Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimée, M. B. (anciennement H.), a travaillé dans le domaine des services alimentaires jusqu’en août 2012, moment où elle a cessé de travailler en grande partie en raison d’une douleur généralisée, de problèmes de santé mentale, d’étourdissements et de nausées. Elle prétend être atteinte de problèmes de concentration et de plusieurs limitations physiques, ce qui comprend la difficulté de demeurer en position assise pendant de longues périodes. L’intimée prétend être atteinte d’une invalidité grave. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en mars 2013.

[3] L’appelant, soit le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de pension d’invalidité de Mme M. B. Dans le cadre de l’appel, la division générale a conclu que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en août 2012, soit [traduction] « le moment où elle a cessé de travailler ». Cela était bien avant le 31 décembre 2015, soit la date à laquelle sa période minimale d’admissibilité a pris fin (la fin de la période minimale d’admissibilité correspond à la date la plus tardive à laquelle un prestataire doit être réputé être invalide).

[4] L’appelant a interjeté appel de la décision de la division générale en prétendant que celle-ci a commis une erreur de droit et qu’elle avait fondé sa décision sur des conclusions erronées. J’ai accordé la permission d’en appeler, car j’étais convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit. Aux fins de la demande de permission d’en appeler, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire que je tienne compte des autres erreurs qui auraient été commises par la division générale. Dans l’appel dont je suis saisie, je dois déterminer si la division générale n’a pas mené une analyse « réaliste » et si elle a fondé sa décision sur plusieurs conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[5] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. La division générale a-t-elle omis de mener une analyse « réaliste » établie dans l’arrêt VillaniNote de bas de page 1?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Moyens d’appel

[6] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] L’appelant soutient que la division générale a commis les erreurs prévues aux alinéas 58(1)b) et 58(1)c) de la LMEDS.

Analyse

Question 1 : La division générale a-t-elle omis de mener une analyse « réaliste » établie dans l’arrêt Villani?

[8] L’appelant fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en ne citant pas l’arrêt Villani et en ne menant pas une analyse « réaliste ». L’appelant fait valoir que la division générale n’a pas tenu compte de la situation particulière de l’intimée, comme son âge, son expérience professionnelle, son expérience de vie, son instruction et ses aptitudes linguistiques.

[9] Il a cité l’arrêt GarrettNote de bas de page 2, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

En l’espèce, la majorité n’a pas mentionné l’arrêt Villani et elle n’a pas effectué son analyse conformément aux principes qu’il consacre. Cela constitue une erreur de droit. Plus précisément, la majorité n’a pas fait état des éléments de preuve indiquant que les problèmes de mobilité de la demanderesse étaient aggravés par la fatigue et qu’il lui faudrait alterner les périodes où elle est assise et les périodes où elle est debout; des facteurs qui lui rendraient concrètement difficiles les emplois de bureau sédentaires ou de même type. Tel est le contexte « réaliste » de l’analyse exigée par l’arrêt Villani.

[10] Dans l’arrêt BungayNote de bas de page 3, la Cour d’appel fédérale a conclu que non seulement la Commission d’appel des pensions n’avait pas tenu compte de l’ensemble des différentes déficiences de Mme Bungay, mais elle avait également omis de tenir compte de son âge, de son instruction, de ses aptitudes linguistiques et de son expérience de vie dans son ensemble ou en détail. La Cour a souligné que le membre dissident a bien appliqué les directives énoncées quand elle a écrit ce qui suit : « Le critère établi dans l’arrêt Villani et la jurisprudence exigent que le tribunal et la Commission examinent l’état physique général de la personne. »

[11] Il est évident que la jurisprudence applicable de la Cour d’appel fédérale demande que la division générale effectue une analyse « réaliste » en tenant compte de la situation particulière de l’intimée en ce qui concerne son âge, ses aptitudes linguistiques, son instruction, ses antécédents professionnels et son expérience de vie.

[12] La division générale a tenu compte des multiples troubles médicaux, des antécédents en matière de traitement et des tentatives de retour au travail de l’intimée, et elle a fait allusion à l’âge, à l’instruction et aux antécédents professionnels de l’intimée, mais elle n’a pas tenu compte de la façon dont ces facteurs, combinés aux troubles médicaux, ont influencé sa capacité régulière de détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste ».

[13] L’appelant fait valoir que l’intimée a occupé plusieurs emplois, y compris celui de gérante dans une succursale de restauration rapide, et que, par conséquent, elle possédait une variété de compétences transférables et d’antécédents professionnels. L’appelant soutient que si la division générale avait tenu compte du fait que l’intimée possède des compétences transférables et des antécédents professionnels variés, elle aurait conclu qu’elle ne peut pas être atteinte d’une invalidité grave aux fins du Régime de pensions du Canada. Étant donné les antécédents professionnels et les compétences transférables de l’intimée, l’appelant fait valoir qu’il existe bien plus de possibilités d’emploi qui s’offrent probablement à elle que, par exemple, si elle avait des antécédents professionnels limités et peu de compétences transférables.

