Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est accordée.

Aperçu

[2] La demanderesse, A. S., a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) le 26 octobre 2009. Il s’agissait de sa troisième demande. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la première demande, présentée en 2001, au stade initial et après révision, et l’appel devant un tribunal de révision (prédécesseur de la division générale) a été rejeté. Le ministre a également rejeté la deuxième demande présentée en 2003. La demanderesse n’a pas demandé de révision de ce refus.

[3] La troisième demande de la demanderesse a été rejetée au stade initial le 28 juin 2010. Elle a seulement demandé la révision de cette décision presque six ans plus tard, le 29 février 2016. Le ministre a refusé d’accorder la prorogation du délai afin de présenter une demande de révision parce qu’elle n’avait pas satisfait aux conditions prévues aux paragraphes 74.1(3) et 74.1(4) (les critères prévus à l’article 74.1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC). La demanderesse a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a conclu que le ministre n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a refusé la demande tardive de révision. En ce qui concerne son pouvoir en vertu de l’article 54 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), le membre de la division générale a rendu la décision que le ministre aurait dû rendre. Même si le membre était prêt à accepter qu’on avait satisfait à trois des quatre critères établis à l’article 74.1, il a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré l’intention constante de présenter une demande de révision de 2010 à 2016. Il a rejeté l’argument de la demanderesse selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire aux quatre critères établis à l’article 74.1 afin qu’une prorogation soit accordée. Il a donc rejeté l’appel.

[5] J’ai conclu que la demanderesse a soulevé une cause défendable relativement à l’un de ses arguments et que, par conséquent, la permission d’en appeler est accordée.

Questions en litige

Question en litige no 1 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 74.1 du Règlement sur le RPC?

Question en litige no 2 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré l’intention constante de demander une révision?

Analyse

[6] Un appel devant la division d’appel peut seulement être entendu si la permission d’en appeler est accordéeNote de bas de page 1. De plus, la division d’appel doit rejeter la permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2.

[7] La Loi sur le MEDS prévoit seulement trois moyens d’appel qui peuvent être présentés devant la division d’appel :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 3.

[8] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à un appel sur le fond. Ainsi, l’étape de la demande de permission d’en appeler représente un obstacle différent et considérablement moins difficile à franchir qu’un appel sur le fond; la demanderesse doit présenter au moins un moyen d’en appeler prévu au paragraphe 58(1) de la LMEDS qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès, car à cette étape, la demanderesse doit établir sa cause selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 4. Dans le contexte de la demande de permission d’en appeler, une chance raisonnable de succès signifie que l’appel proposé pourrait avoir gain de cause sur la base de certains motifs défendablesNote de bas de page 5.

[9] Par conséquent, la question que je dois trancher dans le cadre de cette demande est celle de savoir si la demanderesse a soulevé une cause défendable qui pourrait donner gain de cause à l’appel.

Question en litige no 1 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 74,1 du Règlement sur le RPC?

[10] Le représentant de la demanderesse fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de l’article 74.1 du Règlement sur le RPC. Essentiellement, son argument est qu’il n’est pas tenu de satisfaire aux quatre conditions établies dans l’article 74.1. Il soutient plutôt que l’approche prise dans des arrêts comme Canada (Procureur général) c. PentneyNote de bas de page 6 et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. HogervorstNote de bas de page 7 pour accorder une prorogation devrait s’appliquer aux décisions du ministre au titre de l’article 74.1. Dans ces arrêts et d’autres, les tribunaux ont établi une liste non exhaustive de quatre critères à prendre en considération lorsqu’ils doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai et ils ont conclu qu’il n’est pas tenu de satisfaire aux quatre critères pour accorder la prorogation. Dans ces causes, la considération primordiale consiste à veiller à ce que justice soit faite entre les parties. Le représentant de la demanderesse soutient que [traduction] « la codification du critère de la common law dans les dispositions législatives a démontré que le pouvoir législatif appuyait fortement les quatre facteurs établis dans le critère ainsi que l’orientation judiciaire quant à leur applicationNote de bas de page 8 ». Il fait valoir que le membre aurait dû conclure que la demanderesse n’était pas tenue de démontrer une intention constante de demander une révision entre 2010 et 2016. Selon lui, [traduction] « on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que l’appelante [la demanderesse] démontrer son intention constanteNote de bas de page 9 » de chercher à obtenir une révision pendant cette période.

[11] Le représentant de la demanderesse fait également valoir que le principe établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 10, selon lequel les dispositions législatives conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et selon lequel tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur de la partie demanderesse, doit être appliqué à l’article 74.1. Il soutient que le fait d’exiger la satisfaction aux quatre critères établis à l’article 74.1 ne cadre pas avec ce principe.

