Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] L’intimé a reçu la demande de pension d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC) de l’appelante le 12 mai 2014. L’appelante a affirmé qu’elle était invalide en raison de lésions nerveuses (avec douleurs), de fibromyalgie, de gastroentérite, de reflux gastro-œsophagien, de lésions nerveuses à l’intestin, de spasmes musculaires, de maux de tête dus à la pression, de chutes et d’étourdissements. L’intimé a rejeté cette demande initialement et après révision. L’appelante a interjeté appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) de la décision découlant de la révision.

[2] Pour être admissible à une pension d’invalidité, l’appelante doit se conformer aux exigences prévues par le RPC. Plus particulièrement, l’appelante doit être réputée invalide tel que défini dans le RPC à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA), ou avant cette date. Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations versées au RPC par l’appelante. Le Tribunal détermine que la date de fin de PMA de l’appelante est le 31 décembre 1999.

[3] Cet appel a été tranché sur la foi des documents et des observations présentés pour les raisons suivantes :

  1. Le membre du Tribunal a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une autre audience.
  2. Les questions en litige ne sont pas complexes.
  3. La crédibilité n’est pas au nombre des questions principales.
  4. Ce mode d’audience est conforme à la disposition du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  5. La question principale de cet appel touche le caviardage des documents. Toutefois, le Tribunal a déjà demandé des copies non caviardées des documents visés, a tenu une réunion préaudience sur la même question, a mis l’appel en suspens durant trois mois pour permettre la présentation d’observations sur la question (ou de permettre la mise au dossier de documents non caviardés) et a aussi alloué du temps additionnel pour la présentation des documents non caviardés.

[4] Le Tribunal a décidé que l’appelante est admissible à une pension d’invalidité du RPC pour les motifs exposés ci-dessous.

Preuve

[5] L’appelante est âgée de 60 ans et elle réside à X. Elle a un diplôme d’études secondaires et un an d’études postsecondaires non spécifiées. Elle a travaillé de manière intermittente : elle a versé des cotisations admissibles au RPC en 1975, 1976, 1977, 1989, 1998 et 2008. Toutefois, elle a eu cinq filles et elle était la principale fournisseuse de soins. À ce titre, elle est admissible aux dispositions du RPC relatives à l’éducation des enfants de 1979 à 1997.

[6] Le 28 août 2003, Dr Monchesky (Clinique du diabète) a noté que l’appelante avait le diabète et que le contrôle de sa glycémie avait [traduction] « toujours été terrible ». Le 18 mai 2004, Dr Monchesky a rapporté qu’elle ressentait beaucoup de douleurs dans ses pieds et ses jambes. Elle souffrait aussi de neuropathie périphérique.

[7] Une note de Dr Monchesky sur les progrès réalisés datée du 20 décembre 2005 (à la page GD2-85 du dossier du Tribunal) indiquait que l’appelante prendrait du Statin en raison des taux de glycémie et du diabète dont elle souffre depuis longtemps. Elle avait été très occupée avec ses enfants. Toutefois, une partie importante de ses notes cliniques sont caviardées. L’intimé a déclaré plus tard que le texte caviardé traitait des problèmes de santé de la fille de l’appelante ainsi que de son hospitalisation, mais il n’a pas fourni une copie non caviardée du document. Le 7 septembre 2007, une imagerie de sa colonne dorsale a révélé une faible spondylose.

[8] En octobre 2008, l’appelante a arrêté son travail indépendant en raison d’étourdissements : elle ne pouvait plus soulever des objets ou rester debout. Aucune date de début n’a été donnée pour son travail indépendant, mais elle a déclaré que c’était de l’entretien ménager et de la préparation de repas. Aucune heure de travail ni de salaire n’a aussi été déclarée. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de son état de santé en [traduction] « 2009 approximativement ».

[9] Docteur Chong (endocrinologue) a fourni une lettre d’évaluation le 20 janvier 2010 (à la page GD2-88 au dossier du Tribunal). L’appelante éprouvait une certaine douleur au côté gauche en lien avec un accident de voiture. Elle faisait du yoga et s’entraînait au gym trois fois par semaine, mais était actuellement sans emploi. Son diabète de Type 1 n’était actuellement pas contrôlé. Toutefois, une portion de la lettre de Dr Chong était caviardée. L’intimé a déclaré plus tard que le texte caviardé traitait des problèmes de santé de ses parents, grands-parents, frères et sœurs, mais il n’a pas fourni la copie non caviardée.

