monsieur Robbins a admis qu’il aurait essentiellement réitéré ce qui se trouvait dans la documentation écrite.

[47] Même si l’affaire Robbins s’inscrivait dans un contexte d’un appel devant la division d’appel, les mêmes considérations s’appliquent dans l’affaire dont je suis saisie, bien que les considérations principales sont, dans les circonstances en l’espèce, à savoir si l’appelante avait amplement eu la chance de soumettre et de présenter des observations, et qu’une audience en personne ou par vidéoconférence, à l’opposé d’une audience par téléconférence, n’aurait pas changé l’issue de l’affaire. L’appelante ne m’a pas convaincue qu’une audience en personne ou par vidéoconférence aurait nécessairement changé l’issue de l’affaire ou qu’elle n’a pas eu pleinement l’occasion de présenter sa cause et de soumettre des observations.

[48] De manière significative, l’audience a eu lieu en septembre 2015, soit plus de huit ans après la fin de la période minimale d’admissibilité de l’appelante. Bien que la division générale n’ait pas commenté à ce sujet, la période assez longue qui s’est écoulée après la période minimale d’admissibilité de l’appelante semblerait, en grande partie, contredire la nécessité impérative de tenir une audience portant sur les conditions médicales d’un appelant à la fin de sa période minimale d’admissibilité. Après tout, la mémoire des témoins s’érode avec le temps et, généralement, les souvenirs d’un témoin en ce qui a trait à des événements passés diminuent et deviennent moins fiables avec le temps. Dans ces situations où il s’est écoulé beaucoup de temps depuis la fin de la période minimale d’admissibilité, le dossier documentaire est généralement examiné puisqu’il s’agit d’un indicateur plus fiable de l’état de santé d’un appelant que ses propres souvenirs des événements passés. Je ne suis pas convaincue qu’une audience en personne ou par vidéoconférence était nécessairement requise ou que cela aurait amélioré la qualité de la preuve liée à la période minimale d’admissibilité qui a pris fin il y a longtemps.

[49] À la lumière de ces observations, je ne suis pas convaincue que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle lorsqu’elle a tenu une audience par téléconférence plutôt qu’une audience en personne ou par vidéoconférence.

c. Autres prétendues erreurs de droit

[50] L’appelante soutient que la prépondérance de la preuve était en faveur d’une conclusion selon laquelle elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée qui la rendait incapable d’exercer une occupation rémunératrice. Elle soutient également que la conclusion de la division générale selon laquelle son invalidité n’est pas grave ne concorde pas avec la prépondérance de la preuve en l’espèce.

[51] L’appelante tente d’instruire à nouveau sa cause, mais examiner à nouveau la preuve n’est pas approprié, car cela ne se rattache à aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

d. Prétendues conclusions de fait erronées

[52] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a soutenu que la division générale avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans sa demande de permission d’en appeler, la division d’appel a conclu que ce moyen d’appel ne conférait pas à l’appel une chance raisonnable de succès, notant, par exemple, qu’un simple désaccord avec la description de la division générale de son éducation ne constitue pas un moyen d’appel et qu’il y avait des éléments de preuve étayant cette conclusion de fait. La division d’appel a indiqué dans sa décision relative à une demande de permission d’en appeler que la division générale avait noté les limitations de l’appelante en anglais, et avait pas conséquent conclu que la division générale n’avait pas tiré de conclusion de fait erronée en ce qui a trait à son bilinguisme. La division d’appel a également reconnu que bien que la description de la division générale relativement à ses mesures d’adaptation scolaire [traduction] « n’était peut-être pas tout à fait exacte », elle n’était pas convaincue qu’une erreur avait été commise de façon abusive ou arbitraire, car elle a [traduction] « tenu compte des éléments portés à sa connaissance ». Mis à part cela, la division générale n’a pas fondé sa décision sur la nature des accommodements.

[53] L’appelante ne conteste pas directement les conclusions de la division d’appel qui se trouvent dans la décision relative à la demande de permission d’en appeler et elle ne soulève pas à nouveau la question à savoir si la division générale aurait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Cependant, elle a fait allusion aux conclusions de la division générale relatives au recyclage professionnel qui a été donné par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Par conséquent, je me pencherai à nouveau sur cette question.

