Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale aux fins de réexamen.

Aperçu

[2] W. W. (requérante) a suivi une formation de niveau collégial en administration. Son dernier emploi était à titre de marchandiseuse, puis elle a brièvement occupé le poste de vérificatrice avant de cesser de travailler en décembre 2013. Elle a reçu un diagnostic de fibromyalgie et de discopathie dégénérative à la colonne. La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et a prétendu être invalide en raison de ces problèmes de santé. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande.

[3] La requérante a interjeté appel de la décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a accueilli l’appel et a tranché que la requérante était invalide en juin 2013 en raison de la fibromyalgie et des symptômes connexes. Le ministre interjette appel de cette décision en faisant valoir que la division générale a commis des erreurs de droit et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. L’appel est accueilli, car la division générale a commis ces erreurs. L’affaire est renvoyée à la division générale parce que le dossier probant est incomplet.

Questions en litige

[4] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur de droit de l’une des façons suivantes :

  1. en interprétant mal les dispositions relatives au prorata du Régime de pensions du Canada;
  2. en n’appliquant pas les principes juridiques pertinents établis par les décisions des cours;
  3. en concluant que la requérante a continué de travailler pour un employeur bienveillant.

[5] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, de l’une des façons suivantes :

  1. en concluant que le Dr Collins essayait de gérer les attentes de la requérante, et non de formuler des commentaires sur sa capacité de travailler;
  2. en concluant qu’il n’existait aucune preuve de capacité de travailler.

[6] La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en ne fournissant pas des motifs suffisants pour sa décision?

Analyse

[7] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) régit le fonctionnement du Tribunal. Elle prévoit seulement trois moyens d’appel restreints pouvant être pris en considération. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence, de droit ou de fait, ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 1. Les arguments du ministre doivent être examinés dans ce contexte.

Question en litige no 1: erreurs de droit

a) Prorata

[8] Afin d’être admissible à une pension d’invalidité, la partie requérante doit avoir cotisé au Régime de pensions du Canada pendant une période minimale et avoir touché des gains supérieurs à un montant minimal (exemption de base de l’année). Il y a cependant une exception à la règle : l’exemption de base de l’année peut être calculée au prorata pour l’année pendant laquelle la période cotisable se termine en raison d’une invaliditéNote de bas de page 2. Cela permet à une partie requérante qui n’a pas suffisamment cotisé pendant une année de demeurer admissible à la pension d’invalidité si les cotisations pour la partie de l’année précédant celle où elle est devenue invalide respectent le montant proportionnel de l’exemption de base de l’année.

[9] En l’espèce, la requérante avait suffisamment cotisé pour la période minimale d’admissibilité (PMA) prenant fin le 31 décembre 2012. Elle a également cotisé en 2013, mais le montant de ces cotisations était inférieur à l’exemption de base de l’année. Toutefois, si la requérante était devenue invalide au cours de 2013, ses cotisations auraient pu être calculées au prorata afin qu’elle puisse demeurer admissible à la pension d’invalidité. Par conséquent, afin d’avoir gain de cause dans sa demande de pension d’invalidité, la requérante devait établir qu’elle était invalide le 31 décembre 2012 ou avant cette date, ou qu’elle est devenue invalide en 2013. Dans la seconde éventualité, ses cotisations pourraient être calculées au prorata.

[10] Il est déclaré avec raison dans la décision de la division générale que la date de fin de la PMA de la requérante était le 31 décembre 2012Note de bas de page 3. Il y est également déclaré que les cotisations de la requérante pourraient être calculées au prorata si elle était devenue invalide entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2013Note de bas de page 4. La division générale n’a commis aucune erreur dans ces déclarations.

[11] Toutefois, la division générale a conclu que la requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en juin 2013, soit au moment de son premier examen effectué par le Dr CollinsNote de bas de page 5, et que ses gains pour cette année pouvaient être calculés au prorata. Il s’agissait d’une erreur. Il n’y a eu aucun incident invalidant en 2013. L’examen de la requérante par un médecin n’a pas établi qu’un incident invalidant s’était produit à ce moment-là. La requérante a déclaré qu’elle a reçu un diagnostic de fibromyalgie un certain nombre d’années auparavant et que ses symptômes se sont aggravés après qu’elle a commencé à prendre de la prednisone. Elle a commencé à prendre ce médicament avant 2013, et ce, même si la preuve n’établit pas clairement le début de ce traitement. Rien ne prouvait que la période cotisable de la requérante avait pris fin en 2013 parce qu’elle était devenue invalide. Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le revenu de la requérante pouvait être calculé au prorata.

[12] L’appel est accueilli pour ce motif.

b) Principes juridiques pertinents

[13] Le ministre soutient également que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte d’un certain nombre de principes juridiques établis dans les décisions des cours.

