Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimée, J. M., a présenté une demande de pension d’invalidité en 2013 au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle maintient qu’elle est incapable de travailler en raison de nombreux problèmes de santé, incluant une blessure au dos, la fibromyalgie, et une hernie discale découlant d’un accident de la route.

[3] L’appelant, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande au motif que, même si l’intimée avait certaines restrictions en raison de son état de santé, les renseignements disponibles ne démontraient pas que ces limitations l’empêchaient de façon continue d’effectuer un quelconque travail dans un avenir prévisible.

[4] La division générale a conclu que l’intimée était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice du 22 décembre 2010 à novembre 2014, date où son invalidité ne pouvait plus être considérée comme « grave ». La division générale a aussi conclu que son invalidité devait vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie de décembre 2010 à novembre 2014.

[5] L’appelant fait appel de la décision de la division générale, à qui il reproche d’avoir commis des erreurs de droit et de graves erreurs dans ses conclusions. La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a accordé la permission d’en appeler sur le fondement que l’appel avait une chance raisonnable de succès.Note de bas de page 1

[6] L’audience de cet appel a eu lieu par vidéoconférence. Les deux parties, chacune représentée par un avocat, y ont participé.

[7] La division d’appel conclut que la division générale a commis une erreur susceptible de révision. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

Questions en litige

[8] L’appelant a invoqué de nombreux moyens d’appel. Je vais traiter des normes de contrôle que doit appliquer la division d’appel en examinant une décision de la division générale, puis des questions précises suivantes, soulevées par l’appelant :

Question 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant incorrectement la jurisprudence contraignante?

Question 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait contenant une grave erreur, à savoir que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée, alors que la preuve n’étayait pas cette conclusion?

Question 3 : Si tel est le cas, la division d’appel devrait-elle renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou est-elle en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?

Analyse

[9] Les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les suivants : la division générale a commis une erreur de droit, n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a excédé ou refusé d’exercer sa compétence, ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Note de bas de page 2

Normes de contrôle (ou déférence due à la division générale)

[10] Pour examiner une décision de la division générale, la division d’appel doit-elle appliquer les normes de contrôle adoptées dans Dunsmuir c Nouveau-BrunswickNote de bas de page 3, ou bien les critères juridiques que la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) associe aux questions de justice naturelle, de droit et de fait? La question de savoir si la division d’appel doit faire preuve de déférence à l’endroit de la division générale sur ces questions dépend aussi de l’approche à appliquer.

[11] L’appelant soutient que le libellé de la loi habilitante du Tribunal, la Loi sur le MEDS, est contraignant pour la division d’appel et que les normes de la décision raisonnable et de la décision correcte ne devraient pas s’appliquer à la division d’appel lorsque celle-ci examine une décision de la division générale. De plus, l’appelant soutient que la division d’appel n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’endroit des décisions de la division générale en ce qui concerne les questions de justice naturelle, de compétence et de droit. Lorsqu’elle examine ce genre de questions, la division d’appel est responsable de s’assurer que la décision rendue est correcte. Pour ce qui est des conclusions de fait erronées, la division d’appel peut seulement intervenir à l’égard d’une décision de la division générale si l’appelant démontre que la décision a été fondée sur une conclusion de fait erronée que la division générale a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Pour sa part, l’intimée affirme que la norme de contrôle pour une décision de la division générale est celle décrite dans l’arrêt Dunsmuir.

[13] Même si les parties conviennent du fait que la division générale n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard de décisions de la division générale en ce qui concerne les questions de justice naturelle, de compétence et de droit — et que le rôle de la division d’appel est donc de veiller à ce que la décision rendue soit correcte, elles ne sont pas d’accord sur le rôle que doit jouer la division d’appel par rapport aux conclusions de fait. L’appelant soutient que l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS donne à penser que la division d’appel devrait faire preuve de déférence envers les conclusions de fait tirées par la division générale. L’intimée utilise le terme de la « décision raisonnable » utilisé dans Dunsmuir pour présenter les questions en appel à la division d’appel.

