Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, K. R., a été impliquée dans un accident de travail en octobre 2011. Cet accident lui a causé de la douleur au dos et à la hanche. Elle a été mise en congé d’invalidité de courte durée pendant quelques mois, jusqu’à ce que sa demande soit acceptée par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (CSPAAT). Elle est ensuite retournée au travail, mais affirme avoir été essentiellement mise au rancart et n’avoir eu rien à faire. L’entreprise pour laquelle elle travaillait a fermé ses portes en février 2013, et elle n’a pas travaillé depuis, quoiqu’elle se soit recyclée par l’intermédiaire de la CSPAAT.

[3] En décembre 2014, l’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). Sa demande a été refusée par l’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, tout comme sa demande de réexamen. Elle a alors fait appel auprès de la division générale du Tribunal, mais elle a rejeté son appel.

[4] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante alléguait que la division générale avait commis de nombreuses erreurs de droit et de fait et violait les principes de justice naturelle. Dans ma décision antérieure, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que l’appelante avait soulevé une cause défendable selon laquelle la division générale pourrait avoir commis une erreur de fait, mais je n’avais imposé aucune limite à la portée de l’appel. Toutefois, pour les motifs exposés ci-après, j’ai maintenant conclu que l’appel devrait être rejeté.

Questions préliminaires

Retrait de la demande d’ajournement et absence de l’appelante

[5] La veille de l’audience, le Tribunal a reçu une lettre de la représentante de l’appelante demandant un ajournement de l’audience, notamment parce que le fils de l’appelante avait subi un accident de voiture et qu’elle devait être à ses côtésNote de bas de page 1. Compte tenu du moment de la demande d’ajournement et de l’incapacité du Tribunal de contacter les parties avant l’audience, celle-ci a débuté à l’heure prévue. À ce moment-là, la représentante de l’appelante a retiré sa demande d’ajournement.

[6] En ce qui concerne la présence de l’appelante à l’audience, sa représentante m’a certifié qu’elle souhaitait que l’audience se déroule en son absence, et c’est ce qui s’est produit.

Observations après l’audience

[7] Dans ses observations formulées pendant l’audience, la représentante du ministre a invoqué R.P., une décision récente de la division d’appel qui n’avait pas encore été publiée ou rendue publiqueNote de bas de page 2. Par conséquent, je l’ai invitée à fournir une copie expurgée de cette décision au Tribunal et j’ai dit qu’elle serait remise à la représentante de l’appelante, qui obtiendrait alors l’occasion de commenterNote de bas de page 3.

[8] Les commentaires de la représentante de l’appelante ont été reçus dans le temps accordé, mais excédaient largement une simple réponse au dossier particulier ayant été fourni, et comprenaient de nouvelles preuves et observations sur des sujets non reliés, comme par exemple les tentatives de l’appelante de reprendre le travail, les réalités du marché du travail, et les rapports de Statistique Canada et de la Commission ontarienne des droits de la personneNote de bas de page 4. Comme on aurait pu l’imaginer, la représentante du ministre a souligné l’étendue des observations de l’appelante et a demandé l’occasion de répondre à ces rapports, si le Tribunal entend les invoquerNote de bas de page 5.

[9] Les observations de l’appelante sont plutôt alambiquées. En outre, les parties qui sont autorisées sont tellement mélangées à celles qui ne le sont pas qu’il est difficile de séparer les deux. Quoi qu’il en soit, j’ai tenu compte des observations de l’appelante, mais seulement dans la mesure où elles répondent à la décision de la division d’appel dans R.P.

[10] Tel qu’il est déjà mentionné dans ma décision relative à une demande de permission d’en appeler, la division d’appel n’examine pas habituellement de nouvelles preuvesNote de bas de page 6. Son mandat n’est pas de tenir de nouvelles audiences. La division d’appel se concentre plutôt sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur reconnue, d’après les renseignements présentés à la division générale. Bien qu’il existe des exceptions à la règle interdisant l’examen de nouvelles preuves, aucune de ces exceptions ne s’applique aux faits de la présente affaire, et je refuse de me pencher sur de nouveaux éléments de preuve fournis par l’appelante, même s’ils sont intégrés sous forme d’observation en réponse.