[14] L’intimée réplique qu’une partie de ses antécédents professionnels date d’il y a longtemps, qu’elle possède une éducation limitée au-delà des études secondaires et que ses problèmes de santé physique et mentale la rendent inemployable.

[15] Dans ma décision relative à la permission d’en appeler, j’ai cherché à savoir si l’arrêt Villani devait être interprété de façon restrictive afin d’exclure un requérant du bénéfice d’une pension d’invalidité, précisément dans une situation où le requérant (comme en l’espèce) pourrait autrement être déclaré admissible en l’absence de leur situation particulière. Après tout, au paragraphe 29, la Cour d’appel fédérale a conclu que le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada devrait faire l’objet d’une interprétation généreuse. La Cour a conclu que la signification des mots utilisés dans le sous-alinéa doit être interprétée de façon large et libérale, et que toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invalidité.

[16] L’appelant nie que l’application de l’arrêt Villani dans les circonstances est restrictive ou qu’il a omis de se conformer à l’approche dominante concernant l’interprétation « large et libérale » utilisée en l’espèce. L’appelant maintient qu’il ne s’agit pas d’une cause dans laquelle la division générale a soupesé l’ensemble des facteurs pertinents d’une analyse « réaliste » et résolu toute ambiguïté en faveur de l’intimée.

[17] Je conviens que l’approche relative à l’interprétation « large et libérale » en faveur d’un requérant doit être exercée dans une situation où il n’existe aucune ambiguïté dans la décision concernant l’admissibilité d’un requérant à une pension d’invalidité. Cependant, cela ne résout pas la question de savoir si l’approche « réaliste » s’applique dans une situation où il n’existe aucune ambiguïté dans la situation où la division générale a déjà conclu qu’un requérant est atteint d’une invalidité grave. En effet, l’arrêt Villani serait utilisé comme une épée afin d’exclure un requérant du bénéfice d’une pension d’invalidité. Cela semblerait aller à l’encontre de l’esprit de l’arrêt Villani, dans lequel la Cour d’appel fédérale a vite souligné que, au Canada, les tribunaux se sont montrés « soucieux de donner une interprétation libérale aux "lois à caractère social" ».

[18] Dans l’instance dont je suis saisie, la division générale a accordé une pension d’invalidité à l’intimée. Il ne s’agit pas d’une cause dans laquelle l’intimée doit se fonder sur une analyse « réaliste » afin d’être admissible à une pension d’invalidité.

[19] Cette situation est quelque peu semblable à l’arrêt GiannarosNote de bas de page 4, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que, étant donné que la Commission d’appel des pensions n’était pas convaincue que Mme Giannaros était atteinte d’une invalidité grave et prolongée, il n’était pas nécessaire d’appliquer l’approche « réaliste »Note de bas de page 5. Si je devais appliquer le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Giannaros, il ne serait donc pas nécessaire d’appliquer un critère « réaliste », car la division générale a déjà conclu que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[20] Cependant, comme la Cour d’appel fédérale l’a également déclaré dans l’arrêt Villani, aucune approche interprétative ne peut exclure les restrictions explicitement prévues dans une loi. Il est important de souligner qu’il a été noté que le critère de gravité comprend un élément d’employabilité, ce qui se produit dans le contexte des réalités commerciales et de la situation particulière d’un requérant. De ce point de vue, l’analyse réaliste établie dans l’arrêt Villani était inévitable. Étant donné que le critère de gravité comprend un aspect d’employabilité, un décideur est tenu de tenir compte de la situation particulière d’un requérant, y compris son instruction et ses antécédents professionnels. Cependant, cela ne donne pas à penser que, si la division générale avait effectué une analyse réaliste dans les circonstances de l’espèce et tenu compte de la situation particulière de l’intimée, ce qui comprend ses antécédents professions et ses problèmes de santé, il aurait été nécessairement conclu qu’elle était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[21] L’appelant m’a convaincue que l’omission par la division générale de mener une analyse réaliste constitue une erreur de droit.

Question 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[22] L’appelant soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu que l’intimée avait cessé de travailler en août 2012 et qu’elle a laissé entendre qu’elle avait travaillé pour la dernière fois en 2014, et ce, malgré le fait qu’elle avait échoué ses tentatives. L’appelant fait valoir que, au cours de l’audience, la division générale a tiré une conclusion erronée selon laquelle l’intimée n’a pas touché de gains en 2015.

