Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, B. S., a travaillé comme électricienne jusqu’en octobre 2013, alors qu’elle a cessé de travailler en raison d’arthrose dégénérative au dos, au cou, aux coudes et dans les membres supérieurs et inférieurs. Elle vit avec plusieurs limitations physiques graves, y compris la difficulté de rester assis ou debout pendant plus de cinq minutes et de marcher. Elle souffre aussi de dépression, et elle est atteinte de la maladie cœliaque et de dysphorie de genre ou trouble de l’identité sexuelle. Elle affirme qu’elle est atteinte d’une invalidité sévère et qu’elle est incapable de travailler depuis octobre 2013. À ce stade, elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[3] L’appelante a aussi présenté une demande de pension de retraite du Régime de pensions du Canada, qu’elle a commencé à recevoir en août 2014. Ainsi, l’appelante devra être réputée comme étant invalide avant que sa pension de retraite soit devenue payable.

[4] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de pension de l’appelante. L’appelante a interjeté appel de la décision de l’intimé devant la division générale dans laquelle il a déterminé que l’appelante ne souffrait pas d’une invalidité grave avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 juillet 2014 (la période minimale d’admissibilité correspond à la date la plus tardive à laquelle un appelant doit être réputé être invalide).

[5] L’appelante a interjeté appel de la décision de la division générale, en partie, alléguant qu’elle a commis une erreur de droit et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. J’ai accordé la permission d’en appeler, car j’étais convaincue qu’on a soulevé une cause défendable selon laquelle la division générale pourrait avoir mal interprété l’avis médical, daté du 14 janvier 2016, de docteur D.D. Smith, psychiatreNote de bas de page 1 (GD7-6). Dans l’appel en l’espèce dont j’ai été saisi, je dois déterminer la question à savoir si la division générale a mal interprété l’avis médical de docteur Smith.

Question en litige

[6] La question que je dois trancher est la suivante :

La division générale a-t-elle mal interprété l’avis du psychiatre daté de janvier 2016?

Moyens d’appel

[7] Les seuls moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] L’appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

La division générale a-t-elle mal interprété l’avis du psychiatre daté de janvier 2016?

[9] Dans son avis médical daté du 14 janvier 2016, docteur Smith note ce qui suit :

[traduction] « Je crois qu’en raison de ses troubles physiques multiples listés précédemment, [elle] ne peut pas reprendre son travail d’électricienne agréée. En raison d’autres problèmes de santé, un retour à d’autres occupations n’est pas possible non plus. Sa capacité fonctionnelle [la] classerait probablement à un niveau “sédentaire” d’exigence physique. Toutefois, une évaluation des capacités fonctionnelles serait nécessaire pour confirmer ceci de manière objective. »

[10] La division générale renvoie à l’avis médical du psychiatre au paragraphe 17 dans lequel elle écrit :

[traduction] « En janvier 2016, docteur Smith a affirmé qu’en raison de ses nombreuses limitations physiques, l’appelante ne peut reprendre son métier d’électricienne agréée et il serait irréaliste d’envisager un retour à d’autres occupations, mais une évaluation des capacités fonctionnelles la caractériserait à un niveau sédentaire d’exigence physique. »

[11] J’ai accordé la permission d’en appeler, car j’étais convaincue qu’il pourrait y avoir une cause défendable selon laquelle le psychiatre considéra, de manière générale, que puisqu’un retour à d’autres occupations n’était pas réaliste, l’appelante n’avait pas la capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Ainsi, bien que docteur Smith ait déterminé que l’appelante était probablement à un niveau « sédentaire » d’exigence physique, une évaluation des capacités fonctionnelles serait nécessaire pour le confirmer.

