Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Aperçu

[2] Le demandeur, G. M., a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en novembre 2013. Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, il devait démontrer qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2007, et de manière permanente à compter de cette date.

[3] Le demandeur a reçu un diagnostic d’arthrose en 2009 et de polyarthrite rhumatoïde en 2013. Récemment, il a reçu un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique en 2016. Le demandeur n’a pas présenté de preuve médicale datant d’avant sa PMA, soit le 31 décembre 2007. Sa preuve médicale s’étend de 2009 à 2010, puis de 2013 à 2017.

[4] Dans sa décision, le membre de la division générale a traité des contradictions entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire. Il a précisé pourquoi il accordait davantage d’importance à certains éléments de preuve et il les a soupesés. La représentante du demandeur affirme qu’il faut en faire davantage; elle affirme que le membre a rejeté la preuve du demandeur et qu’il n’a pas pu le faire sans tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La représentante soutient que l’omission du membre de rendre une conclusion défavorable constitue une erreur de droit. Elle fait aussi valoir que l’omission de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et la présentation des motifs appuyant cette décision [traduction] « ne sont pas suffisantes et constituent une violation des principes d’équité procéduraleNote de bas de page 1 ».

[5] J’ai conclu que le demandeur n’a pas soulevé de motif défendable qui conférerait à l’appel proposé une chance de succès; par conséquent, je dois rejeter la demande.

Questions en litige

[6] Il faut trancher les questions suivantes en l’espèce :

Question 1 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a commis une erreur de droit en rejetant le témoignage du demandeur sans rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

Question 2 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a manqué à un principe de justice naturelle en omettant de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et d’en discuter dans ses motifs?

Analyse

[7] Les seuls moyens d’appel admissibles à la division d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur les MEDS) sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] La division d’appel doit rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel proposé n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Dans ce contexte, une chance raisonnable de succès revient à soulever des motifs défendables qui pourraient éventuellement donner gain de cause à l’appelNote de bas de page 3.

Question 1 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a commis une erreur de droit en rejetant le témoignage du demandeur sans rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

[9] La représentante du demandeur soutient que la division générale a l’obligation juridique de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’appelant si elle rejette la preuve, et compte tenu de son omission de le faire, elle a commis une erreur de droit. L’argument du demandeur est essentiellement que la division générale a omis de motiver adéquatement sa décision de rejeter la demande de prestations d’invalidité du RPC du demandeur.

[10] J’estime que cet argument n’a aucune chance raisonnable de succès.

[11] Il incombe au demandeur de prouver qu’il est plus probable qu’improbable que son invalidité respecte la définition de « grave » et « prolongée » au sens du RPC. La Cour d’appel fédérale a toujours maintenu qu’un prestataire est tenu de présenter des éléments de preuve médicale objectifs pour appuyer ses argumentsNote de bas de page 4. Comme l’a tranché le Tribunal dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 5, cela ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». La preuve médicale sera nécessaire afin d’appuyer les arguments selon lesquels le prestataire était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa PMA ou avant cette dateNote de bas de page 6.

[12] En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté la preuve médicale à la fin de la PMA ou avant cette date, soit la 31 décembre 2007. L’appelant a présenté la preuve médicale datant d’octobre 2009 à 2010, et de 2010 à 2017. La seule preuve documentaire produite pendant la PMA est un relevé d’emploi rempli par l’ancien employeur du demandeur le 9 septembre 2007, qui démontre que la dernière date de travail remonte au 15 septembre 2007 et que la raison de l’arrêt de travail est « un manque de travail, fin de saison ou d’emploi »Note de bas de page 7.

[13] La division générale a été saisie de deux documents datant d’avant la fin de la PMA, bien qu’ils aient été créés après cette date. Le premier document est un questionnaire rempli par l’employeur à la demande de Service Canada et soumis par ce dernier en juillet 2013Note de bas de page 8. Le questionnaire faisait état des tâches accomplies par le demandeur chez l’employeur et des raisons pour lesquelles il a cessé de travailler. Le membre a noté dans ses observations que le questionnaire appuyait la déclaration figurant au relevé d’emploi selon laquelle le demandeur a cessé de travailler puisqu’il a été licencié. Le membre a aussi remarqué que l’employeur a affirmé que le demandeur avait une bonne assiduité, son travail est satisfaisant, il avait la capacité de répondre à la charge de travail et ne nécessitait pas d’aide de ses collègues ou de services, d’équipement ou d’accommodements particuliers.

