Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, S. H., qui est âgée de 52 ans, détient un diplôme d’études secondaires et a suivi une formation d’un an en secrétariat. Elle a occupé des emplois variés au fil des ans, et son dernier comme vendeuse au détail dans une bijouterie. En juin 2013, elle a glissé et est tombée dans une épicerie, se blessant à la jambe gauche et au bas du dos. Elle n’a pas travaillé depuis et a reçu des diagnostics d’anxiété et de dépression.

[3] En mai 2014, madame S. H. a présenté une demande de pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a rejeté sa demande parce qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité « grave et prolongée » à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité, le 31 décembre 2015.

[4] Madame S. H. a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal). Après avoir tenu une audience par vidéoconférence, la division générale a rendu une décision en date du 10 novembre 2016, dans laquelle elle concluait qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves démontrant que l’état de santé de madame S. H. l’avait empêchée de détenir une occupation véritablement rémunératrice durant la période pertinente. La division générale a aussi conclu qu’elle avait conservé une capacité résiduelle pour faire du travail sédentaire plus léger et adapté à ses restrictions.

[5] En décembre 2016, la représentante légale de l’appelante, Bozena Kordasiewicz, a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel, alléguant, si j’ai bien compté, huit erreurs de fait et de droit commises par la division générale. Dans ma décision datée du 11 août 217, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai jugé que l’appel avait une chance raisonnable de succès d’après les arguments voulant que la division générale pourrait avoir (i) mal compris l’expérience de travail de madame S. H. et (ii) ainsi mal appliqué l’arrêt Villani c. CanadaNote de bas de page 1 pour évaluer la gravité de son état.

[6] Dans des observations datées du 26 septembre 2017,Note de bas de page 2 madame Kordasiewicz a contesté le fait que ma décision, au stade de la demande de permission d’en appeler, limitait la portée de l’appel dans son passage vers un appel sur le fond. Madame Kordasiewicz avait d’abord avancé huit motifs d’appel dans le cadre de la demande de permission d’en appeler, si j’ai bien compté, et même si j’ai traité de chacun d’eux dans ma décision relative à cette demande, j’ai jugé que seuls deux de ces motifs conféraient à l’appel une chance raisonnable de succès. Madame Kordasiewicz soutient que, même si j’ai conclu que les six autres motifs n’étaient pas fondés, elle devrait être autorisée à les défendre dans le cadre de l’audience de l’appel en bonne et due forme. Elle a essentiellement soutenu que la division d’appel n’a pas le pouvoir, en vertu de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), d’exclure certaines questions au stade de la demande de permission d’en appeler.

[7] Maintenant, après avoir examiné les observations des parties et le dossier concerné, je suis arrivé à la conclusion que la décision de la division générale doit être maintenue.

Questions en litige

[8] Les questions sur lesquelles je dois statuer sont les suivantes :

Question 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?

Question 2 : Dans quelle mesure la division d’appel est-elle habilitée à limiter les moyens d’appel au stade de la demande de permission d’en appeler?

Question 3 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en négligeant les six années, soit de 2003 à 2009, durant lesquelles madame S. H. avait été vendeuse dans une bijouterie?

Question 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit du fait qu’elle n’aurait pas bien appliqué le critère « réaliste » pour apprécier la gravité de l’état de madame S. H.?

Analyse

Question 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

[9] Les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit, n’a pas observé un principe de justice naturelle, ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Note de bas de page 3 La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.Note de bas de page 4

[10] Jusqu’à récemment, il était convenu que les appels à la division d’appel étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 5. Si des erreurs de droit ou des manquements aux principes de justice naturelle étaient allégués, la norme applicable était celle de la décision correcte, témoignant d’une déférence moindre à l’égard d’un tribunal administratif de première instance. Si des conclusions de fait erronées étaient alléguées, la norme applicable était celle de la décision raisonnable, témoignant d’une certaine réticence à toucher aux conclusions de l’instance responsable d’instruire la preuve factuelle.

[11] Dans l’affaire Canada c. HuruglicaNote de bas de page 6, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Un tribunal doit plutôt se reporter avant tout à sa loi constitutive pour déterminer son rôle. Cette prémisse a amené la Cour à conclure que le critère approprié découle entièrement de la loi habilitante d’un tribunal administratif :

L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] »

[12] Par conséquent, ni la norme de la décision raisonnable ni celle de la décision correcte ne sont appliquées à moins que ces mots, ou leurs variantes, figurent expressément dans la loi constitutive. En appliquant cette approche à la Loi sur le MEDS, on remarque que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, donnant ainsi à penser que la division d’appel ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale. Le mot « déraisonnable » n’apparaît nulle part à l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient en revanche les termes « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme le suggère l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé porte à croire que la division d’appel doit intervenir si la division générale fonde sa décision sur une erreur vraiment énorme ou contraire ou dossier.

