Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée, et l’appel est accueilli.

Introduction

[1] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) datée du 17 juillet 2015, dans laquelle il avait été déterminé qu’il n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) puisque son invalidité n’était pas « grave » avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA).

Contexte

[2] Le demandeur a présenté une demande pour obtenir une pension d’invalidité du RPC le 28 février 2012. Il indiqua qu’il avait 47 ans et avait étudié en gestion des télécommunications à un collège communautaire. Il avait récemment travaillé chez Bell Canada à des tâches administratives, un emploi qu’il quitta en novembre 2009 à cause d’une discopathie dégénérative au bas du dos.

[3] Le défendeur a refusé la demande initialement et après révision selon les motifs que l’invalidité du demandeur n’était pas grave et prolongée avant la date de fin de PMA, établie au 31 décembre 2011. En janvier 2013, le demandeur a interjeté appel de ces refus devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale le 1er avril 2013, conformément à la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[4] Le 7 juillet 2015, la division générale a tenu une audience en personne à X, Ontario. Dans les motifs écrits qui ont été communiqués le 17 juillet 2015, la division générale jugea qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve médicale pour établir que le demandeur souffrait d’une invalidité « grave » durant sa PMA. Elle détermina aussi qu’il n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour trouver un travail autre que son ancienne occupation : [traduction] « Le demandeur est un jeune homme qui a une bonne éducation, qui maîtrise la langue anglaise et qui possède un ensemble de compétences transférables tant pour des postes sédentaires que pour des emplois physiques. »

[5] Le 31 juillet 2015, le demandeur fit une demande de permission d’en appeler, prétendant qu’en rendant sa décision, la division générale n’avait pas accordé suffisamment d’importance aux éléments de preuve médicale de ses médecins traitants, en particulier au rapport de mai 2015 de Dr Samuel, son médecin de famille. Dans sa décision datée du 27 août 2015, la division d’appel rejeta la demande de permission d’en appeler, concluant que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès. Je constate que les motifs invoqués par le demandeur ne sont autres qu’une demande de réappréciation de la preuve qui a déjà été évaluée par la division générale.

[6] Le demandeur a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans son jugement daté du 21 avril 2017, l’honorable juge James Russell conclut que la division d’appel commit une erreur en ne constatant pas qu’il y avait des motifs convaincants en faveur de l’appel. Plus particulièrement, il conclut que la division générale avait ignoré la preuve pertinente à la prétention du demandeur qu’il a une invalidité grave.

[7] Dans l’intérêt de la justice et de l’efficience, je procéderai en même temps à l’examen de la demande de permission d’en appeler et à l’évaluation de cette affaire sur le fond. J’ai décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir audience de vive voix et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. L’information au dossier est complète et ne nécessite aucune clarification;
  2. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[8] Selon le paragraphe 56(1) de la LMEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission. La division d’appel accorde ou refuse cette permission d’en appeler. Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la demande de permission d’en appeler est rejetée si la division d’appel est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Une demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. Il s’agit du premier obstacle qu’un demandeur doit franchir, mais il est inférieur à celui auquel elle devra faire face lors de l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, une demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

[11] La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada c. HogervorstNote de bas de page 1; Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

Régime de pensions du Canada

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une telle pension, un requérant doit :

  1. (a) avoir moins de soixante-cinq ans;
  2. (b) ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. (c) être invalide;
  4. (d) avoir versé des cotisations valables au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[14] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, l’invalidité est définie comme étant une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Observations

[15] Dans la demande de permission d’en appeler datée du 27 juillet 2015, le représentant du moment du demandeur fit valoir que la preuve médicale au dossier établissait la gravité de l’état combiné, organique et psychologique, de son client avant la date de fin de la PMA. Elle soutint aussi que la division générale n’avait pas accordé suffisamment d’importance à la preuve médicale qui lui avait été présentée, particulièrement aux éléments fournis par Dr Samuels [sic].

[16] Dans une lettre datée du 11 mai 2017, la représentante juridique du demandeur informa le Tribunal de la décision de la Cour fédérale, en soulignant les passages dans lesquels le juge Russell concluait que la preuve médicale appuyait la thèse de gravité de l’état de santé général du demandeur.

[17] Le Tribunal a fourni au défendeur une copie des documents portant sur la demande d’interjeter appel. Cependant, le défendeur n’a présenté aucune observation.

Question en litige

[18] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?
  3. Si c’est le cas, est-ce que l’appel devrait être instruit sur le fond?
  4. Si l’appel est accueilli, quelle est la réparation appropriée?

Analyse

Degré de déférence

[19] Jusqu’à tout récemment, il était reconnu que les appels à la division d’appel étaient régis par la norme de contrôle définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New BrunswickNote de bas de page 3. Dans les affaires traitant d’erreurs de droit présumées ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, qui commandait un seuil inférieur de déférence envers un tribunal administratif de première instance. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable était celle de la raisonnabilité, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l’entité dont le rôle consistait à évaluer la preuve des faits.