[12] J’estime que ces arguments ne confèrent à l’appel aucune chance raisonnable de succès.

[13] La common law a établi une liste non exhaustive de quatre critères à prendre en considération et à apprécier lorsqu’un décideur doit trancher sur l’accord d’une prorogation de délai. Les facteurs sont les suivants :

i) la personne qui demande la prorogation démontre une intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;

ii) la cause est défendable;

iii) la personne qui demande la prorogation a une explication raisonnable pour justifier le retard;

iv) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à la partie défenderesse.

[14] Les tribunaux ont conclu qu’il n’est pas tenu de satisfaire aux quatre critères, et la préoccupation dominante est la question de savoir si la justice est rendue entre les parties. Le critère de la common law a été appliqué dans une grande variété de situations, par exemple les demandes de prorogation de délai présentées en vertu de l’article 8 des Règles des Cours fédérales et les demandes de prorogation de délai afin d’interjeter appel devant la division générale et la division d’appel.

[15] Dans les arrêts Pentney et Hogervost, on était préoccupé par la question de savoir si un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions (prédécesseur de la division d’appel), respectivement, auraient dû accorder la prorogation du délai pour permettre à la partie d’interjeter appel. L’arrêt Pentney portait sur une décision du tribunal de révision d’accorer la prorogation du délai afin d’interjeter appel de la décision découlant de la révision du ministre. L’arrêt Hogervorst portant sur la décision d’accorder la prorogation du délai pour interjeter appel devant la Commission d’appel des pensions.

[16] Contrairement aux arrêts Pentney, Hogervorst et d’autres cas où les tribunaux ou un tribunal ont appliqué le critère de la common law, l’article 74.1 du RPC prévoit les critères à satisfaire avant que le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai soit soulevé. Le ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire à exercer jusqu’à ce qu’il soit convaincu que les critères établis à l’article 74.1 soient satisfaits.

[17] Le paragraphe 81(1) du RPC autorise la partie demanderesse à demander une révision de la décision du ministre dans les 90 jours suivant la date à laquelle la partie demanderesse a été informée de la décision ou dans le délai le plus long que le ministre peut autoriser. Les paragraphes 74.1(3) et 74.1(4) du Règlement sur le RPC régissent le moment où le ministre peut autoriser un délai prolongé. Ces paragraphes prévoient ce qui suit :

74.1(3) Pour l’application des paragraphes 81(1) et (1,1) de la Loi et sous réserve du paragraphe (4), le ministre peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision d’une décision ou d’un arrêt s’il est convaincu, d’une part, qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et, d’autre part, que l’intéressé a manifesté l’intention constante de demander la révision.

(4) Dans les cas ci-après, le ministre doit aussi être convaincu que la demande de révision a des chances raisonnables de succès et que l’autorisation du délai supplémentaire ne lui porte pas préjudice ni d’ailleurs à aucune autre partie :
a) la demande de révision est présentée après 365 jours suivant celui où il est avisé par écrit de la décision ou de l’arrêt;
[mis en évidence par la soussignée]

[18] Par conséquent, selon le Règlement sur le RPC, si une demande de révision est présentée après le délai de 90 jours, mais dans les 365 jours suivant la journée à laquelle le requérant a été informé de la décision initiale, le ministre doit être convaincu que les deux critères établis au paragraphe 74.1(3) du Règlement sur le RPC ont été respectés. La conjonction « et » prévoit que le ministre doit être convaincu que les deux conditions sont satisfaites. Le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation du délai dans ce contexte seulement.

[19] Si la demande de révision est présentée plus de 365 jours après la journée pendant laquelle la partie requérante a été informée de la décision initiale, le ministre doit également être convaincu que les deux critères établis au paragraphe 74.1(4) du Règlement sur le RPC ont été respectés. Encore une fois, la conjonction « et » signifie que le ministre doit être convaincu que les deux conditions établies au paragraphe 74.1(4) sont respectées. Par conséquent, étant donné le libellé de l’article 74.1, le ministre doit être convaincu que les quatre conditions prévues aux paragraphes 74.1(3) et 74.1(4) ont été respectées. Ce n’est qu’à ce moment précis qu’il peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorer la prorogation du délai. La seule contrainte dans sa décision à ce moment-ci est qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

[20] Étant donné que la demande de révision de la demanderesse a été présentée presque six ans après la communication de la décision initiale, le paragraphe 74.1(4) s’appliquait. À moins que le ministre soit convaincu que les quatre critères avaient été respectés, il devait rejeter la demande de prorogation du délai en vue de demander une révision. Il ne possédait pas le pouvoir discrétionnaire d’agir autrement. La même contrainte a été appliquée à la décision de la division générale afin de rendre la décision que le ministre aurait dû rendre, pouvoir qui lui est accordé en vertu de l’article 54 de la Loi sur le MEDS. La division générale n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer à moins d’être convaincue que les quatre critères étaient satisfaits.