Questions en litige

[11] Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte des questions suivantes :

  1. La division générale avait-elle commis une erreur de fait en ne comprenant pas que l’état de l’appelante s’était détérioré au fil du temps, comme en font foi les changements à ses médicaments et l’évolution des rapports d’IRM?
  2. La division générale avait-elle commis une erreur de fait en concluant que l’appelante avait une capacité résiduelle de travailler, en se fondant sur sa capacité de continuer à travailler après l’accident d’octobre 2011 et d’obtenir un certificat en administration de bureau?
  3. La division générale avait-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt InclimaNote de bas de page 7?
  4. La division générale avait-elle violé un principe de justice naturelle en ne posant pas plus de questions à l’appelante et en n’obtenant pas plus de renseignements de l’appelante pendant l’audience?

[12] Tel que mentionné précédemment, et aux paragraphes 8 et 9 de ma décision concernant la demande de permission d’en appeler, l’appelante a soulevé un grand nombre de questions dans sa demande de permission d’en appeler. Toutefois, à l’audience dont j’ai été saisi, la liste des erreurs alléguées était très simplifiée (voir ci-dessus). Fait important, la représentante de l’appelante a abandonné toute allégation selon laquelle le choix d’une audience par téléconférence avait limité la capacité de sa cliente de présenter sa cause.

Analyse

Le cadre juridique de la division d’appel

[13] Pour que l’appel de l’appelante soit accueilli, elle doit établir que la division générale a commis au moins une des trois erreurs reconnues (ou moyens d’appel) énoncées au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS). En règle générale, ces erreurs susceptibles de révision visent à déterminer si la division générale :

  1. a) a violé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur liée à sa compétence;
  2. b) a rendu une décision qui renferme une erreur de droit;
  3. c) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] En étudiant le degré d’examen que je devrais appliquer à la décision de la division générale, je me suis concentré sur le libellé de la LMEDSNote de bas de page 8. Par conséquent, tout manquement à un principe de justice naturelle ou toute erreur de droit pourrait justifier mon intervention. Pour qu’une conclusion de fait erronée justifie mon intervention, toutefois, la décision de la division générale doit être fondée sur cette erreur, et la division générale doit avoir commis l’erreur de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La Cour d’appel fédérale a récemment décrit des conclusions de fait erronées comme des conclusions qui contredisent carrément la preuve ou qui ne sont pas étayées par celle-ciNote de bas de page 9.

Question en litige no 1 : La division générale avait-elle commis une erreur de fait en ne comprenant pas que l’état de l’appelante s’était détérioré, comme en font foi les changements à ses médicaments et l’évolution des rapports d’IRM?

[15] Selon moi, la division générale n’avait pas commis d’erreur de fait justifiant mon intervention.

[16] En sept occasions, la division générale a mentionné que l’appelante prenait des Tylenol ou des Tylenol no 3 pour contrôler ses douleurs au dos. Au paragraphe 27 de sa décision, la division générale a noté ce qui suit : [traduction] « […] le traitement pour la douleur à sa hanche et son dos se poursuit avec le Tylenol 3 » et [traduction] « […] aucun rapport médical n’indique que le Tylenol 3 est inefficace pour contrôler sa douleur ou qu’elle a besoin d’un changement dans sa médication pour améliorer davantage le contrôle de sa douleur et sa fonctionnalité. » De plus, au paragraphe 37 de sa décision, la division générale concluait que l’appelante était en mesure de maîtriser sa douleur au moyen du Tylenol.

[17] En revanche, l’appelante met en relief un rapport de frais médicaux fourni par sa pharmacie dans lequel figurent des ordonnances d’analgésiques plus forts, à compter de décembre 2013Note de bas de page 10.

