Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

[1] Dans une lettre d’autorisation envoyée à l’intimé en date du 6 mars 2016, un membre de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a déterminé que l’intimé avait interjeté appel auprès de la division générale selon le délai prescrit.

[2] L’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler de cette décision, et la permission lui a été accordée le 7 juillet 2017.Note de bas de page 1

[3] Conformément au paragraphe 58(5) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), la demande de permission d’en appeler a été assimilée à un avis d’appel. Conformément à l’article 42 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement), l’appelant a présenté des observations supplémentaires le 18 août 2017. Dans ses observations, l’appelant a déclaré être satisfait que cet appel soit instruit sur la foi du dossier. Bien qu’on lui ait permis de le faire, l’intimé n’a pas présenté d’observations quant à l’appel. Cependant, il a déclaré dans une lettre envoyée au Tribunal en date du 26 juillet 2017, qu’il préfère que l’appel soit instruit par écrit, ou bien par téléconférence.

[4] J’ai jugé qu’il n’était pas nécessaire d’entendre davantage les parties, et l’appel sera instruit sur la foi du dossier conformément à l’alinéa 43a) du Règlement, et pour les raisons suivantes :

  1. a) Le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification.
  2. b) Les parties ont eu la possibilité de présenter des observations quant à l’appel.
  3. c) L’instruction sur la foi du dossier est conforme à l’exigence du Tribunal d’agir de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, comme le prévoit le paragraphe 3(1) du Règlement.

Contexte

[5] L’intimé a présenté une demande initiale de prestations d’invalidité le 11 mai 2010. Sa demande a été rejetée initialement et après révision. La décision de révision a été communiquée à l’intimé par l’entremise d’une lettre datée du 27 juillet 2011Note de bas de page 2, et on lui indiquait que sa demande de prestations d’invalidité avait été rejetée sur le fondement de la conclusion qu’il n’est peut-être plus capable d’exercer son emploi habituel, mais qu’il serait quand même en mesure d’exercer un autre type d’emploi. La lettre avisait également l’intimé de ce qui suit [traduction] :

Si vous êtes en désaccord avec notre décision

Vous avez le droit d’interjeter appel de cette décision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Si vous décidez d’interjeter appel, vous devez lui écrire dans les 90 jours suivant la réception de cette lettre. [Mise en évidence présente dans le texte d’origine]

[6] Presque deux ans plus tard, le 22 juillet 2013, l’intimé a écrit à Service Canada [traduction] :

Vous trouverez ci-joint ma demande de prestations d’invalidité du RPC dûment remplie. Cette demande est pratiquement identique à ma demande antérieure qui a été soumise en mai 2010. La demande initiale a été rejetée initialement et après révision. Le délai d’appel pour cette révision a pris fin. Mon assureur (Services d’assurance vie RBC) demande maintenant que je poursuive ma demande grâce au processus d’appel.

Veuillez m’informer si Service Canada permettrait d’en appeler de la décision de révision initiale ou d’accepter de réviser cette demande une seconde fois.Note de bas de page 3 [Mis en évidence par la soussignée]

[7] Il est inconnu si Service Canada a accepté la deuxième demande de prestations d’invaliditéNote de bas de page 4 qui était jointe à la lettre de l’intimé. Quoi qu’il en soit, cette information n’est pas pertinente pour cet appel.

[8] Service Canada a fait parvenir par télécopieur la lettre datée du 22 juillet 2013 au Tribunal le 7 octobre 2013, et on l’a estampillée du 8 octobre 2013 comme date de réception.Note de bas de page 5

[9] La lettre du 22 juillet 2013 a été traitée comme étant un avis d’appel. Des renseignements obligatoires qui étaient absents de l’avis d’appel ont été ultérieurement présentés par l’intimé le 10 juillet 2015Note de bas de page 6, moment auquel l’appel a été considéré comme complété. Le 22 décembre 2015, le Tribunal a écrit à l’intimé pour lui mentionner que l’appel avait été interjeté plus de 90 jours après la date à laquelle la décision de révision lui avait été communiquée, et on l’invitait à fournir une explication écrite pour justifier son retard.

