Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 15 août 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a statué que la demanderesse ne pouvait pas bénéficier d’une prorogation du délai pour présenter une demande d’appel contre la décision de révision du défendeur, qui lui avait refusé une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC).

[2] La décision de révision du défendeur était datée du 8 décembre 2015. Conformément à l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), un demandeur dispose d’un délai de 90 jours pour interjeter appel d’une décision de révision devant la division générale du Tribunal. La demanderesse a déposé son appel auprès de la division générale le 5 juillet 2016, soit après le délai de 90 jours. La division générale devait déterminer si une prorogation du délai pour déposer l’appel devait être accordée.

[3] Après avoir tenu compte des facteurs pertinents pour déterminer si un délai supplémentaire doit être accordé, la division générale a conclu que la demanderesse disposait d’une cause défendable et que l’autre partie ne subirait pas de préjudice si la prorogation de délai était accordée. La division générale a cependant refusé de proroger le délai au motif que la demanderesse n’avait pas démontré l’intention persistante de poursuivre l’appel et qu’elle n’avait pas raisonnablement expliqué son retard.

[4] Le 4 novembre 2016, la demanderesse a présenté à la division d’appel du Tribunal une demande de permission d’en appeler (demande) de la décision de la division générale.

Questions en litige

[5] Le membre doit déterminer si la division générale a commis une erreur dans sa décision en refusant de proroger le délai d’appel.

Droit applicable

[6] Conformément à l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le MEDS, une demande doit être présentée à la division générale dans les 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décision de révision. En vertu du paragraphe 52(2), la division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel.

[7] Le membre doit chercher à savoir si la division générale a examiné et apprécié les critères, énoncés dans la jurisprudence, qui permettent de déterminer si une prorogation du délai d’appel doit être accordée. Dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, la Cour fédérale a déclaré que les critères à prendre en considération sont les suivants :

  • il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  • la cause est défendable;
  • le retard a été raisonnablement expliqué;
  • la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[8] Le poids qu’il faut accorder à chacun des facteurs énoncés dans Gattellaro peut varier selon le cas et, parfois, d’autres facteurs se révèlent aussi pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation du délai serait dans l’intérêt de la justice – Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204.

[9] En tranchant le second facteur de l’affaire Gattellaro, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si la partie a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique – Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41; Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, quand un demandeur demande à la division d’appel du Tribunal la permission d’en appeler d’une décision de la division générale, les seuls moyens d’appel suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[11] La demanderesse a soutenu que la division générale, en ne tenant pas compte de lettres au dossier, qui démontrent son intention persistante de poursuivre l’appel, a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, pour l’application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. La demanderesse fait référence à deux lettres en particulier, datées du 20 octobre 2015 et du 3 novembre 2015, respectivement.

[12] La demanderesse soutient également que la division générale a conclu qu’elle avait [traduction] « reçu des instructions claires » sur le processus de dépôt de l’avis d’appel, mais que la preuve au dossier a révélé que les instructions n’avaient pas étaient « claires » pour elle et qu’elle n’avait pas compris le processus pour faire appel d’une décision de révision devant la division générale. Elle soutient qu’il s’agit là d’une conclusion de fait erronée que la division générale aurait tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, pour l’application de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

[13] La demanderesse soutient aussi que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle du fait qu’elle ne lui a pas donné l’occasion d’expliquer le dépôt tardif de son appel. La demanderesse fonde cet argument sur le fait qu’elle s’exprime en pendjabi et qu’elle ne comprend pas toutes les finesses de la langue anglaise. Elle n’avait donc pas été capable de plaider sa cause pleinement et équitablement, tant pour ce qui était de compléter son appel dans le délai à cet effet et de défendre sa cause devant la division générale que pour présenter sa demande de prorogation du délai d’appel.

[14] Le défendeur a été invité à présenter des observations relativement à l’appel tardif, mais il a fait savoir, dans une réponse datée du 19 juillet 2016, qu’aucune autre observation ne serait présentée.

