Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen par un autre membre.

Aperçu

[2] L’appelante, S. L., a subi trois opérations au genou droit. Elle a reçu des diagnostics de douleur chronique, diabète, fibromyalgie, arthrose et côlon irritable. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Le ministre a rejeté sa demande au stade initial et après révision. Elle a fait appel de cette décision auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal).

[3] La division générale a conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité « grave » au sens du RPC. L’appelante a ensuite présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel. J’ai lui ai accordé cette permission le 26 octobre 2017.Note de bas de page 1

[4] J’ai conclu que son appel devait être accueilli puisque l’appelante a démontré que la division générale a commis des erreurs se rattachant aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

Question préliminaire

[5] L’appelante a déposé deux documents, dans le cadre de cet appel, dont la division générale ne disposait pas au moment de rendre sa décision : un certificat daté du 17 mars 2017 de son médecin de famille, le docteur Shaw, pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH)Note de bas de page 2, et un avis de décision de l’Agence du revenu du Canada, daté du 27 avril 2017, portant sur sa demande de CIPHNote de bas de page 3.

[6] Normalement, la division d’appel n’examine pas de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 4, et je n’ai donc pas examiné ces deux documents dans cet appel. De toute manière, étant donné que l’admissibilité au CIPH sous le régime fiscal n’est pas fondée sur les mêmes critères que l’admissibilité à une pension d’invalidité en vertu du RPC, ces deux documents ne sont pas pertinents pour déterminer si l’appelante remplissait les critères relatifs à la pension d’invalidité ni pour trancher les questions en litige dans cet appel.

Questions en litige

[7] Voici les questions que soulève cet appel :

Question 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas adopté une approche réaliste pour déterminer si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave?

Question 2 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve qui tendaient à montrer que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave?

Analyse

Question 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas adopté une approche réaliste pour déterminer si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave?

[8] Le représentant de l’appelante soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas bien appliqué les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans Villani c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 5. Il soutient que la division générale n’a pas tenu compte de l’âge de l’appelante ni de l’ensemble de son état de santé pour évaluer la gravité de son invalidité. J’en conviens.

[9] En vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut accueillir un appel si l’appelant démontre que la division générale « a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ». Vu le libellé sans réserve de l’alinéa 58(1)b), la division d’appel ne doit aucune déférence à la division générale en ce qui concerne les erreurs de droit.Note de bas de page 6

[10] La division générale était chargée de déterminer si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2015, ou avant cette date. Conformément au RPC, une invalidité est « grave » si « elle rend la personne  […] régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».Note de bas de page 7 Si la division générale n’en a pas analysé la gravité en fonction des principes énoncés dans l’arrêt Villani, nous aurions affaire à une erreur de droit pour l’application de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.Note de bas de page 8

[11] Conformément à Villani, il est nécessaire que la division générale adopte une approche « réaliste » pour déterminer si une invalidité est grave. Cette approche l’oblige à déterminer, en tenant compte de ses antécédents et de son état de santé, si le requérant est employable, c’est-à-dire s’il est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

  1. a) La situation particulière du demandeur. Des éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie » sont pertinents ici;Note de bas de page 9
  2. b) Les antécédents médicaux de demandeur. Il s’agit d’un examen approfondi dans le cadre duquel l’état du demandeur est évalué dans son ensemble. Toutes les détériorations du demandeur ayant une incidence sur son employabilité sont examinées, pas seulement les détériorations les plus importantes ou la détérioration principale.Note de bas de page 10

[12] En l’espèce, l’appelante avait 62 ans à l’échéance de sa PMA, le 31 décembre 2015. La documentation médicale qu’elle a fournie démontre qu’elle a subi trois opérations au genou et reçu des diagnostics de douleur chronique, diabète, fibromyalgie, arthrose et côlon irritable. Elle a aussi subi une chirurgie mammaire conservatrice en septembre 2015, bien que la tumeur se soit avérée bénigneNote de bas de page 11 et qu’aucune preuve dossier ne montre que cette intervention chirurgicale ait eu une incidence sur son employabilité à l’échéance de sa PMA. Le représentant de l’appelante soutient que l’appelante était également atteinte d’une infection dentaire aiguë qui était chroniqueNote de bas de page 12; néanmoins, la seule preuve dont je dispose à cet effet est une lettre datée du 24 février 2016 du docteur Hui, affirmant qu’elle [traduction] « a présentement une infection dentaire aiguë lui causant une douleur considérableNote de bas de page 13. » Même si son représentant affirme que cette affection était chronique, ce n’est pas ce que je comprends de la lettre du docteur Hui. Il n’est donc pas clair si l’appelante luttait contre une infection dentaire à l’échéance de sa PMA, le 31 décembre 2015, et si cette affection avait eu un effet sur son employabilité, le cas échéant.