Date Quantité Nom du médicament
10 déc. 2013 60 Oxyneo 10 mg
17 janv. 2014 60 Oxyneo 10 mg
20 mai 2014 60 Hydromorph Contin 3 mg
24 avril 2015 100 Oxycocet 5/325 mg

[18] L’appelante a également traité des médicaments qu’elle prend à deux moments au cours de l’audience de la division générale. À la première occasion, elle a dit qu’elle prenait des doses quotidiennes de Tylenol no 3 et de Gabapentin, avec de l’Oxycodone les jours où sa douleur était si grave qu’elle ne pouvait pas bougerNote de bas de page 11. À la deuxième occasion, l’appelante a seulement mentionné qu’elle prenait du Tylenol no 3 et du GabapentinNote de bas de page 12.

[19] D’après l’appelante, la division générale a ignoré le fait qu’elle prenait des analgésiques plus forts, ce qui révélait une détérioration de son état.

[20] En outre, l’appelante fait valoir que la division générale ne comprenait pas comment les IRM de sa colonne prises en 2012 et en 2014 révélaient également une détérioration de son état. Ces IRM, résumées aux paragraphes 12 et 16 de la décision de la division générale et analysées aux paragraphes 25 et 26, font état de ce qui suit :

[traduction]

IRM - Colonne lombaire - 2012 (GD2-45) IRM - Colonne lombaire - 2014 (GD2-41)
L4-5 :
Disque légèrement bombé, déchirure annulaire à 16 h et petite protrusion du disque latéral d’extrême-gauche. Aucune sténose importante du canal spinal ni sténose foraminale neurale.

L5-S1 :
Disque légèrement bombé. Aucune sténose spinale importante. Sténose foraminale bilatérale légère.
À L4-5, le disque latéral gauche est bombé et il y a un léger rétrécissement du foramen intervertébral gauche. Les récessus latéraux sont clairs; il n’y a aucune preuve de sténose spinale.

À L5-S1, le disque est bombé et il y a un léger rétrécissement du foramen intervertébral de droite. Les récessus latéraux sont clairs; il n’y a aucune preuve de sténose spinale.
OPINION : Légers changements dégénératifs tels que décrits.

[21] En réponse, le ministre mentionne que la décision de la division générale a traité adéquatement des IRM de 2012 et de 2014. Par conséquent, l’appelante demande simplement que la preuve soit réévaluée, ce que je dois éviter de faire.

[22] En ce qui concerne le rapport des frais médicaux, le ministre reconnaît qu’il n’était pas expressément mentionné dans la décision de la division générale, mais soutient que la division générale est présumée avoir examiné toute la preuve et n’a pas à faire référence à chacun des éléments de preuve dont elle est saisieNote de bas de page 13. De plus, le ministre fait valoir que le rapport de frais médicaux de l’appelante ne fait pas état du contexte nécessaire pour avoir une valeur importante.

[23] Enfin, le ministre souligne de quelle façon la conclusion de la division générale selon laquelle l’appelante s’en remet au Tylenol no 3 pour contrôler sa douleur est bien étayée par la preuve, y compris le rapport médical dressé par son médecin de famille en décembre 2014Note de bas de page 14, au questionnaire relatif aux prestations d’invalidité rempli par l’appelante avec sa demande, également en décembre 2014Note de bas de page 15, et sa demande de réexamen de mai 2015, qui décrit une journée au cours de laquelle sa douleur était particulièrement graveNote de bas de page 16. Aucun de ces documents ne fait référence à l’utilisation d’analgésiques outre le Tylenol no 3. De plus, selon le témoignage de l’appelante elle-même, elle a mentionné une seule fois qu’elle utilisait de l’Oxycodone les jours de très grande douleur.

[24] Je souscris pour l’essentiel aux observations du ministre sur cette question. La décision de la division générale résumait et évaluait les IRM de 2012 et de 2014, mais établissait qu’elles ne révélaient pas une détérioration importante de l’état de l’appelante. Cette conclusion était loisible à la division générale. Bien qu’il y ait eu des changements entre les deux rapports, le radiologiste est globalement d’avis, comme il l’a dit à la fin du rapport de 2014, qu’il s’agissait seulement d’une légère dégénérescence.

