Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Introduction

[1] Le 28 février 2017, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada n’était pas payable. La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (demande) devant la division d’appel du Tribunal le 11 mai 2017. Le 12 mai 2017, le Tribunal a informé la demanderesse par écrit que sa demande était incomplète et que certains renseignements étaient requis pour que le Tribunal reconnaisse la demande comme complète. Le Tribunal a mentionné que si la demanderesse présentait les renseignements demandés au plus tard le 12 juin 2017, sa demande serait jugée complète et reçue en date du 11 mai 2017. Le 21 juin 2017, la demanderesse a présenté des renseignements supplémentaires au Tribunal. Le 13 juillet 2017, le Tribunal a reconnu la demande comme complète en date du jour de réception des renseignements manquants, c’est-à-dire le 21 juin 2017. Le Tribunal a mentionné que la demande semblait avoir été présentée en retard.

Question en litige

[2] La division d’appel doit décider si elle accorde une prorogation du délai prévu pour déposer la demande. Advenant la prorogation du délai, la division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès pour accorder la permission dans appeler.

Droit applicable

Prorogation du délai

[3] Conformément à l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), la demande de permission d’en appeler d’une décision de la division générale, section de la sécurité du revenu, est présentée à la division d’appel dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où la demanderesse reçoit communication de la décision.

[4] Conformément au paragraphe 57(2) de la LMEDS, la division d’appel peut proroger le délai pour qu’une demanderesse puisse déposer une demande de permission d’en appeler, mais en aucun cas une demande ne peut être présentée plus d’un an après la date à laquelle le Tribunal a communiqué sa décision à la demanderesse.

[5] La division d’appel peut donc accorder une prorogation du délai pour une demande qui a été présentée après le délai de quatre-vingt-dix jours, mais avant la fin du délai d’une année, conformément à la LMEDS. Il existe quatre critères qui doivent être pris en considération par la division d’appel dans le cadre d’une décision sur la prorogation du délai [voir Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883] :

  • Y a-t-il une intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  • La cause est-elle défendable;
  • Le retard a-t-il été raisonnablement expliqué;
  • La prorogation du délai cause-t-elle préjudice à l’autre partie.

[6] La prépondérance qu’il faut accorder à chacun des facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro variera selon les circonstances et, dans certains cas, d’autres facteurs seront pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation du délai servirait l’intérêt de la justice [voir Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204].

Permission d’en appeler

[7] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la LMEDS, il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[8] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Une cause défendable en droit est une cause qui a une chance raisonnable de succès [voir Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63].

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Observations

[10] La demanderesse n’est pas représentée devant la division d’appel. Elle soutient que sa demande a été présentée en retard parce qu’elle attendait l’obtention de documents de son physiothérapeute, et parce qu’elle avait d’abord présenté les mauvais documents au Tribunal en mai 2017.

[11] La demanderesse soutient que la division générale a commis une erreur de fait en concluant qu’elle pouvait accomplir un travail sédentaire, conformément à l’al. 58(1)c) de la LMEDS.

[12] Le 21 juin 2017, la demanderesse a présenté un document de la même date qui a été rédigé par un physiothérapeute. Le document présente diverses mises à jour quant au traitement et aux déficiences de la demanderesse, ainsi que certains arguments concernant une évaluation de la capacité fonctionnelle qui avait été présentée à la division générale (GD8-1 à 19) au moment de rendre la décision.

Analyse

[13] La décision de la division générale a été communiquée le 1er mars 2017 (date à laquelle la demanderesse mentionne avoir reçu la décision). Le Tribunal a jugé la demande complète en date du 21 juin 2017. La demande était complète plus de quatre-vingt-dix jours après la communication de la décision. La demande est tardive.

[14] La demanderesse a démontré une intention persistante de poursuivre la demande. Elle a présenté sa demande initiale selon le délai de quatre-vingt-dix jours. Lorsqu’on lui a demandé des renseignements supplémentaires pour compléter la demande, elle s’est exécutée. Elle avait dépassé de neuf jours seulement la période de grâce que le Tribunal lui avait accordée dans sa lettre du 12 mai 2017. La demanderesse n’est pas représentée et elle a agi de façon aussi diligente qu’il est raisonnable de s’y attendre [voir Caisse Populaire Desjardins Maniwaki c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1165].

[15] La demanderesse a raisonnablement expliqué le retard du dépôt de sa demande. Elle croyait avoir rempli un formulaire incorrect initialement (bien que le formulaire initial était en fait le bon formulaire). Le Tribunal l’a informée que des renseignements étaient manquants, et elle a entrepris les démarches pour rectifier ce problème. Elle avait un rendez-vous prévu avec un physiothérapeute et croyait que les renseignements qui en découleraient pourraient être bénéfiques à sa demande. La demanderesse a présenté des renseignements supplémentaires au Tribunal le même jour qu’elle a reçu l’information du physiothérapeute.

[16] La prorogation du délai ne causerait pas de préjudice au défendeur, étant donné la période de temps relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai.

[17] La cause est défendable. Ce seuil est très facile à atteindre. Une cause défendable dans le cadre d’une demande de prorogation du délai commande l’existence d’une chance raisonnable de succès [voir McKinney c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 409].

