Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen par un autre membre.

Aperçu

[1] Le 20 janvier 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a statué qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) n’était pas payable à l’appelante, car celle-ci n’avait pas prouvé qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée qui la rendait incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[2] L’appelante a une vie très difficile à la maison. Elle est mariée et a deux enfants. Son fils de 23 ans est atteint d’une forme grave de l’autisme et doit être supervisé en tout temps. Sa fille de 17 ans a reçu les diagnostics suivants : trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), syndrome d’Asperger et trouble de stress post-traumatique. Son fils bénéficie de soins de relève et il quitte la maison familiale trois jours par semaine et les fins de semaine. La fille de l’appelante ne fréquente présentement pas l’école et elle retourne régulièrement dans un établissement de soins psychiatriques. L’appelante a souffert de dépression chronique et d’anxiété depuis qu’elle a 17 ans et souffre d’un trouble d’apprentissage et d’un trouble du déficit de l’attention (TDA). L’appelante a déjà participé à des séances de counseling, mais elle y a mis un terme puisqu’elle n’en ressentait pas de bienfaits. Elle prend des médicaments pour sa dépression depuis qu’elle en a reçu le diagnostic.

[3] L’appelante a terminé sa 12e année et suivi un cours d’adaptation du comportement qui devait l’aider à prendre soin de son fils autiste. Elle a occupé plusieurs emplois à temps partiel dans le domaine des vêtements, comme serveuse et dans une usine. Elle touchait aussi une rémunération modeste pour conduire son fils à l’école. Son dernier emploi était comme gardienne d’enfants à temps partiel entre mars 2010 et novembre 2011. La date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), date à laquelle elle doit démontrer souffrir d’une invalidité grave et prolongée, est du 31 décembre 2011.

[4] La division générale a reconnu que l’appelante souffrait de troubles de santé, mais a jugé que les problèmes de l’appelante pour trouver et conserver un emploi découlaient de sa difficulté à s’occuper de ses enfants plutôt que d’une invalidité grave et prolongée.

[5] L’appelante cherche à faire appel de la décision de la division générale.

[6] Je dois trancher une question : la division générale a-t-elle erré en droit conformément à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) quand elle a jugé que l’appelante avait la capacité de travailler?

[7] Je juge que la division générale a erré dans la façon dont elle a appliqué la décision Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, à la situation de l’appelante.

[8] Cet appel a été instruit sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  2. Les questions en litige ne sont pas complexes.
  3. La preuve au dossier est complète et ne nécessite pas de précisions.

Question en litige

[9] La division générale a-t-elle erré en droit conformément à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS quand elle a incorrectement évalué la capacité de travailler de l’appelante à l’égard de l’application des facteurs de Villani et du contexte « réaliste », comme le prévoit cette décision?

Critère juridique

[10] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’en appeler à la division d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[11] L’appelante soutient qu’elle souffre d’une invalidité grave et prolongée et qu’elle n’a pas la capacité de régulièrement occuper un emploi rémunérateur.Elle soutient aussi que la division générale n’a pas correctement appliqué les facteurs de Villani et n’a pas évalué sa capacité de travailler dans un contexte « réaliste » qui tient compte de l’impact de ses expériences de vie difficiles sur son état de santé.

[12] L’intimé soutient que la division générale a correctement évalué la situation personnelle de l’appelante et qu’elle n’a pas à tenir compte des pressions engendrées par la vie de famille de l’appelante parce que le libellé des dispositions du RPC qui concernent l’admissibilité à une pension d’invalidité prévoit que l’invalidité doit être intrinsèque à la requérante, et non une fonction d’effets externes comme les pressions familiales.

[13] L’intimé soutient que la division générale a correctement présenté la preuve par rapport à l’état de santé et à la capacité de travailler de l’appelante. La division générale a aussi présenté une analyse complète des éléments de preuve pertinents.

Analyse

[14] À la lecture des alinéas 58(1)a) et b) de la Loi sur le MEDS, ces dispositions permettent à la division d’appel d’intervenir si la division générale a erré en droit ou n’a pas observé un principe de justice naturelle. Il n’y a pas de réserve limitant l’intervention de la division d’appel lorsque de telles erreurs sont alléguées. Il n’est pas indiqué que la division d’appel devrait faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de la division générale. En l’espèce, une erreur de droit a été soulevée conformément à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, et donc, il n’est pas requis de faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de la division générale. L’on doit conclure que la loi a correctement été appliquée aux faits et que les motifs de la division générale étaient clairs et compréhensibles.

[15] J’adhère complètement à l’argument de l’intimé sur le fait que le RPC [traduction] « est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience, ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié »Note de bas de page 1. J’adhère également à l’affirmation de l’intimé sur le fait qu’une conclusion d’invalidité ne peut pas être fondée sur les obligations familiales d’une personne et sur l’impact de ces obligations sur la capacité de la personne à travailler.

