Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] En juin 2000, l’appelant, D. D., a été impliqué dans un accident en conduisant son camion dans le cadre de son emploi. Le passager de l’autre véhicule n’a pas survécu. Bien que l’appelant n’ait pas subi de blessure physique, son médecin de famille a posé un diagnostic à retardement d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) en 2001.

[3] L’appelant a aussi eu un accident de chasse en novembre 2001 lorsqu’il a chuté au sol d’une hauteur de 30 pieds dans une cache de chasse. Il a subi plusieurs blessures, y compris des fractures au sternum, à la hanche gauche, aux côtes (côté gauche) au fémur gauche et la cheville gauche.

[4] L’appelant a d’abord présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en juillet 2009Note de bas de page 1. Sa période minimale d’admissibilité (PMA) prenait fin le 31 décembre 2002. Il était âgé de 40 ans à la fin de sa PMA. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande. Il a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité le 14 février 2014Note de bas de page 2. Le ministre a rejeté la deuxième demande initialement et après révision. Tout en reconnaissant que l’appelant a mentionné certaines restrictions résultant de douleurs chroniques et de dépression, le ministre a conclu que l’état de santé de l’appelant ne l’a pas empêché de travailler continuellement depuis décembre 2002Note de bas de page 3.

[5] L’appelant a interjeté appel devant la division générale qui a rejeté son appel puisque notamment, la preuve médicale n’a pas démontré qu’il souffrait d’une invalidité grave à la fin de sa PMA et depuis cette date. Il a interjeté appel relativement à cette décision.

[6] J’ai conclu que l’appel présenté par l’appelant a eu gain de cause puisque la division générale a erré en droit, car elle n’a pas examiné son état de santé dans son ensemble en déterminant la gravité de son invalidité. Je rejette les autres moyens d’appel soulevés par l’appelant.

Observations

[7] Dans son avis d’appelNote de bas de page 4, l’appelant fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la gravité de l’invalidité dans un contexte réaliste comme l’a mandaté la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 5. Il soutient aussi que la division générale n’a pas tenu compte de la décision rendue par la cour dans l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 6. De plus, il affirme que la division générale a commis des erreurs de droit en n’évaluant pas l’invalidité de l’appelant à la fin de sa PMA, soit le 31 décembre 2012, et qu’en [traduction] « omettant de le faire, elle a erré dans son application des faits au droit ». Il précise que la division générale erré en droit en se basant sur le fait que l’appelant n’a pas consulté de psychiatre ou de psychologue pour traiter ses problèmes mentaux survenus de 2002 à 2009.

[8] L’appelant soutient également que la division générale a commis des erreurs de fait dans son analyse en n’accordant pas la même importance au témoignage oral et à la preuve écrite, en n’examinant pas la preuve des experts et en n’accordant pas l’importance appropriée à la preuve fournie par ses médecins de famille. L’appelant conteste aussi les conclusions de fait rendues par le membre en ce qui concerne sa participation et son retrait d’un programme de retour sur le marché du travail de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de l’Ontario.

[9] Pour ce qui est des erreurs de droit prétendues, le ministre soutient que la division générale a appliqué le bon critère de gravité et qu’elle a examiné la situation personnelle et l’état de santé de l’appelant dans son ensemble. De plus, en ce qui concerne l’argument selon lequel la division générale n’a pas tenu compte de l’arrêt Inclima, le ministre soutient que l’appelant a fait une tentative de se recycler par l’entremise de la CSPAAT [traduction] « que la division générale a jugée infructueuse et sous des circonstances difficilesNote de bas de page 7 », mais ce dernier n’a pas déployé d’autres efforts malgré le fait qu’il était âgé de 40 ans à la fin de sa PMA, qu’il possédait des aptitudes transférables vers d’autres emplois et il détenait la capacité intellectuelle de se former de nouveau. Le ministre soutient que la preuve médicale à la fin de sa PMA a démontré que l’appelant avait largement récupéré des blessures physiques (fractures) subies lors de sa chute en novembre 2001; puis en novembre 2002, un psychiatre, docteure Tahlan, a évalué l’appelant pour déterminer que ce dernier devait se recycler, que sa santé mentale était modérée et que ses fonctions adaptatives dans la dernière année étaient adéquates, et il a mentionné que l’appelant a bien su gérer les événements précédents ainsi que les blessuresNote de bas de page 8.