Question 2 : La division d’appel est-elle habilitée à limiter les moyens d’appel au stade de la demande de permission d’en appeler?

[13] Dans la décision que j’ai rendue le 11 août 2017 relativement à la demande de permission d’en appeler, j’ai conclu que deux des huit motifs d’appel invoqués par madame S. H. avaient une chance raisonnable de succès :

[46] J’accorde la permission d’en appeler pour le seul motif que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en négligeant les six années durant lesquelles la demanderesse avait travaillé en vente au détail dans une bijouterie, de 2003 à 2009. J’estime qu’il est possible de plaider que ce malentendu, si c’est ce dont il s’agissait, pourrait avoir influencé l’évaluation qu’a faite la division générale des facteurs de Villani et de leur incidence sur l’employabilité de la demanderesse. En restreignant l’appel à ces deux moyens, je suis convaincu, comme l’exige Mette v. Canada, que leur nature est suffisamment distincte pour qu’ils soient tranchés séparément des motifs que j’ai écartés dans le cadre de la demande de permission d’en appeler.

[14] Madame Kordasiewicz soutient également, en se fondant sur Mette c. CanadaNote de bas de page 7, que la division d’appel ne peut pas, une fois qu’elle accorde la permission d’en appeler, limiter la portée de l’appel sur le fond et doit tenir une audience en bonne et due forme relativement à toutes les observations qui avaient été avancées au stade de la demande de permission d’en appeler.

[15] Dans l’arrêt Mette, la Cour d’appel fédérale a commenté la question de savoir si chaque motif doit être examiné dans le cadre d’un appel, ou si l’appel peut simplement être accueilli ou rejeté selon qu’il ait ou non une chance raisonnable de succès. Le juge Dawson s’est exprimé comme suit aux paragraphes 13 à 15 de cet arrêt :

[13] Un dernier commentaire vise l’observation du procureur général au sujet de la décision de la division d’appel de ne pas accorder la permission d’interjeter appel relativement à la question de savoir si la division générale avait conclu à tort que les éléments de preuve en cause n’étaient pas « nouveaux » suivant les critères juridiques applicables. Le procureur général fait valoir que la division d’appel a alors commis une erreur en tenant compte de ce moyen d’appel dans son examen au fond de l’instance et que, quoi qu’il en soit, cette conclusion privait d’objet l’appel interjeté à la division d’appel.

[14] Selon son interprétation du paragraphe 58(2) de la Loi [Loi sur le MEDS], la division d’appel pouvait examiner tous les moyens invoqués, parce que l’ordonnance autorisant l’appel ne visait pas uniquement les moyens offrant une chance raisonnable de succès. La décision précisait simplement que « [l]a demande de permission d’en appeler présentée devant la division d’appel est accueillie ».

[15] Lors de sa plaidoirie, le procureur général a soutenu, en s’appuyant sur le paragraphe 58(2) de la Loi, que la division d’appel devait refuser d’accorder la permission d’en appeler pour tout moyen qu’elle jugeait sans fondement. Toutefois, le paragraphe 58(2) porte que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». La disposition n’exige pas le rejet de moyens d’appel individuels. En effet, l’étroite corrélation entre les moyens d’appel peut rendre très difficile leur analyse distincte de sorte qu’un seul moyen valable serve de justification à la permission d’en appeler.

[16] Madame Kordasiewicz soutient que, depuis Mette, la division d’appel a respecté la loi et changé sa façon de faire, qui consistait avant à autoriser uniquement des observations portant sur les motifs d’appel qui avaient justifié l’agrément de la demande de permission d’en appeler. Madame Kordasiewicz a également fait référence à des décisions récentes de la division d’appel où celle-ci tente d’appliquer les principes de Mette, comme la décision Maunder c. MEDSNote de bas de page 8, dans laquelle Janet Lew a écrit ceci :

[12] Il est donc clair que les parties peuvent, en appel, invoquer de nouveaux moyens d’appel ou même des moyens d’appel qui n’avaient pas précédemment motivé l’octroi de la permission d’en appeler, pourvu que la décision accordant la permission d’en appeler ne soit pas précisément limitée aux moyens d’appel que l’on a jugé avoir une chance raisonnable de succès.