[16] J’adhère aussi complètement à l’argument de l’intimé sur le fait que des facteurs conjoncturels qui influencent la capacité d’une personne à travailler ne devraient pas être pris en considération à la détermination de l’admissibilité à une pension d’invalidité. Des facteurs socioéconomiques comme la situation sur le marché du travail ne sont pas pertinents à la détermination de l’invalidité au titre du RPC.Note de bas de page 2

[17] Finalement, je reconnais l’argument de l’intimé sur le fait que s’occuper d’un enfant gravement invalide a déjà été jugé par la division d’appel du Tribunal comme un indicateur d’une capacité à travailler. L’intimé se fonde par cet argument sur la décision T.C. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 637. Dans cette décision, mon collègue de la division d’appel a déterminé que la demanderesse qui cherchait à obtenir une pension d’invalidité n’avait pas réussi à démontrer comment s’occuper de son enfant invalide la rendait régulièrement incapable de détenir une occupation rémunératrice. La demanderesse dans cette affaire avait associé son incapacité à travailler à ses responsabilités associées aux soins de son enfant, car elle avait fait valoir que de s’occuper de son enfant était un facteur qui aggravait son état de santé. Pour cette affaire, la division d’appel a conclu au paragraphe 18 que « [...] le Tribunal n’est pas convaincu que la division générale a commis une erreur en concluant que la capacité de la demanderesse de prendre soin de son enfant indiquait qu’elle avait conservé la capacité de travailler. »

[18] Bien que j’agrée que les difficultés associées aux soins d’un enfant invalide peuvent ne pas être considérées comme un facteur aggravant directement lié à la détermination de l’admissibilité à une pension d’invalidité, je juge que la division générale a omis pour la présente affaire de tenir compte d’éléments de preuve pertinents par rapport à la situation et à la santé de l’appelante dans la détermination de son admissibilité à une pension d’invalidité. L’appelante a confirmé que ses responsabilités quant aux soins de son fil et de sa fille ont exacerbé son état de santé, mais je juge que la division générale a omis de tenir compte de la preuve qu’elle a présentée par rapport à son absence de capacité de travail, et ce malgré ses responsabilités liées aux soins de ses enfants. Si la division générale a en effet tenu compte des éléments de preuve pertinents par rapport à l’impact de son état de santé sur sa capacité à travailler, séparément de l’impact de ses responsabilités quant aux soins de ses enfants, ce n’est pas clair à la lecture de la décision.

[19] Avant de rendre une décision sur cette affaire, une audience devant la division générale a été tenue le 19 janvier 2016. J’ai examiné l’enregistrement de l’audience dans son intégralité. L’appelante a témoigné avoir souffert d’une grave dépression chronique depuis l’âge de 17 ans. On lui a prescrit différents médicaments, à différentes doses, pour gérer sa dépression. Ce trouble de santé précède la naissance de ses enfants. Elle a terminé sa 12e année et suivi un cours d’adaptation du comportement pour aider son fils. En 2010, elle a tenté un retour aux études, mais elle a échoué plusieurs cours et n’a pas obtenu son certificat. Elle a présenté la preuve de son échec découlant des pressions familiales et de son incapacité à se concentrer. Dans son témoignage oral, elle s’est décrite comme étant [traduction] « dépassée » et « désorganisée », et elle a mentionné que « les exigences du cours la dépassaient ». Depuis sa tentative de retour aux études, elle a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage de TDAH. Quand on lui a posé des questions sur sa capacité à travailler dans le cas où elle aurait réussi les cours requis pour l’obtention du certificat, elle a répondu que même si elle avait réussi, l’emploi qu’elle aurait été apte à obtenir aurait été [traduction] « trop » pour elle. La division générale n’a pas présenté d’analyse sur cette preuve dans sa décision.

[20] Quand on lui a posé des questions à propos de son expérience comme gardienne d’enfants, elle s’est dite « dépassée » par l’emploi et par les responsabilités impliquées. Elle a présenté la preuve qu’elle avait quitté cet emploi parce qu’elle [traduction]"ne pouvait simplement pas s’y faire ». Depuis qu’elle a cessé de travailler, elle a déclaré [traduction] « ne pas être mieux ». À la lecture de la décision de la division générale, cet élément de preuve ne semble pas avoir été pris en considération.

[21] L’élément de preuve le plus pertinent qui a été présenté dans le témoignage de l’appelante lors de l’audience devant la division générale est probablement le fait qu’elle a de [traduction] « bons jours » et de « mauvais jours ». Lors d’une bonne journée, elle peut fonctionner de façon plutôt raisonnable. Cependant, lors d’une mauvaise journée, elle a témoigné que sortir du lit et prendre une douche sont des choses difficiles à faire. Elle ne sort pas de la maison ces jours-là. Elle a mentionné être invalide en raison de sa dépression et de ses épisodes où elle a des idées suicidaires. Elle ne peut pas anticiper les bonnes et les mauvaises journées. Elle n’a pas associé ses mauvaises journées aux jours où son fils se trouve dans la maison familiale et elle n’a pas associé ses bonnes journées aux jours où son fils est en soins de relève. Elle n’a d’ailleurs pas associé ses bons ou ses mauvais jours au soutien qu’elle donne à sa fille. Bien que ces éléments représentent une preuve subjective présentée par l’appelante, la jurisprudence existante reconnaît que les expériences subjectives de l’appelante par rapport à son état de santé et aux conséquences qui s’ensuivent sur sa capacité à détenir un emploi véritablement rémunérateur sont d’importants facteurs à considérer.Note de bas de page 3