[10] Le 10 juin 2012, Dr Green (Gastroentérologie et Endoscopie thérapeutique) a noté un historique de diabète de type 2 et de la constipation avec vomissements. Elle avait une diverticulose de l’intestin et un long colon tortueux. Il pensait que ses symptômes étaient tous reliés à la neuropathie autonome diabétique.

[11] Bien que ce ne soit pas complètement clair en raison de l’utilisation d’initiales dans les notes cliniques, il semble que Dr Chong et Dr Green ont encore vu l’appelante le 28 novembre 2012 et le 2 août 2013. Docteur Chong a rapporté des problèmes de santé qui incluaient le diabète de Type 1 depuis 1987, de la constipation grave, de la gastroparésie, de la neuropathie périphérique, du reflux gastro-œsophagien, une vessie spastique, de la lithiase rénale, de la microalbuminurie et de l’hypothyroïdie. Son diabète n’était pas bien contrôlé. Docteur Green a noté un historique de brûlements d’estomac qui s’était amélioré, mais il était considéré qu’elle souffrait de symptômes de gastroparésie diabétique. Le 24 février 2014, Dr Leisnexkaia (rhumatologue) a évalué les maux et les douleurs articulaires de l’appelante. Ses symptômes indiquaient de l’arthrose, de l’épicondylite latérale et de la fibromyalgie.

[12] Docteur Ballard (médecin de famille) a rempli le rapport médical pour l’appelante le 4 mai 2014. Docteur Ballard connaissait l’appelante depuis le 14 octobre 1977 et l’avait traité pour son principal problème de santé depuis mai 2000. Les diagnostics de Dr Billard étaient : (1) diabète de Type 1 mal contrôlé pendant des années, (2) douleurs articulaires et douleurs secondaires à de l’arthrose et possiblement à de la fibromyalgie, (3) gastroparésie et reflux gastro-œsophagien secondaire au diabète, (4) neuropathie périphérique, (5) hypothyroïdie, (6) vessie spastique et (7) tension dorsale secondaire à un accident d’automobile. Elle souffrait de problèmes d’équilibre, de fatigue fréquente et d’engourdissements dans les membres inférieurs. En raison du mauvais contrôle de son diabète, son état ne pourrait que se détériorer. Docteur Ballard a écrit qu’elle avait été incapable de travailler en raison de son diabète et aussi parce qu’elle était la fournisseuse de soins d’une de ses filles. Toutefois, à la page GD2-74 du dossier du Tribunal, une partie du rapport de Dr Ballard (concernant le pronostic de l’appelante et les « renseignements additionnels » réputés pertinents par Dr Ballard) était caviardée. L’intimé a déclaré plus tard que le texte caviardé traitait d’un problème de santé de la fille de l’appelante. Toutefois, l’intimé n’a pas fourni une copie non caviardée.

[13] Dans la lettre de l’appelante datée du 16 juillet 2014 (pages GD2-62 du dossier du Tribunal), un long passage du texte a été caviardé. Toute de suite après une grande partie de texte caviardé, l’appelant a écrit qu’elle avait dû passer [traduction] « les 25 dernières années à défendre leurs intérêts, s’occuper d’elles et être leur soutien ». Elle a déclaré qu’elle travaillait indépendamment pour ne faire qu’un peu d’argent, mais que son temps était consacré à leurs soins. L’intimé a plus tard déclaré que le texte caviardé traitait des problèmes de santé de deux de ses filles. Cette lettre était aussi résumée à la page GD2-51 du dossier du Tribunal et elle était aussi caviardée à cet endroit. L’intimé a déclaré plus tard que le texte caviardé traitait de problèmes de santé et des arrangements de vie de deux de ses filles, mais il n’a pas fourni de copie non caviardée. Cette lettre était jointe à la demande de pension d’invalidité du RPC de l’appelante.