[17] Dans le même ordre d’idées, madame Kordasiewicz invoque S. F. c. CAECNote de bas de page 9, où Pierre Lafontaine, membre de la division d’appel, a écrit ce qui suit :

[25] Le Tribunal constate que la permission d’en appeler a été accordée au motif que le conflit entre les parties soulevait des questions relatives à l’interprétation qu’il faut donner aux articles 35 et 36 du Règlement.

[26] De plus, la décision accordant la permission d’en appeler ne précisait pas qu’elle était limitée aux moyens qui avaient été estimés avoir une chance raisonnable de succès. La décision indique seulement que la permission d’en appeler est accordée - Mette c. Canada (A.G.) 2016 CAF 276 (CanLII).

[27]   Le Tribunal se penchera donc sur tous les moyens d’appel invoqués par l’appelant. À l’audience, l’intimée s’est déclarée prête à procéder avec ces nouveaux moyens d’appel.

[18] Madame Kordasiewicz soutient que, notamment dans les causes susmentionnées, l’appel a été accueilli pour tous les moyens d’appel soulevés par l’appelant pourvu qu’un seul moyen était réputé avoir une chance raisonnable de succès. Elle souligne que l’affaire Maunder est même allée plus loin en permettant aux deux parties d’invoquer en appel de nouveaux motifs, qui n’avaient pas été considérés au stade de la demande de permission d’en appeler.

[19] Pour des raisons que j’ai expliquées durant l’audience, je me permets respectueusement d’être en désaccord avec madame Kordasiewicz à ce sujet. Je ne trouve rien, ni dans la loi ni dans la nouvelle jurisprudence, qui empêche la division d’appel de limiter la portée d’un appel, entre l’examen de la demande de permission d’en appeler et celui sur le fond de l’affaire. Selon moi, le processus relatif à la permission d’en appeler permet d’accroître l’efficience au sein de la division d’appel; c’est un moyen pour elle d’exclure les motifs futiles, ce qui lui permet de consacrer l’audience tout entière à des questions de fond.

[20] Madame S. H. est d’avis que, pourvu qu’un motif défendable soit avancé au stade de la demande de permission d’en appeler, tous les autres motifs, peu importe leur faiblesse, doivent également être instruits sur le fond. Autrement dit, madame S. H. semble soutenir que la division d’appel ne peut écarter un motif qui n’a aucune chance raisonnable de succès à l’étape de la demande de permission d’en appeler, à moins que tous les autres motifs soient, eux aussi, sans fondement. Selon elle, puisque j’ai conclu, au stade de la demande de permission d’en appeler, que certains de ses motifs étaient défendables, je dois lui permettre d’invoquer chacun de ses autres motifs allégués en appel, même si leur bien-fondé est lacunaire, et même si j’ai déjà pleinement déterminé pourquoi ils n’étaient pas fondés dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler.

[21] J’ai quelques observations à faire. Comparativement à la façon dont la division d’appel a traité Mette et les autres causes que madame S. H. a citées, j’ai explicitement et intentionnellement limité les moyens d’appel dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler. L’affaire Mette est un cas inhabituel, comme l’a noté Cour d’appel fédérale au paragraphe 17 de ses motifs, puisque ma collègue de la division d’appel a accordé la permission d’en appeler quant à la question de savoir si une demande visant à faire rouvrir une décision en raison de nouveaux éléments de preuve était frappée de prescription, et ce, même si elle était convaincue que la demande, en soi, n’avait aucune chance raisonnable de succès sur le fond. Elle a malgré tout accordé la permission d’en appeler sans restriction et a laissé la voie libre à d’autres arguments sur le fond pour les deux moyens, même si elle avait précédemment conclu qu’il fallait, en l’absence de faits nouveaux, et comme l’a plus tard dit la Cour d’appel, « rendre une décision défavorable au demandeur ». Le procureur général avait fait valoir que la division d’appel n’aurait pas dû examiner le bien-fondé de la demande relative aux faits nouveaux alors qu’elle l’avait déjà fait à l’étape de la demande de permission d’en appeler. C’est dans ce contexte très précis que la Cour a fait remarquer, comme l’a souligné madame S. H., que le paragraphe 58(2) « n’exige pas le rejet de moyens d’appel individuels. »