[13] Dans son analyse visant à déterminer si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave avant l’échéance de sa PMA, le membre de la division générale a cité l’arrêt Villani et fait référence à l’arthroplastie du genou qu’avait subie l’appelante ainsi qu’à sa douleur constante et à sa mobilité réduite se rapportant à l’opération. Cependant, même si le membre de la division générale a précisé à juste titre que [traduction] « toutes les détériorations doivent être examinées, pas seulement les détériorations les plus importantes ou la détérioration principaleNote de bas de page 14 », il n’a pas appliqué ce principe dans son analyse. Le membre n’a mentionné aucun des autres problèmes de santé de l’appelante dans son analyse sur la question de la gravité. Il n’a jamais traité de l’effet qu’avait l’âge de l’appelante sur son employabilité. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec l’observation du ministre, qui a soutenu que le membre avait bien tenu compte de la situation particulière de l’appelante dans son analyse.

[14] Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas appliqué les principes de l’arrêt Villani, puisqu’elle n’a pas tenu compte de la situation particulière de l’appelante, notamment de son état de santé global et de son âge, pour déterminer si elle avait une invalidité grave.

Question 2 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve qui tendaient à montrer que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave?

[15] L’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS prévoit, comme moyen d’appel, que «  la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ». Vu le libellé sans réserve de l’alinéa 58(1)a), la division d’appel ne doit aucune déférence à la division générale si elle a manqué à un principe de justice naturelle ou commis erreur de droit.

[16] Le paragraphe 54(2) de la Loi sur le MEDS oblige la division générale à motiver sa décision. Les cours ont établi que les décideurs doivent, lorsque la loi exige des motifs, fournir des motifs qui sont suffisamment « clairs, précis et intelligibles » pour permettre aux parties de comprendre pourquoi le tribunal a rendu la décision qu’il a rendue.Note de bas de page 15 Cette responsabilité suppose que les décideurs expliquent les fondements de leurs conclusions de fait importantes, et que leurs motifs témoignent d’une analyse sérieuse de la preuve. De plus, lorsqu’il existe des preuves contradictoires, les décideurs doivent expliquer comment ils les ont conciliées. Si les lacunes des motifs font obstacle à un examen valable en appel de la justesse de la décision, une erreur de droit a été commise.Note de bas de page 16

[17] De plus, selon un principe de justice naturelle, les décideurs doivent examiner l’ensemble de la preuve pertinente avant de rendre une décision. S’ils n’examinent pas l’ensemble de la preuve pertinente, ils nuisent au droit du requérant de bénéficier d’une audience équitable, ce qui constitue un manquement à la justice naturelle.

[18] Dans ses motifs, la division générale semble faire un résumé sélectif de la preuve, puis présente une conclusion. Elle n’a ni analysé ni rejeté des éléments de preuve, ni expliqué pourquoi elle a en a préféré certains à d’autres, alors qu’elle était tenue de faire.Note de bas de page 17