[14] Le 19 avril 2017, le Tribunal a écrit à l’intimé et lui a demandé des copies non caviardées des pages GD2-51, GD2-62, GD2-74, GD2-85 et GD2-88 (les « Pages Caviardées »). Le Tribunal a déclaré qu’un refus de fournir les copies non caviardées des Pages Caviardées pourrait entraîner une décision à l’encontre de l’intimé. Le Tribunal a aussi déclaré qu’un tel refus empêcherait le Tribunal de rendre une décision sur le dossier : ceci entraînerait un manquement à la justice naturelle ou des retards à trancher l’appel.

[15] Le 2 mai 2017, l’intimé a déclaré qu’il considérait que toute l’information caviardée était des renseignements personnels d’une tierce partie et qu’elle demeurerait caviardée conformément à l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Toutefois, il a fourni des résumés de l’information caviardée. Un exemple est [traduction] « GD2-74 : qui décrit le problème de santé de la fille de la cliente ».

[16] Le Tribunal a convoqué une réunion préaudience qui a ultimement été tenue le 1er juin 2017. À ce moment, l’intimé a avisé que sa position n’avait pas changé et qu’il demeurait engagé à protéger les renseignements personnels des tierces parties décrites dans les passages caviardés. L’intimé a aussi déclaré qu’il ne s’était pas appuyé sur les renseignements caviardés pour rendre sa décision et que l’information caviardée n’était pas pertinente au processus de prise de décision.

[17] Le Tribunal a alors informé l’intimé que les alinéas 8(2)a), b) et m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels semblent chacun permettre à l’intimé de communiquer l’information au Tribunal sans violer l’article 26 de cette loi. Le Tribunal a noté que la plupart des renseignements caviardés avaient été présentés ou écrits par l’appelante elle-même en appui à sa demande de pension d’invalidité. Le Tribunal a aussi déclaré que sa capacité de prendre une décision éclairée sur le fond du litige pouvait être compromise par le fait qu’il était incapable d’avoir accès à l’information caviardée, comme celle-ci semblait être directement liée aux motifs de la demande d’invalidité de l’appelante. Toutefois, l’intimé a toujours refusé de fournir les copies non caviardées des Pages Caviardées. Le Tribunal a alors déclaré aux parties qu’il les informerait des prochaines étapes.

[18] Le 7 juin 2017, le Tribunal a rendu une décision interlocutoire. Le Tribunal a conclu que la position de l’intimé allait à l’encontre de la divulgation franche et complète des documents, qui est essentielle au règlement équitable du différend entre les parties. Le Tribunal était aussi préoccupé que sa capacité à décider était compromise par le caviardage : l’information que l’appelante avait présentée en appui à sa demande n’était pas mise à la disposition de l’arbitre. Dans ces circonstances, le Tribunal n’était pas à l’aise d’aller de l’avant avec l’examen de l’appel sur le fond.

[19] Pour tenter d’équilibrer les préoccupations de l’intimé, l’intérêt des deux parties à voir cet appel tranché sans délai et dans l’intérêt des deux parties à voir cet appel tranché sur le fond de la preuve pertinente qui a été présentée par les parties, la décision interlocutoire du Tribunal a placé l’appel en suspens pour une période de trois mois. L’état de suspens se terminerait si les versions non caviardées des Pages Caviardées étaient fournies au Tribunal soit par l’intimé ou par l’appelante. À titre subsidiaire, le Tribunal a invité les parties à présenter la question à une autorité contraignante qui a fourni des directives sur la prise de décision par les tribunaux administratifs lorsque des documents présentés par une partie ne sont pas communiqués au tribunal administratif par l’autre partie.

[20] La période de suspens de trois mois s’est terminée le 7 septembre 2017. Rien n’a été reçu d’aucune des parties. Dans une lettre datée du 14 septembre 2017, le Tribunal a avisé les parties qu’il demeurait grandement préoccupé par le caviardage de l’intimé. Toutefois, comme indiqué dans la décision interlocutoire, le Tribunal reconnaît l’intérêt des deux parties à ce que l’appel soit tranché sans délai. Par conséquent, le Tribunal a une fois de plus donné l’occasion aux parties de fournir des copies non caviardées des Pages Caviardées. Toutefois, le Tribunal a aussi indiqué que si les documents non caviardés n’étaient pas reçus le 18 octobre 2017, ou avant cette date, le Tribunal rendrait sa décision et pourrait trancher de manière défavorable en raison du refus de l’intimé à présenter des copies non caviardées des Pages Caviardées.

