Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Introduction

[1] Le 16 mai 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada a conclu qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) n’était pas payable. L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel du Tribunal, laquelle a été reçue le 19 juillet 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 3 août 2017.

[2] Cet appel a été tranché sur la foi du dossier pour les motifs suivants :

  1. Le membre a déterminé qu’il n’est pas nécessaire de tenir une nouvelle audience.
  2. L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  3. L’intimé a demandé que l’appel soit instruit par écrit en fonction de l’information au dossier et l’appelante n’a pas déposé d’observation concernant le mode d’audience.

Moyens sur lesquels la permission d’en appeler a été accordée

[3] Le représentant de l’appelante a soutenu que la division générale a erré en droit. Le représentant fait valoir qu’en ne tenant pas compte des caractéristiques personnelles de l’appelante, telles que l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie, la division générale a erré en ne considérant pas de façon appropriée la capacité de l’appelante de détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste » comme il est décrit dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.

[4] La décision relative à une demande de permission d’en appeler fait état que l’arrêt Villani n’est pas cité. Toutefois, certains critères mentionnés et énoncés comme critère du contexte « réaliste » dans l’arrêt Villani ont été notés dans la décision et il n’est pas nécessaire de citer l’arrêt Villani, mais une analyse examinant ces critères est nécessaire. On a déterminé à l’étape de la demande de permission qu’il se pourrait que l’analyse menée dans l’arrêt Villani soit insuffisante et j’étais convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès. Bien que d’autres motifs furent soulevés, il n’est pas nécessaire que je me penche sur chacun des arguments formulés par l’appelante dans le contexte d’une demande de permission d’en appeler, car on peut accorder la permission d’en appeler sur le motif d’un seul moyen d’appel.

Question en litige

[5] La division d’appel doit déterminer si la division générale a erré en droit. La division générale a-t-elle appliqué correctement l’arrêt Villani en déterminant que l’appelante n’était pas invalide au sens du RPC à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date, soit le 31 décembre 2014?

Observations

[6] L’appelante soutient que la division générale n’a pas évalué correctement sa capacité de performer, d’être productive et d’offrir un bon rendement dans n’importe quel type d’emploi. L’appelante fait aussi valoir que sa capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice n’a pas été évaluée dans un contexte « réaliste » comme le prescrit l’arrêt Villani. De plus, elle prétend qu’on n’a pas tenu compte des [traduction] « restrictions permanentes » en examinant ses tentatives de travail.

[7] L’intimé soutient que le membre de la division générale, même s’il n’a pas cité précisément l’arrêt Villani, s’est attardé aux critères énoncés dans l’arrêt Villani en évaluant le dossier de l’appelante. L’intimé remarque que les paragraphes 8 à 12, 15, 30, 33, 39, 47 et 48 traitent de l’âge de l’appelante, de son niveau de scolarité et de ses antécédents de travail. Dans ses observations, l’intimé affirme que la division générale a apprécié la preuve et puisqu’on a déterminé que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée, elle n’était pas tenue d’évaluer la capacité de l’appelante dans un contexte « réaliste » (T.B. v. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 233, paragr. 17; Giannaros c. Canada (Ministre du Développement social), 2005 CAF 187, paragr. 14-15).

[8] En outre, l’intimé soutient que l’appelante avait la capacité de travailler, car elle a repris le travail après sa chirurgie en janvier 2013 et a travaillé jusqu’en octobre 2014, et qu’elle n’a pas déployé d’effort pour trouver un autre emploi depuis sa cessation d’emploi en octobre 2014. L’intimé fait valoir que cela ne constitue pas une tentative ratée de retour au travail.

Rôle de la division d’appel

[9] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) énonce les pouvoirs de la division d’appel. La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[10] La Cour d’appel fédérale a maintenu dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, [2016] 4 RCF 157, 2016 CAF 93, que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser les normes de contrôle qui ont été conçues pour les cours d’appel. Il faut plutôt se fier au libellé de la loi.

[11] Au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Par conséquent, pour déterminer s’il y a erreur de droit ou manquement de principe naturel, l’arrêt Huruglica suggère que ces mots démontrent que le législateur ne souhaitait donner aucune déférence à la division générale. Toutefois, en opposition, en ce qui a trait aux faits, le critère renferme un libellé précis qui guide la division d’appel : « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. » Cela suggère que la division d’appel doit uniquement intervenir lorsque l’erreur est assez grave ou en contradiction avec le dossier.

Analyse

[13] Au paragraphe 38 de l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit :

Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[14] La décision de la division générale ne cite précisément pas l’arrêt Villani, mais on y énonce les critères pertinents sous la rubrique consacrée à la preuve. Dans les paragraphes 8 à 12, le membre de la division générale fait référence à l’âge de l’appelante et à son niveau de scolarité, et cite la plupart de ses antécédents de travail, y compris sa participation à un programme de recyclage. Le paragraphe 15 de la décision de la division générale fait aussi état de la présence de l’appelante à un programme de rattrapage scolaire.

