Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Cette affaire vise à déterminer si la division générale a appliqué le critère juridique relatif à la « gravité » lorsqu’elle a évalué l’invalidité de l’appelant et son admissibilité à une pension du Régime de pensions du Canada. L’appelant interjette appel de la décision rendue par la division générale le 9 novembre 2015 qui concluait que l’appelant n’avait pas établi qu’il avait une invalidité grave et prolongée selon le Régime de pension du Canada à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2013. La division générale détermina que l’appelant était par conséquent inadmissible à la pension d’invalidité.

[2] J’ai accordé la permission d’en appeler sur le fond que la division a pu errer en droit en n’appliquant pas l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248 et en ne considérant pas les caractéristiques personnelles de l’appelant dans un contexte « réaliste ».

[3] Les deux parties sont représentées par un avocat ou un parajuriste. L’appelant n’a pas soumis d’autres observations écrites ou répondu aux observations écrites de l’intimé du 17 février 2017. Comme aucune des parties n’a demandé une audience, j’ai déterminé qu’une audience de vive voix n’est pas nécessaire et que cette affaire peut être instruite sur le fond de la preuve documentaire selon l’alinéa 43a) du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[4] Je reconnais que l’appelant a soulevé plusieurs questions dans sa demande d’interjeter appel, mais je juge qu’à l’exception d’une d’entre elles, ces questions ne soulèvent pas une cause défendable. L’appelant soutient que la division générale a fondé sa décision sur plusieurs conclusions de fait erronées qu’elle a tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Je n’étais pas convaincue que ces arguments soulevaient une cause défendable, car j’ai jugé qu’il n’y avait pas de fondement probatoire sur lequel la division générale aurait pu fonder sa décision. Depuis, l’appelant n’a pas présenté d’autres observations qui pourraient m’amener à réexaminer ces questions.

[5] Par conséquent, la seule question que je dois trancher consiste à déterminer si la division générale a appliqué correctement le critère juridique en matière de « gravité » prévu au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada.Plus particulièrement, est-ce que la division générale appliqua l’arrêt Villani? Ceci m’oblige à examiner s’il existe des circonstances pour lesquelles une évaluation selon l’arrêt Villani n’est pas nécessaire.

Critère relatif à la gravité

[6] Dans l’arrêt Villani, il est indiqué qu’un décideur doit adopter une approche « réaliste », c’est-à-dire qu’il doit tenir compte de la situation particulière de l’appelant, tels son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie au moment d’évaluer si l’appelant est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que l’examen des circonstances entourant la situation de l’appelant est une question de jugement sur laquelle on se doit d’être hésitant à intervenir. Par conséquent, si la division générale a appliqué le critère Villani et que l’appelant conteste simplement la manière dont l’évaluation a été réalisée, je devrais éviter d’intervenir.

[7] Comme je l’ai mentionné dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, bien que la division générale présente quelques-unes des caractéristiques personnelles de l’appelant dans un contexte « réaliste », il n’est pas clair qu’elle fit une analyse de ces caractéristiques dans un contexte « réaliste. »

[8] En citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 au paragraphe 18, l’intimé soutient que la Cour suprême du Canada a établi que les motifs n’ont pas à être exhaustifs et que par conséquent la division générale n’avait pas à réaliser une analyse approfondie du critère de gravité. De plus, l’intimé soutient qu’un tribunal « n’est pas tenu de mentionner [...] chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve » : Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, paragr. 10.

[9] L’intimé a également cité l’arrêt Yantzi c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 193, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a établi ce qui suit :

Il est vrai que les motifs du Tribunal ne comportent pas une évaluation détaillée de tous les éléments de preuve qui pouvaient étayer la cause de M. Yantzi. Toutefois, cela n’est pas nécessaire : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 708. Dans certains dossiers, les motifs montrent que le décideur a négligé de tenir compte des éléments de preuve à un point tel que personne ne peut comprendre comment il en est arrivé à sa décision ou être certain que le décideur a rempli son mandat : voir, p. ex., D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 (CanLII). Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce.