[21] L’appelante a tenté de présenter des copies des Pages Caviardées le 28 septembre 2017, mais elle a seulement envoyé des copies de pages déjà caviardées. Le 10 octobre 2017, le Tribunal a informé les parties qu’il n’avait toujours pas reçu les copies non caviardées des Pages Caviardées. Le Tribunal a précisé que l’échéancier du 18 octobre 2017 s’appliquait toujours et qu’il procéderait conformément à sa lettre du 14 septembre 2017 si les copies non caviardées n’étaient pas reçues à cette date. Le Tribunal a ajouté que l’appelante n’avait probablement pas les copies non caviardées des Pages Caviardées en sa possession, mais il avait été établi que l’intimé avait des copies.

[22] Aucune réponse n’avait été reçue de la part de l’intimé à l’échéance du 18 octobre 2017 si ce n’est qu’une observation datée du 12 octobre 2017 soulignant que l’appelante avait seulement présenté des renseignements déjà au dossier. En fait, aucune réponse n’a été reçue à la date de cette décision.

[23] Lorsque des communications traitant des documents caviardés ont été échangées, l’appelante a aussi indiqué le 27 septembre 2017 qu’elle avait des problèmes cognitifs.

Observations

[24] L’appelante a soutenu être admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. Son invalidité est tant de nature physique que mentale et elle a beaucoup de difficulté à respecter des échéanciers et à comprendre des procédures.
  2. Elle a des problèmes de fonctions cognitives et elle ne peut se rappeler ce qu’elle a fait dans le passé.
  3. Elle a seulement travaillé pour gagner un peu d’argent, car elle était par ailleurs dévouée à soutenir, prendre soin et défendre les intérêts de ses enfants.

[25] L’intimé a déclaré que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. La preuve n’indique aucune pathologie ou déficience grave qui la rendrait invalide et incapable d’occuper tout type d’emploi en décembre 1999 et ensuite sur une base continue.
  2. Ses activités relatives au travail en 2008 et sa date prétendue de début d’invalidité de 2009 empêchent chacune de conclure à une invalidité.
  3. Ce ne sont pas tous les individus éprouvant un problème de santé ou des difficultés à trouver et à conserver un emploi qui ont droit à une pension d’invalidité.

Analyse

Critère juridique applicable pour une pension d’invalidité

[26] L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités ou selon le principe qu’il est plus probable que le contraire, qu’elle est devenue invalide tel que défini dans le RPC à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant celle-ci.

[27] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité. Une pension d’invalidité doit être payée à une cotisante qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne touche pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valables au RPC pendant au moins la PMA.

[28] Au titre de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Caractère grave

[29] La plupart des décisions relatives aux appels concernant les pensions d’invalidité du RPC suivent un modèle semblable. Le Tribunal analyse en premier la preuve documentaire (et, si une audience est tenue, toute preuve provenant de l’audience) pour déterminer si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave à la date de fin de la PMA ou avant cette date. Si ce critère est satisfait, le Tribunal évaluerait si la preuve appuie une conclusion que l’invalidité est aussi prolongée. Si l’invalidité satisfait tant les caractères grave que prolongée, la pension d’invalidité est accordée à l’appelante.

[30] Malheureusement, cette affaire particulière ne suit pas le modèle habituel. Le Tribunal a observé dès l’étape initiale qu’un nombre important d’éléments de preuve avaient été caviardés. À l’exception des renseignements à la page GD2-51, il semble que toute l’information caviardée a été présentée par l’appelante. De plus, il semble aussi que l’appelante ne possède plus de copies non caviardées des Pages Caviardées. Elle a tenté subséquemment de présenter des copies de ces pages au Tribunal, mais elle n’a en fait que présenté des copies des pages déjà caviardées.

