Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Cette affaire vise à déterminer si la division générale a appliqué correctement le critère juridique relatif à la « gravité » lorsqu’elle a évalué l’invalidité de l’appelante et son admissibilité à une pension du Régime de pensions du Canada. L’appelante interjette appel de la décision rendue par la division générale le 31 octobre 2015 qui concluait que l’appelante n’avait pas établi qu’elle avait une invalidité grave et prolongée selon le Régime de pension du Canada à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2010. La division générale détermina que l’appelante n’était par conséquent pas admissible à la pension d’invalidité.

[2] J’ai accordé la permission d’en appeler au motif que la division générale pourrait avoir commis des erreurs de droit en n’appliquant pas les principes énoncés dans l’affaire Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248 et, en ne tenant pas compte, dans un contexte « réaliste », des caractéristiques personnelles de l’appelante. L’appelante n’a présenté aucune autre question que je considère aurait pu soulever une cause défendable.

[3] L’appelante n’a présenté aucune autre observation écrite ou répondu aux observations de l’intimé déposées le 18 avril 2017. De plus, comme aucune partie n’a demandé la tenue d’une audience, j’ai déterminé que cette affaire peut être instruite sur la foi du dossier, conformément à l’alinéa 43(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[4] La seule question que je dois trancher consiste à savoir si la division générale a appliqué correctement le critère juridique en matière de « gravité » prévu au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada.

Critère relatif à la gravité

[5] Dans l’arrêt Villani, il est indiqué qu’un décideur doit adopter une approche « réaliste », c’est-à-dire qu’il doit tenir compte de la situation particulière de l’appelante, par exemple son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie au moment d’évaluer si l’appelante est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que l’examen des circonstances entourant la situation de l’appelante est une question de jugement sur laquelle on se doit d’être hésitant à intervenir. Par conséquent, si la division générale a appliqué le critère Villani et que l’appelante conteste simplement la manière dont l’évaluation a été réalisée, je devrais éviter d’intervenir.

[6] Comme je l’ai mentionné dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, bien que la division générale présente quelques-unes des caractéristiques personnelles de l’appelante dans un contexte « réaliste », il n’est pas clair qu’elle fit une analyse de ces caractéristiques dans ce contexte, analyse qui est requise lorsque la gravité d’une invalidité est évaluée.

[7] Pendant que l’intimé fait valoir que le critère relatif à une invalidité doit être appliqué dans un contexte « réaliste », l’intimée soutient qu’il y a des cas de jurisprudence provenant de la Cour d’appel fédérale qui établissent qu’il y a des circonstances selon lesquelles il peut ne pas être nécessaire de réaliser une telle analyse.

[8] Dans l’affaire Klabouch c. Canada (Développement social), 2005 CAF 187, la Cour d’appel fédérale a établi ce qui suit :

[14] Je traiterai maintenant de la dernière prétention de la demanderesse, laquelle est fondée sur l’arrêt rendu par la Cour dans Villani, précité. La demanderesse prétend plus particulièrement que la Commission a commis en erreur en ne tenant pas compte de ses caractéristiques personnelles, comme son âge, sa formation, ses connaissances linguistiques, sa capacité de se recycler, etc. À mon avis, cette prétention doit être rejetée dans les circonstances de l’espèce. Dans l’arrêt Villani, précité, la Cour a affirmé sans équivoque (au paragraphe 50) qu’un requérant doit toujours être en mesure de démontrer qu’il souffre d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêche de travailler :

[50] Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque qui éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. Bien entendu, il sera toujours possible, en contre-interrogatoire, de mettre à l’épreuve la véracité et la crédibilité de la preuve fournie par les requérants et d’autres personnes.

[15] Comme [sic] la Commission n’était pas convaincue que la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 1995, il n’était pas nécessaire, à mon avis, qu’elle applique la méthode fondée sur le contexte « réaliste ».

[9] De plus, dans l’arrêt Erickson c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2009 CAF 58 aux paragraphes 8 et 10, une affaire que l’intimé prétend ressemble plus étroitement à l’appel de l’appelante, la Cour d’appel fédérale conclut que la décision rejetant l’appel de Mme Erickson n’était pas déraisonnable. L’intimé fait valoir que, dans cette affaire, la décision était fondée largement sur la preuve voulant que madame Erickson pouvait retourner à son ancien emploi. Au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale écrivit que la Commission d’appel des pensions [traduction] « était au fait de l’ensemble de ses tâches; déterminer si la demanderesse avait une invalidité grave et prolongée, ce qui l’aurait empêché de réaliser tout travail rémunérateur, compte tenu des options réellement à sa portée. »

[10] L’intimé soutient que l’appelante n’a pas démontré que ses problèmes de santé étaient graves et prolongés, et qu’il n’était par conséquent pas nécessaire pour la division générale de faire une analyse des critères de l’arrêt Villani.