[10] L’intimé fait valoir que la division générale a satisfait aux critères de l’arrêt Villani : 1) elle cita les caractéristiques de l’appelant aux paragraphes 8 et 9 de sa décision, et 2) de manière plus significative, il semblait qu’aucune de ces caractéristiques telles l’âge, les compétences langagières en anglais, le niveau de scolarité et les antécédents professionnels ne pourraient créer aucun obstacle à la capacité de l’appelant de trouver toute occupation véritablement rémunératrice. Il avait 49 ans à la fin de sa période minimale d’admissibilité. Il a complété une treizième année à l’école. Il a travaillé pour différentes compagnies comme enquêteur privé et comme enquêteur indépendant entre 1982 et 2010. Dans ce dernier poste, il gérait une entreprise d’enquête privée; ceci incluait la gestion du bureau et la recherche de contrats auprès de compagnies d’assurances. Il supervisait des employés, incluant des enquêteurs privés. Il est aussi évident que l’appelant parle couramment l’anglais. L’intimé fait valoir que la division générale s’est tournée vers les facteurs de l’arrêt Villani à la lumière des circonstances particulières de l’appelant et qu’elle a résumé tous les éléments de preuve médicale et ceux relatifs au travail dans les paragraphes 8 à 29 et qu’elle a analysé la preuve aux paragraphes 32 à 48.

[11] Ici, la division générale n’a pas fait référence à l’affaire Villani.Cela ne constitue pas une erreur en soi, mais lorsqu’un décideur ne cite pas l’arrêt Villani, cette omission laisse supposer qu’il a omis d’effectuer l’analyse établie dans l’arrêt Villani. Un décideur s’acquitte de facto du critère énoncé dans Villani lorsqu’il examine les circonstances personnelles d’un appelant dans un contexte « réaliste ». C’est le cas lorsqu’il examine l’incidence de ces facteurs sur la capacité régulière d’un appelant à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il ne lui suffit pas de mentionner des éléments de preuve de ces caractéristiques personnelles ni de citer Villani sans se pencher sur la question de savoir comment ces caractéristiques ont un impact ou exercent une influence sur la capacité de l’appelant à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[12] Nonobstant les observations de l’intimé, je ne constate pas facilement que la division générale a réalisé une évaluation établie dans l’arrêt Villani, puisque le contexte « réaliste » de l’appelant n’est pas considéré. La division générale a effectué une analyse approfondie de la preuve médicale en l’espèce, mais il ne semble pas qu’elle ait tenu compte de la façon dont ses caractéristiques personnelles auraient pu affecter l’aspect d’employabilité du critère relatif à la gravité articulé par la Cour d’appel fédérale.

[13] L’intimé soutient que, même à cela, les caractéristiques personnelles de l’appelant ne nuiraient pas à sa capacité de « régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. » Cela est possible, mais généralement il ne me revient pas d’évaluer et de réapprécier la preuve, car cela relève du juge des faits.

[14] L’intimé soutient que, subsidiairement, la division générale n’appliqua pas l’arrêt Villani, car l’appelant avait, sans explication raisonnable, omis de suivre les recommandations de traitement. L’intimé soutient qu’il y a jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui indique que, dans des circonstances appropriées, une analyse en contexte « réaliste » n’est pas nécessaire. Par exemple, dans l’arrêt Giannaros c. Canada (Développement social), 2005 CAF 187, la Cour d’appel fédérale n’avait pas exigé que la Commission d’appel des pensions réalise une évaluation dans un contexte « réaliste » des faits de cette affaire, comme la « Commission n’était pas convaincue que la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée. »  La Cour d’appel fédérale nota que la Commission d’appel des pensions avait clairement indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait fait des efforts raisonnables pour participer dans les différents programmes et traitements qui lui avaient été recommandés par certains des médecins qu’elle avait consultés. Particulièrement, la Commission avait indiqué que la demanderesse n’avait pas porté ses attelles lombaire et cervicale et qu’elle n’avait pas perdu de poids ni fait d’exercice de manière raisonnable. La Cour d’appel fédérale a mentionné ce qui suit :

