Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est rejeté [accueilli]. Aucune permission prorogation du délai d’appel n’est accordée.

Aperçu

[1] L’intimé a présenté trois demandes de pension d’invalidité entre juin 2012 et novembre 2013. Les trois demandes ont été rejetées par l’appelant. C’est la seconde demande que l’appelant a rejetée en rendant sa décision de révision, le 17 juin 2014, qui fait l’objet de cet appel.

[2] En application de l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), l’intimé disposait ensuite de 90 jours pour interjeter appel devant la division générale.

[3] Le 22 avril 2015, l’intimé a déposé un avis d’appel relatif à la décision du 17 juin 2014. Le Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) l’a avisé, dans une lettre datée du 4 mai 2015, qu’un avis d’appel complet devait être reçu dans les 90 jours suivant la date où il avait reçu communication de la décision de révision. La lettre demandait également à l’intimé de fournir une déclaration confirmant la date à laquelle il avait reçu la décision de révision ainsi que les renseignements manquants, nécessaires pour compléter l’avis d’appeler.

[4] La lettre informait l’intimé qu’un membre du Tribunal déciderait ensuite s’il lui accorderait ou non une prorogation du délai d’appel, avant que l’appel puisse être instruit. La lettre spécifiait aussi qu’une prorogation ne pouvait jamais être accordée plus d’un an après la date où la décision de révision a été communiquée. Enfin, il était écrit que si le Tribunal recevait tous les renseignements manquants pour compléter l’avis d’appel au plus tard le 4 juin 2015, il considérerait l’avis d’appel comme complet et reçu en date du 22 avril 2015.

[5] Aucune communication de l’intimé n’a été reçue à la suite de cette lettre, et une seconde lettre d’avis, datée du 11 septembre 20165, a donc été envoyée à l’intimé. Encore une fois, rien n’a été reçu de sa part. Le Tribunal a reçu une demande complète le 2 octobre 2015.

[6] Le Tribunal a pris note d’une conversation téléphonique tenue avec le représentant de l’intimé en date du 1er octobre 2015, durant laquelle le représentant a demandé une explication à la lettre datée du 11 septembre 2015, relative à un avis d’appel incomplet. C’est après cette conversation téléphonique que le Tribunal a reçu une demande complète, le 2 octobre 2015.

[7] La division générale a rendu une décision le 18 avril 2016, accordant à l’intimé un délai supplémentaire pour déposer son avis d’appel, et a considéré l’avis comme complet en date du 22 avril 2015.

[8] L’appelant a demandé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale au motif qu’un avis d’appel est frappé de prescription lorsqu’il est déposé plus d’un an après la date où la décision de révision a été communiquée. L’appelant soutient que l’intimé doit demander une prorogation du délai de présentation avant l’échéance du délai d’un an. Une disposition du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) permet aux membres d'exempter certains individus de l'application de dispositions du Règlement sur le TSS, mais l’espèce ne comprend aucune circonstance spéciale. Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit en négligeant d’appliquer le paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS, qui édicte que le délai pour interjeter appel peut être prorogé d’au plus un an.

[9] L’appelant affirme que la division générale n’a pas tenu compte de la preuve au dossier, qui montre clairement que l’intimé a seulement déposé un avis d’appel complet le 2 octobre 2016, soit près de 15 mois après la date à laquelle il avait reçu communication de la décision de révision.

[10] Le 14 juillet 2017, j’ai accordé la permission d’en appeler sur le fondement que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit en accordant à l’intimé une prorogation de délai visiblement après l’échéance du délai d’un an.

[11] Je dois déterminer si la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit en accordant une prorogation du délai d’appel, ou rejeter la décision accordant la prorogation de délai pour l’un des motifs prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[12] Je conclus que l’appel doit être accueilli comme la division générale a erré en accordant la prorogation de délai, puisque la demande de permission d’en appeler avait été complétée après le délai d’un an à cet effet.

