Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté. La décision de la division générale est confirmée.

Aperçu

[2] E. T. (requérante) a fait sa formation scolaire en Hongrie et gérait une entreprise de toilettage pour chiens avant son arrivée au Canada. Une fois au Canada, elle a suivi des cours d’anglais langue seconde pendant environs six mois. La requérante a ensuite travaillé dans différentes usines et occupé d’autres emplois exigeants sur le plan physique. Elle a cessé de travailler après avoir subi une fracture au poignet gauche l’empêchant d’utiliser sa main gauche au travail. Elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en affirmant qu’elle était invalide à cause de cette blessure, lui causant des limitations physiques, ainsi que de problèmes de santé mentale.

[3] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel après avoir conclu que les limitations physiques de la requérante ne la rendaient pas régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[4] La permission d’en appeler à la division d’appel a été accordée sur le fondement que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle aurait tirée sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance, puisqu’elle avait écarté la preuve concernant la santé mentale de la requérante sans tenir compte des répercussions de sa santé mentale sur sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’appel est rejeté et la décision de la division générale est confirmée. Même si la division générale a erré en négligeant de considérer les problèmes de santé mentale de la requérante et leurs effets sur sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice, l’issue de l’appel demeure inchangée lorsque ces éléments sont pris en considération.

Question préliminaires

[5] Pour les raisons suivantes, cet appel a été tranché sur la foi des documents déposés auprès du Tribunal :

  1. La question juridique à trancher est claire.
  2. Le ministre a admis que l’appel devait être accueilli et demande que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen.
  3. La requérante demande que l’appel soit accueilli et que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre.
  4. Aucune partie n’a réclamé la tenue d’une audience de vive voix.
  5. Conformément au Règlement sur le Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 1, l’appel doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent;

Questions en litige

[6] La division générale a-t-elle erré en ne tenant pas compte des problèmes de santé mentale de la requérante?

[7] La division générale a-t-elle erré en concluant que l’incapacité de la requérante à travailler était attribuable à des facteurs socioéconomiques?

[8] La division générale a-t-elle erré parce qu’elle n’a pas évalué la capacité de travail de la requérante au regard de sa régularité?

[9] La division générale a-t-elle erré en se fondant à tort sur la décision Kiraly c CanadaNote de bas de page 2?

Analyse

[10] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social régit le fonctionnement du Tribunal. Elle prévoit les trois moyens d’appel suivants, qui sont les seuls moyens précis que peut considérer la division d’appel : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; a commis erreur de droit; ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Note de bas de page 3 C’est dans ce contexte que sont examinés ci-dessous les moyens d’appel invoqués par la requérante.

Question 1 : La division générale a-t-elle négligé de considérer les problèmes de santé mentale de la requérante?

[11] La Cour d’appel fédérale nous enseigne que, pour déterminer si un requérant est invalide, un décideur doit tenir compte de l’ensemble de ses problèmes de santé, et non seulement de son ou de ses problèmes de santé principaux.Note de bas de page 4 La division générale l’a précisé dans sa décision.Note de bas de page 5 Elle a ensuite affirmé que la requérante n’avait pas mentionné de dépression dans le questionnaire qu’elle avait rempli dans le cadre de sa demande de pension d’invalidité, que le rapport médical standard ne faisait pas mention d’une dépression, et que le rapport psychoprofessionnel rapportait que la requérante n’avait pas consulté de professionnel en santé mentale et ne souhaitait pas le faire.Note de bas de page 6