[15] L’intimé a remarqué que les critères énoncés dans l’arrêt Villani sont aussi discutés aux paragraphes 30, 33, 39, 47 et 48. Après révision de ces paragraphes, il est évident qu’on y réitère la preuve soulevée aux paragraphes 8 à 12 de la décision de la division générale, mais ils ne fournissent pas d’élément d’analyse supplémentaire relativement aux répercussions de l’âge de l’appelante, de son niveau de scolarité, de ses aptitudes linguistiques et de ses antécédents de travail et son expérience de la vie dans sa capacité de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice.

[16] La majeure partie de l’analyse de la division générale fournit un sommaire de la preuve médicale, et sans tirer de conclusion relativement à la capacité de l’appelante de détenir une occupation, on examine sa tentative ratée de travailler (voir paragraphes 38 à 52). L’arrêt Villani énonce que les circonstances personnelles de l’appelante sont pertinentes pour déterminer si elle a conservé la capacité de travailler. L’analyse était incomplète. Même si la division générale a examiné les tentatives de travail de l’appelante (Inclima c. Canada (Procureur général), CAF 2003 117), cette étape aurait été entreprise sans mener une analyse complète préalable de l’arrêt Villani.

[17] L’intimé cite les décisions T.B. v. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 233, paragr. 17, et Giannaros c. Canada (Ministre du Développement social), 2005 CAF 187, paragr. 14-15, en appui de son argument selon lequel l’analyse de l’arrêt Villani n’est pas nécessaire. Selon les faits, ces affaires sont différentes de celle en l’espèce. Dans la décision T.B. v. Ministre de l’Emploi et du Développement social, mon éminent collègue conclut que la division générale n’a pas mené une analyse de l’arrêt Villani, mais qu’on en avait discuté, car l’appelant aurait tout de même été réputé comme étant invalide au titre du RPC, [traduction] « étant donné que la division générale a déterminé que son état de santé est demeuré inchangé entre le moment où il a perdu son emploi et la fin de sa période minimale d’admissibilité. » (paragraphe 17) Il semble que dans la décision T.B., l’appelant n’a souffert de maux de dos qu’à la fin de sa PMA, ce qui rendait l’analyse de l’arrêt Villani inutile. En l’espèce, la dernière période d’emploi de l’appelante a pris fin en octobre 2014 et sa PMA a expiré le 31 décembre 2014. Bien que la division générale émet des commentaires sur l’absence de preuve durant cette période, la preuve de l’appelante démontre que les changements à son état de santé sont survenus avant la fin de sa PMA.

[18] En ce qui concerne la décision rendue dans l’arrêt Giannaros, la Cour fédérale d’appel remarque que l’analyse de l’arrêt Villani n’était pas nécessaire, car l’appelante n’a pas déployé d’effort raisonnable pour participer aux nombreux programmes et traitements recommandés par certains médecins consultés. En l’espèce, la division générale n’a pas tiré de conclusion concernant le respect des recommandations relatives au traitement par l’appelante. La division générale remarque que le traitement était conservateur, mais elle n’a pas conclu que l’appelante a décliné plusieurs traitements recommandés. Si la division générale avait tiré des conclusions concernant le respect des recommandations relatives au traitement par l’appelante, j’aurais déterminé que l’arrêt Giannaros était applicable. Cependant, en raison de l’absence de conclusion, l’arrêt Giannaros s’avère différent de la cause en l’espèce.

[19] L’intimé fait valoir que même si l’arrêt Villani n’a pas été précisément cité, plusieurs paragraphes de la décision de la division générale énoncent correctement les circonstances personnelles de l’appelante et que ces facteurs sont pris en considération lors de l’analyse du contexte « réaliste ». Je ne suis pas d’accord. Les caractéristiques personnelles de l’appelante ont été énoncées, mais l’absence d’analyse sur ces critères a eu des répercussions sur les circonstances propres à l’appelante. Cela ne signifie pas nécessairement que l’appelante serait réputée comme étant invalide au titre du RPC, mais plutôt, que sans analyse adéquate, il est difficile de déterminer si la division générale a rempli adéquatement son mandat. Je ne suis pas convaincue que la division générale a effectué une analyse du contexte « réaliste » de l’appelante avant de rendre sa décision.

[20] Dans l'arrêt Garrett c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 84, la Cour d’appel fédérale a établi qu’un manquement à citer ou à mener une analyse conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Villani, précité constitue une erreur de droit. La Cour a ajouté ce qui suit :

[3] En l’espèce, la majorité n’a pas mentionné l’arrêt Villani et elle n’a pas effectué son analyse conformément aux principes qu’il consacre. Cela constitue une erreur de droit. Plus précisément, la majorité n’a pas fait état des éléments de preuve indiquant que les problèmes de mobilité de l’appelante étaient aggravés par la fatigue et qu’il lui faudrait alterner les périodes où elle est assise et les périodes où elle est debout ; des facteurs qui lui rendraient concrètement difficiles les emplois de bureau sédentaires ou de même type. Tel est le contexte « réaliste » de l’analyse exigée par l’arrêt Villani.

[21] Citer de simples caractéristiques personnelles n’est pas suffisant. La division générale n’a pas mené une analyse adéquate des critères énoncés dans l’arrêt Villani relativement à la capacité de l’appelante de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. En vertu de l’arrêt Garrett, cela constitue une erreur de droit.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli.

[23] Le dossier est renvoyé à la division générale pour un nouvel examen conformément à l’article 59 de la Loi sur le MEDS.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.