Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Decision and reasons

Introduction

[1] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) a déterminé qu’une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) était payable à l’intimée. La division d’appel du Tribunal a accordé la demande de permission d’en appeler du ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre).

[2] La représentante du ministre a fourni ses observations écrites. L’intimée n’a présenté aucune observation, et la date limite est dépassée.

[3] L’appel est tranché sur la foi du dossier. Il n’est pas nécessaire de tenir une audience comme aucun témoignage ne doit être livré, et les deux parties ont eu l’occasion de soumettre des observations écrites. Cette façon de procéder est conforme à l’obligation du Tribunal, qui est de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[4] Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Analysis

[5] L’un des moyens d’appel autorisé, prévu à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), est que la division générale « a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Je suis d’accord avec l’observation de l’appelant voulant que le libellé de l’alinéa 58(1)c) exige, de la part de la division d’appel, une certaine déférence relativement aux erreurs de fait (Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93). Pour que l’appel puisse être accueilli sur ce motif, la conclusion de fait attaquée doit non seulement être matérielle (« a fondé sa décision sur ») et être inexacte (« erronée »), mais il faut également que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l’arrêt Hussein c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1417, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit : « Une partie essentielle de la mission et des compétences du TSS- DG [la division générale] consiste à évaluer les éléments de preuve et ses décisions appellent une déférence considérable. »

[6] En l’espèce, le ministre fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées en se fondant sur deux motifs :

Le TSS-DG a conclu à l’invalidité de l’intimée en l’absence de preuve médicale objective. En effet, les allégations de fibromyalgie et de fatigue chronique n’étaient appuyées par aucune preuve documentaire valable et ont étés établies que par du ouï-dire.

Aussi, le TSS-DG n’a pas tenu compte d’une preuve contraire à sa conclusion et n’a pas fourni de justification pour l’écarter. En effet, l’intimée a reçu des prestations régulières d’assurances-emploi après la date du début d’invalidité, ce qui présume de sa capacité à travailler.

Preuve médicale objective

[7] La division générale a accepté les diagnostics de fibromyalgie et de fatigue chronique en se fondant sur le rapport médical de l’infirmière praticienne, dont voici un extrait :

Diagnostic(s) : - fibromyalgie - syndrome de fatigue chronique

Antécédents médicaux pertinents/importants reliés à l’état pathologique principal :

Since 27 years old

  • dx by Dr Byron Hyde for chronic fatigue in ~ 1986-1987 (seen in Ottawa)
  • dx by Dr René Laflèche for fibromyalgia in ~ 2008 (seen in Geraldton)

Veuillez décrire les observations physiques et les limitations fonctionnelles pertinentes :

  • fatigue
  • ↓énergie
  • Douleur épaules, cou, main
  • Force↓ M.S. & M.I.

Pronostic au sujet de l’état pathologique principal du patient :

  • Condition chronique
  • Incapacités permanente[s] ne pouvant plus travailler (= invalide)

[8] Le ministre prétend que cette preuve, en l’absence de rapports précédents, n’est pas valable :

Bien qu’il ait été fait mention d’un diagnostic de fatigue chronique établi par Dr. Byron Hyde en 1986 et d’un diagnostic de fibromyalgie du Dr. René Laflèche en 2008, aucun rapport préparé par lesdits médecins n’a été produit. Le témoignage de l’intimée et la mention faite par une infirmière praticienne dans un rapport de 2015 ne peut suffire pour établir la preuve médicale objective requise pour démontrer que l’intimée souffrait de ces conditions en 1986 et 2008.

[…]

Le TSS-DG a tenu compte du rapport de l’infirmière praticienne préparé en 2015 dans sa conclusion d’invalidité. Or, bien que ledit rapport mentionne des diagnostics de fibromyalgie et de syndrome de fatigue chronique, ils ne sont aucunement appuyés par des tests appropriés ou des opinions de spécialistes. De plus, le rapport indique qu’aucune autre consultation ou évaluation médicale en rapport avec l’état pathologique principal de l’intimée n’était prévue.

[…]

En l’absence de preuve médicale objective valable, le TSS-DG a fondé sa décision sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire.

[9] J’en conviens avec le ministre que la jurisprudence établie qu’une preuve médicale objective doit être produite pour démontrer l’invalidité (Warren c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 377). Cependant, je suis en désaccord avec la proposition qu’un rapport médical d’une infirmière praticienne, sans copies de rapports précédents, ne constitue pas une preuve médicale objective.

