Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée, et l’appel est accueilli.

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada datée du 29 octobre 2015, dans laquelle il avait été conclu qu’elle n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) puisque son invalidité n’était pas « grave » avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA).

Contexte

[2] Le 23 janvier 2012, la demanderesse a présenté une demande de prestations d’invalidité au titre du RPC. Elle a déclaré qu’elle était âgée de 50 ans, qu’elle avait fréquenté l’école jusqu’en dixième année, que son dernier emploi était à titre de commis dans un dépanneur et qu’elle a quitté ce poste en mars 2009 en raison d’une faiblesse et d’une douleur au dos et aux jambes et d’une perte de sensations aux bras. La demanderesse a déclaré avoir reçu le diagnostic de plusieurs troubles médicaux, y compris la maladie de Scheuermann, l’arthrite, la scoliose et des lésions cérébrales.

[3] Le défendeur a refusé la demande initialement et après révision selon les motifs que la demanderesse n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant la fin de sa PMA, le 31 décembre 2011. En mai 2012, l’appelante a interjeté appel de ces refus devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale le 1er avril 2013, conformément à la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[4] Le 8 septembre 2015, la division générale a tenu une audience en personne à X, en Ontario. Dans les motifs écrits rendus le 29 octobre 2015, la division générale a mis l’accent sur les gains de 17 005 $ en 2013 et de 11 106 $ qui ont été touchés par la demanderesse après la date de fin de la PMA. Ces gains ont été jugés comme étant [traduction] « véritablement rémunérateurs ». La division générale a par conséquent conclu que la demanderesse n’était pas admissible aux prestations d’invalidité du RPC.

[5] Le 9 février 2016, la demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler en prétendant que la division générale avait commis une erreur de droit en fondant sa décision exclusivement sur les gains touchés après la date de fin de sa PMA. Dans une décision datée du 13 juin 2016, la division d’appel a refusé la permission d’en appeler parce qu’elle a conclu que l’appel n’aurait aucune chance raisonnable de succès. Elle a conclu que la division générale avait tenu compte d’autres facteurs que les gains de la demanderesse pour évaluer la gravité de l’invalidité.

[6] La demanderesse a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans un jugement daté du 6 mars 2017, l’honorable juge Simon Fothergill a conclu que la décision de la division d’appel était déraisonnable [traduction] « à la lumière des contradictions internes de la décision de la division générale et l’hypothèse apparente selon laquelle Mme C. I. devrait continuer d’ignorer l’avis de son médecin et de conserver son emploi malgré une douleur invalidante [...] ».

[7] Dans l’intérêt de la justice et de l’efficience, je procéderai en même temps à l’examen de la demande de permission d’en appeler et à l’évaluation de cette affaire sur le fond. J’ai décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. le dossier ne contient aucune lacune, et aucune précision n’est nécessaire;
  2. ce mode d’audience respecte les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[8] Conformément au paragraphe 56(1) et 58(3) de la Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission. La division d’appel accorde ou refuse cette permission. Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. C’est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais cet obstacle est inférieur à celui auquel elle devra faire face à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, un demandeur n’a pas à prouver ses arguments.

[11] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question à savoir si une partie a une cause défendable en droit revient à se demander si elle a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique – Canada c. HogervorstNote de bas de page 1; Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

Régime de pensions du Canada

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne reçoit pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[14] Au titre de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Observations

[15] Dans sa demande de permission d’en appeler datée du 23 octobre 2015, la demanderesse a déclaré souffrir de plusieurs troubles médicaux, y compris l’arthrite, la maladie de Scheuermann, la discopathie dégénérative, la fibromyalgie, la polyglobulie, les migraines et les lésions cérébrales. Les douleurs et les faiblesses articulaires l’ont forcé à quitter son emploi en 2009, mais elle a reconnu avoir recommencé à travailler après la date de fin de sa PMA, de novembre 2012 à mars 2015, et ce malgré plusieurs interruptions en raison de ses troubles médicaux. Cependant, elle a travaillé dans la douleur et, comme le caractérise la division générale, à un [traduction] « coût élevé » sur son confort personnel et sa capacité d’effectuer ses activités normales de la vie quotidienne.

[16] La demanderesse a souligné que la division générale a déclaré, au paragraphe 46 de sa décision, que, si elle devait évaluer l’état de la demanderesse à la date de fin de sa PMA, [traduction] « il y aurait peu de doute quant au fait qu’une invalidité grave la empêché de continuer à travailler en 2008 ». Cependant, la division générale a déterminé que le retour au travail de la demanderesse en 2013 et en 2014 ne constituait pas des tentatives ratées de retour au travail, et était la preuve qu’elle avait les capacités de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. La division générale a souligné que la demanderesse a subi une chirurgie au bras en 2014 et qu’elle était en interruption de service pendant un certain temps, ce qui expliquerait les gains inférieurs au cours de l’année en question.

[17] La demanderesse a fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en se fondant uniquement sur ses gains pour ces années-là et en ne tenant pas compte des autres facteurs pertinents tels que son état de santé. La demanderesse s’est fondée sur l’affaire St‑Gelais c. ministre de l’Emploi et de l’ImmigrationNote de bas de page 3, dans laquelle le membre est d’avis que les gains d’un demandeur [traduction] « ne sont qu’un élément de preuve qui doit être apprécié avec tous les autres éléments de preuve à l’appui de l’invalidité », et à l’affaire Constantinoff c. CanadaNote de bas de page 4, dans laquelle l’appelant a été déclaré invalide aux fins du RPC, et ce malgré le fait d’avoir touché des gains d’une valeur de 27 000 $ après la date de fin de sa PMA.