[25] En outre, la prise occasionnelle par l’appelante d’autres analgésiques à base d’opioïdes n’amoindrit en rien la conclusion de la division générale selon laquelle la douleur de l’appelante est traitée au quotidien à l’aide du Tylenol no 3 et selon laquelle il n’existe aucun rapport médical à l’effet contraire.

[26] Je reconnais certes que des éléments de preuve indiquaient que l’appelante a parfois pris d’autres médicaments à base d’opioïdes, mais cette preuve avait peu de valeur sans autre explication. Par exemple, on ne sait pas à quelle fréquence l’appelante a pris ces médicaments et quel a été leur effet, le cas échéant, sur sa fonctionnalité.

[27] De même, le rapport de frais médicaux de l’appelante avait peu de valeur sans autre contexte. Je constate particulièrement que l’appelante s’était fait prescrire trois médicaments différents et qu’il s’écoulait des périodes importantes entre certaines de ces ordonnances, les deux dernières étant distancées de plus de un an.

[28] Dans les circonstances, je ne puis affirmer que le rapport de frais médicaux de l’appelante revêtait une telle importance que la division générale aurait dû le mentionner expressément.

[29] Dans la mesure où l’appelante fait valoir que son rapport de frais médicaux et ses IRM en évolution auraient dû signaler à la division générale que l’état de l’appelante se détériorait, j’interprète ses observations comme une demande à mon endroit de réévaluer la preuve d’une façon plus favorable à sa cause. Toutefois, les tribunaux ont déjà statué que cela ne s’inscrit pas dans le rôle de la division d’appelNote de bas de page 17. Le désaccord de l’appelante avec la façon dont la preuve a été évaluée ne s’inscrit pas dans les moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la LMEDSNote de bas de page 18.

[30] En d’autres termes, il était loisible à la division générale de conclure que le rapport de frais médicaux et les IRM en évolution de l’appelante ne révélaient pas de détérioration de son état. Je ne puis conclure que la division générale en est arrivée à une conclusion que la preuve, manifestement, contredit ou n’étaye pas.

Question en litige no 2 : La division générale avait-elle commis une erreur de fait en concluant que l’appelante avait une capacité résiduelle de travailler, en se fondant sur sa capacité de continuer à travailler après l’accident d’octobre 2011 et d’obtenir un certificat en administration de bureau?

[31] Selon moi, la division générale n’avait pas commis l’erreur de fait alléguée par l’appelante.

[32] Pour que l’appelante soit admissible à une pension d’invalidité, elle devait démontrer qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au sens du RPC, le 31 décembre 2015 ou avant cette date (fin de sa période minimale d’admissibilité).

[33] L’une des difficultés dans le dossier de l’appelante provenait toutefois de l’affirmation de l’appelante selon laquelle elle était devenue invalide du fait d’une blessure en milieu de travail survenue en octobre 2011. Néanmoins, elle avait repris le travail après cette blessure et elle a continué à travailler jusqu’en février 2013. Son employeur a alors déclaré faillite. Elle a alors suivi un cours de six mois au Collège X et a obtenu un certificat en administration de bureau. Par conséquent, à sa face même, la preuve laisse croire que l’appelante est demeurée apte à travailler, et ce même après son accident de travail d’octobre 2011.

[34] L’appelante fait toutefois valoir que ces faits ne révélaient pas une capacité de travailler et que la division général a mal compris la preuve, ce qui aurait mené à une conclusion erronée.

[35] Plus précisément, l’appelante a expliqué au cours de l’audience devant la division générale que son employeur précédent avait d’abord affirmé qu’il ne pouvait pas prendre de mesures d’adaptation qui auraient tenu compte de ses restrictions pour s’asseoir, demeurer debout, marcher, lever, tirer et pousser un objet. Cependant, une fois que sa demande à la CSPAAT a été approuvée, il a préféré l’inscrire de nouveau sur la liste de paie, même si elle était dans un bureau à ne rien faire. En ce qui concerne son cours au Collège X, elle a dit qu’il durait seulement quatre heures par jour, et que la douleur causée par la conduite automobile l’empêchait d’y être présente régulièrement. L’appelante soutient que cette preuve était importante compte tenu de l’exigence de régularité qui est prévue à l’article 42(2)(a) du RPC.