[10] En ce qui concerne les erreurs de fait prétendues, le ministre soutient que l’appréciation et l’examen de la preuve sont au cœur du mandat de la division générale, et qu’elle doit faire preuve de déférence lorsqu’elle rend ses décisions. Le ministre soutient que contrairement à l’argument de l’appelant, la conclusion de la division générale selon laquelle l’invalidité n’était pas grave repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, spécialement puisque la preuve démontre que les blessures physiques survenues lors de sa chute ont bien guéri et que les symptômes liés à sa santé mentale sont modérés. De plus, le ministre fait valoir que toute détérioration à son état mental après la fin de la PMA n’est pas pertinente à son état de santé à cette date. Dans l’observation du ministre, la division générale a examiné la preuve en lien avec la date de la PMA et elle s’est concentrée sur celle-ci.

Questions en litige

[11] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

Erreurs de droit alléguées

Question 1 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte de l’employabilité de l’appelant dans un contexte réaliste, comme le prescrit l’arrêt Villani?

Question 2 : La division générale a-t-elle omis d’appliquer l’arrêt Inclima?

Question 3 : La division générale a-t-elle omis d’évaluer l’invalidité à la fin de la PMA?

Erreurs de fait alléguées

Question 4 : La division générale s’est-elle fiée à l’absence de traitements prodigués par un spécialiste pour traiter les problèmes psychologiques de l’appelant?

Question 5 : La division générale a-t-elle omis d’accorder suffisamment d’importance au témoignage de l’appelant et à la preuve fournie par ses médecins de famille, et d’examiner la preuve des experts?

Analyse

[12] Au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Afin d’accueillir l’appel, je dois être convaincue que l’appelant a prouvé qu’il est plus probable qu’improbable que la division générale ait commis une erreur liée à la portée du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

Erreurs de droit alléguées

[14] La Cour d’appel fédérale a récemment précisé que lorsque le législateur crée une structure administrative à plusieurs niveaux, la portée de l’examen d’une décision d’un tribunal inférieur effectué par un tribunal d’appel doit être déterminée par le libellé de la loi dominanteNote de bas de page 9.

[15] Je suis d’accord avec le ministre sur le fait qu’aucune déférence n’est due à l’endroit de la division générale en ce qui a trait aux erreurs de droit conformément au libellé sans réserve de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS. Les décisions de la division générale relativement à ces questions peuvent être annulées si la division d’appel conclut que la décision n’était pas la bonne.

Question 1 : La division générale a-t-elle omis de tenir compte de l’employabilité de l’appelant dans un contexte réaliste, comme le prescrit l’arrêt Villani?

[16] La division générale était chargée de déterminer si l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à l’échéance de sa PMA ou avant cette date, soit le 31 décembre 2002. Conformément au RPC, une invalidité est « grave » si « elle rend la personne […] régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 10 ». Selon la Cour suprême du Canada, dans le contexte du RPC, le critère d’évaluation est l’aptitude au travail : une personne peut être atteinte de graves déficiences, mais elle ne sera pas admissible aux prestations du RPC si ces déficiences, aussi graves soient-elles, ne l’empêchent pas de gagner sa vieNote de bas de page 11.

[17] Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a établi que, lors de l’évaluation du caractère grave d’une invalidité, la division générale doit adopter une approche réaliste. Cette analyse l’oblige à déterminer si un prestataire, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, peut travailler, c.-à-d. qu’il est régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

  1. a) La situation particulière du demandeur. Des éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie » sont pertinents iciNote de bas de page 12;
  2. b) Les antécédents médicaux de demandeur. Il s’agit d’un examen approfondi dans le cadre duquel l’état du demandeur est évalué dans son ensemble. Toutes les détériorations du demandeur ayant une incidence sur son employabilité sont examinées, et non seulement les détériorations, les plus importantes ou la détérioration principaleNote de bas de page 13.

[18] Le membre a cité l’arrêt Villani dans son analyseNote de bas de page 14. Il a tenu compte des facteurs relatifs au contexte : il était âgé de 40 ans à la fin de sa PMA, il a occupé plusieurs emplois et son historique d’emploi mentionne qu’il a acquis des compétences transférables et qu’il était à l’aise en anglais; un rapport psychoprofessionnel daté de février 2003 fait état qu’il possède de bonnes aptitudes intellectuelles et qu’il a le potentiel de se recycler, au besoin. J’estime que le membre a adéquatement examiné les facteurs relatifs au contexte de l’appelant.