[14] Je traiterai maintenant de la dernière prétention de la demanderesse, laquelle est fondée sur l’arrêt rendu par la Cour dans Villani, précité. La demanderesse prétend plus particulièrement que la Commission a commis en erreur en ne tenant pas compte de ses caractéristiques personnelles, comme son âge, sa formation, ses connaissances linguistiques, sa capacité de se recycler, etc. À mon avis, cette prétention doit être rejetée dans les circonstances de l’espèce. Dans l’arrêt Villani, précité, la Cour a affirmé sans équivoque (au paragraphe 50) qu’un requérant doit toujours être en mesure de démontrer qu’il souffre d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêche de travailler :

[50] Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence d’occasions d’emploi. Bien entendu, il sera toujours possible, en contre-interrogatoire, de mettre à l’épreuve la véracité et la crédibilité de la preuve fournie par les requérants et d’autres personnes.

[15] Comme la Commission n’était pas convaincue que la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 1995, il n’était pas nécessaire, à mon avis, qu’elle applique la méthode fondée sur le contexte « réaliste ».

[15] Dans l’arrêt Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, la Cour fédérale d’appel a déterminé que « [L]e contexte "réaliste" suppose aussi que la Commission se demande si le refus de madame Lalonde de suivre des traitements de physiothérapie est déraisonnable ou non, et quel impact ce refus peut avoir sur l’état d’incapacité de madame Lalonde, dans le cas où le refus est déraisonnable. »

[16] La division générale a tiré les conclusions suivantes en ce qui a trait aux efforts faits par l’appelant de suivre les conseils médicaux pour améliorer son état de santé :

[traduction]
[36] L’appelant n’a suivi aucune des recommandations faites par le neurochirurgien dans son rapport du 28 octobre 2010, incluant de cesser de fumer, de perdre du poids, de suivre des traitements de physiothérapie, de massothérapie, de chiropractie et d’acupuncture. Il n’a pas suivi les recommandations faites lors de son évaluation de gestion de la douleur chronique en avril 2012, qui, encore une fois, recommandaient de l’aquathérapie et d’autres thérapies physiques, de cesser de fumer, des injections épidurales et de fréquenter une clinique de la douleur. L’appelant n’a pas suivi de programme de bien-être ou n’a pas continué le counseling recommandé par le psychiatre vu en février 2013. Il n’a commencé les antidépresseurs prescrits par le psychiatre que dix-huit mois après l’avoir consulté. Il n’a pas eu de suivi avec le psychiatre comme recommandé. Les seuls traitements qu’a suivis l’appelant pour sa douleur et sa dépression depuis qu’il a arrêté de travailler en septembre 2010 et jusqu’à présent se résument à la prise d’analgésiques et de somnifères, à six séances de counseling en 2012 et à la prise d’antidépresseurs qui a débuté en août 2014.

[...]

[48] L’appelant ne s’est pas conformé aux différentes recommandations de traitement faites par les spécialistes et les évaluateurs. Il indiqua qu’il n’avait pas à le faire, car il ne croyait pas que les traitements recommandés seraient bénéfiques, et qu’une telle conviction a pu causer sa dépression. Le Tribunal n’a pas considéré raisonnable la raison de l’appelant de ne pas suivre les traitements recommandés, et il conclut que le refus de suivre de tels traitements et de participer aux programmes recommandés est un refus déraisonnable d’accepter un traitement. Le Tribunal n’est pas capable de déterminer quel impact le refus de suivre les recommandations de traitement a pu avoir sur le statut d’invalidité de l’appelant. Il en découle que le Tribunal est incapable de conclure que l’appelant était atteint d’une invalidité à long terme ou d’une durée indéfinie, et par conséquent prolongée.