[10] Le 21 janvier 2016, l’intimé a écrit au Tribunal pour fournir ses observations à l’appui de sa demande de prorogation du délai pour déposer son appel. L’intimé a affirmé entre autres choses ce qui suit : [traduction] « Cet appel n’a pas été déposé après le délai de 90 jours suivant la date à laquelle la décision de révision m’a été communiquée. J’ai su que la décision de révision avait été rendue en avril 2014 seulement. »Note de bas de page 7 Je souligne que cette dernière phrase est contraire aux déclarations faites dans son avis d’appel du 22 juillet 2013, où il apparaît clairement qu’il était au courant de la décision de révision avant avril 2014.

[11] La décision de la division générale relative à la demande de prorogation du délai a été envoyée aux parties en tant qu’approbation contenue dans une lettre provenant du personnel du Tribunal datée du 7 mars 2016.Note de bas de page 8 Dans cette lettre, il était écrit ce qui suit [traduction] :

Comme suite à une lettre que vous nous avez envoyée le 22 décembre 2015, un membre du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a révisé votre avis d’appel et déterminé que celui-ci avait été soumis dans le délai prescrit pour les motifs suivants :

Le Tribunal a été en mesure de déterminer que l’appelant a présenté une lettre à Service Canada, datée du 22 juillet 2013, dans laquelle il interjetait appel. Cette lettre a été envoyée au Tribunal de la sécurité sociale le 7 octobre 2013. Le numéro de téléphone de l’appelant était manquant au dossier, et cette information n’a été ajoutée au dossier que le 22 avril 2014. En raison du fait que l’appel datait de plus de deux ans, le Tribunal a avisé l’appelant de la fermeture du dossier. L’appelant a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer l’appel, conformément à l’article 25 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. L’appelant n’avait reçu aucune communication de la part de Service Canada, et lorsqu’il a téléphoné à Service Canada en avril 2014, on lui a dit que le dossier avait été transféré au Tribunal. Lorsqu’il a communiqué avec le Tribunal, on lui a dit que le Tribunal n’avait aucun de ses documents. C’est à ce moment-là que Service Canada a envoyé le dossier au Tribunal. L’appelant croyait avoir envoyé sa demande d’appel selon le délai prescrit de 90 jours.

Le Tribunal estime qu’il est évident qu’il y a un problème de communication entre l’appelant, Service Canada et le TSS. J’estime également que l’appelant avait clairement l’intention d’interjeter appel de la décision et que rejeter son appel constituerait un manquement au droit à la justice naturelle de l’appelant. [Mise en évidence présente dans le texte d’origine]

[12] L’appelant en appelle de cette décision.

Rôle de la division d’appel

[13] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’en appeler à la division d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] Conformément au paragraphe 59(1) de la LMEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[15] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 46-48, la Cour d’appel fédérale a établi que ni les normes de contrôle d’analyse applicables par les cours dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire de décisions rendues par les décideurs administratifs (comme on en débat dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190) ni les principes mis en pratique par une cour d’appel à l’égard d’une décision d’une instance inférieure (comme on en débat dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235) ne s’appliquent aux appels à l’intérieur d’une structure administrative à plusieurs niveaux. Plutôt, le « rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte » (paragraphe 46).

[16] Par ailleurs, lorsque le législateur a mis en place la structure administrative à plusieurs niveaux, l’étendue de contrôle du tribunal d’appel par rapport à la décision d’une instance inférieure se doit d’être déterminée par le libellé de la loi habilitante. Bien que l’arrêt Huruglica concernait une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le raisonnement de la Cour s’applique également aux autres structures administratives à plusieurs niveaux, telles que celle du Tribunal de la sécurité sociale.

[17] Quant au rôle de la division d’appel dans le cadre d’un appel à l’encontre d’une décision de la division générale, la LMEDS prévoit seulement des appels au titre des seuls moyens qui sont énumérés au paragraphe 58(1). Dans l’arrêt Marcia c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1367, la Cour fédérale a confirmé qu’un appel à la division d’appel ne constitue pas une audience de novo. Par conséquent, la division d’appel doit fonder sa décision sur la décision rendue par la division générale et sur le dossier qui lui avait été présenté.

[18] Compte tenu du libellé absolu des alinéas 58(1)a) et b) de la LMEDS, aucune déférence n’est due à la division générale à l’égard des questions de justice naturelle, de compétence ou d’erreurs de droit.