[12] Aucune preuve présentée devant la division générale ne fait état que l’appelante a subi une évaluation de la capacité fonctionnelle. Cependant, l’appelante note que sa psychologue, Kristina Hobson, n’était pas d’avis qu’une évaluation des capacités fonctionnelles serait bénéfique à ce stadeNote de bas de page 2. En effet, la psychologue croit qu’une combinaison de blessures et de facteurs de stress personnel contribuaient à l’incapacité de travailler de l’appelante. La psychologue écrit que [traduction] « sans autre évaluation, mon avis provisoire est que les traits de personnalité inadaptés de l’appelante, sa blessure chronique et ses problèmes de santé mentale comorbide se sont combinés et ont contribué à son invalidité actuelle. »

[13] J’ai exprimé quelques préoccupations selon lesquelles la division générale n’a pas concilié l’avis du psychiatre concernant le niveau d’exigence physique à l’observation du psychiatre faisant état que l’appelante souffre d’autres problèmes médicaux, dont les principaux sont les facteurs de stress psychologiques et la maladie cœliaque; cette maladie l’empêche d’être exposée aux produits contenant du gluten dans son alimentation et dans son milieu quotidien. En d’autres termes, bien qu’une évaluation de la capacité fonctionnelle puisse confirmer le niveau sédentaire d’exigence physique de l’appelante, elle a néanmoins été incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice à la fin de sa période minimale d’admissibilité en raison d’autres problèmes médicaux, dont les facteurs de stress psychologique et la maladie cœliaque.

[14] L’appelante n’a pas présenté d’observation écrite sur cette question, bien qu’elle fasse valoir que la division générale a erré en ne reconnaissant pas que son niveau « sédentaire » d’exigence physique équivaut à être considéré comme étant [traduction] « un fainéant ». Elle affirme que docteur Smith lui décrit de vive voix ce qu’il voulait dire par être au niveau « sédentaire », même si dernier ne l’ait pas documenté. Je partage l’avis de l’intimé selon lequel je suis limitée à considérer ce dont la division générale a été saisie. Rien ne démontre que la description du docteur Smith, selon laquelle être au niveau « sédentaire » équivaut à être [traduction]"un fainéant", ait été entendue par la division générale.

[15] L’intimé affirme qu’il est pertinent de déterminer lors de l’évaluation générale de la gravité de l’invalidité de l’appelante la question de savoir si la division générale a concilié les conclusions de docteur Smith concernant le niveau d’exigence physique perçu par l’appelante au fait que l’appelante a d’autres problèmes de santé. L’intimé fait valoir que l’avis du psychiatre daté de janvier 2016 n’est pas du tout pertinent au point de vue de l’évaluation de la gravité de l’invalidité de l’appelante avant la fin de la période minimale d’admissibilité, soit le 31 juillet 2014. À cet égard, je note que docteur Smith est aussi d’avis que la capacité fonctionnelle physique de l’appelante est réduite. Autrement dit, l’apparence physique de l’appelante en janvier 2016 s’est probablement détériorée depuis juillet 2014, et elle n’est plus représentative de ce qu’était sa condition à la fin de sa période minimale d’admissibilité.

[16] Bien que le psychiatre ait fait allusion au trouble de l’identité sexuelle de l’appelante (dans des rapports datés du 7 mars 2012Note de bas de page 3 et du 14 janvier 2016), un problème médical non physique ne s’inscrit généralement pas dans le champ d’expertise d’un psychiatre. Le psychiatre n’est pas en position d’offrir son avis sur des problèmes non physiques qui pourraient affecter l’appelante à la fin de sa période minimale d’admissibilité. Toutefois, la division générale était tenue de prendre en considération ces problèmes non physiques lors de l’évaluation de la gravité de l’invalidité de l’appelante, puisque certains éléments de preuve démontrent leur présence et ces problèmes auraient pu grandement ressortir dans l’apparence générale de l’appelante à la fin de la période minimale d’admissibilité.