[12] Cependant, un rapport d’évaluation approfondi spécifiait qu’un psychologue et un médecin de famille avaient noté chez la requérante un trouble dépressif majeur modéré, un trouble de la douleur, et d’autres facteurs de stress psychosociaux;Note de bas de page 7 un rapport d’Altum Health faisait état de diagnostics de trouble de la douleur lié à un problème de santé à la fois psychologique et général (chronique);Note de bas de page 8 et il existait une preuve d’un traitement en santé mentale en 2017.Note de bas de page 9 Dans sa demande de permission d’en appeler, la requérante fait aussi référence à un nombre d’autres rapports médicaux qui traitaient de ses problèmes de santé mentale. La division générale n’est pas obligée de mentionner chacun des éléments de preuve portés à sa connaissanceNote de bas de page 10; cependant, si le décideur néglige de mentionner une preuve importante étayant une conclusion contraire à sa décision, il est possible d’en déduire qu’il a fait fi de cette preuve contradictoire.Note de bas de page 11 En l’espèce, la division générale n’a pas tenu compte dans sa décision de la preuve de la requérante ayant trait à ses problèmes de santé mentale ou à leurs répercussions sur sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[13] La division générale a donc commis une erreur de droit puisqu’elle n’a pas tenu compte de tous les problèmes de santé de la requérante. Cette erreur commande l’intervention de la division d’appel.

Question 2 : La division générale a-t-elle conclu que l’incapacité de la requérante à travailler était attribuable à des facteurs socioéconomiques?

[14] Un autre des moyens d’appel prévus par la Loi consiste à ce que la division générale ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, la requérante doit prouver trois choses : la conclusion de fait était erronée; la division générale a tiré cette conclusion de façon abusive, arbitraire, ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance; et la décision est fondée sur cette conclusion de fait.

[15] Dans sa décision, la division générale a affirmé que [traduction] « les emplois recherchés [par la requérante] pourraient être difficiles à décrocher compte tenu de facteurs socioéconomiques, mais cette preuve révèle qu’elle était capable d’occuper des emplois légers/sédentairesNote de bas de page 12. » La conclusion de fait voulant que la requérante puisse avoir de la difficulté à obtenir les emplois qu’elle recherchait était erronée. La division générale ne disposait d’aucune preuve concernant le marché du travail lui permettant de titrer une telle conclusion de fait. Cela étant dit, la division générale n’a pas fondé sa décision sur cette conclusion de fait, mais plutôt sur sa conclusion voulant que la requérante avait une certaine capacité pour travailler dans le cadre d’emploi léger/sédentaire qui ne l’obligeait pas à utiliser sa main et son bras blessés.

[16] L’appel ne peut être accueilli d’après ce moyen d’appel.

Question 3 : La division générale a-t-elle tenu compte de la régularité de la capacité de travail de la requérante?

[17] De plus, un requérant doit être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice afin d’être invalide au sens du RPC.Note de bas de page 13 Chacun des mots utilisés dans cette définition doit avoir un sens. La requérante soutient que la division générale a erré parce qu’elle n’aurait pas tenu compte de la régularité de son état. Pour appuyer cette prétention, elle se fonde sur son témoignage voulant qu’elle ne pouvait pas s’engager à respecter un horaire de travail. Par contre, la division générale a tenu compte de cette question. Elle a admis que la requérante ne pouvait pas faire un usage répété et régulier de ses mains,Note de bas de page 14 mais qu’elle n’avait aucune autre restriction physique. Elle a considéré le fait que la requérante avait essayé, sans succès, d’occuper des emplois exigeants d’un point de vue physique et qu’elle aimerait travailler dans le domaine des soins aux personnes âgées. Sur ce fondement, la division générale a conclu que, même si la requérante avait des limitations physiques, [traduction] « ces limitations ne la rendaient pas régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à l’échéance de sa PMANote de bas de page 15. »

[18] L’appel ne peut pas être accueilli sur ce fondement.

Question 4 : La division générale s’est-elle fondée à tort sur la décision Kiraly c Canada?

