Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Introduction

[1] Le 27 octobre 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a statué qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) était payable à la défenderesse.

[2] La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et conclu ce qui suit :

  1. La période minimale d’admissibilité (PMA) de la défenderesse prend fin en août 2013;
  2. Son témoignage était convaincant;
  3. Elle souffrait d’une invalidité grave avant août 2013;
  4. Même si la défenderesse avait travaillé jusqu’en février 2014, ses collègues l’aidaient et, ultimement, elle ne pouvait pas continuer à travailler;
  5. Les symptômes persistants de dépression et de douleur lombaire chronique chez la défenderesse sont bien appuyés par la preuve médicale, et ils la rendent inapte à occuper tout type d’emploi;
  6. L’invalidité de la défenderesse a duré pendant une période longue et continue, et elle était prolongée en date d’août 2013.

[3] D’après ces conclusions, la division générale a accueilli l’appel.

[4] Le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler (demande) à la division d’appel du Tribunal le 25 janvier 2017, dans le délai de 90 jours.

Question en litige

[5] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Droit applicable

[6] Conformément à l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demande doit être présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision qu’il entend contester.

[7] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission, et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[8] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[10] Le demandeur fait valoir, à titre de moyens d’appel, que la division générale a commis une erreur de droit et tiré des conclusions de fait erronées dans sa décision. Les arguments du demandeur peuvent être résumés de la façon suivante :

  1. La division générale a commis une erreur de droit en se fiant, à l’encontre de Klabouch c. Canada (Développement social), 2008 CAF 33, aux diagnostics médicaux et à la souffrance de la défenderesse, au lieu d’évaluer sa capacité à travailler en date d’août 2013.
  2. La division générale a commis une erreur de droit puisqu’elle n’a pas appliqué Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, et qu’elle n’a pas abordé le fait que la défenderesse n’avait pas suivi les traitements recommandés.
  3. La division générale a tiré des conclusions de fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, particulièrement en ce qui a trait à ce qui suit :
    1. la défenderesse a travaillé pendant près de six mois après l’échéance de sa PMA;
    2. elle a quitté son emploi en 2014 pour un éventail de raisons;
    3. la preuve révèle que la défenderesse est seulement devenue malade en février 2014.

Analyse

Erreur de droit

[11] Aux paragraphes 31, 35 et 36 de sa décision, la division générale a fait référence à l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.

[12] La division générale n’a pas fait référence à la jurisprudence citée dans la demande, comprenant, entre autres, les causes suivantes : Pantic c. Canada (Procureur général), 2011 CF 591; Gilroy c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 116; Monk c. Canada (Procureur général), 2010 CF 48; Warren c. (Procureur général) 2008 CAF 377; Klabouch; et Lalonde.

[13] La décision de la division générale n’est pas nécessairement viciée du simple fait qu’elle n’a pas cité l’ensemble de la jurisprudence potentiellement applicable. Cependant, elle pourrait être viciée si la division générale n’avait pas appliqué la jurisprudence contraignante.

[14] Le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas la jurisprudence contraignante émanant de la Cour d’appel fédérale et en rendant une décision allant à l’encontre de la jurisprudence contraignante.

[15] La division générale a noté ce qui suit dans son analyse :

[traduction]

[32] En l’espèce, la prépondérance de la preuve a convaincu le Tribunal que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave avant août 2013. Plus précisément, une IRM de sa colonne lombaire datée du 10 juin 2008 révèle qu’elle avait de larges bombements discaux à L3-4 et à L4-5. Ces conclusions sont le plus prononcées à L4-5, où un gonflement modéré est noté. D’après la preuve au dossier, il y a des rapports montrant que l’appelante avait mal au dos depuis 2006 (sciatique), que des injections lui avaient été administrées en 2009 et qu’elle avait subi une opération en 2009. Elle avait eu des problèmes cardiaques en 2013. De plus, un rapport du docteur Royle daté du 25 octobre 2011 montre que l’appelante avait souffert d’un trouble dépressif majeur. Le 17 juin 2014, le docteur Pelletier a affirmé que les problèmes de l’appelante étaient chroniques et permanents et qu’il n’avait constaté aucune amélioration de son état en cinq ans.

[33] Le Tribunal a également jugé que le témoignage de l’appelante était convaincant. L’appelante a arrêté de travailler en 2014; elle composait avec la douleur depuis plus de 10 ans et souffrait de dépression depuis 15 ans. Quand elle travaillait, elle devait demander à ses collègues de l’aider pour déplacer des objets, particulièrement quand elle avait des migraines. Elle a aussi affirmé qu’elle ne pouvait pas marcher sur plus de cinq pieds. Elle avait reçu des injections pour soulager sa douleur et, même si elles l’avaient aidée, leur effet n’avait pas duré. En plus des médicaments, elle avait essayé l’acupuncture et la physiothérapie, et elle voyait un chiropraticien pour son dos. Elle avait également essayé la thérapie aquatique, ce qu’elle avait ensuite trouvé trop difficile; sa douleur s’était aggravée. Elle a expliqué qu’elle ne peut pas rester immobile, debout comme assise, parce qu’elle a besoin de toujours bouger.

[34] Le Tribunal a également tenu compte du fait que l’appelante avait travaillé jusqu’en février 2014, soit six mois après sa PMA. Cependant, l’appelante a témoigné qu’elle demandait à ses collègues de déplacer des objets et qu’elle avait de la difficulté à se concentrer. Elle a aussi affirmé qu’elle ne pouvait pas marcher sur plus de cinq pieds. Les rapports médicaux révèlent qu’elle souffrait de douleur au dos depuis 2006 et qu’elle avait des antécédents de trouble dépressif majeur. Ultimement, l’appelante ne pouvait pas continuer à travailler.