Questions en litige

[13] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Y a-t-il des « circonstances spéciales » permettant d’appliquer l’alinéa 3b) du Règlement sur le TSS en l’espèce?
  2. La division générale a-t-elle erré en accordant une prorogation de délai en l’espèce?

Questions préliminaires

[14] Conformément à l’alinéa 42a) du Règlement sur le TSS, les parties peuvent déposer des observations supplémentaires auprès de la division d’appel dans les 45 jours suivant la date à laquelle la permission d’en appeler est accordée. L’intimé a déposé des observations supplémentaires auprès du Tribunal en date du 22 août 2017. Les observations de l’intimé comprenaient une autre copie de l’avis d’appel, qui avait déjà été soumis à la division générale, une copie de la décision de la division d’appel relativement à la demande de permission d’en appeler, et des copies de dossiers médicaux de Health Sciences North, des docteurs Allison et Laforest.

[15] Les rapports médicaux que l’intimé a déposés ne peuvent être admis au dossier ni pris en considération pour statuer sur l’appel. Ces preuves ne figuraient pas au dossier présenté à la division générale, et le dépôt de nouveaux éléments de preuve ne fait pas partie des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. La division d’appel doit s’en tenir aux moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, et elle n’a pas compétence pour intervenir ou instruire les appels de novo.

Analyse

[16] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur MEDS ne prévoit que des moyens d’appel restreints. Les seules erreurs susceptibles de révision sont les suivantes : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[17] Aux termes du paragraphe 52(1) de laLoi sur le MEDS, l’appel d’une décision est interjeté devant la division générale selon les modalités prévues par règlement et dans les 90 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. La division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel.

[18] D’après l’alinéa 58(1)b), la division d’appel peut intervenir si la division générale a commis une erreur de droit. Aucun qualificatif ne limite l’intervention de la division d’appel lorsque de telles erreurs sont alléguées. Rien ne donne à penser que la division d’appel doive faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la division générale. En l’espèce, il est prétendu qu’une erreur de droit a été commise. Je dois déterminer si la loi a convenablement été appliquée aux faits.

[19] L’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS fait référence aux erreurs de fait. Si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée ou a ignoré des preuves factuelles portées à sa connaissance, je dois alors déterminer si l’erreur est « abusive » ou « arbitraire ». Les erreurs de fait sont donc, elles, qualifiées. Je ne peux donc toucher aux conclusions de la division générale que si des erreurs de fait sont jugées abusives ou arbitraires. Ainsi, je ne devrais intervenir que si la division génale n’a pas pris en considération un élément de preuve ou l’a mal interprété, ou si elle a ignoré un élément de preuve dont elle aurait dû tenir compte pour rendre sa décision.

Question no 1 : Y a-t-il des « circonstances spéciales » permettant d’appliquer l’alinéa 3b) du Règlement sur le TSS en l’espèce?

[20] L’alinéa 3(1)b) du Règlement sur le TSS permet aux membres du Tribunal, s’il existe des circonstances spéciales, de modifier une disposition dudit règlement ou d’exempter une partie de son application.

[21] Je juge qu’aucune circonstance spéciale n’est présente ni applicable en l’espèce. J’estime que l’alinéa 3(1)b) du Règlement sur le TSS s’applique strictement aux dispositions du Règlement sur le TSS et non à celles de la Loi sur le MEDS, même s’il existait effectivement des circonstances spéciales. De plus, le paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS prescrit un délai absolu d’un an pour interjeter appel.

[22] La division générale a exempté l’intimé de l’application de l’article 24 du Règlement sur le TSS, qui énumère les renseignements qui doivent être présentés de façon à compléter un avis d’appel auprès du Tribunal. La division générale a mentionné des « circonstances spéciales » qu’elle a jugé exister, soit que l’intimé avait soumis les renseignements manquants [traduction] « dans un délai relativement court » après avoir retenu les services d’un représentant.

[23] L’appelant soutient qu’il ne s’agit pas là de « circonstances spéciales ». Je suis d’accord avec lui.