[31] Le caviardage dans cette affaire a tout été fait par l’intimé. Toutefois, à l’exception de la page GD2-51, l’intimé a caviardé l’information sur les documents présentés par la partie adverse. Ce qui est le plus préoccupant, c’est la nature de l’information caviardée. Un des documents caviardés (à la page GD2-62) était une lettre manuscrite de l’appelante qui avait été jointe à son questionnaire relatif à l’invalidité. Un autre document caviardé (à la page GD2-74) était le rapport médical préparé spécialement par le médecin de l’appelant en appui à sa demande de pension d’invalidité du RPC. Ce caviardage n’est pas simplement accessoire : il est au centre de la demande de l’appelante et de l’appel qui en découle. Les autres passages caviardés (aux pages GD2-85 et GD2-88) sont moins difficiles à évaluer, mais ils étaient sur les rapports médicaux présentés en lien avec la demande d’invalidité de l’appelante.

[32] En raison de ce caviardage, le Tribunal est incapable de rendre une décision fondée seulement sur la preuve qui lui a été présentée. Il n’a simplement pas accès à toute la preuve que l’appelante a présenté. Comme cette information n’est pas disponible uniquement en raison des actions de l’intimé, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’appelante, le Tribunal doit déterminer s’il tirera une conclusion défavorable à l’endroit de l’intimé. Premièrement il serait toutefois utile d’examiner si le refus de l’intimé est justifié.

Le refus de fournir des copies non caviardées est-il justifié?

[33] L’intimé a une obligation juridique conformément à l’article 26 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS) de verser dans le dossier les documents pertinents à la révision de la décision. Ces documents étaient et continuent d’être en la possession de l’intimé. Le Tribunal a donné à l’intimé plusieurs occasions de réviser sa position relativement aux Pages Caviardées ou de présenter la jurisprudence qui appuyait sa position. En particulier, le Tribunal :

  1. a sollicité les copies non caviardées des Pages Caviardées dans une lettre datée du 19 avril 2017;
  2. a convoqué une réunion préaudience qui a finalement eu lieu le 1er juin 2017 et qui avait comme seul but de traiter du caviardage;
  3. a rendu une décision interlocutoire le 7 juin 2017 énonçant les préoccupations importantes du Tribunal relatives au refus persistant de fournir des copies non caviardées des Pages Caviardées;
  4. a suspendu l’appel pendant une période de trois mois pour permettre la présentation des copies non caviardées des Pages Caviardées ou de présenter des observations justifiant le refus persistant de l’intimé;
  5. dans une lettre datée du 14 septembre 2017, a accordé jusqu’au 18 octobre 2017 pour présenter les copies non caviardées des Pages Caviardées et a indiqué qu’une décision serait rendue après cette date.

[34] Plusieurs occasions ont été données à l’intimé de reconsidérer sa position. Il a aussi eu plusieurs chances de présenter des observations expliquant pourquoi il serait en droit de retenir de l’information qui avait été fournie par une partie dont les intérêts sont adverses. Il ne peut prétendre qu’il n’a pas eu la chance de réagir aux préoccupations du Tribunal. La seule autorité spécifique identifiée par l’intimé en appui à sa position était la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’intimé a dit qu’il considérait que toute l’information caviardée était des renseignements personnels d’une tierce partie et, par conséquent, elle devait demeurer caviardée conformément à l’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[35] L’article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels établit qu’une institution gouvernementale peut refuser de communiquer tout renseignement personnel demandé selon le paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui traite d’une personne autre que celle qui a fait la demande. L’article 26 énonce aussi que l’institution gouvernementale doit refuser de communiquer une telle information lorsque la divulgation est interdite selon l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n’est clairement pas exigé que l’intimé refuse de divulguer de l’information demandée conformément au paragraphe 12(1) : l’usage du mot « peut » accorde un pouvoir discrétionnaire à l’intimé. La seule contrainte existe lorsqu’une telle divulgation est interdite conformément à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[36] L’article 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels établit que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément à l’article 8 de la présente loi. Toutefois, le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels définit un nombre de situations où les renseignements personnels peuvent être communiqués. Comme noté par le Tribunal lors de la réunion en préaudience et dans sa décision interlocutoire du 7 juin 2017, les alinéas 8(2)a), b) et m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels semblent chacun permettre à l’intimé de communiquer l’information au Tribunal sans violer l’article 26 de cette loi.