[14] Il semble ne pas y avoir consensus quant à l’approche que la division d’appel doit adopter pour examiner les appels formés contre des décisions de division généraleNote de bas de page 4 et, advenant que les normes de contrôle doivent être appliquées, quant à la question de savoir si la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de justice naturelle diffère de la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit.

[15] Comme les tribunaux n’ont pas encore résolu ni clarifié cette question qui divise visiblement, je vais examiner cet appel en appliquant d’abord le libellé de la Loi sur le MEDS et en appliquant ensuite la norme de la décision raisonnable aux questions de fait.

[16] La division d’appel ne doit aucune déférence à l’égard des conclusions de la division générale ayant trait à des questions de droit et de justice naturelle.Note de bas de page 5 De plus, la division d’appel peut trouver une erreur de droit, qu’elle ressorte ou non à la lecture du dossier.Note de bas de page 6

[17] Devant la division générale, l’appel se jouait sur la question de savoir si l’intimée était atteinte d’une invalidité gave et prolongée à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA) ou avant cette date, ce qui représente une question mixte de fait et de droit. La PMA de l’intimée a pris fin le 28 février 2014.

[18] Lorsque la division générale commet une erreur mixte de fait et de droit permettant de dégager une question de droit, la division d’appel peut intervenir en vertu de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.Note de bas de page 7

[19] L’appel à la division d’appel repose sur des questions distinctes ayant trait à des erreurs de droit et à des conclusions de fait comportant de graves erreurs, dont se dégage de chacune une question de droit.

Question 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant incorrectement la jurisprudence contraignante?

[20] Je juge que la division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas appliqué la jurisprudence contraignante de la Cour d’appel fédérale.

[21] La division générale a fait référence aux décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c HendersonNote de bas de page 8 et Litke c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines).Note de bas de page 9 Elle a conclu que « [c]es décisions indiquent clairement qu’il pourrait y avoir des circonstances dans lesquelles une invalidité temporaire est prolongée au sens du RPC. Les faits dans ces affaires peuvent se distinguer de ceux de la présente affaire. »

[22] En concluant que ces causes précisaient clairement qu’un problème de santé temporaire peut, dans certaines situations, être de nature prolongée au sens du RPC, la division générale a commis une erreur de droit.

[23] Dans Henderson, la Commission d’appel des pensions (CAP) avait accueilli l’appel formé par un requérant et statué qu’il était admissible à une pension d’invalidité de novembre 1997 à octobre 2000, soit pendant environ 35 mois. Le ministre avait admis que le requérant était atteint d’une invalidité « grave » à compter de 1997 et jusqu’à qu’à la suite de son opération. Cependant, le ministre avait aussi fait valoir qu’il était déraisonnable de conclure que son invalidité était « prolongée » comme il n’avait pas été conclu qu'elle allait durer pendant une « période indéfinie ». La Cour d’appel fédérale a examiné l’affaire en fonction de la norme de la décision correcte et a infirmé la décision de la CAP parce que celle-ci avait mal appliqué aux faits l’article 42(2)(a) du RPC.Note de bas de page 10 Elle a noté que les autres décisions de la CAP où des requérants avaient été déclarés atteints d’une invalidité prolongée avant qu’ils se soient rétablis des suites de leur traitement différaient de l’affaire dont elle était saisie. Elle a conclu ses motifs et sa décision en statuant que « [l]e texte restrictif de l’article 42 montre que le [RPC] a pour objet de rendre admissibles à une pension ceux qui sont, pour cause d’invalidité, incapables de travailler pour une longue période, et non de dépanner des réclamants au cours d’une période temporaire où des ennuis médicaux les empêchent de travailler. »

[24] Dans Litke, la requérante a demandé à la Cour d’appel fédérale de revenir sur la décision qu’elle avait rendue dans Henderson, faisant valoir que la pension d’invalidité devrait être accordée dans les cas d’invalidité temporaire. Madame Litke avait été capable de reprendre son emploi après son traitement contre le cancer, nonobstant ses autres ennuis de santé. La Cour a déclaré que « [i]l n’y a aucune circonstance qui justifierait la Cour d’infirmer son propre précédent. L’utilisation du terme « indéfinie » au sous-alinéa 42(2)a)(ii) du [RPC] établit clairement que le législateur n’avait pas l’intention de rendre les pensions d’invalidité accessibles en cas d’invalidité temporaire. »