[18] La demanderesse a complété ses observations en présentant un mémoire post-jugement daté du 30 juin 2017. Dans celui-ci, elle a élaboré sur les lacunes de la division générale, selon elle, lors de l’appréciation de la preuve médicale à l’encontre de sa difficulté à conserver un emploi. À la lumière du jugement de la Cour fédérale, la demanderesse a recommandé que la division d’appel annule la décision de la division générale et qu’elle la déclare invalide.

[19] Le Tribunal a fourni au défendeur une copie des documents portant sur la demande de permission d’en appeler. Cependant, le défendeur n’a présenté aucune observation.

Questions en litige

[20] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?
  3. Le cas échéant, l’appel devrait-il être accueilli sur le fond?
  4. Si l’appel est accueilli, quel est le recours convenable?

Analyse

Degré de déférence

[21] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels à la division d’appel étaient régis par les normes de contrôle établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 5. Dans les affaires traitant d’erreurs présumées de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence devant être montré envers un tribunal administratif qui est souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires où on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, qui correspond à une décision où on hésite à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable en entendant un témoignage factuel.

[22] Dans l’arrêt Canada c. HuruglicaNote de bas de page 6, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle. Cette prémisse a amené la Cour à déterminer le critère approprié qui découle complètement de la loi habilitante d’un tribunal administratif : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur [...] »

[23] En la matière, cela implique que la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’applique pas à moins que ces mots ou leurs variantes figurent spécifiquement dans la législation fondatrice. Si cette approche est appliquée à la LMEDS, on doit noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifie pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse entendre que la division d’appel ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale. Le mot [traduction] « déraisonnable » ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la division d’appel doit intervenir si la division générale fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

Appréciation des gains touchés après la date de fin de la PMA

[24] La demanderesse soutient que la division générale n’a pas apprécié l’ensemble de la preuve pour évaluer la gravité de son invalidité. Plus particulièrement, elle affirme que la division générale a mis indûment l’accent sur les gains touchés après la date de fin de la PMA et sur sa capacité à effectuer des tâches au travail, et que la division générale n’a pas tenu suffisamment compte de la preuve relative à son état de santé.

[25] Cette observation ne fait aucun doute : le bien-fondé parvient à me convaincre que l’appel doit être accueilli sans audience. Comme il a été souligné par la Cour fédérale, la décision de la division générale semble contenir, à première vue, des contradictions internes.

[traduction]

[46] [...] L’appelante s’est absentée du travail à plusieurs reprises en raison de ses problèmes de santé pendant un certain nombre d’années. Plus récemment, elle a été incapable de travailler de 2008 à 2012. Si le Tribunal évaluait son état à la date de fin de sa PMA, il y aurait peu de doute qu’elle était atteinte d’une invalidité grave qui l’empêchait de continuer de travailler en 2008. Son retour au travail a été le résultat d’une persévérance déterminée, d’un traitement médical et de stratégies d’atténuation alors qu’elle était atteinte de troubles douloureux. Elle [traduction] « avait besoin d’argent » et elle était prête à ignorer la douleur, à travailler malgré-celle-ci et à faire fi de l’avis de son médecin de famille qui lui a conseillé de ne pas travailler, à s’endurcir et à se punir en subissant la douleur comme étant le lot de de sa persistance.

[26] La division générale a convenu que la demanderesse satisfaisait au critère de gravité en 2008 et a conclu qu’elle est parvenue à travailler en 2013 et en 2014 seulement en se punissant à travailler malgré la douleur considérable, ce qui allait à l’encontre de l’avis de son médecin de famille. La division générale semble également avoir convenu que l’état de santé de la demanderesse ne s’améliorerait pas, mais elle a néanmoins conclu que son emploi chez Tim Hortons correspondant à un essai de retour au travail fructueux. Il est difficile de faire concorder ces conclusions à la décision ultime de la division générale selon laquelle l’appel de la demanderesse devrait être rejeté au motif qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité suffisamment grave.

[27] Il ne s’agissait pas des seules contradictions internes dans la décision de la division générale. Au paragraphe 40, elle a conclu que la demanderesse :

[traduction]

a une dixième année et elle n’a fait aucun perfectionnement. Elle a seulement occupé des emplois dans le domaine du service à la clientèle dans un dépanneur ou à titre de serveuse à café chez Tim Hortons. Elle possède quelques compétences transférables. [mis en évidence par le soussigné]

[28] Cependant, au paragraphe 53, la division générale a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le Tribunal est d’avis que la situation personnelle de l’appelante est en fait à son avantage en ce qui concerne son employabilité dans le contexte réaliste qui a été démontré. Elle possède des compétences transférables. Par conséquent, la portée des occupations véritablement rémunératrices est beaucoup plus vaste chez l’appelante que dans la situation d’un appelant beaucoup plus âgé et moins instruit possédant des aptitudes linguistiques limitées en anglais ou en français. [mis en évidence par le soussigné]

[29] Finalement, le lecteur se demande si les antécédents de travail de la demanderesse étaient un atout ou un boulet aux fins de l’analyse de la division générale prévu dans l’arrêt VillaniNote de bas de page 7. La justice naturelle prévoit qu’une décision doit être accompagnée d’une explication intelligible, mais, en l’espèce, il n’y a aucune série de faits, de dispositions législatives ou d’éléments logiques qui mèneraient le lecteur à conclure que le résultat est défendable.

Conclusion

[30] La demanderesse a présenté des motifs qui ont non seulement soulevé une cause défendable, mais qui demandent que l’appel soit accueilli sur le fond. Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli au motif que la décision de la division générale renferme des contradictions et qu’elle est ainsi inintelligible.

[31] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la division d’appel peut accorder pour un appel. Il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une audience de novo soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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