[36] En réponse, le ministre fait valoir que la preuve étayait bien la conclusion de la division générale au sujet de la capacité de travailler de l’appelante. Plus particulièrement, sans égard à la quantité de travail qu’elle devait faire, l’appelante pouvait se présenter au travail régulièrement pour des périodes pouvant atteindre cinq heures par jour, ce qui est considérable compte tenu de ses compétences transférables. De plus, elle est parvenue à terminer un cours collégial, même si elle n’y était pas régulièrement présente.

[37] En outre, le rapport sur les soins ambulatoires du Dr McCormick daté du 13 juin 2012 étayait la conclusion de la division générale au sujet de la capacité de travailler de l’appelanteNote de bas de page 19. Dans ce rapport, le Dr McCormick a revu les antécédents de l’appelante et l’IRM de 2012, a exposé le résultat d’un examen physique, puis a conclu que l’appelante ne devrait pas reprendre son emploi précédent, mais qu’elle pourrait se recycler en vue d’occuper un autre emploi.

[38] Encore une fois, je souscris largement aux observations du ministre. D’après la preuve dont la division générale a été saisie, il lui était loisible de conclure que l’appelante avait conservé une capacité résiduelle de travailler. L’appelante n’a pas allégué que la division générale a complètement ignoré la preuve sur les fonctions modifiées de l’appelante au travail ou sur son incapacité de se présenter régulièrement au Collège X.

[39] En outre, il est clair que la division générale était au courant de l’exigence de régularité inscrite à l’article 42(2)(a) du RPC, mais elle pouvait évaluer le témoignage de l’appelante concernant sa présence sporadique au Collège X en regard de l’absence d’une preuve similaire sur sa présence au travail jusqu’en février 2013 et de l’absence de preuve médicale justificativeNote de bas de page 20.

[40] Selon moi, l’appelante fait de nouveau valoir que la division générale a accordé trop ou trop peu de poids à certains éléments de preuve. Tel que mentionné précédemment, toutefois, ce n’est pas l’un des moyens en vertu desquels le paragraphe 58(1) de la LMEDS permet mon intervention.

Question en litige no 3 : La division générale avait-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Inclima?

[41] Je souscris à l’interprétation de la division générale de l’arrêt Inclima dans cette affaire.

[42] L’arrêt Inclima est une très courte décision de la Cour d’appel fédérale, dont la proposition suivante a cependant été citée d’innombrables fois. Ladite proposition a trait à l’obligation de certains prestataires d’une pension d’invalidité du RPC d’établir qu’ils ont déployé des efforts pour obtenir et conserver un emploi :Note de bas de page 21

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[43] En l’espèce, la division générale a conclu que malgré ses déficiences, l’appelante a conservé une capacité résiduelle de travailler. Elle a également reconnu que l’appelante avait posé sa candidature pour des emplois après avoir terminé son cours au Collège X, mais qu’elle n’a jamais été rappelée pour passer une entrevue. La division générale a ensuite formulé l’observation suivante (au paragraphe 30) :

[traduction]

L’appelante n’a pas tenté sa chance dans un autre emploi depuis qu’elle a été licenciée de son poste en 2013 parce que son employeur a déclaré faillite et après avoir suivi une formation, on peut difficilement conclure que des efforts pour obtenir et conserver un emploi se sont révélés infructueux en raison de son état de santé.

[44] Devant moi, l’appelante fait valoir qu’elle a répondu au critère énoncé dans l’arrêt Inclima parce qu’elle a déployé des efforts sérieux pour chercher du travail, mais que ses efforts ont fini par se révéler infructueux.

[45] En réponse, le ministre cite R.P. et fait valoir que les éléments du critère énoncé dans l’arrêt Inclima sont conjonctifs, ce qui signifie que les personnes qui sont soumises à ses exigences doivent démontrer des efforts pour obtenir et conserver un emploi avant de pouvoir être considérées admissibles à des prestations d’invalidité. Par conséquent, selon les observations du ministre, les prestataires ne satisferont jamais aux exigences d’Inclima sur la seule base de leurs efforts pour trouver du travail. Ils doivent plutôt obtenir un poste convenable et tenter d’exercer les fonctions qui y sont associées.