[25] La division générale a conclu que ces deux causes « indiquent clairement qu’il pourrait y avoir des circonstances dans lesquelles une invalidité temporaire est prolongée au sens du RPC. » En toute déférence, je ne suis pas d’accord. D’après ma lecture de la jurisprudence, le législateur n’avait pas l’intention que des pensions d’invalidité soient accessibles en cas d’invalidité temporaire. Bien que la Cour d’appel fédérale n’ait défini ni une « invalidité temporaire » ni une « période temporaire » dans Henderson, le requérant avait été invalide pendant environ 35 mois et, dans Litke, le traitement contre le cancer de la requérante avait porté ses fruits, en dépit de ses autres ennuis de santé. La Cour d’appel fédérale a statué que l’article 42 du RPC ne vise pas à indemniser des requérants pour une période temporaire ou dans le cas d’une invalidité temporaire.

[26] Dans l’affaire qui nous occupe, la division générale a conclu que l’intimée avait été invalide de décembre 2010 à novembre 2014, soit pendant une période de 47 mois. Elle a distingué les faits de l’espèce de ceux de Henderson et Litke en affirmant ce qui suit :

Un examen des rapports médicaux ici indique une incertitude quant à la date ou à la question de savoir si l’appelante se rétablirait, même si elle était capable de donner suite à toutes les recommandations qui ont été formulées à son intention. Aucune voie n’a été tracée pour son rétablissement. Elle a dû surmonter des obstacles considérables afin d’être capable de retourner au travail, et sa réussite est attribuable à sa persistance hors du commun. À la fin du mois de février 2014, elle faisait encore état d’absence de progrès et de douleurs et limitations importantes, qui se sont poursuivies jusqu’au mois de novembre 2014, date à laquelle elle a conclu qu’elle était en mesure de revenir sur le marché du travail et a été embauchée par Sobeys.Note de bas de page 11

[27] La division générale a distingué cette affaire des précédents contraignants de la Cour d’appel fédérale au motif qu’une voie vers la guérison était tracée dans Henderson et Litke et qu’on savait avec plus de certitude si le requérant se rétablirait et quand il se rétablirait. Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec la façon dont la division générale a interprété la jurisprudence. Dans Henderson, le requérant avait été opéré au genou. Dans Litke, la requérante avait suivi un traitement contre le cancer. On ne peut affirmer que l’on savait avec certitude quand et si monsieur Henderson et madame Litke seraient rétablis et capables de travailler.

[28] En l’espèce, contrairement à l’affaire Henderson, l’appelant ne concède pas que l’intimée était invalide durant la période en jeu. L’appelant soutient que l’intimée se remettait de son accident de voiture, avait subi une opération, perdu du poids, mis fin à sa consommation de narcotiques et suivi des traitements qui étaient recommandés depuis longtemps, et avait été capable de se rétablir suffisamment pour reprendre le travail.

[29] J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en interprétant la jurisprudence contraignante de manière fautive.

[30] La division d’appel a déjà été saisie d’appels formés contre des décisions où la division générale avait agréé une pension d’invalidité dans le cas d’une invalidité temporaire. Même si je ne suis pas liée par les décisions passées de la division d’appel, celles-ci peuvent avoir une force persuasive. Je souligne également que, « s’il est vrai qu’une formation du tribunal n’est pas liée par les décisions de formations antérieures, il est également vrai que cette formation ne devrait pas s’écarter sans raison des décisions antérieuresNote de bas de page 12. » Je vais donc brièvement aborder deux de ces décisions.

[31] Dans D. Z., la division d’appel a accueilli un appel contre une décision de la division générale concluant qu’une invalidité temporaire rendait la requérante admissible à une pension d’invalidité.Note de bas de page 13 La division générale n’avait pas considéré la bonne question de droit à régler et n’avait pas appliqué la cause Henderson. Ma collègue a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen vu la nécessité de trancher des questions en matière de preuve et de crédibilité.

