Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

Aperçu

[2] D. P. (requérante) a terminé ses études secondaires, ainsi que certains cours de niveau collégial avant d’intégrer le marché du travail. Elle a travaillé pour la dernière fois comme superviseure dans un casino. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et a soutenu qu’elle était invalide en raison de problèmes physiques et mentaux causés par un accident de voiture. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel en établissant que son invalidité n’était pas grave parce qu’elle n’avait pas essayé d’accomplir un autre travail. L’appel de la décision de la division générale par la requérante est accueilli, car la décision était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte de l’ensemble des éléments portés à la connaissance de la division générale et sur une erreur de droit concernant la conformité de la requérante au traitement.

Questions en litige

[3] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de la situation financière de la requérante lorsqu’elle a déterminé la question de savoir si de manière déraisonnable elle n’avait pas suivi les traitements médicaux?

[4] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur l’une des conclusions de fait erronées suivantes tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance :

  1. que la requérante n’a pas fourni d’information concernant ses blessures, ses limitations, etc., et s’est fiée sur son médecin de famille pour le faire, et qu’elle n’a fourni aucun détail concernant l’accident de voiture;
  2. que la requérante n’était pas crédible;
  3. que l’évaluateur a mentionné que l’information qui lui a été remise était incomplète, car la requérante a refusé de confirmer certains éléments;
  4. que la requérante a essayé une seule fois de retourner au travail;
  5. que la réussite des cours de niveau collégial de la requérante montrait une capacité de travail.

Analyse

[5] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) régit le fonctionnement du Tribunal. Elle énonce seulement trois moyens d’appel bien précis pouvant être pris en considération. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; a commis une erreur de compétence ou de droit; a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 1. Les moyens d’appel sont examinés dans le contexte ci-dessous.

Question en litige no 1 : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit?

[6] La Cour d’appel fédérale prévoit que, pour trancher la question de savoir si un requérant est invalide, le décideur doit examiner si son refus de suivre des traitements est déraisonnable ou non, et quel impact ce refus peut avoir sur l’état d’incapacité du requérant, dans le cas où le refus est déraisonnableNote de bas de page 2. En l’espèce, la requérante a suivi différents traitements après l’accident de voiture, notamment de la physiothérapie, un traitement psychologique et un traitement en ergothérapie, en plus d’un recyclage scolaire. Elle a arrêté chacun d’entre eux lorsque le financement de son assureur a pris fin. La division générale a mentionné :

Afin de satisfaire à la définition de grave et prolongée, un requérant doit suivre les recommandations de traitements recommandés par son médecin [sic]. Une requérante qui refuse de manière déraisonnable de suivre un traitement recommandé, en raison de ses propres recherches ou de difficultés financières non pertinentes, pourrait ne pas être admissible à une pension d’invalidité. Le Tribunal a déterminé que l’appelante ne se conforme pas au traitement recommandé et manque également de crédibilitéNote de bas de page 3.

La division générale mentionne à juste titre qu’un requérant qui refuse de manière déraisonnable de suivre un traitement pourrait ne pas être admissible à une pension d’invalidité. Cependant, il s’agit d’une erreur de droit que de mentionner que les difficultés financières d’une requérante ne sont pas pertinentes dans la détermination de la question de savoir si un tel refus est déraisonnable.

[7] La Cour d’appel fédérale prévoit que les conditions économiques particulières à la région où un requérant chercherait du travail doivent être prises en considérationNote de bas de page 4. Ce principe s’applique à la capacité d’un requérant de trouver du travail, et non à son obligation de suivre les recommandations de traitement.

[8] Il n’y a pas de décision exécutoire de la cour concernant la question de savoir si la situation financière d’un requérant est un élément pertinent pour déterminer si le refus de suivre un traitement est raisonnable. Cependant, étant donné que la Cour d’appel fédérale prévoit qu’une approche réaliste doit être adoptée pour déterminer si un requérant est invalideNote de bas de page 5, cela inclurait sa capacité à payer pour un traitement continu ou recommandé. Il est déraisonnable d’exiger d’un requérant qu’il épuise toutes ses ressources financières afin que toutes les recommandations relatives au traitement soient suivies, particulièrement lorsque différents traitements ont été initiés par un assureur et qu’ils vont probablement se poursuivre pendant une longue période de temps.

