Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] L’appelant a obtenu la permission d’en appeler relativement à une décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) le 15 mars 2016. Dans cette décision, la division générale a déterminé qu’une demande d’annulation ou de modification d’une décision antérieure (25 février 2014) était prescrite par le fait qu’elle a été présentée après le délai maximal d’un an.

[2] Il n’est pas contesté que la demande d’annulation ou de modification a en fait été présentée le 29 mai 2015, soit plus d’un an après que la décision avait été communiquée à l’appelant. Plutôt, l’appelant soutient que la division générale l’a privé de son droit à la justice naturelle en ne l’informant pas du fait que son délai de prescription était en cause, de telle sorte qu’il a été exclu de l’opportunité de fournir des observations, et que la division générale a commis une erreur de droit en interprétant de manière stricte et non libérale le paragraphe 66(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS).

[3] L’appel a été tranché sur la foi du dossier. Il n’est pas nécessaire de tenir une autre audience comme aucun témoignage ne doit être livré, et aussi parce que les deux parties sont représentées et leurs représentants ont déjà soumis des observations écrites détaillées. Ce mode d’audience est conforme à l’obligation du Tribunal, qui est de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] J’ai examiné les documents dont la division générale était saisie, la décision de la division générale, les observations de l’appelant (23 juin 2016 et 12 juin 2017) et les observations de l’intimé (7 juin 2017 et 30 juin 2017).

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en négligeant d’aviser l’appeler du fait que le délai de prescription était en cause?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation et application du paragraphe 66(2) de la LMEDS?

[7] Si une erreur susceptible de révision a été commise, quelle est la réparation appropriée?

Droit applicable

[8] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les moyens d’appel de la division comprennent que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle (alinéa 58(1)a)) et que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision (alinéa 58(1)b)).

[9] Les compétences de la division d’appel, conformément au paragraphe 59(1) de la LMEDS, comprend rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale.

[10] Cet appel soulève des questions au sujet de l’interprétation de l’article 66 de la LMEDS, lequel est libellé comme suit :

  1. 66(1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :
    1. a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi [...]
    2. b) dans les autres cas, si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés.
  2. (2) La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision.
  3. (3) Il ne peut être présenté plus d’une demande d’annulation ou de modification par toute partie visée par la décision.
  4. (4) La décision est annulée ou modifiée par la division qui l’a rendue.

Normes de contrôle

[11] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par sa loi constitutive. À ce sujet, je suis d’accord avec les observations de l’appelant et de l’intimé selon lesquelles il ne faut faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de la division générale en ce qui concerne les questions de justice naturelle et de compétence, et les erreurs de droit, conformément au libellé sans réserve des alinéas 58(1)a) et b) de la LMEDS.

Manquement à un principe de justice naturelle

[12] Comme expliqué dans la décision de la division générale, le membre a ajourné l’audience orale et a plutôt demandé aux parties de soumettre des observations écrites. Bien que le membre ait demandé des observations [traduction] « à l’égard de l’article 66 », elle a expressément cité l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS, sans référence à la disposition sur la restriction du délai au paragraphe 66(2). En réponse, le représentant de l’appelant a soumis des observations en ce qui concerne la question à savoir si des faits nouveaux et essentiels avaient été présentés, lesquels, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable (dont le critère est établi sous l’alinéa 66(1)b)). Il a été noté par la division générale dans sa décision que le représentant de l’appelant n’a pas abordé le sujet de la période de restriction évoquée au paragraphe 66(2), et l’intimé n’a pas soumis d’observations. Aucune autre audience n’a été tenue avant de rendre une décision.

[13] L’intimé concède maintenant, et j’en conviens que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle à ce sujet. Plus précisément, les directives de la division générale pour les parties au sujet des observations écrites ont induit l’appelant en erreur, de telle sorte qu’il ne connaissait pas les éléments invoqués contre lui, et que par conséquent, il n’a pas présenté ses arguments de manière exhaustive.