Analyse

[15] Un résumé des faits pertinents s’impose :

  • Le défendeur a initialement rejeté la demande de pension d’invalidité de la demanderesse.
  • La demanderesse a demandé une révision de cette décision par l’entremise d’une lettre datée du 20 octobre 2015.
  • Dans sa lettre du 20 octobre 2015, elle a fait savoir qu’elle avait demandé aux spécialistes d’autres preuves médicales mais que les rapports demandés avaient été retardés. Elle a affirmé qu’elle devait subir une IRM et que les résultats de cet examen seraient aussi transmis au défendeur. Elle a demandé au défendeur d’attendre de recevoir ces rapports avant de rendre sa décision de révision.
  • À l’issue d’une révision, le défendeur a fait savoir à la demanderesse, dans une lettre datée du 18 décembre 2015, qu’il avait décidé de lui refuser une pension d’invalidité.
  • La demanderesse confirme avoir reçu cette lettre le 27 décembre 2015.
  • La demanderesse disposait de 90 jours, à compter de la date où elle a reçu la décision, pour déposer un avis d’appel auprès de la division générale. Elle avait donc jusqu’au 29 mars 2016 pour déposer son avis d’appel.
  • Le 11 mai 2016, le défendeur a reçu plusieurs documents par la poste, dont plusieurs rapports produits par les spécialistes et médecins traitants de la demanderesse.
  • Le 19 mai 2016, le défendeur a communiqué avec la demanderesse par téléphone, et l’a informée qu’il ne pouvait pas recevoir ces documents et que le délai d’appel auprès du Tribunal était échu. La demanderesse a été avisée qu’elle devrait communiquer avec le Tribunal pour ce qui est d’une prorogation du délai pour déposer l’avis d’appel. En date du même jour, une lettre contenant des instructions sur la façon de communiquer avec le Tribunal pour le dépôt d’un appel tardif a été envoyée à la demanderesse.
  • La demanderesse a soumis une demande d’accès à l’information datée du 13 juin 2016 pour obtenir une copie de la décision de révision. Une copie datée du 16 juin 2016 lui a été envoyée.
  • Le 5 juillet 2016, la demanderesse a déposé son avis d’appel auprès du Tribunal.

[16] En évaluant la demande de prorogation de délai présentée par la demanderesse, la division générale a appliqué à l’espèce les facteurs de Gattellaro. Ce faisant, la division générale a reconnu que la demanderesse disposait d’une cause défendable, et a jugé qu’aucun préjudice ne découlerait d’une prorogation de délai. Cependant, après évaluation, la division générale a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré l’intention persistante de poursuivre l’appel. De plus, la division générale a estimé qu’elle n’avait pas expliqué raisonnablement le dépôt tardif de son avis d’appel. La division générale a jugé que le fait que la demanderesse n’avait pas démontré l’intention persistante de poursuivre l’appel pesait le plus lourd parmi les quatre facteurs de Gattellaro, et elle a donc ensuite rejeté l’appel.

[17] La question principale que je dois trancher est de savoir si la division générale aurait, de quelque façon que ce soit, erré en refusant de proroger le délai.

[18] Personne ne conteste le fait que la demanderesse a déposé son avis d’appel en retard. La demanderesse a reconnu que l’échéance pour le dépôt de son avis d’appel était le 29 mars 2015, et qu’elle a seulement déposé cet avis le 5 juillet 2015. Elle soutient cependant que la division générale, en cherchant à savoir si elle avait démontré l’intention persistante de poursuivre l’appel, n’a pas tenu compte des précisions qu’elle avait fournies dans une lettre envoyée au défendeur concernant la preuve médicale de ses spécialistes et médecins traitants, qui, elle l’avait espéré, appuierait sa demande de pension d’invalidité. Elle fait précisément référence à la lettre datée du 20 octobre 2015, dans laquelle elle demande au défendeur d’attendre que son examen médical soit effectué avant qu’il procède à la révision de sa demande. Voici ce qu’on peut lire, en partie, dans la lettre :

[traduction]
J’ai demandé de nombreuses fois au spécialiste de vous transmettre mon rapport ou de même de m’en donner une copie. Ils ont tardé à le faire, mais ils m’ont maintenant donné une date pour mon IRM pour mon épaule et je vous enverrai aussi tous les rapports. J’ai également demandé les détails du régime de mon compte et je les recevrai dans six semaines et je vous les transmettrai aussi. Veuillez attendre de recevoir les rapports de mon spécialiste et de mon régime avant de réviser ma décision…