[19] En ce qui concerne l’état de santé de l’appelant, le membre de la division générale a noté tous les problèmes de santé de l’appelant dans le sommaire de la preuve, y compris ses blessures osseuses, son TSPT, son anxiété et sa dépression. Toutefois, dans la section de la décision consacrée à l’analyse, le membre a uniquement tenu compte des blessures osseuses et du TSPT lorsqu’elle a déterminé si l’invalidité de l’appelant était grave à la fin de sa PMA ou avant cette date. Il a conclu qu’aucun des problèmes de santé ne rendait l’appelant incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Il n’a pas explicitement tenu compte de la dépression ou de l’anxiété de l’appelant en rendant sa décision. Comme l’a établi la Cour, tous les aspects de l’état de santé d’un prestataire doivent être examinés, et pas seulement les incapacités principales ou les plus évidentes. Sur ce motif, je conclus que la division générale n’a pas examiné l’état de santé de l’appelant dans son ensemble. Il s’agit là d’une erreur de droit.

Question 2 : La division générale a-t-elle omis d’appliquer l’arrêt Inclima?

[20] L’arrêt Inclima énonce qu’un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts déployés pour trouver et conserver un emploi se sont avérés infructueux pour des raisons de santéNote de bas de page 15.

[21] Il est important de garder à l’esprit que le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que la personne est atteinte d’une invalidité grave et prolongée revient au prestataire. Ainsi, s’il y a preuve d’une capacité de travail, il incombe au prestataire de démontrer qu’il a déployé des efforts pour obtenir un emploi, mais qu’il n’a pas réussi à en trouver en raison de son état de santé.

[22] L’appelant affirme qu’il n’a pas travaillé depuis 2001 et qu’il n’a pas cherché d’emploi depuis. Il a affirmé qu’il a uniquement tenté de se recycler en 2003 lorsqu’on l’a inscrit dans un cours portant sur les réseaux informatiques donné par la CSPAAT dans le cadre du d’un programme de retour sur le marché du travail. Il ajoute que le cours devait durer quelques mois, mais qu’il a décroché puisqu’il ne pouvait pas suivre le rythme de la formation en classe, qu’il avait de la difficulté à s’asseoir et qu’il était fatigué en raison de son insomnieNote de bas de page 16. Dans une lettre adressée à la CSPAAT le 5 juillet 2004, son médecin de famille, docteure Wendling, a affirmé que l’appelant a [traduction] « a récemment eu une recrudescence de ses symptômes de TSPT. Ses symptômes d’anxiété, de dépression, de colère, d’irritabilité et de perte de concentration se sont accentués. Pour cette raison, il est incapable de suivre son programme actuel. Il ne le suivra pas pour un six à huit semaines supplémentaires. » Le membre de la division générale n’a pas abordé cette lettre dans ses motifs, bien qu’il a remarqué que les notes cliniques de docteure Wendling [traduction] « mentionnaient que l’appelant ne pourrait pas terminer son cours d’informatique en raison de ses problèmes de santé et que ce dernier devait éviter toute situation stressanteNote de bas de page 17. »

[23] Les raisons pour lesquelles l’appelant n’a pas terminé son cours en informatique qu’il a donné lors de son témoignage ont posé problème au membre de la division générale, à la lumière de la condamnation d’un prestataire par la Cour de justice de l’Ontario pour avoir délibérément omis d’informer la CSPAAT de changements relativement à sa situation personnelle au titre du paragraphe 149(2) de la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail.

[24] Le 4 octobre 2006, l’appelant a plaidé coupable à un chef d’accusation d’omission délibérée d’informer la CSPAAT de changements relativement à sa situation personnelle au titre du paragraphe 149(2) et l’affaire a suivi son cours grâce à un exposé des faits approuvé et une observation conjointe relative à la peine. L’appelant s’est vu imposer une amende de 10 000 $ en plus d’une autre amende. Dans une lettre datée du 21 février 2007 suivant la condamnation, la CSPAAT mentionnait ceci :

[traduction]
« La preuve démontre que vous avez cessé de participer au programme de retour sur le marché du travail en mai 2004. Bien que vous prétendez que des problèmes récurrents de vos problèmes de santé vous empêchent d’y participer, la preuve médicale au dossier n’appuie pas cela. De plus, la preuve mentionne qu’au moment où vous avez cessé d’assister au programme vous êtes devenu travailleur indépendant en tant qu’exploitant d’un magasin d’articles pour animaux domestiquesNote de bas de page 18. »