[14] L’appelant a également soutenu qu’il y avait une erreur de droit en ce qui a trait à l’application du délai, et son représentant a maintenant fourni des observations complètes à ce sujet. Par conséquent, je ne vois aucune raison pour renvoyer l’affaire à la division générale uniquement sur la base qu’elle n’a pas observé un principe de justice naturelle. Plutôt, je déterminerai si la division générale a commis une erreur dans ses déterminations de fond, en tenant compte des observations approfondies des parties sur l’interprétation et l’application du paragraphe 66(2) de la LMEDS.

Interprétation du paragraphe 66(2)

[15] La Cour suprême du Canada a discuté des principes d’interprétation dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.(Re), [1998] 1 RCS 27 (dont le représentant de l’appelant a fait référence) :

[21] […] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[TRADUCTION] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[…]

[27] [...] Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of Statutes, op. cit., à la p. 88).

[16] Conformément à l’article 12 de la Loi d’interprétation, « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. »

[17] Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 RCS 703, le Régime de pensions du Canada (RPC) « est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. »

[18] Avant le 1er avril 2013, le pouvoir des tribunaux précédents était prévu par le RPC; notamment, le paragraphe 84(2) permettait au ministre, à un tribunal de révision ou à la Commission d’appel des pensions d’annuler ou de modifier une décision grâce à de nouveaux faits, et aucun délai n’était expressément prescrit.

[19] Comme l’a noté le représentant de l’appelant, les débats de la Chambre des communes (11 mai 2012) ont exposé une intention de combiner un certain nombre d’instances de recours pour former qu’un tribunal, en tant que « guichet unique, qui est plus efficace et facilite aux Canadiens l’accès aux appels et au processus d’appel [...] ». De même, la Cour d’appel fédérale, dans Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, a écrit que le Tribunal de la sécurité sociale visait à « offrir des mécanismes d’appel plus efficaces, plus simples et plus rationnels [...] » grâce à un guichet unique.

[20] La partie 5 de la LMEDS (dans laquelle se trouve le paragraphe 66) établit le Tribunal ainsi que ses procédures à suivre pour interjeter appel de décisions rendues en vertu du RPC et d’autres lois. Il y a trois dispositions relatives au délai prescrit dans la partie 5 de la LMEDS. Un appel à la division générale doit être présenté dans les 30 ou 90 jours suivant la date à laquelle la décision en appel a été communiquée, sous réserve d’une prorogation (d’un maximum d’un an) pouvant être accordée par la division générale (article 52). De même, une demande de permission d’en appeler à la division d’appel doit être présentée dans les 30 à 90 jours après la date à laquelle la décision de la division générale lui est communiquée, sous réserve encore une fois d’une prorogation (d’un maximum d’un an) pouvant être accordée par la division d’appel (article 57). En revanche, l’article 66 ne comprend pas de paragraphe permettant à la division appropriée d’accorder une prorogation du délai pour présenter sa demande.

[21] Je tiens à souligner que selon les faits de cet appel, l’interprétation du paragraphe 66(2) n’est pas plus difficile en raison des dispositions transitoires portant sur le traitement des appels provenant de tribunaux précédents, et l’on ne doit pas tenir compte de cela lors de l’interprétation.

[22] La Cour fédérale a récemment eu l’occasion d’aborder le sujet de l’interprétation du paragraphe 66(2) dans l’affaire Fazal c. Canada (Procureur général), 2016 CF 487 :

[3] Il est clair que la demande d’autorisation d’interjeter appel a été déposée plus d’un an suivant la date où l’appelant a reçu communication de la décision. La Loi ne permet pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La décision satisfait à la norme de la décision correcte.

[23] De même, dans l’arrêt Tang v. Canada (Procureur général), 2017 CAF 59, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

[traduction]

[8] La division d’appel a rejeté la demande d’annulation ou de modification, en partie parce que monsieur Tang n’a pas présenté sa demande dans le délai d’un an prévu au paragraphe 66(2) de la Loi. La division d’appel a conclu que monsieur Tang a présenté sa demande plus de deux mois en retard. Cette conclusion était raisonnable et ne soulevait pas d’erreur susceptible de révision.