[32] Dans sa décision dans l’affaire J. J., la division d’appel a noté que les opinions médicales rapportaient systématiquement que la requérante était incapable d’occuper un emploi de tout genre, qu’elle avait essayé de nombreux traitements sans que son problème de santé ne guérisse, et qu’aucun autre traitement n’avait été envisagé.Note de bas de page 14 Dans l’affaire qui nous occupe, les opinions médicales ne signalaient pas toutes que l’intimée était incapable de travailler. En fait, d’après une opinion médicale, son assureur privé avait mis fin à ses prestations d’invalidité de longue durée avant la fin de sa PMA au motif qu’elle était capable de faire certains types d’emplois. De plus, l’intimée avait ici subi une chirurgie bariatrique en 2012, après laquelle elle s’était mise à perdre du poids, ce qui lui était depuis longtemps recommandé. Grâce à sa perte de poids importante au cours des deux années subséquentes, elle avait pu réduire sa prise d’antidouleurs et commencer à faire de l’exercice, un autre traitement lui ayant été recommandé à répétition. La cause J. J. se distingue donc de l’espèce.

[33] Ni l’une ni l’autre de ces décisions passées de la division d’appel n’est assez semblable à l’espèce pour avoir force persuasive quant à la question d’une erreur de droit.

[34] Ayant conclu qu’une erreur susceptible de révision a été commise, je vais considérer la réparation à accorder avant de traiter des autres erreurs reprochées.

Question 3 : Si la division générale a ainsi erré, la division d’appel devrait-elle renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou est-elle en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre?

[35] J’ai conclu que la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[36] L’appelant soutient que, même si la division générale a compétence pour substituer sa décision à celle de la division générale, elle ne devrait pas procéder de la sorte en l’espèce puisque le membre de la division d’appel n’avait pas été présent pour assister au témoignage de l’intimée, qui avait été livré « en direct » durant l’audience par vidéoconférence auprès devant division générale. L’appelant soutient que la crédibilité est en jeu, de même que des preuves contradictoires au dossier. Seul un enregistrement audio est disponible, et l’appelant soutient qu’il n’est pas suffisant pour que la division d’appel puisse évaluer le témoignage de l’intimée. De plus, le décideur doit examiner les questions en litige à la lumière d’une application correcte des causes Henderson et Litke.

[37] L’intimée n’a présenté aucune observation à ce sujet. Elle maintient que les causes Henderson et Litke ont été correctement considérées et appliquées par la division générale.

[38] J’estime que la division générale, qui a mal appliqué et mal interprété des précédents contraignants, a tiré ses conclusions de fait selon une approche trop lacunaire pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[39] De plus, pour rendre une décision déterminant si l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au plus tard le 28 février 2014, à la lumière d’un examen et d’une application de la jurisprudence pertinente, il sera nécessaire de considérer la preuve et la crédibilité des parties, de tirer des conclusions de fait, et d’apprécier les éléments de preuve. Ces tâches sont davantage celles de la division générale que de la division d’appel.

[40] Dans un appel antérieur, la division d’appel avait aussi renvoyé une affaire relative à une invalidité temporaire à la division générale pour réexamen comme des questions en matière de preuve et de crédibilité devaient être tranchées.Note de bas de page 15 Je ne vois aucune raison en l’espèce de procéder autrement qu’avait choisi de le faire la division d’appel dans une décision passée.

Résumé des erreurs reprochées

[41] J’ai conclu que la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit et que cette affaire doit être renvoyée à la division générale pour réexamen.

[42] Cela étant le cas, je n’ai nul besoin de traiter de la seconde question en litige.

Conclusion

[43] L’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen conformément aux motifs qui précèdent et à la présente décision.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 28 novembre 2017

Vidéoconference

David Green, avocat pour l’appelant
Jennifer Hockey, avocate pour l’intimée
Matthew Vens, observateur pour le compte de l’intimée

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