[25] L’appelant a affirmé qu’il ignorait qu’il devait aviser la CSPAAT de tout changement concernant sa situation personnelle, qu’il n’était pas au courant de la réponse d’accusation et qu’il n’a pas approuvé d’exposé des faits conjoints. Il n’a pas nié que le magasin était enregistré sous son nom, mais il mentionne que son père l’a fait sans le savoir. Il a témoigné que le magasin pour animaux domestiques a fermé puisqu’il a déclaré faillite.

[26] Le membre a conclu que l’appelant avait [traduction] « une bien meilleure capacité » fonctionnelle qu’il ne l’avait rapportée à la CSPAATNote de bas de page 19. Le membre a énoncé ceci : [traduction] « Le Tribunal note cette condamnation comme l’un des facteurs d’évaluation de la demande de prestations d’invalidité fondée partiellement sur la preuve orale de l’appelant. »

[27] L’appelant fait valoir que le membre de la division générale a erré en omettant de tenir compte de l’arrêt Inclima. Je suis en désaccord. L’appelant a affirmé qu’il n’a jamais cherché de travail après ni travaillé depuis 2001. En ce qui concerne la seule tentative de recyclage de l’appelant, le membre n’a pas conclu expressément qu’il rejetait la preuve de l’appelant selon laquelle il a dû mettre un terme à sa formation pour des motifs de santé. Toutefois, sur la foi de la condamnation rendue par un tribunal compétent, le membre a tenu compte de la décision et a accueilli l’argument selon lequel l’appelant a délibérément omis d’informer la CSPAAT de changements relativement à sa situation personnelle (c.-à-d. devenir travailleur indépendant qui exploite un magasin d’articles pour animaux domestiques) afin de conserver son droit aux prestations. Il est aussi d’avis que l’appelant avait une bien meilleure capacité fonctionnelle qu’il ne l’avait rapportée à la CSPAAT et qu’il participait à l’exploitation d’un magasin d’articles pour animaux domestiques lorsqu’il a cessé de participer au programme de retour sur le marché du travail.

[28] L’appelant fait valoir que la condamnation rendue par la CSPAAT n’était pas pertinente à son admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC. Si le membre avait consulté la documentation de la CSPAAT pour trancher l’admissibilité de l’appelant aux prestations d’invalidité, cela aurait constitué une erreur puisque seule la définition d’invalidité au sens du RPC est pertinente. Toutefois, le membre a droit de tenir compte du fait que l’appelant a été emprisonné et des motifs de son emprisonnement puisque ces questions étaient liées à la participation de l’appelant au programme de formation pendant la période en question. La preuve a aussi une portée sur la crédibilité de l’appelant. En effet, si la division générale n’avait pas tenu compte de cette preuve, on aurait pu lui reprocher de ne pas avoir examiné la preuve dans son ensembleNote de bas de page 20.

[29] Pour ce qui de la preuve médicale, le membre a affirmé qu’il privilégiait la preuve des spécialistes puisque les médecins de famille sont devenus les défenseurs de l’appelant. Il a conclu que les avis de docteure Wendling n’étaient pas appuyés par la preuve objective des spécialistes et que les rapports de docteur Yu ont été rédigés bien après la fin de la PMA et n’avait pas de lien avec l’état de santé de l’appelant pendant la période en question (docteur Yu a traité l’appelant à compter de 2009)Note de bas de page 21). Ces conclusions s’offraient à lui sur la preuve dont il a été saisi. Selon toutes les circonstances et les conclusions, il est évident que le membre a rejeté la preuve de l’appelant selon laquelle il aurait décroché du programme en raison de sa santé. Même si le membre ne s’y est pas référé dans ces motifs, je conclus qu’il a mené son analyse en suivant les principes énoncés dans l’arrêt Inclima.

[30] L’appelant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’appel doit être accueilli sur ce motif.

Question 3 : La division générale a-t-elle omis d’évaluer l’invalidité à la fin de la PMA?