[17] La division générale savait clairement qu’elle devait évaluer si le refus de l’appelant de suivre les traitements recommandés était déraisonnable et quel impact ce refus avait sur son statut d’invalidité. La division générale indiqua qu’elle était incapable de déterminer quel impact, s’il existe, son refus de suivre les recommandations de traitements a pu avoir sur son statut d’invalidité. Toutefois, il n’est pas clair comme elle en arriva à cette conclusion, considérant le peu d’analyse sur cette question. Bien que l’appelant avait exprimé des réserves sur les traitements (l’aquathérapie n’avait pas été bénéfique, sa propre expérience lorsque son médecin de famille l’abandonna et le lourd passé de prise d’antidépresseurs de sa femme), lui-même reconnaît que d’obtenir une aide additionnelle était nécessaire (notes de counseling de juillet, août et septembre 2012 aux pages GD6-62, 63 et 67). Très tôt, le médecin consultant à l’hôpital Hotel-Dieu Grace « avait fortement encouragé » l’appelant d’arrêter de fumer. Le médecin a expliqué à l’appelant qu’il y avait un lien important entre le fait de fumer et ses problèmes de dos. Le médecin attribuait en partie la consommation de cigarettes de l’appelant à la dégénérescence et il l’encouragea à arrêter de fumer pour ralentir cette dégénérescence (GD2-16). Toutefois, même si l’appelant avait arrêté de fumer, ceci n’aurait pas renversé le processus de dégénérescence et par conséquent il y aurait eu peu d’impact sur le statut d’invalidité de l’appelant.

[18] Par ailleurs, le médecin de famille de l’appelant était d’avis que la douleur de l’appelant pourrait s’améliorer s’il subissait une intervention chirurgicale. Toutefois, l’appelant n’a pas demandé à consulter un neurochirurgien (mentionné à GD6-85) pour déterminer si une intervention chirurgicale était une option envisageable pour lui pour diminuer certains de ses symptômes, et pour déterminer quels risques y étaient associés. Considérant les plaintes de l’appelant, il aurait été raisonnable pour lui de, tout au moins, consulter un neurochirurgien et ensuite de décider de poursuivre ou non avec d’autres interventions, comme une intervention chirurgicale.

[19] Il aurait été raisonnable de conclure aussi qu’étant donné que différents fournisseurs de soins de santé avaient recommandé du counseling, il était probable que l’appelant en aurait bénéficié. Lorsqu’il a été vu au Centre communautaire de crise, l’équipe mobile l’a encouragé à participer au programme de bien-être. L’appelant a, par la suite, été évalué par un psychiatre qui a fait une série de recommandations comme indiqué par la division générale au paragraphe 3 de sa décision. Le psychiatre était d’avis que l’appelant bénéficierait de counseling considérant que, par ailleurs, il avait un soutien social limité. Le psychiatre était aussi d’avis que l’appelant bénéficierait de la prise d’antidépresseurs.

[20] Il est clair que certains éléments de preuve présentés à la division générale indiquent que les médecins s’attendaient à certains bénéfices si l’appelant suivait les recommandations de traitements.

[21] La division générale a appliqué correctement l’arrêt Lalonde, car elle a déterminé si le refus de l’appelant de suivre les options de traitement recommandées était déraisonnable et quel impact ce refus aurait sur son statut d’invalidité. De même que dans l’affaire Giannaros, considérant que l’appelant avait déraisonnablement refusé de suivre les options de traitement recommandées et parce que les médecins prévoyaient que celles-ci pourraient être bénéfiques, il n’est pas nécessaire pour la division générale de réaliser une évaluation en contexte « réaliste. » En résumé, l’évaluation établie dans l’arrêt Villani n’était pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce où, de manière déraisonnable, l’appelant ne suivit pas ou refusa de suivre les recommandations de traitement et où il y a des éléments de preuve qui supportent le fait que ses médecins s’attendaient à ce que certaines de ces recommandations soient bénéfiques pour l’appelant.

Conclusion

[22] Compte tenu des considérations susmentionnées, l’appel est rejeté.

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