[46] En réplique, l’appelante fait valoir qu’il serait perturbant d’adopter les observations du ministre sur ce point. D’abord, des prestataires comme l’appelante sont considérablement défavorisées lorsqu’elles tentent de décrocher un emploi, ce qui rend le critère difficile à respecter. Ensuite, le choix de la personne recrutée est complètement indépendant de la volonté d’un prestataire. De plus, l’appelante fait valoir que la décision de la division d’appel dans R.P. n’est pas exécutoire et peut être distinguée d’après les faits. D’une part, l’appelant dans R.P. avait fait peu de recherche d’emploi, mais s’est résigné au fait qu’il était incapable d’occuper les emplois disponibles, et il n’a donc jamais posé sa candidature pour ces emplois. D’autre part, l’appelante en l’espèce a non seulement fait des recherches, mais également posé sa candidature pour plusieurs emplois. Elle ne devrait pas être pénalisée parce que des employeurs éventuels n’ont jamais répondu à sa demande.

[47] Bien que la décision Inclima renvoie à des prestataires qui déploient des efforts pour obtenir et conserver un emploi, ces efforts ne constituent pas une exigence d’admissibilité énoncée expressément dans le RPC. Cela a amené récemment l’une de mes collègues à tenter de décrire comment la décision Inclima s’inscrit dans le cadre des pensions d’invalidité du RPC. Il vaut la peine de reprendre son analyse ici :Note de bas de page 22

Le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne est atteinte d’une invalidité grave et prolongée revient à la prestataire. Bien qu’il n’y ait pas d’exigence explicite en vertu du RPC selon laquelle un prestataire doit se chercher un emploi, doit tenter d’exercer un emploi dont les tâches sont moins exigeantes ou de se recycler afin d’élargir ses choix professionnels, le fait de ne pas déployer de tels efforts pour se trouver un emploi peut fournir un fondement probatoire à l’appui de l’incapacité du prestataire à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice (en fournissant la preuve d’une incapacité complète à travailler ou d’une incapacité à conserver un emploi, à occuper un emploi assez rémunérateur ou à le faire pendant une période durable). Commençant dans l’arrêt Inclima, la Cour d’appel fédérale a répété à maintes reprises que des éléments de preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi sont nécessaires pour s’acquitter du fardeau de la preuve dans le contexte d’une capacité résiduelle de travail. Si je comprends bien la directive de la Cour d’appel fédérale, une personne qui est capable d’exercer un certain type d’emploi ne démontrera généralement pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est réellement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice sans avoir déployé de vrais efforts, quoiqu’infructueux, pour obtenir un tel emploi.

[48] En conséquence, ma collègue s’est ensuite concentrée sur des affaires dans lesquelles le prestataire possède une capacité résiduelle de travail et a résumé ainsi l’analyse pertinenteNote de bas de page 23 :

S’il y a des éléments de preuve à l’appui d’une capacité de travail, qu’est-ce que les efforts déployés par le prestataire pour se trouver un emploi révèlent relativement à la question à savoir si, dans un contexte réaliste, il est « incapable » de « régulièrement » « détenir » une occupation « véritablement rémunératrice »? Les efforts déployés par le prestataire pour trouver et conserver un emploi se sont-ils avérés infructueux en raison de son problème de santé?

Si aucun effort n’avait été déployé pour se trouver un emploi ou si les efforts s’étaient avérés infructueux seulement à cause de raisons qui ne sont pas liées à l’était [sic] de santé, l’analyse prévue dans l’arrêt Inclima permet au décideur de conclure que le caractère grave n’a pas été établi. Dans cette situation, le prestataire ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver qu’en raison de son invalidité, il est incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[49] Que le critère dans Inclima puisse être respecté par des prestataires qui n’ont jamais obtenu un autre emploi est une question intéressante, mais il ne s’agit pas d’une question sur laquelle je dois statuer à la lumière des faits de l’affaire, et ce parce que peu importe les efforts déployés, l’arrêt Inclima exige que ces efforts soient infructueux en raison de l’état de santé du prestataire. En l’espèce, le lien entre l’état de santé de l’appelante et ses demandes d’emploi infructueuses n’a jamais été établi.