[37] L’alinéa 8(2)a) de la de cette loi l’autorise à communiquer des renseignements personnels « aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins ». Ceci s’applique clairement à l’intimé : les renseignements caviardés ont été recueillis dans le but d’évaluer l’admissibilité de l’appelante à une pension d’invalidité. C’est exactement à cette fin que le Tribunal a demandé les renseignements caviardés.

[38] L’alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet la communication de renseignements personnels « aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication ». Une fois de plus, le Tribunal est une entité juridique chargée de trancher des appels traitant, entre autres, de l’admissibilité à des pensions d’invalidité du RPC. Des copies du dossier de l’intimé ont été demandées conformément à l’article 26 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale qui exige la communication de tout document pertinent à la décision (révision) de l’intimé. Bien que l’intimé puisse ne pas s’être spécifiquement appuyé sur les passages caviardés pour rendre sa décision, ceci ne signifie pas qu’ils ne soient pas pertinents. En effet, il est difficile d’imaginer comment un compte rendu dans les documents de la demande de l’appelant ou les propres mots de son médecin traitant du rapport médical à l’appui de la demande puissent ne pas être pertinents. De toute façon, le Tribunal ne peut évaluer la pertinence des renseignements caviardés, car l’intimé n’a pas permis au Tribunal de voir les renseignements caviardés.

[39] Finalement, l’alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet la communication de renseignements personnels pour toute fin où, de l’avis du responsable de l’institution gouvernementale, « des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée » ou « l’individu concerné en tirerait un avantage certain ». En l’espèce, les renseignements semblent liés (bien que le Tribunal, bien entendu, ne puisse en être certain) aux filles de l’appelante. Il serait raisonnable pour l’intimé de conclure qu’une divulgation complète des renseignements caviardés pourrait profiter à une ou à toutes les filles, particulièrement comme il a été suggéré que l’appelante a eu des obligations parentales particulières et prodigué de soins exceptionnelles pour ses enfants. De plus, l’intérêt public de la communication serait aussi une considération convaincante, car il y a un intérêt public dans l’examen juste des appels traitant des dispositions relatives aux pensions de la sécurité sociale.

[40] Néanmoins, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se fonder sur l’alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels aux fins de cet appel. L’alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’est simplement qu’une disposition législative sur laquelle il semble que l’intimé pourrait raisonnablement s’appuyer s’il avait communiqué les copies non caviardées des Pages Caviardées.

[41] Toutefois, les dispositions des alinéas 8(2)a) et b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels semblent avoir été adoptées aux fins expresses de permettre la communication dans des situations comme celle-ci. À la lumière de ces deux paragraphes, le prétendu recours de l’intimé à la Loi sur la protection des renseignements personnels semble tenir compte d’une vue incomplète de la loi applicable et des motifs d’une divulgation complète des renseignements caviardés au Tribunal. Le refus de l’intimé de fournir des copies des Pages Caviardées semble, par conséquent, injustifié.

[42] Le Tribunal a clairement établi dès le début qu’une conclusion défavorable pourrait être tirée si les copies non caviardées des Pages Caviardées n’étaient pas fournies. Le Tribunal doit maintenant considérer si une telle conclusion doit être tirée en l’espèce.

Conclusion défavorable

[43] Dans l’affaire Eli Lilly & Co. c. Nu-Pharm inc., 1996 1996 CarswellNat 2601, [1997] 1 CF3, (CAF), la cour a tiré une conclusion défavorable à l’endroit de la compagnie pharmaceutique lorsque celle-ci a refusé de fournir la preuve relative à ses processus manufacturiers, même si cette preuve était en sa possession. La cour a soutenu qu’une prétention de protection de secrets industriels n’était pas une explication raisonnable de ne pas divulguer la preuve; plutôt, la procédure correcte était de présenter la preuve à la cour et de demander une ordonnance de confidentialité. En l’espèce, l’intimé a refusé de verser au dossier des copies non caviardées des Pages Caviardées et il a aussi omis de demander une ordonnance de confidentialité. Il a simplement soutenu qu’il s’appuyait sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, malgré les multiples occasions qu’il a eu de répondre aux préoccupations du Tribunal.