[24] Le libellé du paragraphe 66(2) est catégorique : « La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision. » La lecture de ces mots dans leur contexte, selon leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’objet et l’économie de la LMEDS (laquelle prévoit des règles de procédure pour une instance d’appel et prévoit également des délais de prorogation) et en harmonie avec l’intention du législateur (de mettre sur pieds un processus d’appel simple et efficace) me mène à une seule interprétation possible : la demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date à laquelle la décision du Tribunal a été communiquée à l’appelant, et aucune exception ou prorogation n’est permise. Le sens de la disposition n’est autre que sa formulation.

[25] Je ne peux pas être d’accord avec l’observation de l’appelant selon lequel il est [traduction] « inconcevable que le législateur puisse avoir prévu les conséquences d’une interprétation stricte », et je ne trouve pas que cette interprétation mène à des conséquences absurdes. Selon moi, il est parfaitement clair, selon son choix de mots et de structure, notamment lorsque mis en opposition avec d’autres dispositions se trouvant dans la même partie de la LMEDS et la disposition précédente du RPC, que cela est exactement l’intention du législateur. Si le législateur avait l’intention d’accorder un pouvoir discrétionnaire pour accorder des prorogations de délai, il aurait facilement pu le faire. De plus, au moment où une demande d’annulation ou de modification survient, un prestataire a déjà eu la chance de présenter une demande initiale, une demande de révision, un appel à la division générale et, parfois, un appel à la division d’appel; dans cette optique, cela ne me semble pas extrêmement déraisonnable, inéquitable, illogique ou incohérent de la part du législateur d’établir la fin si une demande d’annulation ou de modification a été présentée dans le délai d’un an après que la décision ait été rendue.

L’application de principes équitables et doctrine de la common law relative aux circonstances spéciales

[26] Le représentant de l’appelant soutient également que des principes équitables doivent être appliqués afin de justifier le fait d’aller de l’avant au-delà du délai légal prévu ou le fait que la doctrine relative aux circonstances spéciales doit être appliquée.

[27] Il affirme qu’il est établi en droit qu’un Tribunal peut [traduction] « appliquer des principes équitables dans le cadre de l’exercice de son mandat législatif », se fondant sur une décision d’arbitrage de la Commission des services financiers de l’Ontario (Hill v. Wawanesa Mutual Insurance Co., 2003 Carswell Ont 3748). Je ne suis pas liée par cette décision, mais de toute façon, elle ne vient pas appuyer un large pouvoir quasi judiciaire pour invoquer un redressement équitable. Plutôt, l’arbitre dans l’affaire Hill a tenu compte de principes équitables afin de gérer un abus de procédure lorsqu’elle a interprété le paragraphe 23(1) de la Loi sur l’exercice des compétences légales (ce qui a permis à son tribunal de [traduction] « rendre certaines ordonnances ou de donner certaines directives dans les instances dont il est saisi, car il juge approprié de prévenir les abus de procédure ») comme autorisant l’attribution de coûts punitifs à un tiers. L’ordonnance de l’arbitre a été rendue tout en respectant la portée de son pouvoir légal.

[28] Dans un appel récent, la Cour d’appel de l’Alberta a reconnu que la common law [traduction] « peut et doit s’appliquer aux tribunaux statutaires », mais a soutenu qu’une décision d’un conseil d’accorder des prestations non autorisées par la loi, en se fondant sur la compassion ou l’équité, allait directement à l’encontre de la loi et était pas conséquent déraisonnable (Alberta v McGeady, 2015 ABCA 54, demande de permission d’en appeler rejetée par la Cour suprême du Canada).

[29] De même, comme l’a souligné l’intimé, la Cour suprême du Canada a soutenu qu’ « [i]l n’est pas loisible à un tribunal judiciaire d’appliquer une règle de common law alors qu’il est en présence d’une directive législative claire » (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 RCS 781; également Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd., [2005] 1 RCS 649).

[30] L’appelant se fonde également sur le commentaire suivant de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (Butler v. Southam Inc., 2001 NSCA 121) :

[traduction]

[139] Dans l’évaluation de ce qui est équitable, il est fondamental de considérer si le résultat sévère pour le plaignant de perdre une cause d’action est disproportionné quant aux buts en donnant suite à la disposition de restriction en question, applicable au cas en l’espèce.