[21] Contrairement à l’observation de la demanderesse selon laquelle le législateur doit avoir intégré l’approche prévue par la common law dans ces dispositions législatives, y compris celles selon laquelle il n’est pas tenu que les quatre critères soient respectés et selon laquelle la considération primordiale est que la justice soit rendue entre les parties, à l’article 74.1, le législateur a clairement précisé que le ministre n’a pas à exercer son pouvoir discrétionnaire, sauf dans une situation où il est convaincu que les critères applicables ont été satisfaits. Le critère de la common law ne peut pas s’appliquer afin de remplacer le libellé clair de la loi. De plus, le principe établi dans l’arrêt Villani et cité par le représentant de la demanderesse n’est pas concerné, car il n’existe aucune ambiguïté dans l’article 74.1.

[22] Le représentant de la demanderesse soutient que le ministre aurait dû avoir recours à une approche contextualisée et intentionnelle afin de déterminer si les quatre critères ont été respectés. Bien qu’une approche contextualisée puisse être prise pour apprécier la preuve et ainsi déterminer si chaque critère est satisfait, je ne suis pas d’accord avec le fait qu’une approche contextualisée s’applique afin d’exempter le ministre de l’exigence claire établie par la loi selon laquelle les quatre critères doivent être respectés au final avant qu’il ait le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation du délai au titre du paragraphe 74.1(4). Les mêmes principes s’appliquent à la division générale pour prendre la décision que le ministre aurait dû rendre, en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur le MEDS.

[23] J’estime que ce moyen d’appel ne confère pas à l’appel une chance raisonnable de succès.

Question en litige no 2 : Existe-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré l’intention constante de demander une révision?

[24] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale a tiré une conclusion de fait arbitraire selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré l’intention constante de demander une révisionNote de bas de page 11. Il soutient qu’ [traduction] « il serait seulement raisonnable de s’attendre à ce qu’elle demande une révision alors qu’elle se portait assez bien pour le faire ». Il soutient également que la division générale a déclaré que la crédibilité n’était pas une question en litigeNote de bas de page 12, que le membre aurait dû accepter l’observation selon laquelle [traduction] « l’appelante s’est seulement sentie assez bien pour obtenir les services d’aide juridique de Queen’s en 2015, puis elle a ensuite demandé une révision de la décision de 2010 » à titre de preuve selon laquelle la demanderesse avait l’intention constante de demander la révision pendant l’ensemble du délaiNote de bas de page 13. Il se fonde également sur une décision de la division générale et une décision de la Cour fédérale pour faire valoir que [traduction] « la recherche de services d’aide juridique sert de preuve d’intention constanteNote de bas de page 14 ».

[25] Le représentant de la demanderesse soutient également que le membre était au courant de la situation de la demanderesse, mais qu’il n’en a pas tenu compte pour apprécier le critère relatif à l’intention constante. Il cite deux décisions de la Cour fédéraleNote de bas de page 15 pour appuyer la proposition selon laquelle la division générale aurait dû prendre une approche contextualisée par rapport à la preuve concernant la question de savoir si la demanderesse avait l’intention constante de demander une révision. Il fait valoir que, [traduction] « à la lumière du mauvais état de santé mentale et physique de l’appelante et de la "situation unique" reconnues par le membre comme étant les éléments justifier le dépôt tardif de la demande de révision, il est soutenu qu’il serait déraisonnable d’exiger de l’appelante qu’elle ait démontrer l’intention constante pendant toute cette périodeNote de bas de page 16 ».

[26] En tenant compte du seuil moins élevé qui doit être atteint par la demanderesse pour obtenir la permission d’en appeler, je suis convaincue que celle-ci a présenté une cause défendable en ce qui concerne une possible erreur visée à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[27] La demande de permission d’en appeler est accueillie grâce au deuxième moyen d’appel, soit qu’il existe une cause défendable selon laquelle la division générale pourrait avoir comme une erreur visée à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré l’intention continue de demander une révision. L’appel sur le fond portera seulement sur cette question en litige.

[28] Dans les 45 jours suivant la date de la décision, les parties peuvent déposer des observations relatives à cette question en litige auprès de la division d’appel ou déposer un avis auprès de la division d’appel précisant qu’elles n’ont pas d’observations à déposerNote de bas de page 17.

Représentant :

Laura Dalloo, avocate du demandeur

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