Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, R. D., maintenant âgée de 60 ans, est née au Brésil; elle y a terminé l’équivalent d’études secondaires et travaillé comme vendeuse et agente immobilière. Elle a immigré au Canada en 2001 et a trouvé du travail de femme de ménage. Elle venait tout juste de commencer un nouvel emploi comme aide à domicile quand elle a été impliquée en 2007 dans un accident de la route, dont elle s’est sortie avec des blessures au cou et au dos. Elle a plus tard reçu un diagnostic de fibromyalgie. Mis à part deux postes qu’elle a occupés brièvement, elle n’a pas travaillé depuis.

[3] En novembre 2013, madame R. D. a présenté une demande de pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande parce qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité « grave et prolongée » à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit en date du 31 décembre 2009.

[4] Madame R. D. a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal). Dans une décision rendue le 10 novembre 2016, la division générale a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer que l’état de santé de madame R. D. l’aurait empêchée de détenir une occupation véritablement rémunératrice durant la période pertinente. Elle a aussi conclu qu’elle avait une capacité résiduelle pour faire du travail sédentaire léger, malgré ses restrictions.

[5] En février 2017, madame R. D. a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Dans ma décision datée du 11 août 2017, j’ai accordé la permission d’en appeler uniquement pour le motif voulant que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit en négligeant d’appliquer Villani c. CanadaNote de bas de page 1 pour apprécier la gravité de son état.

[6] Après avoir examiné les observations présentées par les parties et le dossier concerné, j’arrive maintenant à la conclusion que la décision de la division générale ne peut être maintenue.

Question en litige

[7] Les questions sur lesquelles je dois statuer sont les suivantes :

Question 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’endroit de la division générale?

Question 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit du fait qu’elle a mal appliqué le critère « réaliste » de Villani pour apprécier la gravité de l’état de madame R. D.?

Analyse

Question 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’endroit de la division générale?

[8] Les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit, n’a pas observé un principe de justice naturelle, ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Note de bas de page 2 La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.Note de bas de page 3

[9] Jusqu’à récemment, il était convenu que les appels à la division d’appel étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 4. Si des erreurs de droit ou des manquements aux principes de justice naturelle étaient allégués, la norme applicable était celle de la décision correcte, témoignant d’une déférence moindre à l’égard d’un tribunal administratif de première instance. Si des conclusions de fait erronées étaient alléguées, la norme applicable était celle de la décision raisonnable, témoignant d’une certaine réticence à toucher aux conclusions de l’instance responsable d’instruire la preuve factuelle.

[10] Dans l’affaire Canada c. HuruglicaNote de bas de page 5, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Un tribunal doit d’abord se reporter à sa loi constitutive pour déterminer son rôle. Cette prémisse a amené la Cour à conclure que le critère approprié provient entièrement de la loi habilitante d’un tribunal administratif : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] ».

[11] Par conséquent, ni la norme de la décision raisonnable ni celle de la décision correcte ne sont appliquées à moins que ces mots, ou leurs variantes, figurent expressément dans la loi constitutive. En appliquant cette approche à la Loi sur le MEDS, on remarque que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, donnant ainsi à penser que la division d’appel ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale. Le mot « déraisonnable » n’apparaît nulle part à l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient en revanche les termes « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme le suggère l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé porte à croire que la division d’appel doit intervenir si la division générale fonde sa décision sur une erreur vraiment énorme ou contraire ou dossier.

Question 2 : La division générale a-t-elle mal appliqué le critère « réaliste » de Villani?

[12] Dans Villani c. Canada, la Cour d’appel fédérale a statué que l’invalidité doit être évaluée dans un contexte « réaliste », ce qui suppose de tenir compte de l’employabilité d’un requérant en fonction de son âge, de ses antécédents professionnels, de son niveau d’instruction et de ses aptitudes linguistiques. Le simple fait de citer Villani ne suffit pas; un décideur doit également montrer qu’il a véritablement essayé d’en appliquer les principes à la preuve dont il dispose.

[13] Madame R. D. soutient que la division générale a mal appliqué Villani puisqu’elle a conclu que son état ne correspondait pas tout à fait à une invalidité grave, malgré la preuve montrant que ses antécédents personnels nuiraient à sa capacité de se recycler ou de trouver un autre emploi. Plus précisément, madame R. D. conteste la conclusion de la division générale selon laquelle elle possédait [traduction] « des compétences transférables lui donnant la chance de trouver un autre emploi », alors qu’elle avait strictement travaillé en entretien ménager depuis qu’elle habitait au Canada. Elle a également souligné qu’elle avait 59 ans au moment de l’audience (52 ans à l’échéance de sa PMA) et qu’elle avait seulement appris l’anglais à l’âge adulte. Même si elle a reconnu qu’elle avait été capable de répondre à des questions en anglais durant l’audience, elle n’est pas d’accord avec ce qu’a laissé entendre la division générale, à savoir que ses aptitudes linguistiques étaient assez bonnes pour du travail administratif.