[19] Le libellé de l’alinéa 58(1)c), associé au fait que l’appel est fondé sur la même preuve qui avait été présentée à la division générale, présuppose que la division d’appel doit un degré de déférence aux conclusions de fait tirées par la division générale : la conclusion de fait attaquée doit non seulement être déterminante (« a fondé sa décision sur ») et inexacte (« erronée »), mais il faut également que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance pour que l’appel soit accueilli. Dans l’affaire Hussein c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1417, la Cour fédérale a établi au paragraphe 44 que la « partie essentielle de la mission et des compétences du TSS-DG [de la division générale] consiste à évaluer les éléments de preuve et ses décisions appellent une déférence considérable. »

[20] L’alinéa 58(1)c) prévoit que la division d’appel intervient si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, « tirée de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on le suggère dans l’arrêt Huruglica, on doit donner à ces mots leur propre interprétation : le libellé suggère que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec le contenu du dossier, voir R. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 58. Évitant une analyse de la norme de contrôle, je conclus, sur le fondement du libellé de l’alinéa 58(1)c), que la division d’appel est habilitée à intervenir, advenant que la division générale ait tiré une conclusion de fait qui ne cadrait pas avec les issues acceptables et raisonnables par rapport à la preuve qui lui était présentée.

Législation pertinente

[21] La Section 6 de la Partie 4 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 (LECPD), modifiait la Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, L.C. 2005, ch. 34 (LMRHDC). La Section 6 de la Partie 4 de la LECPD, soit les articles 223 à 281, instaurait le Tribunal, apportait des modifications au Régime de pensions du Canada (RPC), à la Loi sur la sécurité de la vieillesse et à la Loi sur l’assurance-emploi, établissait des dispositions transitoires et apportait des changements corrélatifs à d’autres lois.

[22] Sous réserve de certaines exceptions précisées à l’article 281 de la LECPD, la LECPD est entrée en vigueur à la date de la sanction royale, le 29 juin 2012.

[23] L’article 224 de la LECPD, en vigueur le 29 juin 2012, instaurait le Tribunal. L’article 52 de la LMRHDC est entré en vigueur à la même dateNote de bas de page 9, et imposait un délai absolu d’une année après la communication d’une décision à un appelant pour en appeler d’une décision de révision d’un ministère devant la division générale.

[24] La LMRHDC a depuis été renommée LMEDS. Les dispositions pertinentes de la législation, incluant l’article 52, n’ont pas changé. Pour la suite des motifs, je ferai référence à la législation comme à la LMEDS.

[25] L’article 52 de la LMEDS se lit ainsi :

Appel au Tribunal — division générale

  1. 52 (1) L’appel d’une décision est interjeté devant la division générale selon les modalités prévues par règlement et dans le délai suivant :
    1. a) dans le cas d’une décision rendue au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision;
    2. b) dans les autres cas, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision.
  2. (2) La division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel. [Mis en évidence par la soussignée]

[26] Le 1er avril 2013, les articles 82 à 86.1 du RPC ont été abrogés et remplacés par les nouveaux articles 82 et 83.Note de bas de page 10 Avant le 1er avril 2013, le paragraphe 82(1) du RPC (mentionné ici comme « l’ancien paragraphe 82(1) ») se lisait ainsi :

Appel au tribunal de révision

82 (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre-vingt-dix jours.

[27] Il est à noter que l’ancien paragraphe 82(1) prévoyait qu’une personne pouvait en appeler d’une décision de révision du ministre auprès d’un tribunal de révision, par écrit, dans un délai de quatre-vingt-dix jours ou « soit dans le délai plus long » autorisé par le commissaire des tribunaux de révision. Donc, sous l’ancien régime, une limite absolue d’une année pour interjeter appel n’existait pas.

[28] À compter du 1er avril 2013, l’article 82 du RPC (mentionné ici comme « l’article 82 modifié ») a été abrogé et remplacé par l’ancien paragraphe 82(1). Il est ainsi libellé :

Appel au Tribunal de sécurité sociale

82 La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81, notamment une décision relative au délai supplémentaire, ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel de la décision devant le Tribunal de la sécurité sociale, constitué par l’article 44 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[29] L’article 82 modifié supprimait toute référence à une limite de temps pour en appeler d’une décision de révision du ministre. Dorénavant, l’article 52 de la LMEDS disposait sur ce point, lequel était entré en vigueur le 29 juin 2012. L’alinéa 52(1)b) de la LMEDS prévoyait encore un délai de quatre-vingt-dix jours pour déposer un appel, entre autres, à l’encontre d’une décision de révision du ministre au titre du RPC, sous réserve d’une prorogation possible par la division générale. Conformément au paragraphe 52(2) de la LMEDS, la division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel après la date où le demandeur reçoit communication de la décision.