[44] Dans d’autres affaires portant sur une conclusion défavorable potentielle, les critères dont l’organisme juridictionnel avait tenu compte incluaient de savoir si la preuve était importante, s’il était raisonnable de s’attendre à ce que la partie présente la preuve, si la preuve était exclusivement sous le contrôle de cette partie et si une explication raisonnable avait été donnée de ne pas fournir la preuve.

[45] En l’espèce, les documents identifiés par le Tribunal étaient importants à la question liée à l’invalidité. Plusieurs d’entre eux étaient des documents médicaux et l’intimé avait abordé l’évaluation médicale du diabète de l’appelante ainsi que d’autres problèmes de santé dans sa décision rendue lors de la révision. L’existence de documents médicaux complets est essentielle, car la fondation d’une conclusion d’invalidité grave et prolongée découlant d’une maladie mentale ou physique repose principalement sur les antécédents médicaux d’une appelante (voir l’affaire Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248, au paragraphe 50, ainsi que le paragraphe 68(1) du Règlement sur le Régime des pensions du Canada).

[46] Un autre document caviardé faisait partie de ceux joints à la demande de l’appelante où elle expliquait pourquoi elle devait recevoir des prestations d’invalidité. Il est difficile de concevoir qu’un document soit plus important que la lettre de l’appelante dans laquelle elle explique dans ses propres mots pourquoi elle croit être invalide.

[47] En plus d’être importantes, les Pages Caviardées ont été pour la plupart présentées par l’appelante : elle voulait clairement que les renseignements caviardés soient considérés par l’intimé et, ultimement, par le Tribunal. Il s’en suit qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que l’intimé fournisse cette preuve au Tribunal. Pour ce qui est de la seule page qui n’a pas été présentée par l’appelante, les renseignements caviardés étaient un résumé de l’intimé des renseignements fournis par l’appelante. Tous les éléments de preuve visés étaient uniquement sous le contrôle de l’intimé. Ses originaux, les copies non caviardées étaient entre les mains de l’intimé.

[48] Finalement, l’intimé ne semble pas avoir fourni une explication raisonnable de son refus de communiquer la preuve. Le Tribunal est convaincu que l’intimé, à la lecture complète de la loi applicable, n’était pas contraint à refuser la divulgation des Pages Caviardées. Il a pris la décision de le faire, malgré le fait qu’il ait été informé à plus d’une occasion des dispositions législatives lui permettant de faire une telle divulgation. De plus, le Tribunal ne peut pas s’appuyer sur les affirmations de l’intimé voulant que l’information non divulguée ne soit pas pertinente, si celui-ci ne fournit pas de copies non caviardées au Tribunal pour leur examen.

[49] Par conséquent, le Tribunal estime qu’il y a suffisamment de motifs pour conclure que l’intimé a omis de fournir les documents pertinents qu’il avait en sa possession et qu’il était dans l’obligation de verser au dossier dans un format non caviardé conformément à l’article 26 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. Dans les circonstances de cet appel, il est raisonnable de conclure que l’intimé ne pouvait maintenir sa décision lors de la révision et gagner à l’appel devant le Tribunal sans omettre de communiquer certains renseignements des Pages Caviardées. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée qui a commencé au plus tard le 31 décembre 1999.

Conclusion

[50] Le Tribunal estime que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en décembre 1999, car le Tribunal a conclu que la preuve non divulguée par l’intimé aurait appuyé le commencement d’une invalidité grave à la date de fin de la PMA de l’appelant ou avant le 31 décembre 1999. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) du RPC). La demande a été reçue en mai 2014; l’appelante est donc réputée être invalide depuis février 2013. Selon l’article 69 du RPC, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité réputée. Les paiements commenceront à partir juin 2013.

[51] L’appel est accueilli.

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