[19] La demanderesse a soutenu que la division générale a conclu à tort qu’ [traduction] « [elle] n’a entrepris aucune démarche pour faire appel entre le 27 décembre 2015 et le 29 mars 2016 », période qui représentait le délai d’appel de 90 jours fixé par l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le MEDS. La demanderesse soutient qu’une lettre datée du 3 novembre 2015 confirme qu’une IRM était prévue le 11 mars 2016, et qu’en obtenant ainsi d’autres pièces justificatives, elle montrait son intention de poursuivre l’appel. Cela dit, j’ai examiné le dossier en entier et je n’ai pas pu trouver de lettre portant cette date. De toute façon, une lettre datée du 3 novembre 2015 ne remonte pas au délai d’appel de 90 jours (27 décembre 2015 au 29 mars 2016) applicable à un appel, un appel à la division générale, en l’occurrence. Je ne pourrais pas conclure que la conclusion de la division générale est erronée. La division générale a admis la lettre du 20 octobre 2015 qui demande au défendeur de reporter la révision de sa demande de pension d’invalidité jusqu’à ce que les autres éléments de preuve médicale soient disponibles, mais la décision du défendeur à ce sujet n’est pas une question sur laquelle le Tribunal peut se prononcer. Il demeure que la demanderesse n’a fait aucune démarche pour poursuivre son appel entre le 27 décembre 2015 et le 29 mars 2016.

[20] La permission d’en appeler n’est accordée pour ce motif d’appel.

[21] La demanderesse a aussi affirmé que la division générale a conclu qu’elle avait [traduction] « reçu des instructions claires » sur le processus de dépôt de l’avis d’appel, mais elle prétend que la preuve au dossier montre que les instructions n’étaient pas « claires » pour elle et qu’elle n’avait pas compris le processus pour faire appel d’une décision de révision devant la division générale.

[22] Je suis d’accord que certains éléments de preuve donnent à penser que la demanderesse ne comprenait pas le processus d’appel après avoir reçu la décision de révision. Le 20 octobre 2015, elle a fait savoir au défendeur qu’elle avait d’autres documents médicaux à déposer après la décision initiale lui refusant la pension. Elle a demandé que la révision soit reportée, comme elle avait l’intention de faire envoyer directement au défendeur des copies des rapports d’IRM une fois que ceux-ci seraient disponibles. Sa demande de report de la révision n’a pas été acceptée. La décision de révision a été rendue le 18 décembre 2015, et la demanderesse l’a reçue le 27 décembre 2015. Comme elle l’a précisé dans sa lettre du mois d’octobre, elle a fait ce qu’elle avait dit avoir l’intention de faire et a fait envoyer les rapports médicaux directement au défendeur, qui les a reçus le 11 mai 2016.

[23] Il y a au dossier des éléments de preuve qui confirment que la demanderesse était consciente que son IRM prévue le 11 mars 2016 était près de l’expiration du délai de 90 jours. La division générale a jugé que la demanderesse, qui était consciente que l’échéance suivait de près son IRM, n’avait pas fait les démarches raisonnables pour déposer son appel à temps. La division générale a également jugé qu'elle n’avait pas fait les démarches raisonnables pour s’assurer que son médecin transmette les résultats de l’IRM avant l’échéance du délai de 90 jours. Selon la division générale, la lettre envoyée à la demanderesse contenait suffisamment de renseignements précisant que c’était au Tribunal — et non au défendeur — qu’il fallait transmettre l’avis d’appel et tout élément de preuve médicale après que la décision de révision eût été rendue. Même lorsqu’elle a été informée de cette erreur, la demanderesse n’a pas rapidement entrepris les démarches nécessaires pour rectifier son erreur.

[24] La preuve au dossier montre aussi que la demanderesse avait été informée verbalement de même que par écrit dans une lettre datée du 19 mai 2016, qu’elle devait communiquer avec le Tribunal au sujet d’un appel tardif, mais elle l’a seulement fait après avoir déposé son avis d’appel en retard, le 5 juillet 2016.