[31] L’appelant soutient que la division générale est tenue d’évaluer l’état de santé du prestataire à la fin de la PMA et que [traduction] « qu’en omettant de le faire, elle a erré dans son application des faits au droitNote de bas de page 22. »

[32] L’application des faits au droit est une question mixte de faits et de droit. Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS ne comporte pas d’erreurs mixtes de faits et de droit comme moyen d’appel, mais il traite plutôt les erreurs de faits et de droit en tant que motifs distincts. Par conséquent, la division d’appel n’a pas la compétence pour déterminer si elle a commis une erreur mixte de fait et de droitNote de bas de page 23.

[33] Afin de trancher si un prestataire est invalide au sens du RPC, il faut déterminer s’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la fin de la PMA ou avant cette date et de façon continue par la suite. Par conséquent, l’appelant est convaincu que la décision se fonde sur une évaluation de l’état de santé de l’appelant à la fin de sa PMA. Le membre de la division générale a répété dans ses motifs qu’il s’agissait de sa tâche. Au paragraphe 6, le membre conclut que la PMA de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2002. Au paragraphe 7, il mentionne [traduction] « que le Tribunal doit déterminer s’il est plus probable qu’improbable que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa PMA », et il répété ce principe en se lançant sans son analyse au paragraphe 45Note de bas de page 24. Le membre a examiné la preuve médicale relative à la gravité de l’état de santé de l’appelant dans le volet analyse de sa décision aux paragraphes 50 à 57 de ses motifs.

[34] Au paragraphe 54, le membre a mis l’accent sur l’état de santé de l’appelant à la fin de sa PMA et a noté que docteure Tahlan a recommandé à l’appelant de se recycler dans son rapport de novembre 2002. Elle est d’avis que l’état de santé mentale de l’appelant était modéré et que l’évaluation de ses capacités cognitives de l’an dernier est juste; elle a aussi mentionné que l’appelant a bien su gérer les événements précédents ainsi que les blessuresNote de bas de page 25.

[35] Le membre a remarqué ce qui suit : le rapport psychoprofessionnel préparé en février 2003Note de bas de page 26 mentionnait que l’appelant détenait de bonnes aptitudes intellectuelles et la capacité de se recycler; que docteur Gurr, conseiller en orthopédie a mentionné que son état était stable en novembre 2002Note de bas de page 27; et que docteur Thomas a noté que l’appelant se considérait en bonne santé physique [en mai 2013] et conclu que malgré les effets persistants ce que dernier ressentait du TSPT, la preuve démontre qu’ils n’étaient pas graves au point de de l’empêcher d’obtenir un emploi convenable qui correspond à ses capacitésNote de bas de page 28.

[36] Le membre a aussi tenu compte de l’état de santé de l’appelant après sa PMA dans le cadre de son analyse relative à la gravité de l’invalidité continue de l’appelant. Le membre a conclu que l’appelant n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave au sens du RPC, à la fin de sa PMA et de manière continue par la suiteNote de bas de page 29.

[37] Sans commenter si l’application du droit aux faits faite par le membre était adéquate (puisqu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit qui excède ma compétence), je conclus que le membre s’est bien fondé sur les principes juridiques et qu’il les a appliqués dans son appréciation de la preuve.

[38] Par conséquent, je conclus que l’affirmation selon laquelle le membre de la division générale n’a pas tenu compte de l’état de santé de l’appelant à la fin de sa PMA ou avant cette date est erronée.

Erreurs de fait alléguées

[39] Un autre des moyens d’appel prévu devant la division d’appel est que [traduction] « la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 30 ». Ce libellé prévoit que la division d’appel doit faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait de la division générale; de plus, pour que l’appel puisse avoir une chance raisonnable de succès, la conclusion de fait contestée doit non seulement être déterminante (« a fondé sa décision sur ») et être inexacte (« erronée »), mais il faut également que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le libellé donne à penser que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec le contenu du dossierNote de bas de page 31.

Question 4 : La division générale s’est-elle fiée à l’absence de traitements prodigués par un spécialiste pour traiter les problèmes psychologiques de l’appelant?

[40] L’appelant soutient que la division générale a erré en droit puisque dans son analyse relativement si l’invalidité de l’appelant était sévère à la fin de sa PMA ou avant cette, et de manière continue par la suite, elle s’est fondée sur le fait que l’appelant n’a pas consulté de spécialiste pour ces problèmes psychologiques de 2002 à 2009. L’appelant soutient que la division générale n’a pas apprécié la preuve selon laquelle son TSPT, sa dépression et son anxiété étaient suivis de près par son médecin de famille.