[30] La LECPD incluait des dispositions transitoiresNote de bas de page 11, lesquelles sont aussi entrées en vigueur le 29 juin 2012. Les dispositions transitoires concernaient, entre autres, les appels déposés et entendus par le tribunal de révision avant le 1er avril 2013.

[31] Conformément aux dispositions transitoires, si un appel à l’encontre d’une décision de révision du ministre a été déposé et entendu avant le 1er avril 2013, le tribunal de révision restait saisi de l’appel jusqu’à ce qu’il rende une décision ou jusqu’au 31 mars 2014, selon le premier à être atteint. Si aucune décision n’était rendue par le tribunal de révision avant le 31 mars 2014, la division générale devenait saisie de l’appel.

[32] Les dispositions transitoires qui concernent les appels devant le tribunal de révision disposent ainsi :

Demande d’appel — tribunal de révision

255. (1) Le tribunal de révision demeure saisi de tout appel interjeté et entendu avant le 1er avril 2013 au titre du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229.

Délai — décision

(2) Le tribunal de révision rend sa décision au plus tard le 31 mars 2014 ou, le cas échéant, le jour précédant la date fixée en application du paragraphe 253(3).Note de bas de page 12

Défaut

(3) La division générale du Tribunal de la sécurité sociale est saisie de tout appel visé au paragraphe (1) si aucune décision n’est rendue dans le délai prévu au paragraphe (2). L’appel est alors réputé avoir été interjeté le 1er avril 2014 ou, le cas échéant, à la date fixée en application du paragraphe 253(3) à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Appel au Tribunal de la sécurité sociale

(4) La personne qui se croit lésée par une décision rendue en application du paragraphe (1) peut en appeler de la décision devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

[…]

Appel — Tribunal de la sécurité sociale

257. Tout appel interjeté avant le 1er avril 2013, au titre du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229, et non visé par l’article 255 est réputé avoir été interjeté le 1er avril 2013 à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[…]

262. Les dispositions du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur la sécurité de la vieillesse abrogées par la présente loi et leurs règlements continuent de s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux appels dont un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions demeure saisi au titre de la présente loi.

[33] Par conséquent, conformément à l’article 262 de la LECPD, l’ancien paragraphe 82(1) s’appliquait encore à tous les appels dont le tribunal de révision demeurait saisi. Par voie de conséquence nécessaire, des dispositions du RPC qui ont été abrogées par la LECPD (dont l’ancien paragraphe 82(1)) ne s’appliquaient plus aux appels devant la division générale.

[34] Finalement, l’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) est pertinent dans le cadre de cet appel. L’alinéa 43c) prévoit ce qui suit :

43 L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

Question en litige

[35] La question faisant l’objet de l’appel dont je suis saisie est de déterminer si la division générale a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a accordé une prorogation du délai pour en appeler de la décision de révision.

Observations

[36] L’appelant soutient que conformément au paragraphe 52(2) de la LMEDS, la division générale a excédé sa compétence en omettant d’appliquer le paragraphe 52(2) de la LMEDS, une erreur qui est visée par l’alinéa 58(1)a) de la LMEDS.

[37] L’appelant soutient aussi que, bien que la décision de révision ait été rendue en vertu de l’ancienne structure juridique (c.-à-d. avant l’entrée en vigueur de la LECPD), la LMEDS s’applique à l’appel devant la division générale, car la LMEDS était entrée en vigueur lorsque l’intimé a déposé son appel. Compte tenu de ce point, le paragraphe 52(2) de la LMEDS gouverne, et l’appel de l’intimé était prescrit. En omettant d’appliquer le paragraphe 52(2), le membre de la division générale a erré en droit, ce qui représente une erreur susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS.

[38] L’appelant soutient que le droit d’appel de l’intimé n’était pas acquis, cumulé ou encouru le 29 juin 2012, quand l’article 224 de la LECPD (qui incluait le paragraphe 52(2) de la LMEDS) est entré en vigueur, ou le 1er avril 2013, quand l’ancien paragraphe 82(1) a été abrogé et remplacé par l’article 82 modifié. L’article 262 de la LECPD prévoyait que les dispositions abrogées du RPC et du règlement associé s’appliquaient encore uniquement aux appels dont le tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions demeuraient saisis. Par conséquent, la loi abrogée ne s’applique pas à l’appel de l’intimé devant la division générale.

