Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, L. B., est né en 19XX et a quitté l’école secondaire à l’âge de 17 ans, mais a, par la suite, obtenu un diplôme d’équivalence générale. Il a occupé pendant de nombreuses années des emplois manuels, travaillant principalement comme soudeur. En novembre 2009, alors qu’il travaillait pour un fabricant d’équipement lourd, il s’est blessé au dos. Il a continué à travailler, malgré la douleur, jusqu’à la fermeture de l’usine. Il a ensuite accepté un emploi dans un chantier naval où il travaillé jusqu’en avril 2010, mois pendant lequel il a été mis à pied. À l’exception de brèves périodes de travail à titre d’opérateur de machines et de chauffeur de taxi, il n’a pas travaillé depuis.

[3] En mars 2015, l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), soutenant qu’il n’était plus capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté la demande de l’appelant parce que ce dernier n’avait pas démontré qu’il était atteint d’une invalidité « grave et prolongée » au sens de l’article 42(2)a) du RPC pendant la période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle a pris fin le 31 décembre 2015.

[4] L’appelant a interjeté appel du refus du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. À la suite d’une audience par vidéoconférence, la division générale a rendu une décision le 16 octobre 2017, refusant d’accorder une pension d’invalidité à l’appelant. Bien que la division générale ait reconnu que l’appelant n’était plus capable de travailler comme soudeur ou de détenir une occupation comportant du travail manuel, elle a déterminé qu’il n’avait pas sérieusement suivi une formation de recyclage pour effectuer des travaux plus légers.

[5] Le 14 novembre 2017, le représentant légal de l’appelant a déposé une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel du Tribunal, soutenant que la division générale avait commis diverses erreurs.

[6] Dans ma décision datée du 15 février 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que, à mon avis, les observations de l’appelant confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Après examen des observations orales et écrites des parties, j’ai déterminé qu’aucun des motifs d’appel n’était suffisamment fondé pour justifier l’annulation de la décision de la division générale.

Questions en litige

[8] L’appelant a soulevé les questions suivantes :

  1. Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en déterminant que Dr Baillie [traduction] « a tenu compte de l’ensemble de l’état de santé de l’appelant »?
  2. Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en se fondant sur la conclusion de Dr Griffiths selon laquelle la douleur au cou de l’appelant s’était résorbée?
  3. Question en litige no 3 : Est-ce que la division générale a ignoré le contexte du rapport de juin 2017 de Dre Tokar, tirant ainsi des conclusions excessivement générales en se fondant sur ce rapport?

Analyse

[9] Selon l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), il existe seulement trois moyens d’appel devant la division d’appel :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) La division a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale? Dans l’arrêt Canada c Huruglica,Note de bas de page 1 la Cour d’appel fédérale a statué que les tribunaux administratifs devraient se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] ».

[11] Si cette approche est appliquée à la Loi sur le MEDS, on doit noter que les articles 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse entendre que la division d’appel devrait exiger de la division générale qu’elle respecte une norme stricte en matière d’interprétation juridique. En revanche, le libellé de l’article 58(1)c) laisse entendre que la division générale doit faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions de fait. La décision doit être fondée sur la conclusion prétendument erronée, laquelle doit elle-même être tirée « d’une façon abusive ou arbitraire » ou « sans que la division générale ait tenu compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme il est suggéré dans l’arrêt Huruglica, ces mots doivent recevoir leur propre interprétation, mais le libellé donne à penser que la division d’appel doit intervenir si la division générale commet une erreur de fait importante qui n’est pas simplement déraisonnable, mais clairement manifeste ou contraire au dossier.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en déterminant que Dr Baillie [traduction] « a tenu compte de l’ensemble de l’état de santé de l’appelant »?

[12] L’appelant conteste le paragraphe 36 de la décision de la division générale, où il est précisé que Dr Baillie [traduction] « a tenu compte de l’ensemble de l’état de santé de l’appelant » avant de conclure que l’appelant était un candidat au recyclage. L’appelant soutient que, dans les faits, le rapport de juin 2016Note de bas de page 2 du Dr Baillie n’a pas tenu compte des modifications organiques dans sa colonne cervicale, y compris un disque hernié à C6-7 et un effacement du sac thécal, qui ont été constatés dans l’examen par IRM de mai 2012.

[13] Je constate peu de fondement relativement à cette observation. Dans son rapport daté du 13 juin 206, Dr Baillie précise :

[traduction]

J’ai demandé une IRM pour lui après la visite initiale, et cela a été fait le 3 mai 2016 au site de X. L’IRM a révélé des déchirures annulaires en position 4 heures, à L3-4 et L4-5, ainsi qu’une sténose légère au même niveau. À L5-S1, il y avait un disque légèrement bombé. Il y avait aussi des disques bombés à d’autres niveaux.