[24] Il était clairement écrit dans la lettre datée du 4 mai 2015 envoyée à l’intimé que l’avis d’appel était incomplet et que les renseignements manquants devaient être soumis dans un délai de 90 jours (même si le délai de 90 jours était déjà échu). La lettre spécifiait en termes clairs qu’un membre du Tribunal devrait déterminer si une prorogation de délai devait être accordée afin de poursuivre l’appel si les renseignements nécessaires étaient reçus après les 90 jours alloués. La lettre précisait aussi clairement que l’appel ne serait pas accueilli si l’information était reçue plus d’un an après la date laquelle la décision avait été communiquée. Les renseignements manquants incluaient une copie de la décision de révision et une confirmation de la date à laquelle l’intimé avait reçu communication de la décision. L’intimé n’a aucunement justifié pourquoi il avait été incapable de fournir les renseignements requis dans le délai d’un an.

[25] Je reconnais que la seconde lettre d’avis, datée du 11 septembre 2015, a été envoyée après le délai d’un an pour fournir l’information. Je ne me base pas sur les malentendus émanant du personnel du Tribunal, mais plutôt sur les dispositions législatives du Règlement sur le TSS, qui prévoient notamment des délais pour la présentation d’un avis d’appel complet.

[26] L’alinéa 3(1)b) du Règlement sur le TSS ne définit pas ce qui doit être considéré comme des « circonstances spéciales », et le Règlement sur le TSS ne fournit aucune orientation quant à ce qui constitue des circonstances spéciales. Cependant, il semblerait approprié que des circonstances spéciales supposent un aspect distinctif ou particulier ou une raison qui justifie de déroger à la règle habituelle à laquelle on s’attend que tous se conforment.

[27] Mon collègue de la division d’appel a traité de cette question précise dans A.M. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 TSSDASR 68. Bien que je ne suis pas liée par les décisions rendues par d’autres membres de la division d’appel, j’estime que sa position, voulant qu’on « ne devrait pas définir de façon si large les “circonstances spéciales” et que « l’argument des “circonstances spéciales” [ne] devrait pouvoir être si largement invoqué », est cohérente avec le Règlement sur le TSS, qui exige que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. D’après le libellé du Règlement sur le TSS, on peut logiquement déduire que l’intention du législateur était de procéder de façon expéditive et d’éviter que les délais supplémentaires soient monnaie courante.

[28] En l’espèce, c’est à l’intimé qu’il incombe de prouver qu’il existe des circonstances spéciales, comme celles auxquelles fait référence l’alinéa 3b) du Règlement sur le TSS, qui sont convaincantes à un point tel qu’il ne devrait pas être tenu de se conformer aux exigences prévues à l’article 24 du Règlement sur le TSS. Le fait que son représentant a fini par soumettre les renseignements nécessaires n’est pas suffisamment convaincant pour justifier de déroger aux règles habituelles encadrant le dépôt d’un avis d’appel complet auprès du Tribunal. S’il existait des circonstances exceptionnelles expliquant pourquoi l’intimé n’avait pas pu bénéficier de l’aide d’un représentant avant septembre 2015, ou s’il y avait une preuve montrant que l’intimé avait fait des efforts pour fournir lui-même les renseignements manquants mais qu’une raison particulière l’aurait empêché de compléter son avis d’appel avant octobre 2015, alors il pourrait y avoir un fondement pour l’application de l’alinéa 3b) du Règlement sur le TSS dans cette affaire. J’estime que l’intimé n’a pas fait la preuve d’une telle circonstance ou raison.