[14] J’estime que les observations de madame R. D. sont fondées. Même si la division générale a bien résumé la cause Villani au paragraphe 31 de sa décision, je constate qu’elle a commis une erreur mixte de fait et de droit dans la façon dont elle a appliqué cette cause pour apprécier l’expérience professionnelle de madame R. D. Au paragraphe 35, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

À 59 ans, en date de l’audience de l’appel, l’appelante approche la fin de sa carrière. Elle est allée à l’école au Brésil et a travaillé comme vendeuse durant les années où elle y a vécu. À son arrivée au Canada, l’appelante a trouvé du travail en faisant de l’entretien ménager et en aidant son époux avec les obligations entourant son église. Elle a fait savoir au Tribunal qu’elle avait suivi des cours d’anglais langue seconde lorsqu’elle était arrivée au Canada et elle a demandé de bénéficier des services d’un interprète durant l’audience de l’appel, mais le Tribunal a jugé que le niveau de l’appelante en anglais était très bon, et l’interprète n’a été que très peu sollicité durant l’audience. Le Tribunal a constaté que l’appelante est une personne intelligente qui comprend bien l’anglais et qui est capable de répondre à toutes les questions que lui a posées sa représentante. Le Tribunal a tenu compte des facteurs énoncés dans Villani et a déterminé que l’appelante possédait des compétences transférables lui donnant la chance de trouver un autre emploi; néanmoins, comme l’appelante a toujours travaillé en entretien ménager au Canada et compte tenu de ses symptômes, le Tribunal n’est pas certain qu’elle pourrait trouver un autre emploi à l’extérieur de sa région.

[15] Nous avons affaire à un cas où la division générale semble avoir compris les particularités du passé de madame R. D., mais en a ensuite tiré des conclusions indéfendables. Je reconnais qu’il appartient à la division générale d’apprécier la preuve et d’en tirer des conclusions, dans la mesure où elle respecte les paramètres du paragraphe 58(1) de la Loi sur me MEDS. Pour cette raison, j’estime que la division générale n’a pas apprécié l’anglais parlé de madame R. D. de façon « abusive » ou « arbitraire » ou « sans tenu compte des éléments ». Cependant, j’ai plus de difficulté avec la conclusion de la division générale selon laquelle madame R. D. avait des compétences transférables, conclusion qu’elle a tirée même si aucune preuve ne montrait qu’elle avait fait autre chose, depuis son arrivée au Canada, que différents emplois manuels non spécialisés. Même si elle avait occupé des emplois de vendeuse au Brésil, la nature exacte de ces emplois n’était pas claire, et on peut aussi présumer qu’elle travaillait alors dans sa langue maternelle. Au Canada, les compétences de madame R. D., telles qu’elles sont, la rendent seulement apte à occuper un sous-ensemble d’emplois pour lesquels ses déficiences sembleraient représenter un obstacle de taille. Même si les emplois peu rémunérés et peu spécialisés peuvent effectivement enseigner de précieuses leçons de vie en matière de ponctualité, de ténacité et de communication interpersonnelle, celles-ci ne sont pas des « compétences transférables » comme on l’entend habituellement dans le domaine de l’emploi.

[16] Comme la division générale a, à mon avis, tiré une conclusion abusive quant aux compétences transférables de madame R. D., son analyse selon Villani était, en dépit de ses bonnes intentions et du temps qu’elle a pu y consacrer, irrémédiablement entachée. De plus, après avoir conclu que madame R. D. était employable malgré ses déficiences, la division générale a contredit sa conclusion en exprimant un certain doute quant au fait que quiconque voudrait l’embaucher pour un « autre » emploi, ce que je présume être un poste sédentaire, ou moins exigeant, de nature administrative ou en vente.

[17] Pour les questions fait, un décideur mérite une certaine déférence; cependant, pas si la division générale se contredit, jetant ainsi le doute sur le raisonnement à la base de sa décision. Je suis convaincu que la division générale n’a pas évalué de manière réaliste les perspectives d’emploi de madame R. D., compte tenu de ses déficiences et de son parcours personnel.

Conclusion

[18] L’appel est accueilli. L’article 59 de la Loi sur le MEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une audience de novo soit tenue devant un membre différent.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience

Comparutions

Le 9 janvier 2018

Téléconférence

R. D., appelante

Italica Battiston, pour l’appelante

Stéphanie Pilon, pour l’intimé

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