[39] L’appelant soutient aussi qu’une prorogation du délai ne relève pas d’une question de droit, et même si la division générale avait compétence pour accorder une prorogation du délai, elle devait apprécier et soupeser les faits identifiés dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, avant de décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de dépôt de l’appel. En omettant de le faire, la division générale a commis une erreur de droit susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS.

[40] Finalement, l’appelant soutient que la division générale a commis une erreur susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS quand elle a ignoré l’élément de preuve faisant montre que l’appel de l’intimé a été déposé après l’expiration du délai d’un an imposé par le paragraphe 52(2) de la LMEDS.

[41] Comme je l’ai mentionné, bien qu’on lui ait permis de le faire, l’intimé n’a pas présenté d’observations quant à l’appel.

Analyse

L’incidence du nouveau régime législatif

[42] Les dates d’entrée en vigueur des différentes dispositions pertinentes dans la LECPD sont importantes pour trancher la question de cet appel.

[43] L’entrée en vigueur le 29 juin 2012 de l’article 52 de la LMEDS, l’abrogation de l’ancien paragraphe 82(1) et l’édiction le 1er avril 2013 de l’article 82 modifié du RPC ont fait en sorte que le délai de quatre-vingt-dix jours pour interjeter appel d’une décision de révision du ministre en vertu du RPC était le même avant et après le 1er avril 2013. Toutefois, la limite absolue d’une année était nouvelle et elle s’appliquait aux appels devant la division générale à compter du 29 juin 2012, alors que l’article 52 de la LMEDS est entré en vigueur.

[44] Conformément à l’article 262 des dispositions transitoires, l’ancien paragraphe 82(1) s’appliquait encore uniquement aux appels dont le tribunal de révision restait saisi, jusqu’à ce qu’il rende une décision ou jusqu’au 31 mars 2014, selon le premier à être atteint.

[45] En l’espèce, la décision de révision du ministre a été envoyée par la poste à l’intimé le 27 juillet 2011. Comme susmentionné dans les motifs, bien que l’intimé ait déclaré dans une lettre datée du 21 janvier 2016 qu’il n’avait pas eu connaissance de la décision de révision avant avril 2014, cette déclaration est clairement inexacte car il était conscient de la décision quand il a écrit sa lettre du 22 juillet 2013/son avis d’appel, qu’on n’avait pas tranché en sa faveur (d’où sa demande d’appel) et que le délai pour en appeler était expiré. Cette incohérence a été soulignée dans la Décision relative à une demande de permission d’en appeler, et même si l’intimé avait eu l’occasion de présenter des observations quant à l’appel pour éclaircir ce point, il a choisi de ne pas le faire. J’ai tiré une conclusion défavorable à l’endroit de la position de l’intimé, et je suis en droit de le faire. Je souligne, puisque c’est apparent dans la correspondance au dossier, que l’adresse postale de l’intimé est demeurée la même au cours de l’instance devant la division générale et en appel. J’admets d’office que le courrier régulier au Canada est généralement reçu dans les 10 jours suivant la mise à la poste, un fait représenté au paragraphe 19(1) du Règlement.Note de bas de page 13 Sur ce fondement, je conclus que la décision de révision a été communiquée à l’intimé le 6 août 2011. Il n’a pas envoyé d’avis d’appel (incomplet) avant le 22 juillet 2013, et son appel n’a été complété que le 10 juillet 2015. Ces deux dates dépassent la limite d’une année conformément à l’article 52 de la LMEDS.

[46] Conformément aux dispositions transitoires, puisque l’appel n’a pas été déposé avant le 1er avril 2013, le tribunal de révision n’était pas saisi de l’appel de l’intimé. L’appel a plutôt été fait à la division générale. Tout compte fait, par rapport à l’appel de l’intimé, l’ancien paragraphe 82(1) du RPC avait été abrogé et n’était pas applicable à l’appel devant la division générale.

[47] L’entrée en vigueur le 29 juin 2012 de l’article 52 de la LMEDS et l’entrée en vigueur le 1er avril 2013 de l’article 82 modifié du RPC ont eu pour effet que la limite d’une année imposée par l’article 52 de la LMEDS s’appliquait à l’appel de l’intimé. Par conséquent, son appel était prescrit par la limite d’une année imposée par l’article 52 de la LMEDS.