[25] Même si je pense que l’affirmation de la demanderesse voulant que les instructions n’étaient pas « claires » à ses yeux pourrait avoir un certain fondement, la preuve au dossier corrobore aussi les conclusions tirées par la division générale. Les conclusions ne semblent pas manifestement déraisonnables. Je ne suis pas en mesure de substituer ma décision à celle de la division générale simplement parce que j’aurais statué différemment sur l’affaire. Le fait que la demanderesse n’est pas d’accord avec la conclusion de la division générale ne fait pas partie des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. La division d’appel ne jouit pas d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour statuer sur une demande de permission d’en appeler en vertu de la Loi sur le MEDS. Elle exercerait inadéquatement le pouvoir qui lui est conféré si elle accordait la permission d’en appeler d’après des motifs qui ne figurent pas au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, y compris un examen de la preuve dont la division générale a déjà tenu compte (Canada (Procureur général) c. O’keefe, 2016 CF 503).

[26] La permission d’en appeler n’est pas accordée pour ce motif, comme j’estime qu’il ne confère pas à l’appel une chance raisonnable de succès.

[27] La demanderesse a soutenu que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle en la privant d’une occasion d’expliquer les facteurs pertinents au dépôt tardif de son appel dans le cadre d’une audience. La demanderesse prétend que, sans audience, elle n’a pas pu plaider sa cause pleinement et équitablement en ce qui concerne le dépôt d’un appel complet avant l’échéance du délai à cet effet, ni plaider sa cause devant la division générale relativement à sa demande de prorogation du délai d’appel.

[28] Les principes de justice naturelle visent à assurer que les parties à une instance peuvent présenter leur cause pleinement et équitablement, et connaître les preuves qu’elles devront réfuter. Je souligne que les principes de justice naturelle comprennent l’équité procédurale, laquelle se rapporte généralement à la façon dont les audiences sont tenues, et visent à assurer certaines garanties, par exemple : les parties seront avisées des dates d’audience, savent ce dont elles doivent faire la preuve, et bénéficieront d’un délai approprié pour se préparer à plaider leur cause et pour se préparer contre le plaidoyer livré en réponse. Les parties ont également droit à une décision dont les motifs sont présentés de façon claire pour justifier la décision rendue. Si le concept d’équité procédurale signifie que les parties en instance devant le Tribunal peuvent s’attendre au respect de certaines normes procédurales, elles ne peuvent s’attendre à aucun droit matériel (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC)).

[29] Je suis consciente que la décision de la division générale d’accorder ou non une prorogation du délai pour faire appel est une décision discrétionnaire, tout comme celle visant à déterminer s’il est nécessaire de tenir une audience pour parvenir à établir les faits. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) ne précise pas comment déterminer s’il y a lieu de tenir une audience. Comme il s’agit là d’une décision discrétionnaire, il faut faire preuve de déférence à l’endroit de la division générale, et je ne peux intervenir quant à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que si le membre de la division générale a commis une erreur de droit, tenu compte de facteurs non pertinents ou ignoré des facteurs pertinents, ou si une injustice manifeste en découlerait.

[30] Dans Baker, la cour a établi qu’une décision qui touche les droits, les privilèges et les biens d’une personne entraîne l’application de l’obligation d’équité. La cour a également conclu que l’équité procédurale est variable et repose sur une appréciation du contexte particulier de chaque affaire. La cour a énuméré plusieurs facteurs qui peuvent être pris en considération pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale, qui comprennent les suivants :

  • la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
  • la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme;
  • l’importance de la décision pour les personnes visées;
  • les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;
  • les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

[31] En appliquant ces facteurs à l’espèce, je remarque que la décision de la division générale, sur la question de savoir si la prorogation du délai de dépôt de l’appel devrait être accordée, touche les privilèges de la demanderesse. Déterminer si une audience doit être tenue, de même que le mode d’audience, sont aussi des décisions qui touchent les privilèges de la demanderesse. J’estime aussi que, même si la décision en question ici est de nature procédurale, tenir ou non une audience peut changer le fait qu’un demandeur ait une occasion de plaider pleinement sa cause et de présenter pleinement ses arguments quant aux questions en jeu.