Principe juridique établi par l’arrêt InclimaNote de bas de page 6

[14] Dans l’arrêt Inclima, la Cour d’appel fédérale prévoit que, s’il existe une preuve de capacité de travailler, la partie requérante doit démontrer qu’elle a déployé des efforts infructueux pour obtenir et conserver un emploi en raison de son état de santé. Selon la décision de la division générale, tout effort déployé par la requérante pour respecter cette exigence preuve par la loi aurait été infructueux. La division générale a exempté la requérante de cette exigenceNote de bas de page 7. Cependant, il existait une preuve selon laquelle la requérante avait une capacité de travailler. Elle a continué de travailler à temps partiel jusqu’à la fin de décembre 2013. Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas tenu compte de la question de savoir si ses efforts déployés pour conserver son emploi après la date de fin de la PMA ont été infructueux en raison de sa santé.

[15] Pour ce motif également, l’appel est accueilli.

Principe juridique établi par l’arrêt VillaniNote de bas de page 8

[16] Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale prévoit que, pour déterminer si la partie requérante est invalide, le décideur doit tenir compte de la situation personnelle de cette dernière, ce qui comprend l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents personnels et l’expérience de vie. La division générale a agi ainsi. Selon la décision, la requérante était âgée de 52 ou 53 ans entre la date de fin de la PMA et la date de fin de la PMA calculée au prorata et elle avait de vastes antécédents professionnelsNote de bas de page 9. La division générale a tenu compte de ces facteurs. Le ministre fait valoir que certains de ces facteurs ne soutenaient pas la demande de la requérante. Cela pourrait être vrai. Cependant, le désaccord du ministre avec la façon dont la division générale a apprécié la preuve concernant ces facteurs ne soulève pas une erreur de droit.

Principe juridique établi dans l’arrêt KlabouchNote de bas de page 10

[17] Dans l’arrêt Klabouch, la Cour d’appel fédérale prévoit qu’une personne n’est pas invalide si elle a reçu le diagnostic d’un trouble de santé. Elle est plutôt invalide si son état de santé l’empêche de gagner sa vie en détenant une occupation véritablement rémunératrice, ce qui pourrait être un emploi différent de celui qu’elle occupait auparavantNote de bas de page 11. Cela est clairement énoncé dans la décisionNote de bas de page 12. La division générale a ensuite accepté la preuve de la requérante relativement à ses limitations et elle a conclu que cette dernière ne pouvait plus occuper les fonctions de marchandiseuseNote de bas de page 13. Il n’est pas conclu dans la décision que la requérante était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il s’agit également d’une erreur de droit et d’un fondement sur lequel l’appel est accueilli.

c) La requérante a continué de travailler en raison de la bienveillance de son employeur

[18] La Cour d’appel fédérale prévoit que, si la partie requérante travaille pour un employeur bienveillant, cela pourrait l’empêcher d’être déclarée invalide. L’expression « employeur bienveillant » n’est pas définie par le Régime de pensions du Canada. Cependant, la Cour d’appel fédérale prévoit que les facteurs suivants doivent être pris en considération pour déterminer si un employeur est bienveillantNote de bas de page 14 :

  1. les conditions de travail ont-elles varié?
  2. les attentes à l’égard du rendement ou d’autres natures par rapport à l’emploi ont‑elles été modifiées?
  3. les attentes en matière du rendement du résultat ou du produit de l’employé sont-elles inférieures à celles des autres employés?
  4. dans quelle mesure se compare la rémunération de l’employé par rapport à celle des autres?

[19] Il est déclaré dans la décision que l’employeur de la requérante a offert des mesures d’adaptation selon les limitations de la requérante en réduisant son nombre d’heures et en modifiant ses tâches de travail. Il est ensuite fait état que la requérante a été capable de continuer de travailler seulement en raison de la bienveillance de son ancien employeur et la période des tâches qui lui ont été confiées. La division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de l’environnement de travail de la requérante, ce qui comprend les attentes en matière de productivité et sa rémunération, pour en venir à cette conclusion. Cette conclusion de fait selon laquelle la requérante était capable de continuer de travailler seulement en raison de la bienveillance de son employeur était erronée parce que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents avant de tirer cette conclusion. Il s’agit également d’une erreur de droit.

Question en litige no 2: conclusions de fait erronées

[20] Un moyen d’appel prévu par la Loi sur le MEDS est celui selon lequel la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 15. Pour obtenir gain de cause pour ce motif, le ministre doit démontrer trois choses : la conclusion de fait était erronée; elle a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments; la décision a été fondée sur cette conclusion de fait. La Loi sur le MEDS ne définit pas le mot « abusive ». Cependant, l’orientation donnée par les décisions des cours qui examinant la Loi sur les Cours fédérales, qui possède le même libellé. Dans ce contexte, il a été prévu que « abusive » signifie d’« avoir statué sciemment à l’opposé de la preuve ». J’accepte cette définition dans le contexte de la Loi sur le MEDS. Les arguments du ministre à cet égard font l’objet d’un examen ci-dessous.