[20] Dans l’arrêt Canada c. HuruglicaNote de bas de page 4, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se rapporter en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle. Cette prémisse amena la Cour à déterminer le critère approprié qui découle entièrement de la loi habilitante d’un tribunal administratif : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur [...]. »

[21] En conséquence, la norme de la raisonnabilité ou de la décision correcte sera inapplicable en l’espèce, à moins que ces mots ou leurs variantes soient énoncés de façon précise dans la loi constitutive. Si cette approche est appliquée à la LMEDS, on doit noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse entendre que la division d’appel ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale. Le mot « déraisonnable » est introuvable à l’alinéa 58(1)c), où il est question de conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme il a été suggéré dans l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec les éléments au dossier.

Appréciation de la preuve médicale

[22] Le demandeur fit valoir que la division générale n’a pas tenu compte de sa prétention voulant qu’il avait une invalidité grave.

[23] Cette observation n’est pas uniquement défendable; elle est suffisamment fondée pour me convaincre que cet appel doit être accueilli sans autre audience. Comme souligné par la Cour fédérale, la division générale a mentionné explicitement le rapport et les conclusions médicales au paragraphe 39 de sa décision. Toutefois, elle semble avoir complètement ignoré le fait essentiel voulant que les médecins du demandeur avaient indiqué qu’il était incapable de travailler, et ce avant l’avis de Dr Samuel confirmant ce fait en 2015. Par conséquent, elle a basé sa décision sur une conclusion de faits erronés, sans tenir compte d’éléments portés à sa connaissance.

[24] Au paragraphe 39 de sa décision, la division générale jugea que le rapport médical de Dr Samuel d’août 2011 était loin d’être convaincant, car il n’y avait [traduction] « aucune mention de sa capacité de retourner au travail ou des limites l’empêchant de travailler. » Toutefois en mai 2015, lorsque Dr Samuel prépara une lettre de suivi qui déclarait sans équivoque que le demandeur était inapte au travail, la division générale écarta cet avis, car celui-ci avait été fait [traduction] « bien après la PMA. »

[25] Le rapport de Dr Samuel d’août 2011 indique que le demandeur avait reçu des diagnostics de douleur chronique au dos, de dépression et d’incontinence urinaire, et différentes limites fonctionnelles sont notées, incluant de la difficulté à rester assis pendant des périodes prolongées, à rester debout et à marcher. Il ne prévoyait pas d’améliorations significatives. Le rapport mentionna aussi que le pronostic pour le problème de santé principal était « réservé. » Comme indiqué dans sa décision de la Cour fédérale de renvoyer cette affaire à la division d’appel, « réservé » dans la terminologie médicale signifie généralement que le patient a une maladie aiguë d’une évolution incertaine, et ce terme est souvent utilisé par les infirmières et les médecins pour indiquer qu’une guérison est improbable.

[26] Bien que le rapport d’août 2011 de Dr Samuel ne mentionnait pas explicitement que le demandeur était inapte au travail, ses commentaires dans l’ensemble, qui avaient somme toute été faits dans le cadre d’une demande de prestations d’invalidité, soulèvent une forte présomption voulant qu’il jugea son patient inapte au travail. De manière significative, Dr Samuel rapporta aussi qu’il soignait le demandeur depuis le décès de Dr Gordon en 2010. En septembre 2009, juste avant que le demandeur ne quitte son emploi pour de bon, Dr Gordon prépara un « avis d’évaluation » pour l’assureur en invalidité de Bell Canada. Dans cet avis, il affirma que l’état de santé du demandeur s’était détérioré d’une manière qui touchait tous les aspects de sa vie quotidienne, incluant, il faut supposer, le travail.

[27] Dans l’examen de demandes d’invalidité, les rapports médicaux ne doivent pas être considérés individuellement et manière isolée; chacun fournit une perspective pour les autres et, examinés ensemble, ils peuvent, ou non, créer une narration cohérente. Dans cette affaire, l’avis de Dr Gordon considéré conjointement avec les rapports de Dr Samuel et les autres éléments de preuve médicale qui étayent le déclin de l’état du demandeur indiquaient une inaptitude au travail durant la PMA. Je juge que la division générale n’a pas tenu compte dans sa totalité de la preuve qui lui avait été présentée.

Conclusion

[28] Le demandeur a présenté des motifs qui, non seulement soulèvent une cause défendable, mais qui justifient aussi une instruction de l’appel sur le fond. Pour les motifs discutés précédemment, l’appel est accueilli d’après le moyen que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans égards aux éléments de preuve, particulièrement à l’avis de septembre 2009 de Dr Gordon et aux incidences qui en découlent.

[29] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la division d’appel peut accorder pour un appel. Il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une audience de novo soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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