[31] Cependant, dans cette affaire, la Cour d’appel avait déjà déterminé qu’il y avait une disposition législative l’autorisant à ne pas appliquer le délai de prescription : [traduction] « [...] le juge siégeant en chambre a conclu à juste titre qu’il avait compétence, en vertu de l’article 3 de la Loi sur la prescription, d’accorder un redressement relativement aux exigences liées à l’avis et aux limitations [...] ». Par conséquent, uniquement de justes dédommagements reposant sur le pouvoir discrétionnaire permis par la loi ont été offerts.

[32] L’appelant soutient également que la décision Cappello v. Quantum Limousine Service Inc., 2012 ONSC 2507 de la Cour supérieure de justice de l’Ontario se range au principe selon lequel [traduction] « lorsqu’aucun préjudice n’est causé en raison du fait que la période de prescription a pris fin, des principes équitables ont été employés afin de justifier de procéder sans égard à cette échéance qui a pris fin. » En fait, l’affaire Capello a uniquement permis une modification d’une déclaration, après que le délai de prescription ait pris fin, et ce, dans des circonstances où [traduction] « la modification proposée se réduirait à la correction des noms mal cités des parties. »

[33] En ce qui a trait à la doctrine relative aux circonstances spéciales invoquées par l’appelant, son historique est exposé dans l’affaire S. M. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2014 TSSDA 214 :

[42] La doctrine des circonstances particulières tire ses origines de la décision anglaise Weldon v. Neal (1887), 19 Q.B.D. 394 (C.A.), Lord Esher M.R. Dans la décision canadienne faisant autorité Basarsky c. Quinlan [1972] R.C.S. 380, la doctrine des circonstances particulières a été appliquée et l’ajout de demandeurs après l’expiration du délai de prescription a été permis. Dans la décision Meady v. Greyhound Canada Transportation Corp. (2008), 90 O.R. (3d) 774, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit cette doctrine comme étant [traduction] « la doctrine des circonstances particulières en common law ». Bien que la doctrine ne confère pas le pouvoir général de proroger un délai de prescription (Greyhound, précitée), elle a été appliquée pour modifier des actes de procédure afin d’ajouter des parties ou de nouvelles causes d’action après l’expiration d’un délai de prescription lorsque la demande aurait dû être ajoutée aux actes de procédure initiaux : par exemple, Mazzuca v. Silvercreek Pharmacy Ltd. (2001), 56 O.R. (3d) 768 (CA), Thoman v. Fleury (1996), 28 O.R. (3d) 398 (CA), et Swain Estate v. Lake of the Woods District Hospital (1992), 9 O.R. (3d) 74 (CA). [mis en évidence par la soussignée]

[34] Conformément à ce résumé, dans l’affaire Joseph v. Paramount Canada’s Wonderland, 2008 ONCA 469, la Cour d’appel de l’Ontario a soutenu que cette doctrine pourrait s’appliquer pour modifier des actes de procédure ou pour ajouter des parties, mais pas pour proroger des délais de prescription; cela [traduction] « irait à l’encontre de l’objectif de la nouvelle Loi de supprimer la garantie de son régime de limitation. »

[35] Je reconnais que la division d’appel a appliqué la doctrine relative aux circonstances spéciales afin de proroger le délai de prescription dans l’affaire S.M. Les faits de l’affaire S.M. étaient inhabituels du fait que deux demandes avaient été correctement présentées en vertu de dispositions antérieures (qui n’imposaient pas de délai), puis transférées au Tribunal où elles ont été touchées par la période de prescription. En raison de ces circonstances spéciales, la division d’appel avait été convaincue par l’analyse prévue dans Trustees of the Millwright Regional Council of Ontario Pension Trust Fund v. Celestica Inc., 2012 ONSC 6083, dans laquelle le juge Perell a élargi le concept des circonstances spéciales pour y inclure [traduction] « lorsqu’un défendeur répond à une demande à laquelle il prévoyait répondre si la permission était accordée. » Cependant, la jurisprudence a progressé depuis ce temps. L’affaire Celestica a été infirmée dans le cadre d’une trilogie de décisions portées en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario (Green v. Canadian Imperial Bank of Commerce, 2014 ONCA 90) et après que la décision S.M. ait été rendue par la Cour suprême du Canada (Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, [2015] 3 RCS 801).