[11] En se référant à l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, l’intimé ajoute que la Cour suprême du Canada a établi que les motifs n’ont pas à être approfondis et que la division générale n’avait ainsi pas à effectuer une analyse exhaustive du critère de gravité.

[12]  L’intimé affirme que la division générale détermina que l’appelante n’avait pas une invalidité grave en se fondant sur les éléments de preuve médicale objectifs qui lui avaient été présentés. Notamment, la division générale indiqua, aux paragraphes 9, 10 et 15, que l’appelante avait été traitée de façon conservatrice et que les avis médicaux de 2009 mentionnaient qu’il n’y avait aucune raison médicale empêchant l’appelante de retourner au travail comme aide-infirmière. La division générale nota que, le 7 juin 2009, Dr Betzner était d’avis qu’il n’y avait pas de contre-indications, au niveau strictement musculosquelettique, à ce que l’appelante retourne à son ancien travail comme aide-soignante. En octobre 2010, Dr England, un chirurgien orthopédiste engagé par la Worker’s Compensation Board [Commission d’indemnisation des accidentés du travail] de l’Alberta, partagea cet avis (GT1-69 à 72).

[13] La division générale n’a pas analysé en profondeur la preuve médicale. Elle se concentra sur quelques-uns des examens de diagnostic et sur les avis médicaux des Drs Betzner et England.

[14] Drs Betzner et England se sont fiés aux résultats de l’IRM de septembre 2009 (GT1-91 à 92/137-138). Néanmoins, à cause des symptômes persistants de l’appelante, Dr Jaarsveldt demanda qu’une nouvelle IRM soit réalisée. Dans son rapport de consultation daté du 2 novembre 2010 (GT1-76 à 77), il indiqua que si l’état de l’appelante ne s’améliorait pas avec une injection suivie par de la physiothérapie, elle devrait consulter un chirurgien spécialiste en orthopédie arthroscopique.

[15] Une nouvelle IRM de l’épaule droite de l’appelante a été faite le 10 novembre 2010. Cette imagerie montra une tendinopathie de la coiffe des rotateurs supra humérale avec une déchirure partielle au point d’insertion de la grosse tubérosité (trochiter) ainsi qu’une petite déchirure de la surface bursale. Des changements dégénératifs de l’articulation acromio-claviculaire accompagnés par une hypertrophie capsulaire légère à modérée ont aussi été observés (GT1-78/135-136).

[16] Dr Skeith a vu l’appelante une autre fois le 22 décembre 2010. L’appelante se plaignait de douleurs persistantes graves. Dr Skeith indiqua que l’appelante recevrait une injection dans son épaule droite et, selon les résultats, qu’elle aurait peut-être besoin d’une opération. Il était d’avis que [traduction] « l’état de santé de l’appelante ne lui permettait pas présentement de détenir un emploi régulier qu’il soit ou non adapté » et qu’elle devrait être réévaluée par un chirurgien (GT1-132).

[17] L’appelante a consulté un autre chirurgien orthopédiste. Le 23 mars 2011, Dr Jan Latengan donna à l’appelante un diagnostic de rupture partielle de la coiffe des rotateurs et d’arthrose acromio-claviculaire à l’épaule droite. Dr Lategan était d’avis que l’appelante n’avait pas eu de prise en charge conservatrice efficace. Il l’envoya en consultation en physiothérapie. Au même moment, il organisa une consultation pour discuter de la possibilité d’une chirurgie arthroscopique (GT1-131).

[18] L’appelante a eu une consultation en orthopédie en décembre 2011. Dr Rigal conclut finalement qu’une intervention chirurgicale n’était pas indiquée, car l’appelante n’avait pas une déchirure importante de la coiffe des rotateurs. Dr Rigal était d’avis que l’appelante avait besoin [traduction] « d’un important soutien pour gérer son niveau de stress apparemment considérable » (GT6-8 et 9).