[22] Si le paragraphe 58(2) « n’exige pas » le rejet de moyens d’appel individuels au stade de la demande de permission d’en appeler, il n’interdit pas non plus cette mesure. Une lecture contextuelle du libellé utilisé par la Cour laisse entendre, contrairement à ce que prétend madame S. H., qu’elle tolérait qu’une décision finale soit prise quant aux motifs individuels à l’étape de la demande de permission d’en appeler. En effet, le but du paragraphe 17 est de reconnaître que la Loi sur le MEDS confère un pouvoir discrétionnaire à la division d’appel pour traiter les différents motifs comme elle le juge adéquat : si l’on paraphrase la Cour, les motifs peuvent parfois être en étroite corrélation de sorte qu’un seul moyen valable peut servir de justification à la permission d’en appeler. Le corollaire est que les motifs peuvent être suffisamment distincts sur le fond pour être tranchés séparément, que ce soit à l’étape de la demande de permission d’en appeler ou lors de l’appel sur le fond. En l’espèce, les deux motifs pour lesquels j’ai accordé la permission d’en appeler étaient interdépendants, et j’ai jugé que l’un d’eux ne pouvait faire l’objet d’une discussion sur le fond sans que l’autre se trouve impliqué. De plus, ces deux motifs pouvaient être différenciés et isolés des six autres motifs, que j’ai jugé être, tout compte fait, non fondés.

[23] Même si la Cour d’appel fédérale a conclu que le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS « n’exige pas le rejet de moyens d’appel individuels », la Cour n’a pas jugé que l’approche ciblée de la division d’appel, pour déterminer si les erreurs soulevées dans une demande de permission d’en appeler confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès, était inappropriée ou déraisonnable. La Cour a plutôt expliqué que les motifs d’appel peuvent parfois être en corrélation si étroite qu’il deviendrait très difficile de les analyser distinctement. La Cour a précisé qu’il serait suffisant, dans de tels cas, d’accorder la permission d’en appeler pour un moyen, plutôt que d’examiner sur le fond chacun des motifs individuellement.

[24] L’affaire qui nous occupe est différente de Mette, puisque plusieurs des erreurs invoquées dans la demande de permission d’en appeler de madame S. H. n’étaient pas en étroite corrélation. La division d’appel a écarté celles qui ne conféraient pas à l’appel une chance raisonnable de succès, et demandé des observations supplémentaires sur les erreurs qui, elles, lui conféraient cette chance. Dans des cas où les motifs sont distincts, comme ils le sont en l’espèce, il convient que la division générale limite la portée de l’appel au moyen regroupant les deux motifs pour lesquels la permission d’en appeler a été accordée.

[25] D’abord, dans l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires et de la justice naturelle, il est crucial que les parties puissent « présenter leur cause dans leur ensemble, connaître la cause pour laquelle elles doivent présenter leur défense et voir leur cause entendue par un décideur impartialNote de bas de page 10. » Cette notion est contenue à l’article 2 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, qui édicte qu’il doit être « interprété de façon à permettre d’apporter une solution à l’appel ou à la demande qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. » Le fait de permettre à un appelant de défendre à nouveau un moyen d’appel dans le cadre d’une audience irait à l’encontre de l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires et de la justice naturelle. Pour que la permission d’en appeler soit accordée, le motif d’appel soulevé doit représenter l’une des erreurs prévues au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et conférer à l’appel une chance raisonnable de succès. Il doit donc y avoir un motif défendable qui pourrait permettre à l’appel d’avoir gain de cause. Afin qu’un appel soit accueilli à la division d’appel, un appelant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de la division générale contient cette erreur. La norme applicable à l’étape de la demande de permission d’en appeler est considérablement inférieure à celle qui est appliquée une fois que cette permission est accordée. Par conséquent, si le motif n’a pas satisfait à un seuil inférieur de succès à l’étape de la demande de permission d’en appeler, réexaminer ce même motif en appel serait un gaspillage des ressources judiciaires. Si le motif ne confère pas à l’appel une chance raisonnable de succès, l’appel ne sera certainement pas accueilli sur ce fondement selon la prépondérance des probabilités. L’issue de l’appel sera la même, même si l’on entendait ce motif à nouveau durant l’audience.