[48] La décision Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100 de la Cour fédérale appuie ce résultat. Dans cette cause, la demanderesse avait déposé sa demande de permission d’en appeler auprès de la Commission d’appel des pensions le 1er avril 2013. Conformément à l’article 260 des dispositions transitoires, comme aucune décision n’avait été rendue par la Commission d’appel des pensions, la demande de permission d’en appeler de la demanderesse était réputée comme étant une demande de permission d’en appeler déposée à la division d’appel le 1er avril 2013. Sous l’ancien régime, un demandeur pouvait s’appuyer sur la présentation de faits nouveaux et essentiels par l’entremise d’une audience de novo pour établir que son appel avait une chance raisonnable de succès. Sur la base des attentes légitimes de la demanderesse au moment du dépôt de l’appel, le membre de la division d’appel avait décidé de la demande de permission d’en appeler sur le fondement d’une audience de novo, permettant à la demanderesse de présenter de nouveaux éléments de preuve. La Cour a établi que les dispositions transitoires établissaient clairement que le législateur prévoyait que les causes traitées par le Tribunal seraient sujettes à la nouvelle législation.Note de bas de page 14 Le membre avait erré en examinant la demande de permission d’en appeler de la demanderesse conformément à la théorie des attentes légitimes au moment du dépôt de la demande, car la théorie s’applique uniquement aux questions d’équité procédurale, et ne s’applique pas à l’attente que la loi demeurerait inchangée.Note de bas de page 15 La Cour a établi que le législateur prévoyait que les causes traitées par le Tribunal seraient sujettes à la nouvelle législation.Note de bas de page 16

[49] L’affaire Belo-Alves concernait une demande de permission d’en appeler qui avait été déposée avant le 1er avril 2013. Il a été jugé que les dispositions transitoires excluaient le recours au régime qui était en place avant l’entrée en vigueur de la LECPD. Pour la présente affaire, compte tenu de la date d’entrée en vigueur du paragraphe 52(2) de la LMEDS, de l’abrogation de l’ancien paragraphe 82(1) et de son remplacement par l’article 82 modifié le 1er avril 2013, du libellé clair indiquant que l’ancien paragraphe 82(1) s’appliquait uniquement aux appels dont le précédent tribunal demeurait saisi, le législateur a établi de façon claire que les appels présentés à la division générale seraient assujettis au nouveau régime, ainsi qu’au délai d’une année pour en appeler d’une décision de révision du ministre.

Droits acquis

[50] Nul n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé : voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. ministre du Revenu national, [1977] 1 RCS 271. Dans cette affaire, le juge Dickson, au nom de la majorité, pour la Cour suprême du Canada, a déclaré ce qui suit :

Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation [citation omise]. La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l’intention contraire, s’applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu’elle produise son effet dans l’avenir. Ce dernier type de loi peut être mauvais s’il porte atteinte à des droits acquis sans l’exprimer clairement. Toutefois, cette présomption s’applique seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations. Il est évident que la plupart des lois modifient des droits existants ou y portent atteinte d’une façon ou d’une autre, et les lois fiscales ne font pas exception. [...] Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé [...].Note de bas de page 17 [mis en évidence par la soussignée]

[51] Le régime applicable au Tribunal, comme il est édicté par la LECPD, et particulièrement en ce qui concerne les dates d’entrée en vigueur et les termes des dispositions transitoires, il n’est pas ambigu que l’article 82 modifié s’applique aux appels devant la division générale. L’ancien paragraphe 82(1) a été abrogé à compter du 1er avril 2013 et s’appliquait encore uniquement aux appels entamés avant le 1er avril 2013, dont le tribunal de révision et le conseil demeuraient saisis. L’absence d’une limite absolue d’une année pour déposer un appel, laquelle était prévue sous l’ancien paragraphe 82(2), n’était pas applicable à l’intimé. C’était plutôt le paragraphe 52(2), entré en vigueur le 29 juin 2012, qui s’appliquait aux appels devant la division générale. L’intention du législateur est claire. Comme la législation n’est pas ambiguë, conformément à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Gustavson Drilling, la présomption selon laquelle les droits acquis ne sont pas influencés ne s’applique pas.