[17] Je remarque que les dossiers médicaux suivants soumis à la division générale traitent de la dysphorie de genre et de problèmes de santé mentale dont est atteinte l’appelante :

  • Un rapport d’évaluation psychologique, daté du 16 février 2016, préparé par un psychométricien et un psychologueNote de bas de page 4. Des renseignements généraux ont démontré que l’appelante s’est présentée à plusieurs reprises à l’urgence pour des pensées suicidaires et des tentatives de suicide; elle a d’ailleurs été hospitalisée lors d’une de ces occasions. L’appelante a rapporté qu’elle a reçu un diagnostic de maladie cœliaque et que sa situation s’est aggravée en raison de l’exposition à la poussière de gluten en suspension émanant des matériaux de construction à son dernier lieu de travail. Les évaluateurs ont documenté l’historique de genre de l’appelante; à ce stade, elle a complété sa transition d’homme vers femme. Les évaluateurs ont déterminé qu’elle respecte maintenant les critères relatifs au diagnostic d’état limite, en plus de son diagnostic de longue date de dysphorie de genre. Elle rapporte avoir effectué plusieurs changements importants depuis février 2015 afin d’améliorer son mieux-être psychologique.
  • Un rapport d’évaluation psychologique, daté du 29 juillet 2015, préparé par Kristina Hobson, psychologueNote de bas de page 5. La psychologue a déterminé que l’appelante avait un historique de dysphorie de genre et de douleurs chroniques. Elle a éprouvé d’importants épisodes de trouble émotif et d’instabilité émotionnelle. La psychologue est d’avis que l’incapacité de l’appelante à contrôler ses émotions et sa grave méfiance dénotent des traits de personnalité inadaptés de longue date. La psychologue était d’avis qu’une combinaison de blessures et de facteurs de stress personnel contribuaient à l’incapacité de travailler de l’appelante.
  • Une lettre du travailleur social (estampillée le 17 février 2014Note de bas de page 6). La division générale s’y réfère et remarque que l’appelante a participé à 15 séances au centre Family Enrichment and Counselling Service afin d’améliorer sa santé physique et mentale. Le travailleur social écrit que l’appelante [traduction] « paraît abattue et démontre des symptômes de dépression » en lien avec son incapacité de travailler en raison de douleurs chroniques et de la maladie cœliaque. La division générale a remarqué au paragraphe 16 que l’appelante affirme avoir demandé au travailleur social de ne pas mentionner son trouble de l’identité sexuelle; au moment de la première rencontre avec le travailleur social, elle vivait alors une situation personnelle difficile en raison de son trouble de l’identité sexuelle.
  • Un rapport d’urologue daté du 7 décembre 2011. Ce rapport révèle que l’appelante a rapporté être aux prises avec le [traduction] « transgénérismeNote de bas de page 7 ».
  • Comme l’on noté les évaluateurs dans un rapport d’évaluation psychologique (GD9) daté de février 2016, la dysphorie de genre de l’appelante est bien documentée. Cependant, même si le rapport met en lumière les répercussions de la dysphorie de genre sur l’appelante, elle ne précise pas l’étendue de ces répercussions sur la gravité de l’invalidité de cette dernière, que ce soit seule ou conjointement avec les autres problèmes médicaux, à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date.

[18] En effet, comme le note l’intimé, l’appelante a réfuté le fait que son trouble de l’identité sexuelle a contribué à la gravité de l’invalidité. Dans son rapport d’évaluation psychologique daté de 215, la psychologue remarque que l’appelante a rapporté qu’elle traitait sa dysphorie de genre depuis plusieurs années et elle a [traduction] « réfuté que ce processus a contribué à son invalidité ou à son retour au travail. » La psychologue a conclu qu’en l’espèce, l’appelante a [traduction] « a travaillé tout en traitant son problème dans le passé, et ce, pendant plusieurs années avant de présenter sa demande d’invalidité ». De plus, dans le questionnaire à l’appui de sa demande de pension d’invalidité, l’appelante n’a pas mentionné qu’elle était atteinte de dysphorie de genre ou même que cela affectait sa capacité.