a) Avis du Dr Collins

[21] Le 26 mars 2014, le Dr Collins a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’invite les patientes et patients atteints de fibromyalgie à obtenir des prestations d’invalidité, mais elle souhaitait présenter une demande à court terme. J’ai souligné le fait que la fibromyalgie est un trouble complètement subjectif et qu’il est donc souvent difficile d’obtenir des prestations d’invalidité, mais elle a tout de même rempli ses documents. Idéalement, elle devrait faire une transition vers un emploi moins exigeant sur le plan physiqueNote de bas de page 16 ». La division générale a tenu compte de cette preuve et a conclu qu’elle ne parvenait pas à démontrer que le Dr Collins avait l’impression que la requérant était capable de détenir un emploi rémunérateur, mais qu’il croyait qu’il était peu probable qu’elle obtienne une pension d’invalidité et que cette déclaration était une tentative de gestion des attentes de la requéranteNote de bas de page 17. Le ministre fait valoir que cette conclusion de fait est erronée parce qu’elle va à l’encontre de la déclaration à sa simple lecture.

[22] Je suis également convaincue que cette conclusion de fait, selon laquelle la déclaration du Dr Collins n’était pas une déclaration de capacité de travailler, mais plutôt une tentative de gestion des attentes, était erronée. Elle a été tirée de façon abusive. Le Dr Collins a produit un certain nombre de rapports ayant été présentés à la division générale. Il n’a jamais déclaré que le requérant n’était pas capable de travail. Dans la lettre de mars 2014, son avis est clair à cet égard : la requérante doit essayer d’occuper un emploi moins exigeant sur le plan physique. La décision a été fondée, du moins en partie, sur la conclusion de fait erronée. Par conséquent, l’appel est accueilli pour ce motif également.

b) Preuve de capacité de travailler

[23] Selon la décision de la division générale, aucune preuve objective datant d’avant la date de fin de la PMA ne démontrait que la requérante ne pouvait pas travaillerNote de bas de page 18. Il y est également déclaré que rien ne prouvait que la requérante était troublée sur le plan fonctionnel par la fibromyalgie avant la date de fin de la PMA. La division générale se fonde ensuite sur le témoignage de la requérante pour conclure que cette dernière n’avait pas la capacité de travailler à compter de juin 2013, et ce, malgré la preuve selon laquelle elle a travaillé à temps partiel jusqu’en décembre 2013. Le témoignage de la requérante est un fondement probatoire pour cette conclusion de fait. Cependant, la division générale n’a pas analysé la preuve selon laquelle la requérante a continué de travailler jusqu’en décembre 2013. Par conséquent, la conclusion de fait selon laquelle la requérante n’avait pas la capacité de travailler en juin 2013 était erronée. Elle a été tirée sans tenir compte de l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance. La décision était fondée sur cette conclusion de fait erronée. L’appel est accueilli pour ce motif.

[24] La déclaration de la requérante selon laquelle elle était prête à subir une évaluation professionnelle ne constitue pas une preuve de capacité de travailler ou d’absence de cette capacité. Il s’agit d’une preuve de préparation à subir un examen.

Question en litige no 3: omission de fournir des motifs suffisants

[25] La Cour suprême du Canada prévoit qu’un décideur doit fournir des motifs de décision. Ces motifs doivent être suffisants afin de permettre aux parties de comprendre la raison pour laquelle la décision a été rendue et ils doivent convaincre un une instance révisionnelle qu’on a tranché les questions réelles de l’espèceNote de bas de page 19. Je suis convaincue que les motifs de la division générale pour rendre la décision en l’espèce étaient insuffisants. La division générale n’a pas tranché les questions réelles, y compris la question de savoir si l’employeur de la requérante était bienveillant et celle de savoir si le travail continu de la requérante après la date de fin de la PMA constituait une occupation véritablement rémunératrice.

[26] De plus, il y avait une preuve, y compris des avis médicaux, selon laquelle la requérante avait une capacité de travailler à la période visée et selon laquelle elle a continué de travailler jusqu’en décembre 2013. La division générale n’a pas clairement expliqué la façon dont cette preuve a été appréciée ou la raison pour laquelle on lui a accordé moins d’importance qu’à celle donnant à penser que la requérante était invalide.

[27] Le fait de ne pas fournir des motifs suffisants constitue un manquement à la justice naturelle. L’appel est donc accueilli.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli.

[29] La Loi sur le MEDS prévoit les mesures de redressement que la division générale peut prendreNote de bas de page 20. J’ai examiné les documents présentés et écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale. Il existe très peu d’éléments de preuve concernant l’état de la requérante à la date de fin de la PMA. Le dossier du Tribunal n’est pas complet. Il est donc approprié que l’appel soit renvoyé à la division générale aux fins de réexamen.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 27 avril 2018

Vidéoconférence

W. W., intimée
Ashley Silcock, représentante de l’intimée
Laura Dalloo, avocate de l’appelant

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