[19] L’appelante a eu une autre consultation en orthopédie en décembre 2013. Dr Lalani avisa l’appelante qu’elle ne bénéficierait pas d’une intervention chirurgicale, mais qu’elle avait besoin de consulter une clinique de la douleur pour l’aider à trouver des solutions à ses problèmes de douleurs. Il était d’avis qu’elle aurait besoin d’un programme de physiothérapie approprié pour son épaule pour redonner la force et la fonction aux muscles de la ceinture scapulaire (GT2-15/16).

[20] L’appelante alla à une clinique de la douleur en février 2014 pour une évaluation. À ce moment-là, le spécialiste de la douleur lui donna un diagnostic de trouble de douleur chronique. Dr Hauptman fit plusieurs recommandations, incluant des modifications à son mode de vie et une thérapie cognitivocomportementale, ainsi qu’une optimisation de sa prise de médicaments. Autrement, s’appuyer seulement sur la médication s’avérerait être moins efficace à réduire la douleur de l’appelante (GT2-17 à 20).

[21] En avril 2014, la Alberta Appeals Commission for Alberta Workers Compensation [commission d’appel de l’Alberta de la commission d’indemnisation des accidentés du travail de l’Alberta] détermina que l’appelante avait droit à une allocation d’entretien ménager, quoique ceci ne détermine évidemment pas la gravité de l’invalidité de l’appelante.

[22] Bien qu’il soit vrai qu’un décideur n’ait pas à évoquer tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, il ne semble pas que la division générale considéra l’ensemble de la preuve. Entre autres, elle ne traita pas du trouble de douleur chronique apparent de l’appelante malgré l’allusion faite au paragraphe 11 de sa décision.

[23] C’est peut-être parce que le trouble de douleur chronique de l’appelante est survenu après la date de fin de la période minimale d’admissibilité. Néanmoins, c’est un élément que la division générale aurait dû traiter, particulièrement parce qu’il y a au moins un avis médical, celui de Dr Skeith, qui détermine que « l’état de santé de l’appelante ne lui permettait pas présentement de détenir un emploi régulier qu’il soit ou non adapté. »  Dr Skeith n’a pas indiqué si son avis venait des plaintes de douleurs musculosquelettiques de l’appelante ou de tout autre élément psychologique. Considérant l’absence de problèmes musculo-squelettiques significatifs observée par les Drs Betzner et England, un trouble de douleur chronique pourrait expliquer pourquoi l’Appelante ne se sentait pas capable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. En d’autres mots, si l’appelante avait un trouble de douleur chronique avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, ceci aurait pu influencer sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Et pour cette raison, la division générale aurait aussi dû examiner la possibilité d’un trouble de douleur chronique. Si ce trouble existait à ce moment pertinent, la division générale aurait dû déterminer si, cumulativement avec les douleurs dont se plaignait l’appelante, ce trouble aurait pu expliquer, ou contribuer à, une invalidité grave.

[24] Notablement, le rapport de Dr Skeith semble être le plus près de la date de fin de la période minimale d’admissibilité. À cet égard, la division générale aurait dû traiter des deux avis médicaux apparemment divergents, celui de Dr Skeith, d’un côté et celui des Drs Betzner et England, de l’autre.

[25] J’aurais été prêt à adhérer aux observations de l’intimé, n’eût été le fait que la preuve sur laquelle la division générale s’est fondée pour rendre sa conclusion peut ne pas tenir compte avec exactitude ou complètement de la preuve au dossier.

[26] Dans l’arrêt Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, la Cour fédérale d’appel a établi, au paragraphe 19, que [traduction] « le contexte « réaliste » signifie aussi que la commission doit évaluer si le refus de traitement en physiothérapie de Mme Lalonde est déraisonnable et quel impact ce refus peut avoir sur le statut d’invalidité de Mme Lalonde advenant que ce refus soit considéré déraisonnable. »

[27] Je suis aussi conscient que l’appelante a reçu plusieurs recommandations de traitement. Il n’est pas facile de savoir si elle a suivi ou s’est conformée à ces recommandations de traitement et, si ce n’est pas le cas, si sa non-conformité est raisonnable, ou quel impact celle-ci pourrait avoir sur son statut d’invalidité. Ceci aurait pu être des considérations pertinentes dans l’évaluation de la gravité de l’invalidité de l’appelante.

[28]  Compte tenu des lacunes que j’ai identifiées précédemment, l’appel est accueilli.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli et l’affaire doit être retournée à un membre différent de la division générale pour réexamen.

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