[36] Dans le cadre de la trilogie Green, la Cour suprême du Canada a déclaré que la compétence de la cour pour appliquer les doctrines de la common law [traduction] « est circonscrite par l’intention législative. » La doctrine relative aux circonstances spéciales a été expliquée de la manière suivante :

[113] Essentiellement, cette doctrine autorise le tribunal à modérer les effets potentiellement sévères et injustes des délais de prescription en permettant à un demandeur d’ajouter une cause d’action ou une partie à sa déclaration après l’expiration du délai de prescription applicable. Je m’empresse d’ajouter que, comme l’a reconnu la Cour dans Basarsky c. Quinlan, 1971 CanLII 5 (CSC), [1972] R.C.S. 380, et tel que l’évoquent les mots « spécial » ou « particulier », les circonstances justifiant une telle modification se présentent rarement.

[37] La Cour suprême du Canada a soutenu que la doctrine ne s’appliquait pas aux affaires en appel, car la période de prescription ne pouvait pas être contournée en modifiant les actes de procédure. De plus, en ce qui a trait l’affaire Celestica, la Cour suprême du Canada a soutenu ce qui suit :

[117] Dans l’affaire Celestica, où le délai de prescription a expiré avant même qu’une requête pour permission soit présentée, appliquer la doctrine des circonstances spéciales pour accorder un redressement aux demandeurs conférerait nécessairement aux juges le pouvoir général de proroger les délais de prescription, ce qui irait à l’encontre de l’objet de l’art. 138.14 de la LVM [...]

[38] Pour résumer, la jurisprudence, à l’heure actuelle, établit constamment ce qui suit :

  1. La doctrine relative aux circonstances spéciales peut être appliquée dans certaines circonstances afin de modifier des actes de procédure (mais pas pour présenter une nouvelle demande) après la fin du délai prescrit;
  2. La doctrine relative aux circonstances spéciales ne peut pas être appliquée pour déroger à la limite de temps fixée;
  3. D’une façon générale, des principes équitables ne peuvent pas être appliqués s’ils vont à l’encontre de la directive légale.

[39] Par conséquent, dans la mesure où le Tribunal considère des principes équitables et les doctrines de la common law dans les circonstances appropriées, l’application de ces principes et de ces doctrines est circonscrite par les dispositions législatives pertinentes. Ces principes et doctrines ne peuvent en aucun cas être appliquées de manière à aller à l’encontre de l’intention du législateur, comme prescrit pas la loi. En l’espèce, accorder une prorogation de délai, conformément au paragraphe 66(2) de la LMEDS serait, comme dans l’affaire Joseph, contraire à l’objectif de la partie 5 de la LMEDS en supprimant la garantie de son régime de limitation. Comme il a été mentionné précédemment, il existe une directive législative claire qui se traduit par une période de prescription fixe et obligatoire. J’estime qu’il ne revient pas au Tribunal (que ce soit la division générale ou la division d’appel) de faire fi de la directive claire en acceptant une demande d’annulation ou de modification au-delà du délai prévu par la loi, et ce, en appliquant des principes équitables ou des doctrines de la common law.

[40] Par conséquent, je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit, mais que plutôt, elle a correctement conclu que la demande d’annulation ou de modification de l’appelant datant de mai 2015 était prescrite en vertu du paragraphe 66(2) de la LMEDS.

Conclusion

[41] La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle (le droit de connaitre les éléments de preuve à réfuter) en demandant expressément d’obtenir des observations écrites au sujet de l’alinéa 66(1)b) sans faire mention de la question du délai prévu au paragraphe 66(2). L’appelant a maintenant eu l’occasion de fournir des observations exhaustives relativement à l’interprétation et à l’application du paragraphe 66(2) de la LMEDS.

[42] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en déterminant que la demande d’annulation ou de modification était prescrite.

[43] La décision de la division générale était juste, et par conséquent, la réparation appropriée au titre de l’article 59 de la LMEDS est que je confirme la décision. La demande d’annulation ou de modification est prescrite, et il n’y a aucun fondement pour tenir compte du bien-fondé de la demande.

[44] L’appel de l’appelant est donc rejeté.

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