[35] La question est donc de savoir si l’appelante était capable de détenir un autre emploi qui aurait pu convenir à sa douleur. En appliquant le critère conforme à Villani, le Tribunal a eu beaucoup de difficulté à imaginer un autre emploi qu’elle aurait pu occuper avec de tels symptômes, compte tenu de son âge, de ses études limitées, de ses antécédents de travail et de son expérience de la vie. Comme je l’ai précisé plus tôt, d’après la preuve au dossier, il existe des rapports montrant que l’appelante souffrait d’une douleur au dos depuis 2006 (sciatique). Dans un rapport daté du 25 octobre 2011, le docteur Royle a affirmé que l’appelante avait des antécédents de trouble dépressif majeur. Le 17 juin 2014, le docteur Pelletier a déclaré que les problèmes de l’appelante étaient chroniques et permanents et qu’il n’avait constaté aucune amélioration de son état en cinq ans. Elle avait aussi eu des problèmes cardiaques en 2013. Le Tribunal estime que les limitations de l’appelante limiteraient considérablement sa capacité à fonctionner en milieu de travail.

[36] Le Tribunal est d’avis que les symptômes persistants de dépression et de douleur chronique chez l’appelante sont bien appuyés par la preuve médicale et la rendent inapte à occuper tout emploi. Compte tenu de ses limitations, considérées dans un contexte « réaliste » (Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248), le Tribunal est convaincu que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave depuis août 2013.

[16] Le demandeur soutient que la division générale a, dans sa décision, fait référence à des notes médicales prises entre 2006 et 2009, à un rapport médical de 2011 et à un autre rapport datant de juin 2014; cependant, chacun de ces rapports a été produit soit plus de 19 mois avant la PMA de la défenderesse, soit des mois après qu’elle eut cessé de travailler, et la division générale a négligé de noter la preuve médicale pertinente de 2013. Il soutient que la division générale a commis une erreur de droit puisqu’elle n’a pas évalué l’état de santé et la capacité de travail de la défenderesse en date d’août 2013.

[17] Le dossier révèle que la défenderesse a travaillé jusqu’en février 2014. La division générale a conclu que les limitations de la défenderesse limiteraient considérablement sa capacité à fonctionner dans un milieu de travail en 2013, et qu’elle avait travaillé, non sans difficulté, jusqu’en février 2014 avec l’aide de ses collègues.

[18] La division générale semble avoir accordé peu de poids à la preuve voulant que la défenderesse avait continué à travailler jusqu’en février 2014, ce qu’elle avait fait avec ses limitations et dans le cadre du même type de travail qu’elle faisait depuis 10 ans. Elle a jugé que ce travail ne démontrait pas une capacité de travail l’obligeant à prouver que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver avaient été infructueux pour des raisons de santé (voir Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117). Pour ces motifs, il semble que la division générale pourrait ne pas avoir convenablement évalué la participation de la défenderesse à la vie active et les raisons pour lesquelles elle n’a pas essayé de trouver un emploi en août 2013.

[19] De plus, la division générale n’a pas du tout fait référence à la preuve médicale datant de 2013. Il semblerait qu’elle n’a accordé aucune valeur à ces rapports.

[20] Dans l’arrêt Oberde Bellefleur op clinique dentaire O. Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’un conseil arbitral (ou un tribunal) doit, s’il décide qu’il y a lieu d’écarter des éléments de preuve contradictoires ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire.

[21] Il se pourrait, comme l’affirme le demandeur, que la division générale ait jugé que la preuve médicale de 2013 n’était pas contradictoire. Néanmoins, il faudra mener un examen plus poussé pour déterminer si elle a négligé n’expliquer pourquoi elle n’avait pas tenu compte de cette preuve et, le cas échéant, si cette omission a donné lieu à une erreur de droit ou à une décision arbitraire.

[22] La division générale n’a pas abordé dans sa décision la question de savoir s’il avait été déraisonnable que la défenderesse refuse de suivre le traitement recommandé. La preuve au dossier démontre que la défenderesse avait été avisée de consulter un psychologue pour sa dépression (l’une de ses affections incapacitantes), et elle ne semble pas l’avoir fait. Ainsi, il faudra également se pencher davantage sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur en ne cherchant pas à savoir s’il avait été déraisonnable que la défenderesse refuse de suivre le traitement recommandé.

[23] Pour ces questions, d’après les observations du demandeur et ma lecture du dossier, je suis convaincue, au stade de la permission d’en appeler, que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusions de fait erronées reprochées

[24] Le demandeur soutient que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée quand elle a conclu que la défenderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée, puisque [traduction] « sa conclusion […] est incompatible avec la preuve portée à sa connaissance. »

[25] La Cour d’appel fédérale a affirmé, dans l’arrêt Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276, qu’il n’est pas nécessaire que la division d’appel traite de tous les moyens d’appel invoqués par un demandeur. En réponse aux arguments du défendeur voulant que la division d’appel doive refuser la permission d’en appeler dès lors que l’un des moyens d’appel invoqués s’avère être sans fondement, le juge Dawson a affirmé que le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS [traduction] « ne requiert pas de rejeter des moyens d’appel individuellement […] les moyens d’appel peuvent être interdépendants à un point tel qu’il devient pratiquement impossible de les décortiquer, et un motif d’appel défendable peut donc suffire à l’octroi de la permission d’en appeler ». La demande correspond à la situation décrite dans Mette.

[26] Comme les erreurs de droit reprochées pourraient être inhérentes à l’analyse visant à déterminer si le problème de santé de la défenderesse était grave et prolongé, je n’examinerai pas davantage les moyens d’appel à ce stade de l’instance.

Conclusion

[27] La demande est accueillie.

[28] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.