[9] La division générale a par conséquent commis une erreur de droit lorsqu’elle a établi que la capacité de la requérante de payer pour un traitement continu n’était pas pertinente pour la détermination de son respect du traitement. L’appel est donc accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 2 : la division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

[10] Un moyen d’appel prévu par la Loi sur le MEDS est celui selon lequel la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments qui étaient portés à sa connaissanceNote de bas de page 6. Afin qu’un appel soit accueilli sur ce fondement, trois critères doivent être satisfaits. La conclusion de fait doit être erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale, et la décision doit être fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 7.

[11] La Loi sur le MEDS ne définit pas les termes « abusive » et « arbitraire ». Cela dit, certains jugements des tribunaux ayant tenu compte de la Loi sur les Cours fédérales, où figure le même libellé, s’avèrent utiles. Il a été décidé, dans ce contexte, que le terme « abusive » signifiait d’« avoir statué sciemment à l’opposé de la preuve ». Le terme « arbitraire » a été défini comme étant quelque chose « qui est irrégulier au point de sembler ne pas être conforme au droit »Note de bas de page 8. Finalement, une conclusion de fait au sujet de laquelle le Tribunal ne dispose d’aucune preuve sera mise de côté parce qu’elle a été tirée sans égard aux éléments portés à la connaissance du Tribunal. J’admets que ces définitions s’appliquent lorsque la Loi sur le MEDS est considérée.

a) Le respect du traitement pas la requérante

[12] La requérante soutient que la conclusion de la division générale selon laquelle la requérante ne respectait pas le traitement est erronée parce qu’elle a suivi des traitements recommandés. Elle a arrêté seulement au moment où le financement de l’assurance n’était plus disponible et qu’elle n’avait pas l’argent pour poursuivre le traitement. Je suis d’accord.

[13] La division générale a établi que la requérante ne respectait pas le traitement parce qu’elle a omis de poursuivre le traitement recommandé en raison de sa situation financière. Lorsque des fonds étaient disponibles afin de payer pour les traitements, la requérante s’y est présentée. Aucun des médecins praticiens n’a laissé entendre qu’elle ne respectait pas les traitements. Cette conclusion de fait selon laquelle la requérante ne respectait pas le traitement a été tirée sans égard à la preuve médicale qui confirmait que la requérante avait suivi de nombreux traitements sur une longue période de temps. La décision était fondée au moins en partie sur cette conclusion de fait. Par conséquent, il s’agissait d’une erreur au titre de la Loi sur le MEDS, et l’appel doit être accueilli.

b) Le défaut de la requérante de fournir des éléments de preuve concernant son accident, ses blessures ou ses limitations

[14] La décision de la division générale mentionne que la requérante n’a pas fourni d’information au sujet de ses blessures, de ses limitations, de ses problèmes de santé ou de ses activités de la vie quotidienne et qu’elle s’était fiée sur son médecin de famille pour le faireNote de bas de page 9. La détermination selon laquelle elle manquait de crédibilité était fondée sur cette conclusion de fait. Cependant, la requérante a présenté au Tribunal des observations écrites qui comprennent ces précisionsNote de bas de page 10. La division générale ne fait pas référence à ce document dans son résumé de la preuve ou son analyse de la preuve ayant mené à rendre sa décision. Bien qu’une décision ne doive pas faire référence à chacun des éléments de preuve qui sont portés à sa connaissanceNote de bas de page 11, l’affirmation dans cette décision selon laquelle la requérante a omis de fournir des éléments de preuve de ses blessures, de ses limitations, etc., est erronée et contraire à la preuve. Cette conclusion de fait a de toute évidence été tirée par la division générale sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance. La décision était fondée en partie sur cette conclusion de fait. Par conséquent, la division générale a commis une erreur au titre de la Loi sur le MEDS, sur la base de laquelle l’appel doit être accueilli.