[41] Bien que l’appelant décrit cela comme une erreur de droit, son argument s’inscrit davantage dans l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. Il affirme essentiellement que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle ses plaintes concernant sa santé mentale n’étaient pas graves puisqu’il n’a pas consulté de spécialiste en santé mentale de 2002 à 2009, et par conséquent, une telle conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance puisqu’il a bel et bien consulté son médecin de famille au cours de cette période pour ce problème de santé précis.

[42] Il est évident que le membre de la division générale a apprécié les arguments selon lesquels l’appelant était atteint TSPT et d’autres problèmes psychologiques, et qu’il suivait des traitements auprès de son médecin de famille pour traiter ces problèmes. Il l’a d’ailleurs noté à plusieurs reprises dans ses motifsNote de bas de page 32. Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il incombe au prestataire de prendre soin de sa santé. Le membre avait droit de tenir compte du type de traitement médical que l’appelant a cherché comme un indicateur de la gravité des répercussions sur ses problèmes de santé à la fin de sa PMA et de façon continue par la suite. Consulter un spécialiste pour des problèmes psychologiques de 2002 à 2009 aurait pu constituer un indicateur de la gravité des répercussions de ces problèmes sur l’appelant et sur sa capacité de travailler.

[43] L’avocate de l’appelant fait valoir dans la décision rendue par la Commission d’appel des pensions dans l’affaire Ministre du Développement social c. Kumar que les médecins de famille ont droit de traiter une dépression. Dans l’arrêt Kumar, la Commission a résumé dans ces motifs la preuve d’un médecin de famille qui mentionne que les médecins de famille sont formés pour diagnostiquer une dépression. Toutefois, la Commission n’a pas rendu de conclusion à cet égard et ni accueilli la preuve du médecin de famille, allant même jusqu’'à dire que le médecin de famille traitant de Kumar [traduction] « aurait noté ces symptômes lorsqu’il examinait l’appelant lors de ces visites régulièresNote de bas de page 33 ». Les médecins de famille n’ont pas rédigé de telles notes au dossier de monsieur Kumar et la Commission a accueilli l’appel du ministre en concluant que monsieur Kumar n’a pas satisfait à son obligation de prouver qu’il était invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC. La décision Kumar n’assiste en rien l’appelant.

[44] Je suis incapable de conclure que la division générale a commis une erreur liée à la portée du paragraphe 58(1) en tenant compte du fait que l’appelant n’a pas consulté de spécialiste pendant sept ans, soit après novembre 2002, dans son évaluation de la gravité de l’invalidité de l’appelant à la fin de sa PMA ou avant cette date, soit le 31 décembre 2002, ou de façon continue par la suite. Ce critère était lié directement à l’impact des problèmes de la santé mentale sur l’appelant et sur ces tentatives de les régler.

Question 5 : La division générale a-t-elle omis d’accorder suffisamment d’importance au témoignage de l’appelant et à la preuve fournie par ses médecins de famille, et d’examiner la preuve des experts?

[45] Une allégation selon laquelle la division générale n’a pas accordé suffisamment d’importance à un élément de preuve ne constitue pas un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 34.

[46] L’avocate de l’appelant prétend que le membre de la division générale a mentionné dans ses motifs [traduction] « qu’aucun élément de preuve médicale au dossier » n’appuie la preuve de l’appelant selon laquelle son état de santé l’empêchait de participer au programme de retour sur le marché du travail, et que cette déclaration contredit la preuveNote de bas de page 35. Le passage auquel s’est référé le l’avocate de l’appelant est une citation d’une lettre du 21 février 2007 de la CSPAAT adressée à l’appelant, et contenue dans le résumé de la preuve du membreNote de bas de page 36. Il ne s’agit pas d’une conclusion rendue par le membre. Le membre de la division générale s’est fié aux notes cliniques de docteur Wendling dans lesquelles elle mentionne que [traduction] que l’appelant ne pourrait pas terminer son cours d’informatique en raison de ses problèmes de santé et que ce dernier devait éviter toute situation stressanteNote de bas de page 37 », ce qui sous-entend que le membre était au fait de la preuve sur cette question. Toutefois, le membre a privilégié la preuve des spécialistes à celle de docteure Wendling.

