Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée.

Introduction

[2] Il n’est pas contesté que la demanderesse souffre d’un important trouble bipolaire qui résiste fortement au traitement pharmacologique. Elle a cessé de travailler en mars 2013 et a présenté en mars 2016 une demande de pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC), mais sa demande a été rejetée par le défendeur, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre).

[3] Essentiellement, le ministre n’a pas évalué l’état de santé ou la déficience de la demanderesse. Le ministre a plutôt noté que la demanderesse recevait une pension de retraite du RPC depuis octobre 2014, et que le RPC ne permet pas à un individu de toucher à la fois une pension de retraite et une pension d’invalidité.Note de bas de page 1 De plus, comme la demande de pension d’invalidité de la demanderesse avait été reçue plus de 15 mois après le début du versement de sa pension de retraite, il n’était plus possible de convertir sa pension de retraite en pension d’invalidité.Note de bas de page 2

[4] La demanderesse a ensuite fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), qui a conclu que la preuve au dossier donnait à penser qu’elle pourrait avoir été frappée d’incapacité pendant au moins une partie du délai qui s’était écoulé entre le début du versement de sa pension de retraite et la date à laquelle elle a présenté sa demande de pension d’invalidité. La division générale a reconnu à juste raison que les dispositions dites « d’incapacité » du RPC pourraient être utiles à la demanderesse, comme elles permettent parfois de réputer une demande de pension d’invalidité avoir été faite à une date antérieure.Note de bas de page 3

[5] La division générale a donc tenu une audience par téléconférence, visant principalement à déterminer si la demanderesse pourrait avoir été frappée d’incapacité durant la période pertinente.Note de bas de page 4 La demanderesse et son psychiatre, le docteur Siddhartha, ont tous deux témoigné pendant l’audience.

[6] En fin de compte, la division générale a conclu qu’il était très difficile de remplir le critère juridique en matière d’incapacité et que la demanderesse avait seulement été capable de prouver qu’elle l’avait rempli pour la période allant du 6 au 19 janvier 2015. L’appel a été rejeté puisque cette période ne pouvait pas être utilisée pour réputer sa demande de pension avoir été reçue avant mars 2016.

[7] En juin 2017, la demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il fallait lui refuser la permission d’en appeler.

Analyse

Cadre juridique

[8] Le Tribunal est régi par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). La Loi sur le MEDS établit un certain nombre de différences importantes entre la division générale et la division d’appel du Tribunal.

[9] D’abord, la division générale est tenue d’examiner et d’apprécier l’ensemble de la preuve déposée, notamment les nouveaux éléments de preuve dont le ministre ne disposait pas au moment de rendre ses décisions antérieures. Contrairement à la division générale, la division d’appel ne peut habituellement pas examiner de nouveaux éléments de preuve, et elle se concentre plutôt sur des erreurs précises que la division générale pourrait avoir commises. Plus précisément, la division d’appel ne peut toucher à la décision de la division générale que s’il est établi que l’une ou l’autre des erreurs suivantes, prévues au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS (aussi appelées les « moyens d’appel »), a été commise :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Une seconde distinction fondamentale établie par la Loi sur le MEDS repose sur le processus en deux étapes que doivent suivre la plupart des appels interjetés devant la division d’appel :

  1. a) La première étape est la permission d’en appeler. Il s’agit d’une étape préliminaire qui vise à éliminer les causes qui n’ont aucune chance raisonnable de succès.Note de bas de page 5 À ce stade, les demandeurs n’ont qu’un critère juridique minimal à remplir : existe-t-il un motif défendable grâce auquel l’appel proposé pourrait avoir gain de cause?Note de bas de page 6
  2. b) Si la permission d’en appeler est accordée, la cause passe ensuite à la deuxième étape, soit l’appel sur le fond. C’est à l’étape de l’appel sur le fond que les appelants doivent démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la division générale a commis au moins l’une des trois erreurs possibles qui sont prévues au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. L’expression « plus probable qu’improbable » signifie que les appelants doivent remplir un critère juridique plus strict que celui de la première étape.

[11] Cet appel se trouve actuellement à l’étape de la permission d’en appeler, ce qui signifie que je dois chercher à savoir s’il existe un motif défendable grâce auquel l’appel proposé pourrait avoir gain de cause. C’est la demanderesse qui a la responsabilité de démontrer que ce critère juridique a été rempli.Note de bas de page 7

Y a-t-il des motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause? Non.