[50] Certes, l’état de santé de l’appelante ne l’empêchait pas de présenter des demandes d’emploi, car elle dit l’avoir fait à plusieurs reprises. Elle prétend toutefois n’avoir jamais reçu de réponse à aucune de ses demandes. Selon la division générale, cette absence de réponse était imputable à des facteurs socio-économiques, mais le fondement probatoire sur lequel la division générale s’est appuyée pour tirer cette conclusion ne m’apparaît pas clairementNote de bas de page 24. Néanmoins, à mon avis, il est clair qu’il n’y avait pas de preuve reliant les demandes d’emploi infructueuses de l’appelante et son état de santé. Comme ce lien n’a pas été établi, il était loisible à la division générale d’invoquer l’arrêt Inclima et de conclure que l’appelante ne s’était pas acquittée de son fardeau de la preuve; en effet, elle n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

Question en litige no 4 : La division générale avait-elle violé un principe de justice naturelle en ne posant pas plus de questions à l’appelante et en n’obtenant pas plus de renseignements de l’appelante pendant l’audience?

[51] J’ai décidé de traiter brièvement de cette question, même si elle n’a pas été soulevée clairement avant l’audience auprès de la division d’appel.

[52] À l’audience devant moi, la représentante de l’appelante a souligné à plusieurs reprises que l’appelante n’était pas juridiquement représentée à l’audience de la division générale et a proposé que le membre aurait par conséquent dû lui poser plus de questions, notamment dans les domaines que le membre jugeait importants pour sa décision. Par exemple, le membre de la division générale aurait dû poser davantage de questions au sujet des médicaments de l’appelante, de sa présence au travail avant février 2013, de la mesure dans laquelle ses fonctions avaient été modifiées à l’époque, et de ses tentatives de retourner au travail après avoir terminé son cours au Collège X.

[53] Tel qu’il est mentionné précédemment, l’appelante avait d’abord plaidé que l’équité de l’audience de la division générale était mise en péril par sa décision de procéder par téléconférence, plutôt que par vidéoconférence ou en personne. La représentante de l’appelante a abandonné cet argument à l’audience devant moi, mais le ministre y avait déjà répondu en affirmant que les allégations de manquement à la justice naturelle doivent être soulevées dès que possible, sans quoi il est présumé qu’il y a été renoncé, et que l’appelante a confirmé pendant l’audience qu’elle avait pleinement eu l’occasion de présenter son dossierNote de bas de page 25.

[54] Selon moi, les arguments du ministre s’appliquent également à cette question, à condition d’y apporter des ajustements mineurs. D’abord, les arguments de l’appelante auraient pu être soulevés plus tôt, comme dans sa demande de permission d’en appeler. Ensuite, il n’est pas allégué que la division générale a empêché de quelque façon que ce soit l’appelante de présenter un dossier complet. De plus, l’appelante était tenue d’établir son droit à une pension d’invalidité en vertu du RPCNote de bas de page 26. Et finalement, l’appelante n’a pas cité d’autorité juridique pour appuyer la proposition que la division générale était tenue de demander des preuves à l’appelante ou d’obtenir davantage de renseignements auprès d’elle. En fait, la Cour fédérale en est récemment venue à la conclusion opposéeNote de bas de page 27.

Conclusion

[55] Je sympathise avec la situation difficile dans laquelle l’appelante se trouve. Cependant, le cadre juridique dans lequel la division d’appel fonctionne ne me permet pas d’évaluer de nouveau la preuve. Je puis seulement intervenir dans les cas dans lesquels un moyen d’appel reconnu a été établi. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[56] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 2 mai 2018

Téléconférence

Angela Browne (parajuriste), représentante de l’appelante
Nathalie Pruneau, représentative de l’intimé

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