[54] L’appelante laisse entendre que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu qu’elle avait participé à un programme à temps plein de niveau collégial en anglais. C’était en partie en se fondant sur cela que la division générale avait déterminé que l’appelante avait conservé une capacité d’exercer, au minimum, un emploi régulier à temps partiel. La division générale s’est fondée sur l’affaire Kotsopoulos c. Ministre du Développement des ressources humaines (14 mars 2004), CP21310 (CAP), laquelle, selon elle, a démontré que la capacité d’occuper un emploi régulier à temps partiel, d’effectuer des tâches modifiées ou de détenir des occupations sédentaires a été interprétée comme empêchant de tirer une conclusion en faveur du caractère grave.

[55] L’appelante soutient que la division générale a commis une erreur dans sa conclusion, car elle avait besoin de mesures d’adaptations importantes et [traduction] « était uniquement en mesure compléter trois des six jours de son placement en milieu de travail ». (AD3-8)

[56] La division générale a énoncé les éléments de preuve relatifs au recyclage et au placement professionnel de l’appelante :

[traduction]

[12] Avec l’aide de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), elle a obtenu son diplôme d’études secondaires en 2010 grâce à des cours par correspondance à un centre d’études indépendant. Elle a également fréquenté le Sylvain Centre (Centre Sylvain) pour obtenir de l’aide afin d’apprendre le matériel du cours.

[13] Elle a ensuite suivi un programme d’un an à temps plein et de niveau collégial en administration de bureau (quatre heures par jour). Elle a été capable de participer au programme et de faire les travaux de cours requis, mais qu’elle recevait de l’aide pour taper ainsi que plus de temps pour faire ses examens. Dans le cadre de son programme, elle devait faire un stage professionnel de six semaines, ce qu’elle a tenté de faire, mais elle a dû y mettre fin après trois jours en raison de sa blessure à l’épaule. Elle a initialement été avisée qu’elle ne pourra pas obtenir son diplôme, mais on lui a par la suite accordé une exception, et elle a bel et bien reçu son diplôme.

[57] La division générale a ensuite conclu que l’appelante [traduction] « a été capable de suivre et de compléter des cours par correspondance de niveau secondaire, puis un programme à temps plein de niveau collégial en anglais. »

[58] La preuve indique que l’appelante n’a pas été capable de terminer le placement professionnel dans le cadre de son programme de niveau collégial, car elle a arrêté d’y aller après trois jours. Il est clair que le placement professionnel de six semaines était une partie intégrante du programme d’administration de bureau, compte tenu du fait que, initialement, l’appelante n’allait pas être en mesure de recevoir son diplôme, car elle n’avait pas réussi cette partie du programme. Malgré ce fait, la division générale semblait accepter le fait que l’appelante avait terminé son programme de niveau collégial, y compris son placement professionnel, lorsqu’elle a suggéré qu’elle a non seulement été capable de suivre et de terminer des cours par correspondance de niveau secondaire, mais qu’elle a aussi été capable de participer à un programme à temps plein de niveau collégial et de le terminer. Cela a sensiblement déformé la preuve, et a donné l’impression trompeuse que l’appelante n’avait pas éprouvé de problèmes pour terminer le programme.

[59] Le recyclage professionnel a eu lieu après la fin de la période minimale d’admissibilité. De ce point de vue, déterminer si l’appelante avait été en mesure de terminer le programme ou d’y participer pleinement aurait dû être sans intérêt, car cela n’était peut-être pas une façon précise de mesurer sa capacité en décembre 2006. Quoi qu’il en soit, la division générale a déterminé que l’appelante avait été en mesure de participer pleinement à son recyclage professionnel et que cela, par conséquent, démontrait qu’elle conservait une capacité d’exercer un emploi régulier à temps plein.