[14] Le deuxième document était une note rédigée par le médecin de famille du demandeur, docteur Singh, datée du 10 février 2016 et qui énonce qu’en raison des restrictions physiques attribuables à une polyarthrite rhumatoïde non diagnostiquée, le demandeur n’a pas été capable d’obtenir et de détenir une occupation rémunératrice depuis septembre 2007Note de bas de page 9. Docteur Singh a traité le demandeur en avril 2013.

[15] Le paragraphe 54(2) de la Loi sur le MEDS oblige la division générale à motiver sa décision. Les tribunaux [traduction] « ont régulièrement interprété une obligation législative afin de justifier, tels que l’obligation d’énoncer toute conclusion de fait et le principe appuyant la preuve sur laquelle est fondée la décisionNote de bas de page 10. » Les motifs doivent être « clairs, précis et intelligibles » pour permettre aux parties de comprendre pourquoi le tribunal a rendu la décision qu’il a rendueNote de bas de page 11. Il n’y a pas d’obligation de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité avant de privilégier certains éléments de preuve par rapport à d’autres, pourvu que le décideur présente une justification de le faire. Lorsqu’on rend une conclusion défavorable quant à la crédibilité, les motifs sous-jacents relatifs à cette conclusion doivent être intelligibles et transparentsNote de bas de page 12. Si les lacunes des motifs font obstacle à un examen valable en appel de la justesse de la décision, une erreur de droit a été commiseNote de bas de page 13. Une telle erreur, si commise, s’inscrirait aux dispositions prévues à l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[16] En l’espèce, la division générale a instruit l’appel en personne. Le demandeur était représenté par une avocate.

[17] Dans ses motifs, le membre de la division générale a affirmé ceci :

[traduction]
« Bien que l’appelant ait décrit d’importants symptômes et restrictions lors de son témoignage en date de sa PMA, rien ne démontre qu’il a consulté un professionnel médical avant son rendez-vous du 6 octobre 2009 avec docteur Bardana. [...]

Son explication [...] exige une dépendance presque complète sur la fiabilité et la précision chronologique de sa propre preuve, même lorsqu’elle est contradictoire avec la preuve objective. Le Tribunal doit déterminer si son récit appuie effectivement la conclusion de gravité selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 14. »

[18] Le membre de la division générale a présenté une analyse détaillée de la preuveNote de bas de page 15, ciblé les contradictions entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire, et expliqué de quelle manière il a résolu ces contradictions.

[19] Généralement, la preuve médicale concernant l’invalidité du prestataire à la fin de la PMA ou avant cette date est requise. Étant donné que le demandeur n’a pas présenté de preuve médicale à la fin de la PMA ou avant cette date, le membre a non seulement tenu compte de la preuve documentaire fournie par l’ancien employeur du demandeur, mais aussi la première preuve médicale déposée par le demandeur, soit le rapport de docteur Bardana en octobre 2009. Le membre a noté ceci : (i) le rapport de docteur Bardana d’octobre 2009 est le plus ancien élément de preuve médicale objectif au dossier du Tribunal; (ii) en 2009, le demandeur s’est uniquement plaint à docteur Bardana de douleur à l’épaule droite; (iii) docteur Bardana mentionne que cette douleur à l’épaule [traduction] « est présente depuis l’année dernière » (ce qui remonte à 2008, soit avant la fin de la PMA); et (iv) la seule radiographie prise à ce moment était celle de l’épaule droite du demandeur. Le membre a précisé le motif pour lequel il a privilégié le rapport de docteur Bardana concernant l’état de santé du demandeur au profit du témoignage de ce dernier afin de tirer sa conclusion selon laquelle [traduction] « les symptômes soulignés en 2009 étaient plutôt restreintsNote de bas de page 16 ». Le membre a aussi décelé quelques épisodes au cours desquels le demandeur [traduction] « a peiné à se rappeler avec certaines datesNote de bas de page 17 » concernant l’apparition des symptômes d’arthrose et le moment auquel il a entamé ses cours de travail indépendant. Le membre a aussi examiné les contradictions entre le témoignage du demandeur et le rapport médical de docteur Averns daté de juillet 2013.

[20] Le membre a aussi fait référence à la crédibilité du demandeur en tenant compte du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) à la fin de la PMA ou avant cette date. Il a jugé cela comme une [traduction] « question de crédibilité » et a affirmé que bien que le bénéfice des prestations d’AE n’était pas décisif quant à l’issue de l’appel, [traduction] « les répercussions combinées des nombreux obstacles susmentionnés, ainsi que la question de crédibilité liée au bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) à la fin de la PMA ou avant cette date est plutôt problématiqueNote de bas de page 18. »

[21] En ce qui concerne le seul document médical relatif à la fin de la PMA, soit la note de docteur Singh du 10 février 2016, le membre a mentionné qu’il a n’a essentiellement accordé aucune importance à la déclaration de docteur Singh figurant dans la note selon laquelle le demandeur a été incapable d’obtenir ou de détenir une occupation rémunératrice depuis septembre 2007, puisque docteur Singh traite le demandeur depuis seulement avril 2013 et qu’il n’était pas bien placé pour commenter la capacité de travailler de ce dernier près de six ans avant cette date.