[19] La division générale a déterminé, essentiellement, qu’elle ne tiendrait compte d’aucune preuve médicale présentée à la fin de la période minimale d’admissibilité (autre que le rapport du psychiatre daté de 2016), puisque la preuve a été jugée impertinente. Cependant, omettre une telle preuve médicale comporte un certain risque, y compris celui de ne pas tenir compte d’avis d’experts. Un expert aurait pu suivre un prestataire sur une longue période ou avoir accès aux dossiers médicaux (qui n’ont potentiellement pas été présentés à la division générale), et par conséquent, il pourrait offrir un avis sur l’état de santé du prestataire à un moment précis.

[20] Par exemple, même si madame Hobson n’a pas rencontré l’appelante avant juillet 2014, elle remarque que cette dernière a un historique documenté de dysphorie de genre. Dans un même ordre d’idée, le psychométricien et l’autre psychologue ont aussi remarqué que la dysphorie de genre dont l’appelante est atteinte était bien documentée et que ses traits de personnalité inadaptés étaient de longue date. En d’autres mots, cela suggère que les problèmes liés à la dysphorie de genre étaient déjà présents à la fin de la période minimale d’admissibilité. Par conséquent, la division générale aurait dû traiter du trouble de l’identité sexuelle de l’appelante lors de l’évaluation de la gravité de l’invalidité, en plus des autres problèmes de santé dont elle s’est plainte.

[21] Bien qu’on ait noté que l’état de santé d’un prestataire doit être évalué dans sa totalité, et non pas uniquement sur ses incapacités principales, la division générale n’a pas mené d’analyse en lien avec le trouble de l’identité sexuelle de l’appelante, mettant plutôt l’accent sur ces troubles physiques et sur sa dépression.

[22] Même si la division générale n’a pas considéré les répercussions cumulatives du trouble de l’identité sexuelle de l’appelante sur la gravité de son invalidité, l’appelante n’a pas présenté, en aucun cas, suffisamment de preuve médicale devant la division générale pour démontrer que sa dysphorie de genre a eu assez de répercussions sur son invalidité au point que si tous ses problèmes de santé auraient été considérés de façon cumulative, elle aurait été réputée comme étant atteinte d’une invalidité grave au titre du Régime de pensions du Canada.

[23] À cet égard, l’appelante affirme que la preuve médicale est inexacte. Elle prétend aussi avoir été victime durant toute sa vie de discrimination grave et de mauvais traitement par les membres du réseau de la santé, surtout ceux qui sont transphobes. Elle souhaite discuter des enjeux liés à la discrimination et au mauvais traitement avec les politiciens provinciaux et fédéraux. Elle n’a pas révélé en quoi ces questions sont pertinentes à l’audience de la division générale ou à la décision de la division générale. Ces questions vont au-delà de mes compétences et ne constituent pas un des moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[24] En résumé, la division générale n’aurait pas dû omettre la preuve médicale datant d’après juillet 2014, surtout celle liée à la dysphorie de genre de l’appelante, à ses facteurs de stress psychologique et ses traits de personnalité inadaptés. Malgré cela, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer si ces problèmes médicaux auraient pu démontrer ou contribué à l’invalidité de l’appelante à la fin de la période minimale d’admissibilité.

Conclusion

[25]  Bien que la division générale n’a pas considéré la dysphorie de genre de l’appelante, ses facteurs de stress psychologique et ses traits de personnalité inadaptés lors de son évaluation de la gravité de l’invalidité, l’appelante ne m’a pas convaincu que la division générale disposait de suffisamment d’éléments de preuve médicale pour démontrer que sa dysphorie de genre a eu assez de répercussions sur son invalidité au point que si tous ses problèmes de santé auraient été considérés de façon cumulative, elle aurait été réputée comme étant atteinte d’une invalidité grave au titre du Régime de pensions du Canada. Dans cette perspective, on ne peut pas dire que la division générale a erré dans son résultat. Ainsi, l’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 22 janvier 2018

Téléconférence

B. S., appelante
Natalie Pruneau (parajuriste), représentante de l’intimé
Dale Randell (avocat), représentant de l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.