[22] Je ne peux pas trouver à quel moment la division générale a tenu compte de la preuve précédente. La décision de la division générale ne semble pas comporter d’analyse sur les activités quotidiennes de l’appelante et sur sa capacité à les exécuter malgré ses troubles de santé. L’on souligne dans la décision que le médecin de famille de l’appelante, lequel la traite depuis 1993, a écrit que l’appelante n’a pas été apte à travailler depuis décembre 2011 en raison de son anxiété, de sa dépression et de son inaptitude à se concentrer et à accomplir les tâches requises. Ce constat indique que l’invalidité de l’appelante lui est intrinsèque et n’est pas uniquement une fonction d’effets externes, tels que sa vie familiale difficile.

[23] Malgré la preuve qui précède, du paragraphe 29 à 31 de la décision, la division générale a conclu ce qui suit [traduction] :

[29] Le Tribunal est clair sur le fait que la preuve présentée est insuffisante pour démontrer que l’appelante n’avait pas la capacité de détenir tout type d’emploi.

[30] Plusieurs notes cliniques et rapports rédigés par le médecin de famille et par le spécialiste de l’appelante indiquent que les besoins de son fils ont un impact important sur sa capacité à travailler et à conserver un emploi. L’appelante a aussi exprimé que sa situation à la maison et ses préoccupations ne lui permettent pas de travailler.

[31] Il a été démontré que l’appelante est atteinte de dépression depuis bon nombre d’années. Elle prenait des médicaments pendant bien des années alors qu’elle travaillait encore. Le Tribunal estime que sa situation familiale a eu des répercussions défavorables importantes sur sa capacité à travailler dans un milieu de travail approprié.

[24] Dans l’arrêt Villani, la Cour fait référence au Règlement sur le Régime de pensions du Canada (RRPC) et souligne que le paragraphe 68(1) du RRPC prévoit que quiconque fait la demande au ministre d’une pension d’invalidité doit présenter certains renseignements précis. Le paragraphe 68(1) est ainsi formulé :

Quand un requérant allègue que lui-même ou une autre personne est invalide au sens de la Loi, il doit fournir au ministre les renseignements suivants sur la personne dont l’invalidité est à déterminer :

  1. a) un rapport sur toute invalidité physique ou mentale indiquant les éléments suivants :
    1. (i) la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité,
    2. (ii) les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic,
    3. (iii) toute incapacité résultant de l’invalidité,
    4. (iv) tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnels;
  2. b) une déclaration indiquant l’emploi et les gains de cette personne pendant la période commençant à la date à partir de laquelle le requérant allègue que l’invalidité a commencé; et
  3. c) une déclaration indiquant la formation scolaire, l’expérience acquise au travail et les activités habituelles de la personne. [mis en évidence par la soussignée]

[25] Dans l’arrêt Villani, la Cour a établi que le critère de gravité doit être appliqué dans un contexte « réaliste » et que le décideur doit tenir compte « de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie ».Note de bas de page 4 De plus, dans l’arrêt Villani, la Cour a établi que les décideurs ne devraient pas ignorer le libellé du RPC en concluant par exemple que, puisqu’un requérant est capable d’effectuer certaines tâches ménagères, il est en mesure, en théorie, d’exercer un certain type d’occupation sédentaire non spécifiée. Je conclus d’après les motifs de la Cour qu’il est pertinent de tenir compte de l’expérience de vie de l’appelante, dans un examen concret de ses activités quotidiennes, et de la preuve de son incapacité à accomplir des tâches quotidiennes en raison de son état de santé. Toutefois, la décision de la division générale ne semble pas tenir compte de la preuve pertinente pour cet examen, et il s’agit d’une application inadéquate de la décision de la Cour dans Villani.

[26] Je souligne que l’intimé a soutenu que la situation familiale difficile de l’appelante est comparable à des facteurs socioéconomiques parce que sa situation évoluera avec le temps, et une pension d’invalidité ne se veut pas un moyen pour dépanner les gens qui ne peuvent pas travailler au cours d’une période temporaire. L’intimé signale le fait que des efforts sont déployés pour que le fils de l’appelante puisse bénéficier de soins permanents et vivre à l’extérieur de la maison familiale. Toutefois, l’appelante a témoigné que ce plan est sur la table depuis un certain temps, mais qu’aucun développement n’avait eu lieu au moment de l’audience devant la division générale. Les plans sont spéculatifs seulement, et aucune raison ne permet de croire que la situation de l’appelante est « temporaire » à cet égard.

[27] Néanmoins, j’ai jugé que la décision de la Cour dans Villani n’a pas correctement été appliquée à cette affaire par rapport à la capacité de l’appelante à travailler, indépendamment de la situation de la résidence de son fils.

[28] Une mauvaise application de la décision Villani représente une erreur de droit. J’accueille l’appel sur la base de ce motif.

Conclusion

[29] L’appel est accueilli.

[30] L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen par un autre membre.

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