[22] Ainsi le membre a conclu que l’invalidité du demandeur n’était pas grave en raison d’une combinaison des motifs suivants : les conclusions tirées par le membre concernant des questions comportant des éléments de preuve contradictoires, l’absence de preuve médicale datant de la fin de la PMA ou avant cette date, les contradictions dans le témoignage du demandeur concernant certaines dates respectives et la préoccupation du membre concernant la question de crédibilité entourant le bénéfice des prestations régulières d’AE par le demandeur. La préoccupation concernant le bénéfice des prestations d’AE par le demandeur constituait uniquement un des facteurs sur lequel on s’est fondé.

[23] La représentante du demandeur s’oppose au fait que le membre de la division générale [traduction] « a implicitement rejeté le témoignage [du demandeur] sans rendre une conclusion défavorable catégorique quant à la crédibilitéNote de bas de page 19. » Toutefois, je n’interprète pas les motifs justifiants le rejet du témoignage du demandeur par le membre comme étant implicite ou explicite. Le membre était plutôt confronté à une situation où il devait déterminer si la preuve du demandeur concernant les événements survenus près de 10 ans avant l’audience était fiable et précise chronologiquement. Compte tenu des contradictions entre le témoignage du demandeur et la preuve objective, le membre s’est engagé dans un exercice d’équilibre en soupesant la preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le fait d’accorder davantage d’importance à la preuve objective par rapport à celle du demandeur relativement aux événements survenus il y a 10 ans en la soupesant ne suggère pas que le membre a rejeté le témoignage ou qu’il n’a pas trouvé le demandeur crédible.

[24] La division d’appel n’est pas tenue de soupeser de nouveau la preuve ou d’instruire à nouveau l’affaire, et dans le cadre d’un appel, la division d’appel doit faire preuve de déférence concernant les conclusions de fait et les remarques sur la crédibilité rendues par la division générale, à moins qu’elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Les motifs sous-jacents de la division générale pour lesquels elle a privilégié la preuve documentaire par rapport au témoignage du demandeur à certains égards, dont la préoccupation concernant le bénéfice des prestations d’AE et l’évaluation des éléments de preuve réalisée par le membre sont intelligibles et transparents.

[25] Je conclus que l’argument selon lequel la division générale a commis une erreur de droit puisqu’elle a fourni des motifs inadéquats, plus particulièrement en raison du rejet du témoignage du demandeur par la division générale sans rendre expressément une conclusion défavorable quant à la crédibilité, n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question 2 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a manqué à un principe de justice naturelle en omettant de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et d’en discuter dans ses motifs?

[26] La représentante du demandeur soutient que la division générale a l’obligation de rendre une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’appelant puisqu’elle rejette sa preuve, et que son omission de le faire constitue des motifs insuffisants et une violation des principes d’équité procédurale.

[27] Une violation des principes d’équité procédurale pourrait équivaloir à un manquement aux principes de justice naturelle, une affirmation qui s’inscrirait aux dispositions prévues à l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS.

[28] Les tribunaux ont reconnu dans certaines circonstances, dont dans des cas où la décision revêt d’une grande importance pour l’individu, l’obligation d’équité procédurale requerra qu’on présente les motifs appuyant cette décisionNote de bas de page 20. De plus, comme il est susmentionné, la division générale a l’obligation législative de fournir ses motifs de décision. Toutefois, l’argument du demandeur n’est pas fondé sur la question de savoir s’il faut fournir des motifs (ce qu’on a clairement fait), mais plutôt si les motifs étaient adéquats. Cet argument relève plus justement d’une erreur de droit que d’un manquement à un principe de justice naturelle, ce que j’ai traité dans la section précédente.

[29] Étant donné que le demandeur n’a pas présenté d’autre motif appuyant la conclusion selon laquelle il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale ou d’un principe de justice naturelle, j’estime que cette affirmation n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[30] Étant donné que j’ai conclu que le demandeur n’a pas soulevé un motif défendable pour lequel l’appel proposé pourrait avoir gain de cause, la demande de permission d’en appeler est rejetée.

Observations présentées par :

Sarah Forsyth, clinique d’aide juridique communautaire de Kingston (Kingston Community Legal Clinic), au nom du demandeur

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