[10] L’adjectif « objectif » veut dire « dont la réalité s’impose à l’esprit indépendamment de toute interprétation » et « que ne fait pas intervenir d’éléments affectifs, de facteurs personnels dans ses jugements »Note de bas de page 1; il a le sens opposé au mot « subjectif ». Dans le domaine de la médecine, « objectif » peut signifier « des symptômes observables par le clinicien par opposition aux signes subjectifs, qui ne sont perçus que par le sujet malade »Note de bas de page 2, ainsi que les résultats obtenus par un examen, des tests ou une imagerie diagnostique. Dans l’arrêt Warren, la Cour d’appel fédérale a fait référence aux exigences de l’alinéa 68(1)a) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada comme exemples des éléments de preuve objectifs de nature médicale; cela comprend un rapport indiquant la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité, les constatations, toute incapacité, les recommandations, et autres renseignements appropriés. Par conséquent, je n’interprète pas « la preuve médicale objective » comme étant limitée à des imageries diagnostiques, des tests de laboratoire ou des opinions de spécialistes. À mon avis, la preuve médicale objective peut aussi comprendre, par exemple, les observations physiques, les signes cliniques, les limitations fonctionnelles établies et les diagnostics effectués par un professionnel de santé. Ce dernier comprend une infirmière praticienne qui est autorisée, en Ontario, à émettre des diagnostics, entre autres choses : Loi de 1991 sur les infirmières et infirmiers. Je constate que la dernière version du formulaire produit par le ministre prévoit que le rapport médical doit être rempli par un médecin « ou l’infirmière/infirmier praticien » qui doit « donner une opinion factuelle objective ».

[11] En l’espèce, le rapport médical ne mentionne pas seulement les diagnostics des anciens médecins, il inclut également le diagnostic, les observations et le pronostic émis par l’infirmière praticienne elle-même. J’estime que le rapport médical de l’infirmière praticienne est une preuve médicale objective, et une preuve valable. De plus, rien n’interdit la preuve par ouï-dire devant le Tribunal. C’est à la division générale d’évaluer le rapport médical et les autres éléments de preuve, comme le témoignage. Ce n’est pas le rôle de la division d’appel de réexaminer et d’apprécier de nouveau la preuve. En tirant sa conclusion de fait sur les diagnostics, la division générale a tenu compte de la preuve et l’a soupesée; elle n’a pas tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Je ne vois aucune erreur de fait au sens de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS.

[12] Le ministre a aussi fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une condition de dépression qui n’est pas établie par la preuve médicale objective. Au paragraphe 24, la division générale a constaté que l’intimée souffre de dépression, selon son témoignage. Je vois que ce témoignage était soutenu par le rapport médical de l’infirmière praticienne dans lequel elle note que l’intimée prend du Citalopram, un antidépresseur. Donc, je n’accepte pas l’observation du ministre selon laquelle il n’y avait aucune preuve médicale objective. Quoi qu’il en soit, la division générale a conclu que l’intimée « est incapable de fonctionner dans un cadre professionnel avec ses symptômes physiques », et que ses « problèmes physiques » existaient depuis plusieurs années. Autrement dit, la division générale n’a pas fondé sa décision sur la condition de dépression. Il n’y a pas d’erreur de fait au sens de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS.

L’importance des prestations régulières d’assurance-emploi reçues par l’intimée

[13] La division générale a conclu que l’intimée avait une invalidité grave et prolongée en février 2014. Sa décision ne faisait pas mention des prestations d’assurance-emploi reçues par l’intimée entre février 2014 et février 2015. Le ministre prétend que recevoir de telles prestations veut dire que l’intimée était capable de travailler pendant cette période. Il fait valoir que la division générale devait donner une « justification pour écarter cette preuve contradictoire importante » et que par conséquent, elle a fondé sa décision sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

[14] Selon la jurisprudence, un tribunal administratif chargé de tirer des conclusions de fait est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont il est saisi et n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs (voyez, par exemple, Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82). Néanmoins, tel que l’a soutenu le ministre, on pourrait conclure à une erreur de fait lorsque le décideur omet d’analyser des éléments de preuve contradictoires  :

Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF)]

[15] Le problème que me pose l’observation du ministre est que, sur les faits de l’appel, la réception des prestations d’assurance-emploi ne contredit pas la conclusion d’invalidité à partir de février 2014. Oui, l’intimée a signalé une certaine capacité de travail entre 2014 et 2015 en réclamant des prestations. Surtout, elle a ensuite fait des tentatives de retour au travail en 2016. Cependant, le critère juridique n’est pas de déterminer si l’intimée ne pouvait pas du tout travailler, ni si l’intimée était disponible pour travailler, voulait travailler ou croyait qu’elle pouvait travailler. Aux termes du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC, une personne est réputée être atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. En l’espèce, la division générale a déterminé que l’intimée ne pouvait pas fonctionner dans une occupation véritablement rémunératrice, une conclusion qui n’est pas incompatible avec la réception des prestations d’assurance-emploi. Il aurait peut-être été préférable que la division générale traite des prestations d’assurance-emploi dans sa décision, mais comme cela est aussi indiqué dans l’affaire Cepeda-Gutierrez, « les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe » et « il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraire [sic] à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve. »

[16] Étant donné que la preuve non mentionnée par la division générale n’était pas une preuve contradictoire, je ne conclus pas qu’elle a tiré sa conclusion d’invalidité sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il n’y a pas d’erreur de fait au sens de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS.

Conclusion

[17] L’appel est rejeté.

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