[14] Il est vrai que Dr Baillie n’a apparemment pas tenu compte de l’IRM de l’appelant de mai 2012 ou n’y a pas eu accès, mais il a tout de même demandé une nouvelle IRM de la colonne cervicale en mai 2016. Effectuée peu de temps après la fin de la PMA de l’appelant, elle était très pertinente. À l’instar de l’IRM précédente, celle-ci a révélé d’importantes modifications organiques dont Dr Baillie a tenu compte quand il a conclu que l’appelant avait la capacité d’occuper des emplois peu exigeants sur le plan physique, comme ceux d’agent de sécurité ou de télévendeur.

[15] Dans ce contexte, force est de constater que la division générale n’a pas commis d’erreur en déterminant que Dr Baillie avait examiné l’état de santé de l’appelant dans son [traduction] « ensemble ». L’appelant n’a pas relevé d’erreur de la part de la division générale, mais a plutôt souligné qu’une trop grande valeur avait été accordée au rapport du Dr Baillie. Toutefois, un tribunal administratif est libre d’examiner les éléments de preuve pertinents, d’en évaluer la qualité et d’en déterminer la valeur, puis de décider ceux qu’il convient d’admettre ou d’écarter. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans l’arrêt Simpson c Canada, dans lequel l’avocate de Mme Simpson fait mention de divers rapports que la Commission a, à son avis, ignorés, mal compris ou mal interprétés ou auxquels elle a accordé trop de poidsNote de bas de page 3. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[16] L’appelant n’a pas démontré que le rapport de Dr Baillie comportait des lacunes critiques, et je ne vois pas en quoi le fait que la division générale s’y soit fiée peut être interprété comme une condamnation de l’ensemble du jugement. En tout état de cause, ce n’est finalement qu’un des nombreux facteurs dont la division générale a tenu compte pour rendre sa décision.

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a commis une erreur en se fondant sur la conclusion de Dr Griffiths selon laquelle la douleur au cou de l’appelant s’était résorbée?

[17] L’appelant soutient que la division générale a commis une erreur en se fondant sur la conclusionNote de bas de page 4 de Dr Griffiths selon laquelle sa douleur au cou s’était résorbée. En fait, l’appelant précise avoir déclaré que ses problèmes de cou sont persistants, comme l’indique une IRM réalisée en mai 2012, qui fait état d’une herniation de la colonne cervicale.

[18] Cette observation ne me convainc pas. Au paragraphe 38, la division générale a écrit :

[traduction]

La preuve médicale appuie la conclusion selon laquelle l’appelant souffre de maux de dos chroniques et d’un certain inconfort aux mains découlant du syndrome du canal carpien. L’appelant a fait état de douleurs au cou lors de son audience. Toutefois, un rapport du Dr Griffiths daté du 28 avril 2010 précisait que la douleur au cou de l’appelant s’était résorbée.

[19] Mon examen du rapport en question permet de constater que la division générale a correctement relaté le compte rendu du Dr Griffiths d’avril 2010 de l’histoire de l’appelant :

[traduction]

Il décrit également que son cou et ses épaules étaient également coincés dans le taxi. Le problème au niveau des épaules a disparu, mais celui au niveau du bas du dos a persisté.

[20] L’appelant soutient que la division générale s’est fondée sur ce rapport au détriment d’autres éléments de preuve à l’appui de sa demande de prestations d’invalidité. Toutefois, dans sa décision, la division générale mentionne avoir pris note de la déclaration de l’appelant au sujet de sa douleur au cou non résolue et, au paragraphe 35, avoir traité de l’IRM. En fin de compte, elle a décidé d’accorder plus de poids à l’avis de juin 2016 du Dr Baillie, qui a précisément jugé que l’appelant était capable de faire un travail à faible impact. Comme mentionné précédemment, la division générale doit disposer d’une certaine latitude quant à la façon dont elle évalue les éléments de preuve. Je ne vois pas d’erreur, aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS, dans le fait que la division générale se soit fondée sur les rapports du Dr Griffiths et du Dr Baillie, particulièrement s’il est clair que la division générale a également tenu compte d’éléments de preuve concurrents.

Question en litige no 3 : Est-ce que la division générale a ignoré le contexte du rapport de juin 2017 de Dre Tokar, tirant ainsi des conclusions excessivement générales en se fondant sur ce rapport?

[21] Au paragraphe 38 de sa décision, la division générale a accordé beaucoup d’importance à la description de l’examen par IRM de mai 2012 de Dre TokarNote de bas de page 5, qui a déclaré que l’examen ne permettait pas de révéler une [traduction] « atteinte à la moelle épinière » et seulement une [traduction] « sténose modérée au foramen intervertébral gauche ». Ces conclusions tirées par Dre Tokar n’étaient pas assez importantes pour justifier une chirurgie et expliquer les symptômes de l’appelant. L’appelant soutient que la division générale n’a pas tenu compte du contexte de l’évaluation de Dre Tokar qui a été effectuée principalement pour enquêter sur la source de sa douleur continue aux bras.