[60] Même si la division générale a déformé la preuve selon laquelle l’appelante avait été en mesure de participer pleinement à un programme à temps plein de niveau collégial et terminer celui-ci (et implicitement, un placement professionnel), par la même occasion, la division générale a également déterminé qu’elle n’était saisie d’aucune preuve médicale permettant d’établir que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave. Mon propre examen de la preuve médicale m’amène à conclure que la division générale était saisie de relativement peu de documents médicaux produits au cours de la période minimale d’admissibilité.

[61] Un chirurgien orthopédiste a évalué l’appelante en janvier 2006 et a conclu que l’appelante était atteinte de douleur chronique et diffuse au niveau du cou et de la région péri-scapulaire. Il était d’avis que la douleur de l’appelante continuait de ressentir des répercussions sur sa capacité de retourner exercer tout emploi comportant des tâches répétitives ou physiques (GT251 à 52).

[62] Un résumé de sortie portant sur la tolérance fonctionnelle de l’appelante et daté du 23 juin 2006 révélait que l’appelante serait capable d’effectuer des activités limitées jusqu’à quatre heures par jour, et que le nombre d’heures pourrait être progressivement augmenté en fonction de sa tolérance. Elle avait des mesures médicales préventives permanentes pour son épaule et sa main gauches, et il lui a été conseillé d’éviter les activités pour lesquelles elle doit utiliser son extrémité supérieure gauche de manière répétitive ou prolongée. Il lui a également été conseillé de ne pas participer à des activités qui nécessiteraient qu’elle surcompense avec son extrémité supérieure droite (GT140 à 41 et GT243 à 50).

[63] L’appelante a consulté un chirurgien orthopédiste en octobre 2006, à la suite de la chirurgie qu’elle avait subie à son épaule gauche. Elle a signalé que ses symptômes s’étaient aggravés et que sa capsulite rétractile avait complètement récidivé. Elle ressentait aussi plus d’engourdissement et de picotements dans ses extrémités supérieures. L’appelante ne voulait pas recevoir une injection épidurale. Le médecin avait recommandé que si elle ne remarquait pas de progrès grâce à la physiothérapie, elle pourrait arrêter et faire des exercices à la maison, et pourrait se recycler. Il n’a pas estimé qu’il était nécessaire de recommander la chirurgie, compte tenu de sa réaction la première fois (GT242).

[64] L’appelante a reçu un diagnostic de dépression réactionnelle, en réponse à la douleur et à l’insomnie causées par ses blessures. Elle prenait des antidépresseurs et a participé à des séances de counseling avec un psychologue (GT240 et 41). Les séances de counseling et la prise de médicaments ont eu un effet positif, même si l’appelante a continué à être aux prises avec un certain nombre de problèmes, et son humeur restait labile et dépressive. Le psychologue a recommandé l’utilisation continue d’antidépresseurs, ainsi que des séances de counseling supplémentaires.

[65] La division générale a examiné ces avis médicaux et a conclu que ceux-ci ne permettaient pas de conclure à une invalidité grave. Je m’en remettrai à l’appréciation de la preuve effectuée par la division générale. En tant que juge des faits, la division générale est la mieux placée pour apprécier la preuve qui lui est présentée et pour déterminer le poids qu’il faut lui accorder. La division d’appel n’instruit pas les appels de novo et n’est pas en mesure de régler les questions relatives au poids accordé à la preuve. De plus, je tiens compte des mots utilisés par la Cour fédérale dans l’affaire Hussein c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1417, précisant qu’ « [u]ne partie essentielle de la mission et des compétences [de la division générale] consiste à évaluer les éléments de preuve et ses décisions appellent une déférence considérable. »

[66] Malgré le fait que la division générale a déformé la preuve selon laquelle l’appelante était capable de participer à un programme à temps plein de niveau collégial et de terminer celui-ci, et implicitement, le placement professionnel, je conclus que cela ne change pas l’issue de l’affaire, étant donné que, au bout du compte, la division générale avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure à une invalidité grave au cours de la période minimale d’admissibilité.

Conclusion

[67] Compte tenu des circonstances susmentionnées, l’appel est rejeté.

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