c) La crédibilité de la requérante

[15] La division générale a établi que la requérante manquait de crédibilité. Cela était fondé sur sa conclusion de fait selon laquelle elle n’avait pas fourni de preuve concernant l’accident de voiture, ses blessures, etc. et son défaut de poursuivre le traitement recommandé. La division générale est assujettie à la déférence quant à ses conclusions en matière de crédibilité, car elle est la juge des faits. Cependant, cette conclusion sur la crédibilité était fondée en partie sur des conclusions de fait erronées, et est donc également erronée au titre de la Loi sur le MEDS, et l’appel doit aussi être accueilli sur cette base.

d) L’information portée à la connaissance de l’évaluateur était incomplète

[16] La décision de la division générale mentionne que le Dr Zakzannis a répété à maintes reprises que l’information au sujet des activités de la vie quotidienne de la requérante pouvait être incomplète parce qu’elle refusait de confirmer si tous les aspects de ces activités étaient abordés dans l’examenNote de bas de page 12. La requérante soutient qu’il s’agit aussi d’une conclusion de fait erronée. Cependant, le Dr Zakzannis a écrit six fois que la requérante avait refusé de confirmer certaines choses, y compris si elle avait d’autres symptômes et si tous les aspects des activités de sa vie quotidienne ou de son histoire personnelle avaient été abordés. Cette conclusion de fait était fondée sur une preuve étoffée. Elle n’était pas erronée.

e) Les tentatives de la requérante pour retourner travailler.

[17] La décision mentionne que la requérante a travaillé à titre de superviseure dans un casino du 17 mai 2005 au 2 janvier 2014Note de bas de page 13. La division générale estime également qu’elle a essayé de reprendre son emploi au casino après l’accident de voiture, mais était incapable d’exécuter ses tâches avec succèsNote de bas de page 14. Cependant, la preuve de la requérante fait état du fait que cette dernière avait essayé de retourner au travail en 2011, 2012, 2013 et 2014. La décision omet de faire référence à ces autres tentatives de retour au travail. Par conséquent, la conclusion de fait de la division générale selon laquelle elle a continué de travailler jusqu’en 2014 était erronée. Cette conclusion a été rendue sans tenir compte de l’ensemble des éléments portés à la connaissance du Tribunal. La division générale a conclu, en se fondant en partie sur cet élément de preuve, qu’elle ne pouvait pas déterminer que la requérante n’avait pas réussi à obtenir ou à conserver un emploi en raison de son état de santéNote de bas de page 15. La décision a, par conséquent, été fondée sur cette conclusion de fait erronée. L’appel doit donc être accueilli également pour cette raison.

f) La fréquentation du collège par la requérante

[18] Dans sa décision, la division générale mentionne : [traduction] « [la requérante] est retournée aux études depuis 2012 et a terminé plusieurs cours avec succès, avec une moyenne de 80 % »Note de bas de page 16. La décision explique également qu’elle a reçu des mesures d’adaptation pour les examensNote de bas de page 17. L’affirmation de la division générale selon laquelle elle a fréquenté le collège et terminé les cours n’est pas erronée, car elle est fondée sur la preuve.

[19] La division générale a conclu, sur la base de cette preuve, que la fréquentation du collège par la requérante montre sa capacité d’améliorer avec succès ses compétencesNote de bas de page 18, et il est raisonnable de penser que, si elle avait continué, elle serait parvenue à la capacité qui lui aurait permis de trouver un autre travail convenableNote de bas de page 19. La division générale, en tant que juge des faits, est libre de tirer des conclusions raisonnables à partir de la preuve qui lui est présentée. Ces conclusions de fait sont raisonnables sur la base de l’examen par la division générale de la preuve qui lui a été présentée. L’appel est rejeté pour ce motif.

Conclusion

[20] L’appel est accueilli.

[21] La Loi sur le MEDS prévoit les réparations que la division d’appel peut prendreNote de bas de page 20. En l’espèce, tous les éléments de preuve doivent être soupesés de nouveau, et la crédibilité de la requérante doit être déterminée. Cela est au cœur du mandat de la division générale.

[22] L’affaire est donc renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

[23] Afin d’éviter une appréhension potentielle de partialité, elle devrait être assignée à un membre différent de la division générale.

 

Mode d’instruction :

Observations :

Questions et réponses écrites

Lucianna Saplywy, avocate de l’appelante

Jean-François Cham, avocat de l’intimé

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