[26] Ensuite, la division d’appel estdessaisieune fois qu’elle a statué sur la demande de permission d’en appeler. La Cour fédérale a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Canada c. O’keefeNote de bas de page 11 :

La Loi ne confère pas à la DA-TSS le pouvoir légal de porter en appel ou de réviser ses propres décisions finales et exécutoires concernant une demande de permission d’en appeler ni par l’entremise d’un autre mécanisme d’appel existant. En décidant d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler, la DA-TSS se trouve dessaisie à l’égard de cette décision en vertu de l’article 58 de la LMEDS.

[27] La division d’appel a conclu dans le passéNote de bas de page 12, en suivant le raisonnement exprimé par la Cour fédérale dans O’keefe, que les décisions relatives aux demandes de permission d’en appeler sont définitives et que le principe de dessaisissement s’applique. Permettre à un appelant de plaider à nouveau des motifs d’appel qui ont déjà été jugés ne pas avoir une chance raisonnable de succès reviendrait à rouvrir la décision relative à la demande de permission d’en appeler de la division d’appel. De plus, un appel à la division d’appel n’est pas l’occasion de contester la décision relative à la demande de permission d’en appeler qui a été rendue par la division d’appel. Si un appelant souhaite contester cette décision de la division d’appel, sa seule option est celle énoncée à l’article 58 [sic] de la Loi sur le MEDS, qui prévoit ce qui suit : « La décision du Tribunal à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente loi est définitive et sans appel; elle peut cependant faire l’objet d’un contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur les Cours fédérales. »

[28] En limitant cet appel aux motifs expressément énoncés dans l’avant-dernier paragraphe de la décision accordant la permission d’en appeler, je suis convaincu que je respecte les paramètres de l’article 58 ainsi que la directive de la Cour.

Question 3 : La division générale a-t-elle négligé les six années où madame S. H. a travaillé dans une bijouterie?

[29] Madame S. H. soutient que la division générale a ignoré son témoignage selon lequel elle avait travaillé chez Charm Diamond Centres pendant six ans, soit jusqu’en 2009. J’ai jugé qu’il était défendable d’affirmer que la division générale pourrait avoir présumé qu’elle avait occupé des postes administratifs durant ces six années, exagérant ainsi son expérience de col blanc et faussant le portrait de son employabilité.

[30] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, une conclusion de fait erronée n’est pas en soi une raison suffisante pour annuler une décision. La division générale doit également avoir fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée, et avoir tiré ladite conclusion « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. » Autrement dit, l’erreur doit être importante et flagrante.

[31] La division générale a écrit ce qui suit au paragraphe 12 de sa décision :

[traduction]

Elle a d’abord réintégré le marché du travail en occupant un poste de secrétaire, dans le cadre duquel elle tapait des procès-verbaux, puis a ensuite travaillé pour une bijouterie en 2009. Elle a témoigné qu’elle avait été renvoyée parce que son patron avait une aventure, ce qui avait rendu l’appelante anxieuse, et avait conduit son patron à mettre fin à son emploi.

[32] Ce passage donne à penser que madame S. H. aurait seulement travaillé dans une bijouterie pendant un bref laps de temps. Cependant, comme le confirme l’enregistrement audio de l’audienceNote de bas de page 13, elle a témoigné qu’elle avait travaillé chez Charm Diamond Centres de 2003 à 2009. La question est de savoir si la division générale a négligé les six années durant lesquelles madame S. H. avait travaillé en vente au détail chez Charm Diamond Centres et, si tel est le cas, de savoir si elle a présumé qu’elle avait occupé des postes administratifs pendant ces six ans, exagérant ainsi son expérience de col blanc et faussant le portrait de son employabilité.

[33] L’expérience de travail a effectivement joué un rôle important dans l’analyse de la division générale, particulièrement lorsqu’elle a dû évaluer ses déficiences en fonction de ses caractéristiques personnelles et de ses antécédents. La division générale s’est exprimée comme suit au paragraphe 46 de sa décision : « Elle a travaillé comme secrétaire et dans le commerce de détail, a vendu des systèmes d’eau à son compte, et a aussi aidé son époux avec son entreprise. »

[34] Après avoir examiné les observations des parties, je suis prêt à conclure que la division générale a effectivement commis une erreur de fait, mais je ne pense pas que celle-ci soit importante,à ni qu’on puisse la qualifier d’abusive ou d’arbitraire. Premièrement, la division générale a mentionné plusieurs facteurs sur lesquels elle avait fondé sa décision; non seulement son employabilité intrinsèque, mais aussi un manque relatif de constats médicaux « graves », des incohérences entre son témoignage et la preuve documentaire quant aux capacités fonctionnelles déclarées, le fait qu’elle n’avait pas cherché un autre emploi même si elle avait conservé une certaine capacité, et des indices laissant croire qu’elle ne s’était pas conformée aux soins médicaux recommandés.