[52] Dans l’affaire Gustavson Drilling, la Cour suprême du Canada a tenu compte des principes de common law à l’égard des droits acquis. Dans la décision R. c. Puskas, [1998] 1 RCS 1207, la Cour a tenu compte des dispositions législatives dans la Loi d’interprétation fédérale qui concernent les droits acquis.

[53] L’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation prévoit que l’abrogation dans la législation n’a pas pour conséquence de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé. Dans l’affaire Puskas, la Cour a établi ce qui suit : « un droit ne peut pas être acquis tant que toutes les conditions préalables à son exercice n’ont pas été remplies ».Note de bas de page 18

[54] L’ancien et le nouveau régime d’appel prévoyaient, et prévoient, qu’une personne dépose un avis d’appel pour se prévaloir du droit d’en appeler. Déposer un avis d’appel représente donc une condition préalable au droit d’en appeler. L’intimé n’a pas déposé d’avis d’appel ou de demande de prorogation du délai pour en appeler auprès du tribunal de révision avant l’entrée en vigueur des dispositions transitoires, le 29 juin 2012. À l’application du raisonnement de la Cour dans l’affaire Puskas, l’intimé n’avait pas acquis, contracté ou encouru le droit d’en appeler ou de demander une prorogation du délai avant l’entrée en vigueur le 29 juin 2012 de la limite d’une année. Par conséquent, l’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation n’était pas concerné.

[55] Puisque l’intimé n’a pas déposé d’avis d’appel ou de demande de prorogation du délai avant le 1er avril 2013, la LECPD prévoyait que son appel soit présenté à la division générale et que le nouveau régime s’applique à son appel. Comme son appel ne faisait pas partie de ceux dont le tribunal de révision est demeuré saisi, l’ancien paragraphe 81(1) ne s’appliquait pas à son appel.

Erreurs de la division générale

[56] Le membre de la division générale n’a pas tenu compte de l’incidence de l’édiction de l’article 52 de la LMEDS le 29 juin 2012 et de l’abrogation de l’ancien paragraphe 82(1) du RPC le 1er avril 2013 pour la question de déterminer s’il avait compétence pour accorder à l’intimé une prorogation du délai pour déposer un appel. Je juge que le membre de la division générale a erré en droit en omettant de tenir compte de l’incidence de ces dispositions sur le droit de l’intimé à poursuivre un appel après le délai d’une année, une erreur qui cadre avec l’alinéa 58(1)b) de la LMEDS. De plus, je juge que la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le paragraphe 52(2) du RPC qui agit comme empêchement prévu par la loi à l’égard de l’appel de l’intimé. Puisqu’il y avait un empêchement prévu par la loi, le membre de la division générale n’avait pas compétence pour utiliser un pouvoir discrétionnaire et accorder une prorogation du délai à l’intimé pour lui permettre de déposer son appel. Le membre a dont excédé sa compétence, ce qui représente une erreur susceptible de contrôle qui cadre avec l’alinéa 58(1)a) de la LMEDS.

[57] Je juge aussi que la division générale a commis une erreur susceptible de contrôle en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS quand elle a ignoré l’élément de preuve faisant montre que l’appel de l’intimé a été déposé après l’expiration du délai d’un an imposé par le paragraphe 52(2) de la LMEDS.

[58] Compte tenu de ces erreurs, l’appel doit être accueilli. Puisque le membre de la division générale n’avait pas la compétence pour utiliser un pouvoir discrétionnaire et accorder une prorogation du délai, je n’ai pas à examiner les observations de l’intimé en ce qui concerne l’erreur commise par le membre qui n’a pas tenu compte des facteurs de Gattellaro ou de les appliquer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Conclusion

[59] L’appel est accueilli.

[60] Le membre de la division générale n’avait pas compétence pour utiliser un pouvoir discrétionnaire et accorder une prorogation du délai à l’intimé pour lui permettre de déposer son appel à l’encontre de la décision de révision du ministre, et donc la décision du membre de la division générale est annulée.

[61] La seule décision juste possible pour le membre de la division générale était de refuser la prorogation du délai. Conformément aux pouvoirs qui me sont accordés par le paragraphe 59(1) de la LMEDS, je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et je le fais ainsi : la demande de prorogation du délai de l’intimé devant la division générale est rejetée car elle est prescrite par le paragraphe 52(2) de la LMEDS.

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