[47] L’appelant prétend aussi que [traduction] « le membre Rodenhurst a agi de façon inappropriée en accordant uniquement une grande importance au témoignage oral de l’appelant lorsqu’il a tranché l’admissibilité de [l’appelant] aux prestations du RPC. » L’appelant affirme que le membre [traduction] « aurait dû accorder la même importance à la preuve écrite et oraleNote de bas de page 38 ». [souligné dans l’original]

[48] Je suis d’avis que l’appelant a mal interprété les motifs sur ce point. Dans ses motifsNote de bas de page 39, le membre affirme que [traduction] « le Tribunal se fit grandement sur la preuve subjective d’un appelant et que si la preuve est crédible, on lui accorde beaucoup d’importance. [italique ajouté] Il s’agissait d’une déclaration générale concernant l’approche du membre à propos de la preuve. Cette déclaration n’a rien d’inapproprié.

[49] Le membre a aussi affirmé que le témoignage oral de l’appelant était essentiel à la résolution de l’appel dont il est saisi. Le membre estime que le témoignage oral de l’appelant pose problème en ce qui concerne sa condamnation par la Cour de justice de l’Ontario, et il a déterminé qu’il accorderait davantage d’importance au jugement rendu par un tribunal compétent qu’au témoignage d’un appelant sur des questions connexes et relatives au jugement. En faisant cela, il a agi dans le cadre de sa compétence en tant que juge de faits.

[50] Dans l’arrêt Simpson c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 40, la Cour d’appel fédérale a abordé le sujet des rôles respectifs du juge des faits et du tribunal d’appel :

[...] Le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[51] J’écarte les suggestions de l’appelant selon lesquelles la division d’appel avait la compétence d’instruire la division générale à accorder la même importance à la preuve de l’appelant et à la preuve écrite.

[52] L’appelant s’oppose au fait que le membre a privilégié la preuve de ses spécialistes à celles de ces médecins de famille, les docteurs Wendling et Yu. (L’appelant a cessé de consulter docteure Wendling en novembre 2009 et a commencé à se faire traiter pas docteur Yu à compter de cette date.)

[53] Le membre a mentionné qu’il a accordé davantage d’importance à la preuve des spécialistes puisque les médecins de famille sont devenus les défenseurs de l’appelant et qu’elle n’appuyait pas leurs conclusions. Le Tribunal a a conclu dans d’autres décisions que, bien qu’il soit compréhensible que des médecins se portent à la défense de leur patient, le médecin qui agit ainsi pourrait témoigner d’un manque apparent d’objectivité et accordé moins d’importance à la preuve par conséquent : voir R.D.G. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétencesNote de bas de page 41. Ce principe a été reconnu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. AngheloniNote de bas de page 42. Je ne vois aucun fondement me permettant de conclure que le membre a commis une erreur correspondant à la portée de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS lorsqu’il a privilégié la preuve des spécialistes à celle des médecins de famille.

[54] Bien que l’appelant conteste l’évaluation de la preuve effectuée par la division générale, il tente essentiellement de me convaincre d’apprécier la preuve de nouveau et d’en venir à une conclusion différente. Ce rôle est au-delà de mes compétences en l’espèce. Un appel devant la division d’appel n’offre pas la chance d’instruire ou d’examiner de nouveau la demande. De plus, la Cour fédérale a confirmé que ne pas accorder l’importance qu’il convenait à la preuve présentée ne constituait pas un moyen d’appel prévu au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 43.

Sommaire

[55] Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en n’examinant pas l’état de santé de l’appelant dans son ensemble en déterminant la gravité de son invalidité. La division générale n’a toutefois pas commis d’erreur liée à la portée du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS; plus précisément, elle n’a pas erré en droit au titre de l’alinéa 58(1)b) ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée liée à la portée de l’alinéa 58(1)c).

[56] L’erreur commise par la division générale n’a pas résolu la demande de prestations d’invalidité de l’appelant; en effet, l’admissibilité de l’appelant à ces prestations continue d’être contestée par le ministre. Par conséquent, il convient de renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Conclusion

[57] L’appel est accueilli au motif que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’état de santé de l’appelant dans son ensemble en évaluant la gravité de l’invalidité. En vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen sur le fond.

[58] Les autres moyens d’appel invoqués par l’appelant sont rejetés.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 12 février 2018

Téléconférence

D. D., appelant

Bozena Kordasiewicz, représentante de l’appelant

Ministre de l’Emploi et du Développement social, intimé

Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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