[23] L’appelant soutient qu’il existe une preuve qui donnait à penser que l’intimée avait travaillé de façon continue depuis 2014 jusqu’à tout récemment en mars 2016, mais que la division générale a ignoré cette preuve après avoir conclu que, puisqu’aucun revenu n’avait été consigné pour 2015 dans le registre des gainsNote de bas de page 6, l’intimée ne pouvait possiblement pas avoir travaillé ou avoir touché des gains en 2015.

[24] L’appelant fait valoir que la division générale a commis une erreur en concluant que le registre des gains constituait une preuve concluante concernant les gains de l’intimée pour l’année 2015. L’appelant prétend que, étant donné que le registre des gains est produit à partir des renseignements figurant dans la déclaration de revenus, il ne comprenait pas la version actualisée des cotisations pour l’année 2015, puisque le registre avait été imprimé à la mi-janvier 2016 seulement.

[25] L’intimée reconnaît que, même s’il semble qu’elle pourrait avoir travaillé après 2014, cela s’est produit pendant quelques mois seulement et que, malgré cela, elle souffrait d’importantes douleurs pendant cette période. En raison de sa fibromyalgie, elle était incapable de se tenir debout et, lorsqu’elle retournait à la maison, elle devait se reposer et se coucher pendant le reste de la journée. Elle a été forcée de prendre des vacances et d’emprunter des congés de maladie. Elle était physiquement incapable de continuer d’occuper son emploi.

[26] Étant donné cela, je conviens que la division générale a commis une erreur à cet égard; elle s’est fiée de façon prématurée sur le registre des gains produit et imprimé le 12 janvier 2016.

[27] La seule preuve restante devant la division générale concernant le statut d’emploi de l’intimée pour 2015 était le témoignage de l’intimée et de son témoin. L’intimée et le témoin ont tous deux déclaré que celle-ci était retournée travailler [traduction] « jusqu’en marsNote de bas de page 7 ». Le témoin a ajouté [traduction] « de cette année », mais il n’est pas clair selon l’enregistrement s’il déclarait un fait ou s’il cherchait une précision de la part de l’intimée.

[28] Même si le témoignage de l’intimée et du témoin pourrait être clarifié, la division générale a commis une erreur en le rejetant immédiatement, puis qu’elle a laissé entendre après tout que l’intimée avait travaillé après 2014.

[29] Il est possible que, en retournant travailler en 2014 et en travaillant peut-être de façon continue jusqu’en mars 2016, et ce, malgré des vacances et des congés de maladie, l’intimée ait détenu ou ait été régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale n’a pas porté son attention sur cette question après avoir conclu à tort selon le dossier des gains que l’intimée n’avait pas travaillé de nouveau après 2014. La division générale a également omis d’aborder le témoignage de l’intimée et du témoin de celle-ci selon lequel l’intimée a continué de travail [traduction] « jusqu’en mars ». Cependant, cela ne donne pas à penser qu’il s’agissait d’une preuve concluante selon laquelle tout emploi après 2014 était véritablement rémunérateur, mais il existait une preuve d’emploi après cette date.

[30] La division générale a tiré une conclusion de fait selon laquelle l’intimée a travaillé pour la dernière fois en 2014. Cette conclusion a été tirée sans tenir entièrement compte de la preuve portée à sa connaissance, et il s’agissait d’un élément central de la décision de la division générale concernant la gravité de l’invalidité de l’appelant. Il s’agit d’une erreur aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[31] L’appelant prétend que la division générale a fondé sa décision sur plusieurs autres conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. L’appelant prétend que la division générale a également commis une erreur en concluant que la fibromyalgie à elle seule rendait l’intimée gravement invalide, et qu’elle a commis une erreur en concluant que ses problèmes de santé mentale étaient prolongés. L’appelant soutient que, dans son ensemble, les troubles de l’intimée ne peuvent pas satisfaire aux critères relatifs à la gravité et au caractère prolongé prévus par le Régime de pensions du Canada.

[32] Cependant, l’appelant m’a convaincue que la division générale a commis une erreur de la façon susmentionnée, et, par conséquent, il n’est pas nécessaire pour moi de tenir entièrement compte de ces autres allégations.

Conclusion

[33] Étant donné le fait que la division générale a omis de mener une analyse établie par l’arrêt Villani et le besoin de préciser la preuve, particulièrement en ce qui concerne le statut d’emploi de l’appelant, l’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à un autre membre de la division générale aux fins de réexamen.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience

Comparutions

Le 25 janvier 2018

Téléconférence

M. B., intimée

Al Burlock, représentant de l’intimée

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