[29] Si les dispositions du Règlement sur le TSS pouvaient être facilement ignorées et si les appelants n’avaient pas besoin de présenter des circonstances significatives et particulières qui justifient de les exempter d’exigences comme celles de présenter les renseignements nécessaires ou de respecter les délais fixés par le Règlement sur le TSS, les instances dont le Tribunal est saisi seraient vraisemblablement préjudiciables en l’absence d’une divulgation complète et les membres du Tribunal joueraient conséquemment d’un pouvoir général de proroger les délais prévus. J’estime que cette interprétation ne serait pas compatible avec les exigences du Règlement sur le TSS, soit d’ « apporter une solution à l’appel ou à la demande qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. »Note de bas de page 1

[30] Bien que l’alinéa 3b) du Règlement sur le TSS pourrait être invoqué pour exempter l’intimé de l’application du paragraphe 24(1) du Règlement sur le TSS, j’ai jugé qu’il n’existe pas de circonstances spéciales justifiant d’invoquer l’alinéa 3b).

[31] Je crois qu’il est également important de considérer que c’est le paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS qui prescrit un délai absolu d’un an pour interjeter appel, et non une disposition prévue au Règlement sur le TSS. J’estime que l’alinéa 3(1)b) ne s’applique pas aux dispositions de la Loi sur le MEDS, même si des circonstances spéciales étaient décelées. L’alinéa 3(1)b) fait expressément référence aux dispositions du Règlement sur le TSS.

[32] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’alinéa 3(1)b) du Règlement sur le TDSS ne s’applique pas en l’espèce.

Question no 2 : La division générale a-t-elle erré en accordant une prorogation de délai en l’espèce?

[33] Oui. Je juge que la division générale a accordé à tort une prorogation de délai.

[34] L’appelant soutient que la division générale a commis une erreur droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire et en accordant une prorogation de délai. L’appelant affirme qu’une prorogation de délai n’est pas une affaire de droits. L’appelant fait valoir que la division générale doit d’abord accorder une prorogation du délai de présentation de l’avis d’appel, et que les décisions discrétionnaires doivent être suscitées par la présentation d’une demande de prorogation de délai provenant de l’intimé. Comme l’intimé n’a jamais véritablement demandé une prorogation de délai durant le délai d’un an, la loi interdit à l’intimé d’interjeter appel. L’appelant a soutenu que le délai d’un an pour faire appel de la seconde décision de révision, rendue le 17 juin 2014, venait à échéance le 17 juin 2015, et qu’aucune demande de prorogation du délai n’avait été reçue en date du 15 juin 2015.

[35] J’ai déjà conclu que l’intimé a seulement interjeté appel selon les modalités prévues le 2 octobre 2015. J’ai également conclu qu’il n’existait aucun fondement juridique permettant à juste raison de proroger le délai dont disposait l’intimé pour interjeter appel devant la division générale.

[36] Le membre de la division générale a conclu comme suit au paragraphe 18 de sa décision :

[traduction]

Compte tenu des facteurs établis dans Gattellaro et dans l’intérêt de la justice, le Tribunal accorde une prorogation du délai pour interjeter appel en vertu du paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS. Le fait qu’il existe une cause défendable en l’espèce pèse plus lourd dans la balance que l’absence d’une intention persistante et d’une explication raisonnable. Il est nécessaire de statuer sur le fond de l’affaire pour que justice soit faite entre les parties.

[37] La division générale ne disposait d’aucun fondement juridique pour conclure qu’une prorogation de délai pouvait être accordée [traduction] « en vertu du paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS ». Peu importe si les facteurs de Gattelaro Note de bas de page 2 ont été considérés ou s’il était dans l’intérêt de la justice de statuer sur la cause de l’intimé sur le fond, je juge que la division générale a excédé sa compétence en permettant à l’appel d’être poursuivi en faisant fi des dispositions qu’elle est tenue de respecter pour trancher les affaires dont elle est saisie.

Conclusion

[38] L’appel est refusé [accueilli].

[39] En vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ou renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. Vu les circonstances de l’espèce, il convient que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre.

[40] Je conclus que la division générale n’a pas le pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai. La division générale ne peut pas proroger le délai d’appel au-delà du délai maximal fixé par le paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS. L’intimé n’a pas interjeté appel selon les modalités prévues et dans le délai fixé à cet effet, et la division d’appel ne peut accorder une prorogation du délai d’appel en l’espèce.

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