[19] Avec sa décision dans Kiraly, la Cour d’appel fédérale nous enseigne qu’une requérante qui ne pouvait faire un usage répété de ses mains n’était pas invalide, en partie parce qu’elle n’avait pas essayé de trouver un emploi adapté à ses limitations physiques. La requérante soutient que la division générale a eu tort de se fonder sur cette décision pour conclure qu’elle n’était pas invalide malgré le fait qu’elle avait essayé, sans succès, d’occuper un emploi convenant à ses limitations physiques. Il est cependant clair, lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, que la division générale s’est fondée sur Kiraly au regard du principe selon lequel un requérant incapable de faire un usage répétitif de ses deux mains peut malgré tout avoir conservé une certaine capacité de travail. Cela est vrai. L’appel ne peut être accueilli sur le fondement que la division générale se soit fondée à tort sur cette décision.

Conclusion

[20] Comme la division générale a commis une erreur de droit, la division d’appel doit intervenir.

[21] La Loi énonce les recours dont dispose la division d’appel, qui comprennent de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et de confirmer la décision de la division générale.Note de bas de page 16 Le ministre concède que la division générale a commis une erreur de droit en négligeant de considérer les problèmes de santé mentale de la requérante, et soutient que l’appel devrait être renvoyé à la division générale à des fins de réexamen. De son côté, la requérante soutient que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[22] Je suis convaincue que l’espèce est un cas où il convient que la division d’appel confirme la décision rendue par la division générale. La Loi confère à la division d’appel le pouvoir de le faire. Elle confère aussi au Tribunal le pouvoir de trancher les questions de droit et de fait nécessaires pour statuer sur une demande.Note de bas de page 17

[23] La division générale a commis une erreur : elle n’a pas tenu compte de l’incidence des problèmes de santé mentale de la requérante sur sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le dossier dont je dispose est complet. Toute la preuve écrite pertinente a été déposée auprès du Tribunal. La requérante a traité de ses problèmes de santé mentale dans le témoignage qu’elle a livré à la division générale. Le ministre n’a pas soumis cette preuve à un contre-interrogatoire mais aurait pu participer à l’audience pour le faire. Même si cette affaire était renvoyée à la division générale pour réexamen, une nouvelle audience ne sera pas nécessairement tenue pour permettre aux parties de témoigner à nouveau.

[24] Qui plus est, il n’est pas nécessaire que j’apprécie la preuve à nouveau. Les conclusions suivantes, qui ont été tirées par la division générale, ne sont pas contestées :

  • La requérante avait 20 ans à son arrivée au Canda et elle a uniquement occupé des emplois exigeants sur le plan physique.
  • Quand elle s’est blessée en 2012, la requérante travaillait à temps plein dans une usine, et lavait de la vaisselle dans un restaurant en soirée.
  • La requérante s’est fracturé le bras/poignet gauche en 2012, et a depuis une douleur est des limitations persistantes, notamment des restrictions ayant trait à l’exposition au froid et à la manipulation de charges légères; à sa capacité à empoigner, à tirer et à pousser est aussi limitée.
  • La requérante a essayé de reprendre un emploi après sa blessure, mais ne pouvait pas faire un travail physiquement exigeant.
  • Après sa blessure, la requérante a reçu des diagnostics de trouble dépressif majeur, de syndrome de la douleur chronique, et d’anxiété.
  • Il était rapporté dans une évaluation psychoprofessionnelle que les options d’emplois de la requérante se limitaient à des emplois au bas de l’échelle. Il y était aussi recommandé que la requérante perfectionne ses études et ses compétences en lecture et en écriture avant d’essayer d’obtenir un tel emploi. Il faudrait à la requérante plus de temps que la moyenne pour acquérir ses compétences.
  • En 2014, la requérante n’avait pas consulté de psychologue et ne désirait pas suivre un tel type de traitement.Note de bas de page 18
  • La requérante a commencé à consulter un psychologue en 2016.
  • La période minimale d’admissibilité (PMA) de la requérante a pris fin le 31 décembre 2015.
  • À l’échéance de sa PMA, la requérante était âgée de 57 ans. Même si l’anglais n’est pas sa langue maternelle, elle a travaillé dans des milieux où l’on parlait anglais. Elle a aussi fait montre d’une aptitude à se recycler pour des emplois de premier échelon.