[32] Je constate également que les questions soulevées dans cette affaire sont importantes pour la demanderesse.

[33] Pour ce qui est du régime législatif qui régit le Tribunal, je note que le Tribunal suit un cadre réglementaire conçu pour assurer la résolution la plus rapide et efficace possible des litiges dont il est saisi. Conséquemment, les membres de la division générale et de la division d’appel ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer si une audience doit être tenue et, le cas échéant, de déterminer la façon dont l’audience doit être tenue. Le pouvoir discrétionnaire permettant de décider de rendre une décision sur la foi du dossier ou de plutôt tenir une audience ne doit pas être entravé de manière indue. De telles décisions sont enchâssées dans les considérations d’équité et de justice naturelle (voir, par exemple, l’article 3 du Règlement).

[34] En examinant le concept des attentes légitimes, je juge en effet que, bien que la demanderesse n’ait pas eu le droit à un mode d’audience en particulier, ses attentes légitimes comprenaient le droit d’être entendue. Le concept des attentes légitimes renvoie à des attentes procédurales semblables à celles que j’ai présentées au paragraphe 28. Elles n’englobent cependant aucune attente relative aux droits matériels, comme l’issue d’une affaire (Baker).

[35] Ceci m’amène à me pencher sur le choix fait par la division générale pour instruire cette affaire. La division générale a décidé en l’espèce de rendre une décision sur la foi du dossier. La décision ne fournissait aucun motif justifiant de ne pas avoir tenu une audience, ou de n’avoir même pas demandé des précisions à la demanderesse au moyen de questions et réponses écrites. À ce sujet, la demanderesse a prétendu que la division générale avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas tenir d’audience, particulièrement pour qu’elle puisse bénéficier d’une occasion de pleinement expliquer son retard et son intention persistante de poursuivre l’appel. La demanderesse a avancé que la division générale n’a pas tenu compte des facteurs à considérer quand elle a décidé d’instruire l’affaire sur la foi du dossier. Les facteurs à considérer étaient, selon elle, sa capacité à comprendre le processus pour faire appel de décisions auprès du Tribunal et le degré auquel elle avait compris la correspondance, ainsi que d’autres documents écrits que lui avaient envoyés le défendeur et le Tribunal.

[36] Il pourrait y avoir un fondement pour conclure que le membre de la division générale n’a pas bien exercé son pouvoir discrétionnaire. Cet argument pourrait avoir une chance raisonnable de succès, et la permission d’en appeler est donc accordée.

Autres considérations : erreur de droit

[37] En application de l’alinéa 58(1)b), la division d’appel doit chercher à savoir si la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. En l’espèce, je juge que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit pour ce qui est d’avoir tenu compte de l’intérêt de la justice.

[38] Dans Larkman, la Cour d’appel fédérale a reconnu que, même si les quatre facteurs de l’affaire Gattellaro « orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice », « [l]a considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice ».

[39] Au paragraphe 25 de sa décision, la division générale affirme ce qui suit : [traduction] « Compte tenu des facteurs de Gattellaro et dans l’intérêt de la justice, le Tribunal refuse de proroger le délai d’appel […]. » [mis en évidence par la soussignée] Même si la division générale fait référence à l’intérêt de la justice au dernier paragraphe de sa décision, je ne suis pas convaincue que la division générale ait véritablement cherché à savoir si une prorogation du délai serait dans l’intérêt de la justice, comme cette question n’a aucunement été abordée dans la décision.

[40] Je conclus que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas cherché à savoir si la prorogation de délai était dans l’intérêt de la justice, ou que sa décision ne montre pas qu’elle se soit penchée sur la question. Il ne semble pas que l’arrêt Larkman ait bien été appliqué.

[41] Cet argument pourrait avoir une chance raisonnable de succès sur le fond. La permission d’en appeler est accordée pour ce motif.

Conclusion

[42] La demande est accueillie.

[43] La présente décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[44] Les parties sont invitées à présenter des observations supplémentaires dans un délai de 45 jours.

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