[12] La demanderesse n’a pas de représentant légal; elle souffre de dépression, est embrouillée et a de la difficulté à se concentrer, ce qui permet difficilement de comprendre ses arguments dans ce qu’elle tente d’avancer, notamment dans sa demande de permission d’en appeler (AD1). Le Tribunal lui a donc envoyé des lettres le 16 juin et le 24 octobre 2017, lui demandant de préciser ses moyens d’appel. Elle a répondu à ces lettres le 14 juillet et le 1er décembre 2017 (AD1A et AD1B).

[13] À plusieurs endroits, la demanderesse fait référence à un partage de crédits qu’elle avait demandé, puis annulé, puis demandé à nouveau. Cette question n’a pas été examinée par la division générale et j’ai moi aussi de la difficulté à comprendre son lien avec la question en litige. Voici les principaux arguments que semble avancer la demanderesse :

  1. Au moment où elle a présenté sa demande de pension de retraite du RPC, elle ignorait que sa demande de pension d’invalidité du RPC devait être faite au cours des 15 mois subséquents.
  2. Il existe d’autres preuves dont la division générale n’a pas tenu compte, puisqu’elle avait oublié qu’elle avait été suivie précédemment par des professionnels en santé mentale en Alberta.

[14] Même si je ne suis pas d’accord avec la façon dont la division générale a choisi de s’exprimer, elle a traité au paragraphe 41 de sa décision du manque de connaissance de la demanderesse quant à la disponibilité d’une pension d’invalidité du RPC. La demanderesse n’a pas soulevé un motif défendable grâce auquel cette portion de l’appel pourrait avoir gain de cause. En effet, la Cour d’appel fédérale a clairement établi que l’ignorance de la pension d’invalidité du RPC n’est pas considérée comme une incapacité (à savoir, le fait d’être incapable de formuler ou d’exprimer l’intention de faire une demande, conformément au paragraphe 60(9) du RCP).Note de bas de page 8

[15] En appui à son second argument, la demanderesse a déposé des notes cliniques des docteurs Berhe et Low (psychiatres), du docteur Miller (médecin de famille,  ainsi que de madame Page (infirmière psychiatrique autorisée), qui portaient toutes sur la période entre avril et octobre 2014 (AD1-7 à 18). La demanderesse a aussi fourni une lettre datée du 5 juin 2017 de son psychiatre actuel, le docteur Siddhartha, qui affirmait ceci (à AD1-19) : [traduction] « Je comprends que [la demanderesse] ne pouvait pas faire sa demande pour une pension d’invalidité du Canada entre 2014 et 2016. »

[16] Vu le rôle plutôt précis de la division d’appel, tel qu’énoncé au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, de nouveaux éléments de preuve ne sont habituellement pas pertinents dans le cadre de l’évaluation que la division d’appel doit mener. Bien qu’il existe des exceptions à la règle interdisant d’examiner de nouvelles preuves, aucune de ces exceptions ne s’applique aux faits de l’espèce, et je n’ai donc pas tenu compte de ces documents supplémentaires.Note de bas de page 9

[17] Qui plus est, la Cour d’appel a confirmé que la production de nouveaux éléments de preuve n’est pas en soi un motif qui justifie d’accorder la permission d’en appeler.Note de bas de page 10

Conclusion

[18] Même si j’ai beaucoup de compassion pour la demanderesse et que je doute fort peu qu’elle souffre d’un important trouble psychiatrique, j’ai conclu qu’elle n’a invoqué aucun argument qui corresponde à un motif grâce auquel l’appel proposé pourrait avoir gain de cause.

[19] Malgré tout, je tiens compte des décisions de la Cour d’appel fédérale dans laquelle celle-ci a fait savoir à la division d’appel qu’il lui faut aller au-delà des documents écrits et examiner si la division générale pourrait avoir mal interprété ou mal pris en considération certains éléments de preuve.Note de bas de page 11

[20] Après avoir étudié le dossier en cause, écouté l’enregistrement de l’audience et examiné la décision faisant l’objet de l’appel, je suis convaincu que la division générale n’a ni ignoré ni mal interprété un élément de preuve important. À mon avis, la division générale a correctement résumé les aspects clés de la preuve et expliqué pourquoi la demanderesse ne remplissait pas le critère juridique pour démontrer qu’elle avait été frappée d’incapacité, mis à part pour une courte période. J’ai cependant des réserves quant au choix de la division générale d’apprécier l’incapacité de la demanderesse sans que le ministre ait préalablement rendu une décision à ce sujet, et sans l’en avoir dûment avisé. Cela dit, mes réserves ne sont d’aucune aide à la demanderesse.

[21] Par conséquent, la demande de permission d’en appeler est rejetée.

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