[22] Dans ma décision relative à la permission d’en appeler, j’ai précisé que le rapport neurologique de Dre Tokar a joué un rôle central dans le raisonnement de la division générale, et ce, même s’il a été produit plusieurs années après la fin de la PMA. La division générale a résumé le rapport de façon approfondie au paragraphe 21 de sa décision et elle s’est ensuite fondée sur ce rapport pour minimiser la gravité des modifications soulignées dans l’examen par IRM de mai 2012 de la colonne cervicale. Cet examen par IRM a été particulièrement important pour la cause de l’appelant parce qu’il a offert, à première vue, la preuve la plus absolue d’une pathologie organique sous-jacente à sa douleur dorsale. J’ai également noté que le rapport détaillé de trois pages de Dre Tokar mentionnait à peine le mal de dos de l’appelant - la raison pour laquelle il a cessé de travailler et la motivation de sa demande de prestations d’invalidité - et qu’il était presque entièrement préoccupé par les examens, le traitement et le pronostic de ses douleurs bilatérales au bras.

[23] Après examen des observations des deux parties sur cette question, je suis convaincu que le traitement du rapport de Dre Tokar par la division générale ne correspond à aucun des moyens d’appel figurant à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS. Je n’ai rien relevé qui donne à penser que la pratique de Dre Tokar est centrée sur le syndrome du canal carpien, à l’exclusion d’autres troubles neurologiques. Dre Tokar a fait référence à l’IRM de 2012 pour écarter la possibilité que le cou de l’appelant soit une source de douleur radiculaire, mais elle a également donné une perspective élargie par rapport aux changements touchant sa colonne vertébrale et à leur incidence potentielle sur son fonctionnement. Bien que l’IRM ait clairement mis en évidence une hernie discale à C6-7, Dre Tokar s’est concentrée sur l’absence de toute atteinte de la moelle épinière, constatant une sténose [traduction] « tout au plus » modérée.

[24] À ce moment-ci, il importe de souligner que Dre Tokar, qui n’avait pas vu l’appelant depuis plus de quatre ans, a préparé son rapport de juin 2017 à la demande de l’avocat. Il ressort clairement de ce rapport que Dre Tokar savait que ses conclusions seraient utilisées dans les procédures d’indemnité pour accident du travail et de prestations du RPC. On peut raisonnablement supposer que Dre Tokar, en sa qualité de consultante, a adopté le mandat d’évaluer l’ensemble du trouble neurologique de l’appelant. S’il y avait eu quelque chose dans l’IRM de mai 2012 montrant une invalidité importante, je suis certain qu’elle en aurait fait mention.

[25] Je note d’autres observations selon lesquelles Dre Tokar a tenu compte de l’ensemble de l’état de santé de l’appelant. Son rapport contient un historique médical et professionnel détaillé et décrit un examen clinique complet dans lequel il est précisé ce qui suit :

[traduction]

Il a aussi été sujet à des douleurs au cou qui peuvent irradier dans son épaule gauche quand il tousse. À cela, s’ajoutent des maux de tête qu’il gère avec Advil. Il a remarqué une sensation de « cliquètement » dans son cou lorsqu’il essaie de lancer un frisbee à un de ses chiens.

À l’examen aujourd’hui, l’amplitude des mouvements de la colonne cervicale semble totale et indolore, sans déformations osseuses apparentes ni sensibilité dans les muscles paracervicaux. La TA est de 130/85 dans le bras droit et de 138/91 dans le bras gauche, assis avec un rythme cardiaque normal au repos d’environ 80 BPM.

[26] La division générale a pris note de l’opinion de Dre Tokar selon laquelle les changements observés dans l’IRM de 2012 ne pouvaient expliquer les plaintes de l’appelant. La division générale a également noté que Dre Tokar n’excluait pas la possibilité de travailler. La représentante de l’appelant a laissé entendre que Dre Tokar s’était [traduction] « rétractée » de ses conclusions antérieures de décembre 2011 et d’avril 2013. Cependant, vu qu’aucun de ces rapports ne figurait au dossier, la division générale n’a pu les examiner.

[27] À mon avis, la portée du rapport de juin 2017 de Dre Tokar était suffisamment vaste pour permettre à la division générale de tirer des conclusions relativement à la capacité de travail de l’appelant. Comme il a été statué dans l’arrêt SimpsonNote de bas de page 6, le poids accordé à la preuve relève du juge des faits et, en l’espèce, l’utilisation du rapport de Dre Tokar par la division générale doit bénéficier d’une certaine déférence. En fin de compte, je ne vois pas d’erreur ici, et encore moins une erreur permettant de dire que la conclusion a été tirée de « façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale ».

Conclusion

[28] Pour les motifs exposés ci-dessus, l’appelant ne m’a pas démontré que, tout compte fait, la division générale a commis une erreur qui correspond aux motifs figurant à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[29] L’appel est donc rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 28 juin 2018

Téléconférence

L. B., appelant

Donald Porter, représentant de l’appelant

Viola Herbert, représentante de l’intimé

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