[35] Deuxièmement, et plus important encore, même si la division générale a pu mal appréhender l’expérience de travail de madame S. H. comme employée de bureau, cette erreur portait sur l’ampleur de cette expérience, et non sur le type d’expérience dont il s’agissait. La preuve révèle qu’elle a effectivement suivi une formation de secrétaire et qu’elle avait travaillé dans ce domaine au début de sa carrière. Qui plus est, elle avait été rapporteuse de procès-verbaux en 2003, même si cela n’avait duré que peu de temps.

[36] Tout compte fait, je ne suis pas convaincu que la division générale ait fondé sa décision sur une conclusion voulant que madame S. H. avait plus d’expérience comme employée de bureau qu’elle n’en avait véritablement. Le membre de la division générale a noté son expérience de travail substantielle et variée — simplement en reflétant les faits avec exactitude. La division générale, à titre de juge des faits, mérite une certaine déférence, et il était défendable qu’elle conclue que madame S. H. possédait des qualités lui conférant une certaine valeur sur le marché du travail. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que ce que je considère comme étant une erreur factuelle mineure justifie d’infirmer une décision tout entière.

Question 4 : La division générale a-t-elle mal appliqué le critère « réaliste » de Villani?

[37] Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a statué qu’il faut, pour déterminer si un requérant est invalide, évaluer son état dans un contexte « réaliste », soit en tenant compte de son employabilité, eu égard à son âge, ses antécédents professionnels, son niveau d’instruction, et ses aptitudes linguistiques. Le simple fait de citer Villani ne suffit pas; un décideur doit aussi montrer qu’il a véritablement essayé d’en appliquer les principes à la preuve dont il dispose.

[38] Madame S. H. soutient que la division générale n’a pas bien tenu compte de ses facteurs conformément à Villani. Elle reconnaît que la division générale a bien cité Villani au paragraphe 45 de sa décision, et qu’elle avait noté des aspects de ses caractéristiques et de ses antécédents personnels, notamment son âge (50 ans, au moment de sa PMA), son niveau d’instruction (diplôme d’études secondaires et cours de six mois en secrétariat) et ses aptitudes linguistiques (l’anglais était sa langue maternelle). Cependant, elle prétend que la division générale a erré en concluant que [traduction] « rien ne donn[ait] à penser qu’il exist[ait] des obstacles cognitifs l’empêchant de se recycler ou de perfectionner son éducation pour améliorer ses compétences professionnelles. » Madame S. H. soutient que la division générale a ignoré son témoignage voulant qu’elle était incapable de se recycler ou de réintégrer le marché du travail dans le cadre d’un travail sédentaire en raison de ses tremblements, de son anxiété et de sa douleur au bas du dos et à la jambe gauche.

[39] Dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, j’ai clairement spécifié que je permettais à ce moyen d’appel d’être instruit simplement parce qu’il s’imbriquait dans l’allégation de madame S. H. voulant que la division générale s’était fait une fausse idée de son expérience professionnelle. Autrement dit, j’étais prêt à conclure que l’analyse basée sur Villani de la division générale pourrait avoir été entachée par une perception démesurée de l’expérience de madame S. H. comme secrétaire.

[40] Je ne pense pas que la perception visiblement erronée de la division générale, quant à l’expérience de travail de madame S. H., ait eu une incidence sur son évaluation de son employabilité. La division générale a, selon moi, au paragraphe 46 de sa décision, véritablement tenté de considérer les déficiences de madame S. H. à la lumière de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques et de son expérience de travail. Bien que madame S. H. puisse ne pas être d’accord avec sa conclusion, j’estime que la division générale n’a commis aucune erreur de droit dans la façon dont elle a mené son analyse.

Conclusion

[41] Madame S. H. ne m’a pas convaincu que la division générale aurait erré en concluant que son état ne correspondait pas à une invalidité grave. L’appel est donc rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience

Comparutions

Le 10 janvier 2018

Téléconférence

S. H., appelante

Bozena Kordasiewicz, pour l’appelante

Faisa Ahmed-Hassan, pour l’intimé

Philipe Sarrazin, pour l’intimé (observateur)

Marie-Andrée Richard, pour l’intimé (observatrice)

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