[25] La preuve relative aux problèmes de santé mentale de la requérante révèle que le docteur Walker avec recommandé en 2014 un traitement en santé mentale concurremment à un retour au travail.Note de bas de page 19 Lors de l’audience devant la division générale, la requérante a témoigné qu’elle avait commencé à rendre des antidépresseurs en décembre 2015 et poursuivi ce traitement malgré les effets secondaires.Note de bas de page 20 Même si d’autres rapports médicaux avaient recommandé que la requérante augmente sa dose d’antidépresseurs, elle ne semble pas l’avoir fait. Il avait aussi été que la requérante participe à un programme de traitement de la douleur et qu’elle suive un traitement individuel pour la gestion du stress, la maîtrise de la colère et ses troubles du sommeil, et qu’elle fasse des exercices.Note de bas de page 21 En 2016, la requérante a participé à un programme de services spécialisés de la CSPAAT liés aux fonctions et à la gestion de la douleur. Son rapport de décharge pour ce programme indique un pronostic satisfaisant relativement à l’amélioration de ses fonctions (incluant un retour à des activités professionnelles).Note de bas de page 22 Son trouble dépressif majeur « modéré » s’était amélioré pour devenir « modéré à léger » à la fin de ce programme. Elle avait commencé en 2016 des traitements individuels en santé mentale auprès d’un travailleur social.

[26] Je suis convaincue que la requérante était atteinte de problèmes de santé mentale en date de sa PMA. Par contre, je ne suis pas convaincue que cette affection, à elle seule, corresponde à une invalidité grave au sens du RPC. Elle était dite « modérée » à son plus bas et s’était améliorée grâce aux traitements.

[27] Après avoir examiné chacune des conclusions non contestées tirées par la division générale et la preuve concernant les problèmes de santé mentale de la requérante, je ne suis pas convaincue que ses affections physiques et mentales donnent lieu cumulativement à une invalidité grave au sens du RPC. La requérante avait rapporté des problèmes de santé mentale modérés à la suite de sa blessure, qui s’étaient améliorés grâce à un programme de traitement.Note de bas de page 23 Ses restrictions physiques ne touchaient qu’un bras et sa main. Même si l’anglais n’est pas sa langue maternelle, elle avait été capable de se débrouiller pendant de nombreuses années dans un milieu de travail anglophone. De plus, en dépit de ses limitations, la requérante avait manifesté un désir et une aptitude à se recycler et avait un pronostic satisfaisant pour un retour au travail.

[28] De surcroît, avant l’échéance de sa PMA, la requérante n’avait pas suivi les recommandations médicales voulant qu’elle augmente la dose de ses médicaments et fasse de la thérapie individuelle. Je suis convaincue par le raisonnement de la Commission d’appel des pensions, selon lequel un requérant doit se soumettre aux traitements recommandés pour que sa demande de pension d’invalidité soit agréée, et que le requérant doit, s’il n’a pas respecté ces recommandations, justifier que sa désobéissance était raisonnable.Note de bas de page 24 En l’espèce, la recommandation qu’elle consulte seule un psychologue était raisonnable, et la requérante n’a jamais expliqué pourquoi elle ne s’était pas soumise à ce traitement avant l’échéance de sa PMA.

[29] Pour les motifs qui précèdent, même si la division générale a commis une erreur de droit en négligeant de considérer les problèmes de santé mentale de la requérante, l’issue de l’appel aurait été la même sans cette erreur.

[30] L’appel est rejeté, et la décision de la division générale est confirmée.

Mode d’instruction :

Comparutions :

Sur la foi du dossier

Alexandra Victoros, avocate pour l’appelante
Christian Malciw, avocat pour l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.