[18] Il est probable que la décision de la division générale contienne une erreur, conformément à l’al. 58(1)b) et/ou c) de la LMEDS. Dans son analyse, la division générale souligne que la demanderesse avait 54 ans au moment de l’audience, qu’elle avait fait des études secondaires et qu’elle possédait des antécédents professionnels dans le domaine de la restauration. La division générale souligne qu’il était mentionné dans l’évaluation de la capacité fonctionnelle qui est au dossier (GD8) que la demanderesse serait capable d’occuper un emploi sédentaire (paragr. 19). Au paragr. 20, la division générale a jugé que le médecin de famille de la demanderesse, Dr MacMillan, [traduction] « a souligné que l’appelante est incapable de travailler, mais la preuve au dossier n’appuie pas entièrement cette déclaration ». Le Tribunal conclut ensuite ce qui suit (au paragr. 26) [traduction] :

Le Tribunal reconnaît que l’appelante a des limitations en raison de son état de santé. Toutefois, compte tenu de son âge, de son éducation, de ses antécédents professionnels, de sa capacité à occuper un emploi sédentaire et de toutes les options de traitement qu’elle n’a pas encore utilisées, le Tribunal juge que l’appelante ne souffre pas d’une invalidité grave qui la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à ce jour, ou avant, et qui perdure.

[19] La division générale a conclu que la demanderesse avait la capacité d’accomplir un travail sédentaire. Il s’agit d’une question principale pour laquelle des éléments de preuve divergents existent. Le médecin de famille a indiqué que la demanderesse ne pouvait pas travailler, et que son état se détériorera si elle continue à se tenir debout, à marcher, à s’asseoir (paragr. 10 et 20). La preuve de la demanderesse concernait le fait de ne pas pouvoir s’asseoir pendant plus d’une heure et demie (voir paragr. 12). La décision de la division générale ne contient aucun effort exprimé de soupeser les éléments de preuve divergents par rapport à cette question principale afin de rendre une décision, selon la prépondérance des probabilités, sur la question de savoir si la demanderesse souffrait d’une invalidité grave au moment de l’audience. Le seul commentaire par rapport à la preuve du médecin de famille concernait le fait que la preuve opposée « n’appuie pas entièrement » cette déclaration. Aucune exigence ne prévoit que la preuve « appuie entièrement » la déclaration du médecin, mais la division générale se devait d’expliquer de quelle façon elle a soupesé la preuve et sa raison pour avoir préféré un rapport à un autre.

[20] La division générale doit analyser les éléments de preuve contradictoires pertinents et préciser les éléments de preuve qu’elle a écartés et ceux auxquels elle a accordé moins de poids, et expliquer pourquoi elle l’a fait [voir Atri c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 178; Canada (Procureur général) c. Ryall, 2008 CAF 164; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92]. La Cour fédérale a statué que la division générale commet une erreur de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance si elle ignore des éléments de preuve essentiels qui touchent l’essence de la demande de pension du demandeur (des éléments de preuve médicale à l’appui d’une invalidité grave) [voir Joseph c. Canada (Procureur général), 2017 CF 391].

[21] Le fait de ne pas apprécier un rapport médical et de préférer un rapport médical à un autre sans en fournir les raisons a été défini par la division d’appel comme une erreur potentielle mixte de fait et de droit [voir B.M. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 CanLII 60467 (TSS); B.M. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 111], ou comme une erreur potentielle de droit [voir S.N. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 991].

[22] Le caractère adéquat des motifs ne constitue pas en soi un fondement pour annuler une décision. Les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat [voir R. c. Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62].

[23] L’on peut soutenir que la division générale a omis de soupeser des éléments de preuve pertinents et d’expliquer convenablement pourquoi certains éléments de preuve ont été préférés.

[24] Puisque tous les facteurs de la décision Gattellaro sont observés (dont l’existence d’une cause défendable, facteur important en l’espèce), il est somme toute dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai. La prorogation du délai est donc accordée. Pour les mêmes motifs précédemment évalués (du paragr. 17 à 22), la demande présente une chance raisonnable de succès et elle est accueillie.

[25] Puisque la division d’appel/la demanderesse a identifié une erreur possible conformément au paragr. 58(1) de la LMEDS, la division d’appel n’a pas à tenir compte des autres motifs soulevés par la demanderesse à ce stade. Conformément au paragraphe 58(2) de la LMEDS, il n’est pas nécessaire d’examiner individuellement chaque motif d’appel pour les accepter ou les refuser [voir Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276]. La demanderesse n’est pas limitée dans sa capacité de poursuivre avec les moyens invoqués dans sa demande – sauf une exception.

[26] La demanderesse avait joint un nouveau rapport daté du 21 juin 2017 à sa demande. La division d’appel ne peut pas accorder la permission d’en appeler sur la base de nouveaux éléments de preuve et ne tient pas compte de nouveaux éléments de preuve en appel, sauf quelques exceptions limitées. Généralement, la division d’appel rend ses décisions sur le fondement de la preuve documentaire qui avait été présentée à la division générale [voir Mette v. Canada (Procureur général), 2016 CAF 276]. Aucune exception n’est applicable à la règle générale pour la présente affaire. Par conséquent, la division d’appel n’accepte pas le rapport du 21 juin 2017 dans la preuve de cet appel.

Conclusion

[27] La prorogation du délai est accordée, et la demande est accueillie. La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.