[19] Le dossier contenait des preuves médicales contradictoires touchant l’une des questions essentielles, soit de savoir si l’appelante avait conservé une capacité de travail résiduelle. Cela dit, le membre de la division générale n’a pas reconnu dans ses motifs qu’il y avait des preuves médicales contradictoires. Au paragraphe 20 de ses motifs de décision, le membre a affirmé ceci : [traduction] « Le docteur Shaw a noté en novembre 2015 que, même si l’appelante ne pouvait pas du tout refaire du travail physique, il ne pouvait pas affirmer en bonne conscience qu’elle était incapable de faire du travail sédentaire.Note de bas de page 18 » Cela dit, le membre n’a pas mentionné la preuve contraire du docteur Hui, un autre médecin de l’appelante. Au paragraphe 21 de ses motifs, le membre (qui avait parlé du docteur Hui comme d’un naturopathe, alors qu’il était docteur) a fait référence au rapport de février 2016 du docteur Hui, où il était [traduction] « noté que l’appelante suivait des traitements réguliers dans l’espoir que ses symptômes s’améliorent.Note de bas de page 19 » Le membre a omis de préciser que le docteur Hui avait écrit, dans son rapport, qu’il était d’avis que l’appelante était incapable de travailler, et il n’a mentionné aucun des problèmes de santé que le docteur Hui avait énumérés pour appuyer son opinion (fibromyalgie, arthrose, gonflement résiduel au genou et à la jambe, difficulté à marcher, défaillance des bras et des avant-bras).Note de bas de page 20 Le membre n’a aucunement tenté de concilier ces éléments de preuve médicale contradictoires. Il y avait également des preuves de Laura MoonNote de bas de page 21, infirmière praticienne, et de Pauline Brown, infirmière autoriséeNote de bas de page 22, qui étaient d’avis que l’appelante était incapable de travailler. Ces preuves n’ont pas été mentionnées non plus.

[20] Le représentant de l’appelante souligne que, dans le rapport qu’il a produit pour OMERS en mai 2014Note de bas de page 23, le docteur Shaw avait répondu « oui » à la question suivante : [traduction] « Le membre [soit l’appelante] correspond-il à la définition d’une pension d’invalidité? »; celle-ci [traduction] « nécessite qu’il soit atteint d’une incapacité physique ou mentale qu’il l’empêche complètement de faire tout emploi pouvant lui procurer une rémunération ou un profit et pour lequel il est qualifié, ou peut raisonnement le devenir, par le biais d’études, de formation et d’expérience. Il est aussi raisonnable de s’attendre à ce que cette incapacité persiste pour le reste de sa vie.Note de bas de page 24 » Le membre de la division générale n’a pas mentionné ce rapport dans sa décision ni spécifié pourquoi il lui avait préféré la déclaration de novembre 2015 du docteur Shaw concernant sa capacité à faire du travail sédentaire.

[21] Il n’est pas essentiel que les motifs fassent mention de chacun des éléments de preuveNote de bas de page 25. Par contre, les éléments de preuve pertinents doivent être considérés pour les questions se rapportant précisément aux droits en cause.Note de bas de page 26 Dans le contexte du régime d’invalidité du RPC, cela comprend les preuves liées à la question de savoir si le requérant possède une capacité de travail résiduelle. Le fait que le membre n’a pas examiné des éléments de preuve contradictoires et que rien ne donne à penser qu’il ait fait une véritable analyse sur cet enjeu central représente une erreur de droit. De plus, les principes de justice naturelle comprennent le droit à ce que l’ensemble de la preuve pertinente soit examinée par le décideur. Le membre de la division générale n’a pas examiné la preuve médicale relative à cet enjeu central. Il a ainsi manqué aux principes de justice naturelle.

[22] Cela ne veut pas dire que le membre de la division générale n’était pas libre de conclure, d’après la preuve, que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave au sens du RPC : il pourrait être parvenu à sa conclusion après avoir mené une analyse minutieuse. Il se pourrait, comme l’a soutenu le représentant du ministre, que les preuves des docteurs Shaw et McKenzie doivent être préférées à celles du docteur Hui puisque les deux premiers médecins étaient responsables du traitement à long terme de l’appelante, alors que le docteur Hui n’était pas son médecin traitant. Cela dit, le membre n’a même pas mentionné l’extrait du rapport du docteur Hui où il affirmait que l’appelante était incapable de travailler. Le membre était tenu d’examiner l’ensemble des éléments de preuve pertinents, d’en concilier les dichotomies, et de se pencher sérieusement sur les enjeux directement liés à sa conclusion voulant que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave. Mais il ne l’a pas fait.

Conclusion

[23] Les manquements de la division générale ne sont pas déterminants quant à la demande de pension d’invalidité de l’appelante. Comme le ministre conteste toujours l'admissibilité de l'appelante à cette pension, il convient de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’un autre membre en fasse le réexamen.

[24] L’appel est accueilli. En vertu du paragraphe 59 de la Loi sur le MEDS, l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen par un autre membre.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 2 février 2018

Téléconférence

S. L., appelante

Peter Denton, représentant de l’appelante

Philipe Sarazin, représentant de l’intimé

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